The Wayback Machine - https://web.archive.org/web/20210630152318/https://www.academia.edu/31563028/Requiem_pour_Ibn_Hawqal_Sur_lhypoth%C3%A8se_de_lespion_fatimide_Journal_asiatique_304_2_2016_p_193_211_
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Requiem pour Ibn Hawqal. Sur l'hypothèse de l'espion fatimide (Journal asiatique, 304/2, 2016, p. 193-211)

Chafik T. Benchekroun
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REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL Surl’hypothèsedel’espionfatimide CHAFIK T. BENCHEKROUN UNIVERSITÉ DE TOULOUSE « Le temps des généraux était revenu et le calame avait dû à nouveau s’incliner devant le sabre. » Thierry Bianquis Résumé Le texte d’Ibn Ḥawqal ne constitue rien de moins que la plus importante source d’informations sur le monde arabo-musulman du Xe siècle. Pourtant, les motivations et allégeances de cet insatiable voyageur sont présentées comme pro-Fatimides, dynas- tie qui révolutionne le paysage politique de l’époque. Souvent, il est tout simplement traité d’« espion fatimide ». Le présent article vise à démontrer que la prétendue allégeance fatimide d’Ibn Ḥawqal est née d’une mauvaise lecture des manuscrits étudiés de son œuvre et d’une marginalisation d’autres manuscrits cruciaux. À travers une analyse comparée des textes des manuscrits d’Ibn Ḥawqal, grâce notamment à la découverte d’un manuscrit comportant la première version de l’ouvrage, il est en effet possible de révéler une méticuleuse entreprise de rectification idéologique du texte d’Ibn Ḥawqal exécutée par un thuriféraire du pouvoir fatimide. Mots-clés  : Ibn Ḥawqal, Fatimides, Ḥamdanides, géographie arabe. Abstract The text of Ibn Ḥawqal is nothing less than the most important source of information about the Arab-Muslim world of the 10th century. However, the motives and allegiances of this insatiable traveler are presented as pro-Fatimids, the most famous and influential dynasty of the time. Often, he is simply seen as a Fatimid spy. This article wants to prove that the Fatimid allegiance so-called of Ibn Ḥawqal was born from a poor reading of the manuscripts available of his work and a marginaliza- tion of other crucial manuscripts. Through a comparative analysis of the texts of the manuscripts of the Ibn Ḥawqal, through the discovery of a manuscript comprising the first version of the book, it is indeed possible to reveal a meticulous ideological rectification of the Ibn Ḥawqal’s text by a thurifer of Fatimid power. Keywords: Ibn Ḥawqal, Fatimids, Ḥamdanids, arab geography. Une attitude largement partagée par l’historiographie of the Fāṭimid caliph »4, qui « ya῾kis wuğhat l-naḏar contemporaine fait d’Ibn Ḥawqal « un espion au service l-rasmiya aw yumaṯṯil siyāsat l-dawla [l-fāṭimiya] » des Fatimides »2, un auteur parfaitement bien situé et (reflète la perspective officielle, ou bien représente même identifié idéologiquement, « a follower of the Ismā῾īlī la politique d’État [fatimide])5, « un propagandiste-mis- Fāṭimids of Ifrīqiya »3 qui « wrote his work as a subject sionnaire appartenant à la daʻwa de l’ismaïlisme »6, « un adepte fervent des Fatimides »7. Ibn Ḥawqal figurant parmi les auteurs les plus précieux et les plus utilisés par 1 Bianquis, 1986, vol. II, p. 682. Je souhaite ici remercier Annliese Nef, Susana Calvo Capilla, Dominique Valérian et Patrice Cressier 4 Ḥudūdl-ʽĀlam, p. 20. Les mots sont de l’orientaliste russe Vas- pour m’avoir invité à la Casa de Velázquez le 16 mars 2015 afin d’y sili Vladimirovitch Barthold (m. 1930) écrits dans sa préface à cette exposer le début de mes recherches sur le sujet et en débattre fructueu- géographie persane du Xe siècle dont l’auteur serait peut-être Ibn sement. Farīġūn. Minorsky, 1971. 2 Ibn Hawqal, Laconfigurationdelaterre, p. XII. L’expression est 5 Meğğānī, 1993, p. 130. 6 de Gaston Wiet. Sourdel, 2004, p. 366. 3 7 Fierro, 1996, p. 141. Blachère, 1969, p. 3. JournalAsiatique 304.2 (2016): 193-211 doi: 10.2143/JA.304.2.3186088 194 CHAFIK T. BENCHEKROUN les historiens du monde arabo-musulman médiéval, cette manuscrits de Leyde et d’Oxford (Or. 314 et Huntington identité idéologique précise et cette allégeance politique 538) où un ton indubitablement pro-Fatimides est de bien définie lui fut accolée depuis les premières éditions rigueur. Ces passages ne se trouvent ni dans le Bnf universitaires de textes arabes médiévaux. En effet, Arabe 2214 (utilisé en appoint seulement par De Goeje), depuis le XIXe siècle, nombre d’historiens, parmi les plus ni dans le plus ancien manuscrit d’Ibn Ḥawqal datant de illustres (Dozy, Wiet, Brunschvig, Canard8, Miquel, Gui- 479/1086 (A. 3346, qui fut la base de la seconde édition chard9…), ont présenté sans ambages Ibn Ḥawqal comme en 1938), ni dans quatre autres manuscrits encore inédits un agent fatimide. Brunschvig expliqua même que « les à ce jour, jamais pris en compte dans une édition du notes qu’il [Ibn Ḥawqal] a rédigées sur l’Espagne consti- texte d’Ibn Ḥawqal, conservés à la Süleymaniye Kütü- tuent un véritable rapport destiné aux Fatimides de phanesi (Ayasofya 2934 et Ayasofya 2577M)19 et à l’Afrique du Nord »10. Jean Devisse assurant de même Topkapi (A. 3012 et A. 3347). qu’Ibn Ḥawqal tenait les Fatimides informés des « trans- La visée de la présente étude est de démontrer que les formations en cours » en Afrique subsaharienne afin d’as- deux manuscrits de Leyde et d’Oxford semblent provenir surer au mieux leur approvisionnement en or11. Même d’une version de l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal rectifiée idéo- Jean-Claude Garcin, qui a essayé de nuancer quelque peu logiquement par un auteur pro-Fatimides, les passages cette attitude, présentait pourtant Ibn Ḥawqal comme critiques envers les Fatimides y étant supprimés, les « un partisan convaincu des Fatimides »12. Il est donc appellations désengagées des califes fatimides y étant tout à fait commun aujourd’hui de présenter Ibn Ḥawqal modifiées et des passages pro-Fatimides y étant rajoutés. comme un « espion tout autant que géographe »13 adop- Cette version pro-Fatimides datant bel et bien de la tant dans son écriture une perspective idéologique stricte- période égyptienne de la dynastie ainsi qu’il sera démon- ment fatimide14. Mais, ainsi que l’avait déjà intuitionné tré, alors que la théorie dominante dans l’historiographie l’historien israélien Samuel Miklos Stern15, un examen contemporaine veut que la version pro-Fatimides d’Ibn attentif des différents manuscrits disponibles du texte Ḥawqal date de la période fatimide pré-égyptienne avant d’Ibn Ḥawqal ne peut qu’engendrer un certain doute sur le « désenchantement » du géographe irakien20. cette considération. Certains historiens ont peut-être été trompés par quelques passages des premières éditions d’Ibn Ḥawqal LES MANUSCRITS (par le baron de Slane en 184216, Michel Amari en 184517 et De Goeje en 187318), basées principalement sur les La version dite dédiée à Sayf l-Dawla (m. 967) 8 Cette version est connue d’après trois manuscrits : le Canard, 1942-1947, p. 156. 9 Guichard, 2001, p. 227. Ayasofya 2934 conservé à la Süleymaniye Kütüphanesi 10 Brunschvig, 1935-1945, p. 147-149. d’Istanbul, le A. 3347 de Topkapi, et le Bnf Arabe 2214 11 Devisse, 1978, p. 150 et 153. Jean Devisse ne tient donc pas conservé à la Bnf qui se trouve être l’abrégé de la version compte de la théorie de Nehemia Levtzion. L’historien israélien a en présente dans les deux premiers. effet essayé de démontrer qu’Ibn Ḥawqal n’a jamais traversé le Sahara et que toutes ses informations sur le commerce transsaharien auraient été collectées en Afrique du Nord. Levtzion, 1968. Jean-Claude Garcin Le Ayasofya 2934, intitulé en page de titre Kitāb affirmait également qu’Ibn Ḥawqal ne s’était pas rendu plus au Sud que ῾ağā᾿ib l-dunyā (wa-l-mudun wa-l-sākin min-hā wa-l- Siğilmāssa. Garcin, 1983, p. 81. Cependant, dans le nouveau manuscrit ḫarāb wa-῾urūḍ l-mudun wa-ṣifāt kull baḥr ḫalaqahu d’Ibn Ḥawqal que j’ai découvert et que je présente plus bas, notre voya- Allāh…), et contenant de belles cartes soigneusement geur oriental affirme avoir assisté à la construction du minbar de la Grande mosquée d’Awdaġust durant son passage dans la ville en exécutées, comporte une longue dédicace à l’émir d’Alep 340/951. Topkapi 3012, f. 57. Sayf l-Dawla (m. 967). Il est donc censé comporter la 12 Garcin, 1983, p. 81. première version de l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal et donc 13 Tixier du Mesnil, 2014, p. 43. logiquement avoir été rédigé du vivant de cet émir (Jean- 14 Botte, 2011. Il faut noter que cette vision présentant Ibn Ḥawqal comme un espion fut caustiquement critiquée par l’historien marocain Claude Garcin datait même cette version d’avant 95821). Muḥammad Taḍġġūt qui alla jusqu’à parler de « perspective colo- niale…privilégiant l’idéologie à la critique scientifique ». Il n’accom- 19 pagna cependant pas ses propos d’argumentation. Taḍġġūt, 1993, Je tiens à remercier du fond du cœur mon ami turc Cafer p. 77-81. Sarikaya qui s’est donné la peine de m’envoyer de superbes versions 15 Stern, 1983, p. 214, n. 8. numérisées de ces deux manuscrits. J’en profite pour remercier égale- 16 Mac Guckin de Slane, 1842, p. 153-196. ment Zayde Antrim pour les indications qu’elle m’a aimablement don- 17 Amari, 1845, p. 73-114. nées au sujet de ces deux manuscrits. 18 20 De surcroît, tous ces éditeurs n’ont utilisé que la copie du Blachère, 1969, p. 3. 21 manuscrit de Leyde conservée à la Bnf (Arabe 2215). Cette copie a été Garcin, 1983, p. 82. Cependant, après étude du Topkapi 3012, effectuée au XIXe siècle à Paris par des orientalistes français qui il me semble que la première version ne peut être antérieure à 355/966. avaient fait venir de Leyde l’Or. 314. Voir infra. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 195 Cependant, il y existe de nombreux anachronismes. Par sans sembler se permettre de commentaire33, alors que exemple, le décès de l’émir de Mossoul al-Ġaḍanfar dans la dernière version (A. 3346 et Ayasofya 2577M), (m. 979) est évoqué dans un passage22, tandis qu’un autre le même passage semble légèrement modifié pour y insé- passage mentionne un montant d’affermage de l’année rer une critique cinglante contre Sayf l-Dawla rejetant sur 360/97023, même année qui se retrouve également dans son impéritie et son hémiplégie la perte d’Alep au profit un autre passage durant lequel Ibn Ḥawqal évoque un de des Byzantins : « bi-sū᾿tadbīrSayfl-Dawlawamākāna ses voyages en Égypte24… ce qui n’est rien comparé à bi-himinal-῾illa » (à cause de la mauvaise gouvernance un montant d’affermage palestinien de l’an 400/101025 ! de Sayf