Moins de dix sélections en équipe de France, et déjà une chose est sûre : les Bleus ne peuvent plus se passer de ce jeune avant-centre autour duquel, désormais, la sélection est construite. Tout a commencé chez les poussins. Par un de ces pousse-ballon entre gamins qu'on regarde parfois distraitement, en passant dans la rue. Ce jour-là, les gosses de l'Olympique lyonnais affrontent Bron-Terraillon, de la banlieue lyonnaise, et le petit Karim, 9 ans, marque deux buts au club de la grande ville. Un poison, mieux vaut l'avoir avec que contre soi : dans la foulée, l'OL lui fait signer une licence. Onze ans après, Benzema est toujours à Lyon, couvé, grandi en son sein, poli comme un diamant, et cette saison il affole les statistiques : 26 buts marqués, dont 15 en championnat. Depuis le 1er janvier, il muliplie les unes de L'Equipe , qui le compare déjà à Kopa, Platini ou Zidane. Décidément, le football est injuste : Lyon écrase déjà la concurrence et voilà qu'en plus il touche, dans son centre de formation, un talent offensif comme on en déniche un tous les dix ou quinze ans. Jean-Michel Aulas et Bernard Lacombe peuvent aller brûler un cierge à Notre-Dame de Fourvière !
Bien sûr, il n'y a pas que le talent. « Il est venu me voir à 8 ans et je l'ai d'abord refusé, se souvient Serge Santa Cruz, président de Bron-Terraillon. L'équipe était au complet. Alors, il est allé chercher son père, ils habitent à 20 mètres du stade, et le père m'a convaincu de le tester : là, j'ai vite compris. » Le garçon a du caractère, et Vincent Duluc, journaliste à L'Equipe, qui le piste depuis ses débuts, l'a parfois constaté : « Il n'a peur de rien. En avril, il m'a presque convoqué pour me dire que l'an prochain l'avant-centre de Lyon ce serait lui et personne d'autre. » Même son de cloche chez Gérard Houllier, qui l'a eu sous ses ordres à Lyon entre 2005 et 2007 : « C'est un étonnant mélange d'humilité et de grande assurance. » L'assurance est un capital inestimable pour un attaquant qui ne doit ni réfléchir ni trembler, mais oser, provoquer, plus que tout autre joueur. Une histoire court sur ses débuts lyonnais. « La tradition veut que le joueur, pour son baptême, prononce un discours devant ses coéquipiers, raconte un ancien proche du club. Il a bredouillé quelques mots, tout le monde s'est marré. Il leur a répondu qu'ils pouvaient se bidonner, il était là pour leur piquer la place. »
Il a tenu parole. De cinquième attaquant il est devenu le premier, reléguant sur le banc les coûteuses recrues du club, John Carew et Fred. Pour son premier match, en janvier 2005, contre Metz, il réussit le « coup du sombrero » (lob au-dessus d'un joueur, NDLR) après deux minutes de jeu et envoie un coéquipier au but. En 2005 et 2006, des blessures le ralentissent, mais à chaque apparition il invente, il enflamme.
En mars 2007, Domenech l'appelle en équipe de France : il marque après huit minutes. Aujourd'hui, il a supplanté Trezeguet et éclipsé Henry. Le joueur a tout pour lui : rapidité du démarrage, qualité de dribble, sens du placement et du but, fermeté du tir. En France, nos attaquants ont souvent des frappes de cadet. Le 8 décembre, contre les Glasgow Rangers, serré par deux défenseurs écossais, il décoche des 25 mètres en pleine course une frappe qui demande un équilibre extraordinaire du pied et de la cheville. C'est un tueur, sobre, efficace, adepte des frappes chirurgicales. Le 12 janvier, il fait danser trois défenseurs toulousains, avant d'enrouler un tir avec la vista d'un grand. Lors de ce match, son entente avec Hatem Ben Arfa, plus dribbleur, plus excentré que lui, a rappelé les riches heures du duo Trezeguet-Henry. Les deux « Ben » jouent ensemble depuis l'âge de 15 ans : quand ces deux-là ont décidé de se trouver, les défenses sont à la rue. Ou au balcon. Le 27 janvier, contre Toulouse, il prend d'autorité le ballon, marque un coup franc à la Juninho et sauve encore Lyon.
Alors, les épithètes fleurissent. «Zorro» Benzema arrive à point nommé. Un championnat de France en panne de stars. Un club de Lyon en quête de son second souffle. Une France qui se cherche un remplaçant à Zidane. Justement, avec son bagage technique, il appelle la comparaison : Benzema, un Zidane qui jouerait avant-centre. Son modèle demeure pourtant Ronaldo, dont il décortique la vélocité et les buts sur DVD. Mais, comme Zidane, il est d'origine kabyle (l'Algérie a du reste essayé de le sélectionner, juste avant qu'il ne soit retenu par Domenech). Comme lui, aussi, il tient ce discours policé sur le foot, l'intégration, sur sa famille aussi, sans qui rien n'aurait été possible.
« A Bron, au milieu des années 90, confirme Serge Santa Cruz, beaucoup de jeunes déviaient. Il peut remercier son père, agent d'entretien à la mairie de Villeurbanne, qui l'a soutenu, l'a suivi partout. » Mais Benzema est un calme : rien à voir avec Zidane et son vieux fond de violence. « En classe, il ne faisait pas d'étincelles, pas de vagues non plus. Discret, respectueux, à l'écoute », se souvient M. Rage, responsable au collège privé Saint-Louis, à Lyon. Car c'est chez les cathos que ses parents l'ont placé. Puis l'OL le prend en charge : il a 15 ans, l'âge de tous les dangers, il reste dormir au centre Tola-Vologe, loin des tentations. C'est là, vers 16 ans, que le garçon un peu pataud s'affine, se muscle et devient une terreur des surfaces. Mais s'il trouve le chemin des filets, Benzema a su vite trouver la voie de la sagesse. Ils sont tous un peu ainsi, les Nasri, Ben Arfa, cette deuxième génération plus beur que black ou blanc, née en 1987 et championne d'Europe des moins de 17 ans : des jeunes hommes grandis d'un coup et un peu sages. A leur âge, Zidane n'avait pas le quart de leur maturité. Mais l'argent, la gloire : tout va si vite. Alors, Karim habite encore chez ses parents, en face du stade de son enfance. Pour tout plaisir, il s'est payé en décembre une BMW. Il a aussi rencontré Rohff, le rappeur hardcore, une de ses idoles. Car le jeune est hip-hop, comme de bien entendu. PlayStation, aussi.
Au « Grand journal » de Canal +, le 7 janvier, il était assis entre Alain Delon, César dans le dernier « Astérix », et Rama Yade, la secrétaire d'Etat chargée des Droits de l'homme. Tout un symbole ! Mais son agent, Karim Djaziri, a coupé toute relation avec la presse jusqu'à début mars. « Il doit se concentrer. » Et devant cette gloire un peu rapide qui lui tombe dessus, Benzema, comme pour mieux s'en persuader, répète : « Je veux rester le même. » Deux clubs italiens, l'Inter et le Milan AC, se sont dits prêts à le débaucher pour plus de 30 millions d'euros. Mais il a prudemment resigné jusqu'en 2010 à Lyon. Un club qui a cruellement souffert, ces dernières années, de ne pas avoir d'attaquant de grande classe. Benzema arrive-t-il trop tard ? Car, aujourd'hui, c'est la défense de Lyon qui donne des signes de faiblesse. Une chose est sûre : il n'a que 20 ans et la route est encore longue. Ne serait-ce que jusqu'à cet Euro 2008 où la France l'attend déjà...