l-Dawla et de la maladie qui le frappait)34. Sans oublier qu’il y est également question de l’histoire Cela dit, l’auteur des ajouts du XIIe siècle a-t-il utilisé de la fondation du Caire en 96926. Mais, il existe aussi deux versions de l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal ? Car, il serait dans ce manuscrit de nombreuses intrusions d’un auteur invraisemblable que la dédicace d’Ibn Ḥawqal à Sayf (ou plusieurs ?) du XIIe siècle qui enrichit le texte de l-Dawla (émir dont le prestigieux cénacle intellectuel digressions où il affirme écrire tantôt en 540 de l’Hégire, comptait le philosophe al-Fārābī et les poètes al-Muta- tantôt en 550, tantôt en 560, tantôt après 580…27. Cet nabbī et Abū Firās notamment)35 puisse être faite à titre auteur se propose d’actualiser certains pans du texte avec posthume, vu le ton employé dans le long paragraphe qui sa propre expérience acquise au cours de voyages entre- la compose. Son authenticité serait tout aussi délicate à pris au moins depuis 534/113928, tout en affichant une soulever. De plus, le long paragraphe encenseur où se allégeance aux Artuqides d’Anatolie (vassaux des Seld- trouve sertie cette dédicace se retrouve reproduit à l’iden- joukides)29. Les anachronismes notés plus haut peuvent tique dans le A. 3346 à la différence près de l’identité du difficilement être attribués à cet auteur du XIIe siècle, dédicataire. Dans ce dernier manuscrit, « al-amīrl-kabīr bien qu’il se permette quelques modifications idéolo- al-῾ālimal-῾āmilSayf l-Dawla b. Ḥamdān » est remplacé giques. En effet, là où les autres manuscrits de l’ouvrage par « Abū l-Sariyy l-Ḥasan b. l-Fadl b. Abī l-Sariyy l- d’Ibn Ḥawqal parlent bien de « amīr l-mu᾿minīn ῾Alī Asbahānī ». Si les deux dédicaces sont bien d’Ibn ῾alayhi l-salām »30, les manuscrits provenant de la Ḥawqal, il n’a donc même pas pris la peine de rédiger version comprenant des ajouts de cet auteur sunnite, affi- une nouvelle présentation dithyrambique de son nouveau chant ouvertement une défiance envers les croyances dédicataire. Il a réutilisé exactement le même texte, la chiites31, rectifient « amīr l-mu᾿minīn ῾Alī b. Abī Ṭālib même stylistique36, le même ordre de compliments, la raḍiya Allāh ῾anh »32. « ῾alayhi l-salām » est bien même succession d’éloges au mot près. La seule diffé- l’eulogie chiite dévolue à ῾Alī élevé au même rang que rence est l’appellation. Sayf l-Dawla étant qualifié de les prophètes, « raḍiya Allāh ῾anh » étant l’eulogie « grand émir savant », le deuxième dédicataire étant sunnite accompagnant seulement les noms des principaux introduit sans titre. Deuxième dédicataire que l’on ne compagnons de Mahomet (une eulogie moins éminente retrouve pas, ainsi que tout le texte de la dédicace, dans donc). Mais, ces anodines rectifications idéologiques le Ayasofya 2577M qui comporte pourtant la même der- n’expliquent pas pour autant la raison des rectifications nière version que le A. 3346. Cela pousse à nourrir des anachroniques évoquées plus haut sans but idéologique doutes (cette fois-ci) légitimes sur ce mystérieux deu- apparent. D’autant plus que certaines précautions xième dédicataire demeuré à ce jour inconnu, et pour semblent tout de même être prises par Ibn Ḥawqal dans cause jamais évoqué par aucun texte connu. Est-ce vrai- sa version dédiée à l’émir d’Alep Sayf l-Dawla, car il y ment le deuxième dédicataire de l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal, évoque par exemple la prise d’Alep par les Byzantins 33 Ayasofya 2934, f. 33. Bnf Arabe 2214, f. 16v. Cependant, cette 22 Ayasofya 2934, f. 44. Bnf Arabe 2214, f. 21r. première version, léguée par cet auteur/copiste du XIIe siècle, place la 23 Ayasofya 2934, f. 12. Bnf Arabe 2214, f. 8r. prise d’Alep par les Byzantins dans « les années 370 environ » alors 24 Bnf Arabe 2214, f. 41r. que l’événement a eu bien entendu lieu vingt ans plus tôt du vivant de 25 Ayasofya 2934, f. 21. Topkapi 3012, f. 81. Sayf l-Dawla. D’autres anachronismes peuvent-ils également s’expli- 26 Ayasofya 2934, f. 24. quer par des maladresses du copiste ? 27 Ayasofya 2934, f. 12, 16 et 37. Bnf Arabe 2214, f. 19v et 22r. 34 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 177 (voir aussi p. 225-226). Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 165 et 223-224. Ibn Haukal, Viaeet Ayasofya 2577M, p. 79. Les manuscrits de Leyde et d’Oxford ne com- regna, p. 108 et 151-152. portent étrangement pas cette critique de Sayf l-Dawla, tout en compor- 28 Ayasofya 2934, f. 17-18.Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 38, tant une autre critique de Sayf l-Dawla un peu plus loin dans le texte. 48-49 et 216. Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 153. 29 Bnf Arabe 2214, f. 19v. 35 Sourdel, 2004, p. 332. al-Mutanabbī, Dīwān al-Mutanabbī, 30 Ayasofya 2577M, p. 102. p. 256-440. 31 36 Ayasofya 2934, f. 16-17. Topkapi 3347, f. 40-41. Stylistique qui est loin de « l’acribie » manifestée dans le reste 32 Ayasofya 2934, f. 46. Bnf Arabe 2214, f. 22r. Topkapi 3347, du texte qu’a reconnue Régis Blachère à Ibn Ḥawqal. Blachère, 1969, f. 123. p. 2. 196 CHAFIK T. BENCHEKROUN Les trois dédicaces connues à l’émir d’Alep Sayf l-Dawla (m. 967) figurant au début de manuscrits d’Ibn Ḥawqal. À gauche : Bnf Arabe 2214. À droite : Ayasofya 2934. En bas : Topkapi 3347. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 197 ou est-ce une modification du copiste du A. 3346 pour presque d’une copie conforme du texte du 2934. Il s’agit « honorer » une personnalité contemporaine (479/1086) ? donc de la version douteuse léguée par cet auteur/copiste artuqide du XIIe siècle qui contient nombre d’anachro- Concernant le deuxième manuscrit contenant la ver- nismes ainsi que des digressions ajoutées au XIIe siècle40. sion dite dédiée à Sayf l-Dawla (ou plus sincèrement la Les mêmes remarques qui ont été faites pour ces deux version débutant avec la dédicace à Sayf l-Dawla), l’Epi- manuscrits sont valables pour ce troisième. Ainsi, ces tome parisiensis, pour reprendre le titre que lui avait trois manuscrits de la version de l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal donné De Goeje (Bnf Arabe 2214), il se trouve être un dite dédiée à l’émir d’Alep Sayf l-Dawla (m. 967) ren- abrégé de la version contenue dans le Ayasofya 2934 et voient au même texte transmis par un même auteur/ donc enrichie d’ajouts de l’auteur/copiste précédemment copiste se permettant d’enrichir l’ouvrage de ses expé- cité du XIIe siècle. riences personnelles et de ses avis. Cette remarque faite, il faut noter à propos du Bnf Arabe 2214 que la notice de la Bnf l’attribue faussement La plus ancienne version disponible à al-Isṭaḫrī37, tout en faisant remarquer que la date du colophon (849 de l’Hégire) est contredite par une men- Intitulé « Ṣifat al-aqālīm al-islāmiya wa-ġayrihā tion dans le texte datant de 858, alors qu’il s’agit d’une wa-māfī-hāminal-ğibālwa-l-biḥār » (Description des maladresse du rédacteur de la notice car cette mention ne régions du monde musulman ainsi que d’autres contrées, doit pas être lue 858 mais 358 étant donné qu’elle fait et de leurs paysages intérieurs et de leurs façades directement et clairement référence au vizir buwayhide littorales), et comportant des cartes de bonne facture, le Abū l-Faḍl b. al-῾Amīd al-Šīrāzī38, et que cette date de A. 3012 conservé à la Topkapi Sarayi Müzesi Kütüphanesi 358 est bien confirmée par la lecture du même passage d’Istanbul n’a jamais été évoqué par les historiens qui se dans les autres manuscrits d’Ibn Ḥawqal39. De même, un sont penchés sur le texte d’Ibn Ḥawqal et encore moins ex-libris manuscrit en français datant du Second Empire par ses éditeurs. À ma connaissance, ce manuscrit n’a été (peut-être est-il de la main du baron de Slane) et figurant attribué à Ibn Ḥawqal que par Thomas Goodrich, dans un sur la page de garde du manuscrit en fait un « ouvrage article où il ne s’intéresse qu’aux cartes géographiques composé vers 847 de l’hégire (1443-1444) », alors que figurant dans les manuscrits de la bibliothèque de le colophon donne la date de 849/1445 et que le site Topkapi41. Tibbetts n’évoque par exemple pas ce manus- internet de la Bnf le date du « XVIe siècle ». Notons crit dans sa liste des manuscrits d’Ibn Ḥawqal et préfère enfin que le manuscrit comporte deux titres différents sur l’attribuer à al-Isṭaḫrī42. Les deux géographes ayant beau- sa page de garde : « Kitāb῾ağībl-šānfīaḥwāll-buldān » coup de texte en commun, cette erreur d’attribution est (Un livre merveilleux sur les états des pays), et, présenté compréhensible. Ainsi, à titre d’exemple, le chapitre de manière beaucoup plus imposante de sorte à en faire consacré à la région persane de Kerman est quasiment le le titre principal : « Kitābhay᾿ataškāll-arḍwa-miqdārihā même au mot près dans le texte d’al-Isṭaḫrī, dans ce fī l-ṭūl wa-l-῾arḍ l-ma῾rūf bi-ğuġrāfyā » (Livre sur les manuscrit A. 3012 et dans la dernière version du texte formes de la Terre et ses dimensions dans la longueur et d’Ibn Ḥawqal où ce dernier ne rajoute principalement la largeur connu en tant que Géographie). qu’un montant d’affermage en conclusion43. Il me semble donc que ce manuscrit A. 3012 est bien d’Ibn Ḥawqal, Le A. 3347 conservé également à la Topkapi Sarayi étant donné qu’on y retrouve de nombreux passages et Müzesi Kütüphanesi d’Istanbul (qui n’est pas attribué à réflexions présents uniquement dans son œuvre. Ibn Ḥawqal dans le catalogue de Topkapi contrairement Il en va ainsi, entre autres : au 3346) comporte, à l’instar du 2214 de la Bnf, le titre • Du passage sur les populations du Sūs al-Aqṣā divi- de : « Kitāb hay᾿at aškāl l-arḍ wa-miqdārihā fī l-ṭūl sées en sunnites malékites et en chiites (rite de Mūsā wa-l-῾arḍ l-ma῾rūf bi-ğuġrāfyā ». Il contient également b. Ğa῾far) qu’al-Isṭaḫrī n’a jamais évoqué44. des cartes de bonne facture quoique partiellement effa- cées pour certaines d’entre elles, mais ne comporte pas 40 de date de copie. Débutant avec la dédicace à Sayf Topkapi 3347, f. 28-29, 39-43, 62-63, 74, 81, 88-90, 105-111, 122, 126, 244, 253-258, 267 et passim. l-Dawla (m. 967), il doit normalement aussi représenter 41 Goodrich, 1993, p. 123. la première version. Cependant, ce manuscrit comporte 42 Tibbetts, 1992, p. 130. exactement la même version que les manuscrits 2934 43 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 305-315. Topkapi 3012, d’Istanbul et 2214 de Paris tout juste évoqués. Il s’agit f. 163-169. Au contraire, la version dite dédiée à Sayf l-Dawla et trans- mise par le copiste/auteur artuqide du XIIe siècle contient un texte dif- férent et plus court sur le Kerman. Ayasofya 2934, f. 64-66. Topkapi 37 Mac Guckin de Slane, 1883-1895, p. 389. 3347, f. 172-176. 38 Bnf Arabe 2214, f. 25r. 44 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 91. Ayasofya 2577M, f. 52. 39 Ayasofya 2577M, f. 120. Topkapi 3347, f. 147. Topkapi 3012, f. 51. 198 CHAFIK T. BENCHEKROUN • Du passage décrivant les conflits chroniques entre les l’Égypte date clairement d’avant la conquête fatimide, et habitants des deux rives de Fès dont al-Isṭaḫrī n’a aucune date postérieure à 355/966 n’est évoquée54). Logi- jamais parlé non plus45. quement, la date de rédaction de cette version serait ainsi • Des passages où l’auteur affirme avoir visité Awdaġust à placer entre 355/966 et 358/969, étant donné que tous en 340/951 alors qu’al-Isṭaḫrī n’a jamais prétendu être les importants voyages en Orient et revenus d’affermage allé aussi loin46. mentionnés datés de cette dernière année présents dans les • Du passage où l’auteur affirme avoir personnellement versions ultérieures sont absents de ce manuscrit. visité l’Andalus en 340/951 également alors qu’al- De surcroît, ce manuscrit, qui daterait de 867/1463 à Isṭaḫrī n’a jamais prétendu cela non plus47. en croire son colophon55, contient de très intéressantes et • Du passage sur les Barġwāṭa du Tamsna (réputés nombreuses variantes qui poussent à penser qu’Ibn comme hérétiques) absents du texte d’al-Isṭaḫrī48. Ḥawqal a largement remanié certains passages de son • Du passage où il est question du juriste ḥanafite égyp- récit dans la version ultérieure en s’écartant sensiblement tien du IXe siècle Abū Ğa῾far al-Ṭaḥāwī que ne du texte d’al-Isṭaḫrī. En effet, dans des passages inédits mentionne pas encore al-Isṭaḫrī49. absents des autres manuscrits, Ibn Ḥawqal peut prétendre • Du passage où il est question du comportement des avoir vu plus de quatre mille embarcations commerciales Ḥamdanides envers leurs sujets alors que cette dynas- aussi bien chrétiennes, égyptiennes, maghrébines qu’an- tie n’est jamais évoquée par al-Isṭaḫrī50. dalouses mouillant en même temps à l’extérieur de • Ou encore des passages où l’auteur rapporte des évé- l’arsenal de Mahdiyya56, avoir assisté à la construction nements qui lui ont été personnellement racontés en du minbar de la mosquée d’Awdağust en 340/951, ou 354/965 alors qu’al-Isṭaḫrī est considéré avoir achevé encore être demeuré en Andalus jusqu’en 340/951 (alors son ouvrage bien avant cette date51… qu’il précisait seulement y être entré en 337/948 dans les autres manuscrits connus)…57. Une chose est sûre, la L’étude de ce texte permet donc de l’attribuer à Ibn découverte de ce manuscrit nous apprend que c’est à un Ḥawqal. Mieux, elle permet même de le présenter comme tout autre Ibn Ḥawqal qu’on a eu affaire jusqu’à ce jour. la plus ancienne version disponible de son ouvrage, inconnue jusqu’à aujourd’hui. Le manuscrit, détail plus La version pro-Fatimides que notable, ne comporte pourtant aucune dédicace52. Il ne comporte pas non plus de passages pro-Fatimides ou Cette version est connue à travers deux manuscrits : d’appellations partisanes des califes fatimides. Il s’agit le Or. 314 conservé à la Bibliotheek der Rijksuniversiteit ainsi du seul manuscrit connu d’Ibn Ḥawqal contenant de Leyde, et le Huntington 538 conservé à la Bodleian une version de son récit possiblement contemporaine de Library d’Oxford. Sayf l-Dawla (le voyage en Sicile d’Ibn Ḥawqal en Le Or. 314 est un médiocre manuscrit daté du 23 ṣafar 361/972 brille par son absence53, sa description de 926 (13 février 1520). De qualité effectivement médiocre, ce manuscrit fut l’objet de critiques dès ses premières 45 Topkapi 3012, f. 50. recensions ainsi qu’en témoignent ces lignes datant 46 Topkapi 3012, f. 57. de 1786 : « the manuscript preserved in the Library at 47 Topkapi 3012, f. 54. 48 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 81-82. Topkapi 3012, f. 59-60. 49 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 159. Topkapi 3012, f. 75. ce nouveau manuscrit, dans lequel la Sicile n’est jamais mentionnée, Notons, détail instructif, qu’en plus d’évoquer ainsi la mémoire de ce me ferait plutôt penser qu’Ibn Ḥawqal n’a pas visité la Sicile durant juriste ḥanafite égyptien du IXe siècle, Ibn Ḥawqal eut maille à partir son premier voyage au Maghreb. Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 22. en Sicile fatimide avec un maître d’école qui l’accusa d’être «  ῾irāqī 54 Topkapi 3012, f. 55, 151 et 274. l-maḏhab » (de courant religieux irakien, c’est-à-dire ḥanafite). Ibn 55 Topkapi 3012, f. 312. Je tiens à remercier ici Esra Muyessero- Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 128. Se pourrait-il qu’Ibn Ḥawqal ait eu glu, du département des manuscrits arabes de Topkapi, qui s’est montré quelques inclinations ḥanafites ? très aimable envers moi en me facilitant mon acquisition de versions 50 Topkapi 3012, f. 102. Ayasofya 2577M, f. 87. Topkapi 3347, numérisées des manuscrits A. 3012 et A. 3347. 56 f. 114. Passage absent dans : Arkeoloji Müzeleri 527, f. 5. Description qui rejoint celle de l’auteur andalou al-Bakrī qui, 51 Topkapi 3012, f. 274. En tolérant la fourchette la plus large pos- bien qu’écrivant en 1068, semble citer un auteur maghrébin du Xe siècle sible, on peut avancer qu’al-Isṭaḫrī a écrit son ouvrage entre 932 et 961, (Muḥammad b. Yūsuf). al-Bakrī, al-Masālik wa-l-mamālik, vol. II, étant donné qu’il parle dans son texte au passé du règne du calife p. 203. 57 abbasside al-Muqtadir qui est mort en 932 et au présent du règne du Topkapi 3012, f. 47, 54 et 57. Cf. Topkapi 3347, f. 49. Ayasofya calife omeyyade ῾Abd l-Raḥmān l-Nāṣir qui est mort en 961. al-Is- 2934, f. 20. Cette nouvelle information nous apprenant qu’il serait resté takhrī, Viaeregnorum, p. 17 et 45. en Andalus trois ans de 337/948 à 340/951 est tout à fait conciliable 52 Peut-on imaginer qu’un copiste puisse décider de délester un avec le reste de la chronologie, étant donné qu’il affirme avoir été avant manuscrit d’une page de dédicace ? à Mahdiyya en 336/947 et après à Awdaġust en 340/951. Ibn Ḥawqal, 53 D’ailleurs, à ce sujet, est-il vraiment possible de déduire du texte Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 71. Je présenterai plus en détail les passages d’Ibn Ḥawqal qu’il a relaté deux voyages différents en Sicile ainsi que inédits de ce manuscrit et les traduirai dans un prochain article en le pense Régis Blachère ? Blachère, 1969, p. 2 et 4. La découverte de préparation. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 199 Premières pages du manuscrit 3012 de Topkapi. Unique exemplaire de la plus ancienne version du texte d’Ibn Ḥawqal. Photo : © Topkapi Leyden, which is exceedingly imperfect and very badly Ces deux manuscrits de Leyde et Oxford semblent written »58. Dans son édition de 1873, De Goeje eut les provenir d’une version différente des autres manuscrits, mêmes mots à peu près : « codicem Leidensem passim notamment les deux vraisemblablement dédiées tour à corruptumesseetlacunosum »59. tour par Ibn Ḥawqal à l’émir hamdanide d’Alep Sayf Le Huntington 538, quoique non daté, semble avoir l-Dawla (m. 967), celui qui « pour se protéger des Fâti- été rédigé aux XIIIe/XIVe siècles, ainsi que m’en a aima- mides du Caire, accepta la protection des Byzantins »60, blement fait part M. Alasdair Watson, conservateur et et à un certain « Abū l-Sariyy l-Ḥasan b. l-Fadl b. Abī responsable des manuscrits orientaux à la Bodleian l-Sariyy l-Asbahānī » qui demeure à ce jour inconnu61. Library. Car, des passages pro-Fatimides y sont ajoutés, tandis qu’un autre passage anti-Fatimides cette fois-ci est sup- primé. D’autres passages, enfin, solidarisent ces deux manuscrits de Leyde et Oxford en leur donnant une per- 58 Ouseley, 1800,p. XVIII. Dès 1802, une recension du Magasin sonnalité propre. encyclopédique fit observer que Sir William Ouseley s’était trop préci- pité à reconnaître dans son manuscrit persan l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal. Uylenbroek croyait au contraire qu’il s’agissait d’une des principales 60 Bianquis et alii, 2012, p. 212. 61 sources d’Ibn Ḥawqal (très proche du texte d’Ibn Khurdadbah). Sacy, L’un des ouvrages de Miskawayh, qui gravita autour des mêmes 1823, p. 21-23. Il semble s’agir d’une traduction persane d’al-Isṭaḫrī. princes qu’Ibn Ḥawqal, est à titre d’exemple également dédié à un dédi- Ducène, 2006, p. 106. cataire toujours difficile à identifier aujourd’hui. Miskawayh, Traité 59 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. VII. d’éthique, p. 22. 200 CHAFIK T. BENCHEKROUN Versions Manuscrits Plusancienneversion(vers355/966) – A. 3012 (copié en 867/1463 ?) conservé à Topkapi (Istanbul). VersionditedédiéeàSayfl-Dawla(m.967) – Ayasofya 2934 (copié en ?) conservé à la Süleymaniye (Istanbul). – A. 3347 (copié en ?) conservé à Topkapi (Istanbul). – Bnf 2214 (copié en 849/1445) conservé à la Bnf (Paris). Il s’agit d’un abrégé. Versionpro-Fatimides(entre972et976) – Or. 314 (copié le 23 ṣafar 926/13 février 1520) conservé à la Bibliotheek der Rijksuniversiteit (Leyde). – Huntington 538 (copié au XIIIe/XIVe siècle ?) conservé à la Bodleian Library (Oxford). Dernièreversion(après979) – A. 3346 (copié en 479/1086) conservé à Topkapi (Istanbul). Il contient une dédi- cace à un certain « Abū l-Sariyy l-Ḥasan b. l-Fadl b. Abī l-Sariyy l-Asbahānī ». – Ayasofya 2577M (copié en 711/1311) conservé à la Süleymaniye (Istanbul). Classement des manuscrits connus d’Ibn Ḥawqal La dernière version du manuscrit numéro 527 conservé à l’Istanbul Arkeoloji Müzeleri65. Assez endommagé (avec quelques pertes de Cette version est connue à travers deux manuscrits : texte par endroits) et comportant des cartes de moins le A. 3346 conservé à la Topkapi Sarayi Müzesi Kütü- bonne facture que celles des manuscrits précédents, il phanesi d’Istanbul, et le Ayasofya 2577M conservé à la semble, au premier abord, amputé de tout le premier tiers Süleymaniye Kütüphanesi d’Istanbul qui se trouve être de l’œuvre, c’est-à-dire des premières parties consacrées une version légèrement abrégée du premier62. respectivement à l’Arabie, le Golfe persique, le Maghreb, Le A. 3346, intitulé Kitāb ṣūrat l-arḍ contient des l’Andalus, l’Égypte, et la Syrie. Cependant, une lecture cartes de bonne facture. Copié en 479/1086, il s’agit du attentive révèle que deux pages de présentation générale plus ancien manuscrit disponible de l’œuvre d’Ibn se trouvant au début de l’ouvrage dans les autres manus- Ḥawqal et contient les plus anciennes cartes de ce que crits se retrouvent curieusement enchâssées en fin d’ou- Gerald Tibbetts a appelé « The Balkhī school of Geo- vrage en pleine description de la Perse66. Autre incohé- graphers ». Il a déjà été question plus haut de la dédicace rence encore plus impressionnante, une douzaine de figurant en première page de ce manuscrit. pages sur le Khorassan se retrouvent déplacées contre Le Ayasofya 2577M, faussement attribué par le toute logique quelques pages plus loin dans le texte, copiste à al-Balḫī en page de titre, comporte également transformant ainsi une partie du manuscrit en un méli- des cartes de bonne facture, mais sans la dédicace, le mélo de passages cousus les uns avec les autres sans voyage en Sicile et la longue liste des tribus berbères aucune cohérence67. Mais, malgré ces incohérences, il est notamment. Le manuscrit est intitulé Kitāb aqālīm très facile de se rendre compte que le texte du manuscrit l-buldān et a été copié par un certain ῾Abd Allāh b. ῾Alī suit incontestablement celui d’al-Iṣṭaḫrī 68. Tous les l-Dāzarūnī en 711/1311 vraisemblablement (indiqué à ajouts, mises à jour, modifications, expériences et avis part au bas de la dernière page vierge)63. personnels d’Ibn Ḥawqal brillent par leur absence. Ce Cette brève présentation des manuscrits faite, je vou- manuscrit est donc à rajouter à la liste des manuscrits drais dire un mot sur un dernier manuscrit qui a été attri- d’al-Isṭaḫrī et à supprimer de celle d’Ibn Ḥawqal. Non bué à tort à Ibn Ḥawqal par Gerald Tibbetts64. Il s’agit daté, sa calligraphie nasḫī et son état pourraient le situer au XIIe ou au XIIIe siècle. La plupart des manuscrits 62 L’existence de plusieurs abrégés différents pour une seule œuvre disponibles d’al-Isṭaḫrī étant postérieurs à cette période, (en plus des diverses versions) est très dérangeante pour l’historien, mais, ainsi que le note Mohamed Ouerfelli à propos des écrits d’al- Ġazālī (1058-1111) : « Une même œuvre peut aussi être diversement dix manuscrits 3677 de leurs diverses collections, aucun n’est attri- rédigée en fonction du public visé, soit sous une forme abrégée, soit buable à Ibn Ḥawqal ni ne comporte de cartes géographiques. 65 sous une forme complète. » Ouerfelli, 2014, p. 73. Je tiens à remercier le Musée archéologique d’Istanbul pour 63 Yūsuf Kamāl le date de « ca. 750/1350 ». Tibbetts, 1992, p. 134. m’avoir facilité l’acquisition d’une version numérisée de ce manuscrit 64 Tibbetts, 1992, p. 132. Dans sa préface d’un ouvrage publié à numéro 527. 66 l’occasion de l’inauguration de la Sorbonne d’Abu Dhabi, Michel Sot Arkeoloji 527, f. 77-78. 67 fait figurer une carte géographique arabe en l’attribuant à Ibn Ḥawqal Arkeoloji 527, f. 69-70 et 78-88. L’un des passages, d’une tout en la présentant dans la légende comme extraite du ms. 3677 de la dizaine de lignes, est peut-être même inédit (f. 82). 68 Suleymaniye. Sot, p. 7. Il s’agit d’une erreur. La carte présentée est Mis à part quelques variantes, oublis, erreurs, voire libertés du extraite du 2577M. La Suleymaniye m’a bien confirmé que parmi les copiste. Arkeoloji 527, f. 1, 15, 18, 26, 32, 52, 97 et passim. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 201 va jusqu’à maudire ce vizir « très écouté »71 du calife fatimide (« al-lla῾īn Abū l-Farağ b. Killis wazīr al-῾Azīz ») responsable de cette nouvelle politique72, pas- sage qui est donc tout simplement supprimé de la version comportant des ajouts pro-Fatimides73. D’ailleurs, dans la version dite dédiée à Sayf l-Dawla qui est mort en février 96774, Ibn Ḥawqal critique bien Abū l-Farağ b. Killis en tant que « vizir du calife al-Mu῾izz [r. 953- 975] »75, tandis que dans le A. 3346 le même passage semble être actualisé pour parler d’Abū l-Farağ b. Killis en tant que « vizir du calife al-῾Azīz [r. 975-996] ». Abū l-Farağ b. Killis, un Juif de Bagdad converti à l’islam pour accéder aux hauts postes de l’État et qui mena « un train de vie grandiose » (ce qui explique peut-être aussi la colère d’Ibn Ḥawqal), fut en effet vizir des deux cali- fes76. Cela démontrerait qu’Ibn Ḥawqal a apporté un soin particulier à la révision et à l’actualisation de certains Première page du manuscrit 527 de l’Istanbul Arkeoloji passages de son ouvrage77. Müzeleri faussement attribué à Ibn Ḥawqal. Ces premiers éléments solidarisent déjà la version Photo : © Istanbul Arkeoloji Müzeleri contenue dans les manuscrits de Leyde et d’Oxford, qui, de plus, contiennent à l’emplacement de la dédicace deux ce manuscrit compte ainsi parmi la poignée de manus- longs paragraphes autobiographiques absents de tous les crits les plus anciens du géographe persan. autres manuscrits connus. Je voudrais enfin rajouter que le manuscrit Ayasofya Autre élément important qui solidarise la version pré- 3156 de la Suleymaniye mériterait d’être étudié par un sente dans les manuscrits de Leyde et d’Oxford : le récit spécialiste du persan, car, bien qu’attribué dans le cata- abrégé de la visite en Sicile. Il est en effet trois fois plus logue à al-Balḫī (on a déjà vu que le 2577M a été faus- court que celui présent dans le A. 3346. Les critiques des sement attribué par le copiste à al-Balḫī), il pourrait maîtres d’écoles siciliens sont extrêmement allégées réserver des surprises. Malheureusement, ne connaissant quoique des lignes insultantes contre eux demeurent. pas le persan, je n’ai pas été en mesure de l’étudier. contre l’administration de l’Égypte fāṭimide…des considérations LE TEXTE D’IBN ḤAWQAL RECTIFIÉ strictement commerciales. » Miquel, « Ibn Ḥawḳal », EI2, p. 810. 71 Bianquis, 1986, vol. I, p. 127. PAR UN THURIFÉRAIRE DU POUVOIR FATIMIDE 72 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 152. Les ouvrages d’Ibn Ḫurdadbah et d’al-Isṭaḫrī, ainsi que celui perdu d’al-Ğayhānī, s’intitu- Pour commencer, il faudrait par exemple faire remar- laient tous Kitābal-masālikwa-l-mamālik. Ibn al-Nadīm assure que le quer que la version sans dédicataire (sans cartes non créateur du genre fut un certain Ğa῾far b. Aḥmad al-M.rūzī dont les ouvrages n’auraient été apportés à Bagdad qu’après sa mort pour y être plus) des manuscrits de Leyde et Oxford ne comporte pas vendus en 274/887. Ibn al-Nadīm, al-Fihrisit, p. 242. l’imprécation d’Ibn Ḥawqal contre le vizir des califes 73 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 102. fatimides al-Mu῾izz (r. 953-975) et al-῾Azīz (r. 975-996) 74 Bianquis, 1986, vol. I, p. 18. suite à ses sanctions économiques prises contre les mar- 75 Ayasofya 2934, f. 28. Bnf Arabe 2214, f. 14v. Topkapi 3347, chands irakiens qui provoquèrent l’ire du « commerçant f. 71. 76 Marius Canard n’en fait que le vizir du second calife (Canard, de Mossoul » (« al-tāğirl-mawṣilī » ainsi que l’appellent « al-῾Azīz bi-llāh », EI2, p. 846-847), mais d’autres sources (en plus de le géographe syrien Yāqūt l-Ḥamawī et le géographe ce précieux témoignage contemporain d’Ibn Ḥawqal) attestent aussi persan al-Qazwīnī69) que fut Ibn Ḥawqal70. Ibn Ḥawqal qu’il fut vizir des deux califes. al-Ḏahabī, Siyar a῾lām l-nubalā᾿, vol. XVI, p. 442. Ibn Ḫaldūn, Kitābal-῾Ibar, vol. IV, p. 62 et 66. Mais, il se peut aussi qu’il ait occupé un poste équivalent à celui de vizir dans 69 Yāqūt, Mu῾ğam al-buldān, vol. I, p. 225, 262 et 369, vol. IV, l’administration d’al-Mu῾izz sans pour autant en avoir eu le titre. p. 324. al-Qazwīnī, Aṯār l-bilād, p. 164. Sans utiliser Yāqūt et 77 Bien qu’il ait apporté moins de soin à reconnaître ses emprunts al-Qazwīnī, André Miquel avait déjà supposé qu’Ibn Ḥawqal puisse à l’ouvrage d’al-Isṭaḫrī. Outre le fait qu’il en reprenne des passages être un commerçant. Ibn Hawqal, Laconfigurationdelaterre,vol. I, entiers sans le dire, il va jusqu’à s’attribuer des anecdotes dont l’acteur p. VI. Alors qu’al-Idrīsī et al-Maqrīzī peuvent préférer l’appeler était pourtant al-Isṭaḫrī. Ainsi, lorsqu’al-Isṭaḫrī rapporte avoir rencontré al-Ḥawqalī comme le Huntington 538. al-Idrīsī, Nuzhatl-muštāq, p. 5 un connaisseur du pehlevi qui lui traduisit une inscription ancienne sur et 40. al-Maqrīzī, al-Mawā῾iẓwa-l-i῾tibār, vol. I, p. 308. un temple païen en Perse, Ibn Ḥawqal recopie l’anecdote en se plaçant 70 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 152-153. Bien qu’André dans le rôle d’al-Isṭaḫrī tout simplement. al-Istakhrī, Viae regnorum, Miquel ait préféré voir dans les « griefs formulés [par Ibn Ḥawqal] p. 118. Topkapi 3012, f. 135-136. 202 CHAFIK T. BENCHEKROUN Pourtant, cette version comportant ce récit plus court de donnent une version modifiée de ce texte : « al-Mahdiyya la visite en Sicile comprend bien un passage en début fa-madīna kabīra aḥdatahā l-Mahdī bi-llāh wa-sam- d’ouvrage, absent par contre du A. 3346, où Ibn Ḥawqal māhābi-hāḏāl-ismwa-hiyafīniḥrl-baḥrwa-taḥawwala évoque son séjour en Sicile vers 361/972. Version diffé- ilayhā min Raqqādat l-Qayrawān fī sanat ṯamān rente de celle présente dans les manuscrits comportant la wa-ṯalāt mi᾿a »84 (quant à al-Mahdiyya, il s’agit d’une dédicace à Sayf l-Dawla (m. 967) qui ne relate en grande ville fondée par al-Mahdī bi-llāh [titre califal quelques lignes que la visite de Palerme (laissant d’ail- signifiant le Guidé par Dieu] et qu’il nomma ainsi, elle leurs une large place à une anecdote sur Aristote)78. Plus se trouve sur un promontoire surplombant la mer, et il y loin dans le texte, quelques pages après avoir rajouté un déplaça le siège de son pouvoir depuis Raqqāda près de long passage sur Ispahan absent des manuscrits de Leyde Kairouan en 308). Comme il est facile de le constater, et d’Oxford, la dernière version du texte d’Ibn Ḥawqal ces dernières rectifications sont idéologiques, aussi bien (A. 3346) fait clairement comprendre que le règne de le titre califal que la description monosyllabique de la l’émir buwayhide Abū ῾Alī l-Ḥasan Rukn l-Dawla (m. capitale fatimide qui passe de petite à grande ! Quant à 976) est passé et que ses terres sont désormais entre les l’ajout concernant l’ancienne capitale fatimide mains de ses descendants79. Cela alors que le même pas- (Raqqāda), il est possible de le trouver dans un autre sage présent dans les manuscrits de Leyde et d’Oxford passage du texte dans un autre manuscrit qui ne porte parle de son règne au présent en faisant bien comprendre pourtant pas de modifications pro-Fatimides85. Si ce der- qu’il règne encore au moment où le texte est rédigé80. nier passage n’existait pas, il aurait été intéressant de Il est clair que le même passage a été modifié pour supposer que l’auteur des modifications pro-Fatimides être actualisé quelques années plus tard. Cela voudrait ajoute également des éléments historiques. Car, cela res- dire que la version comportant des modifications pro- semble à un ajout concernant cette fois-ci le courant Fatimides puisse dater d’avant 976 (précisément entre suivi par un rebelle ḫarijite anti-fatimide qui ébranla 361/972 et 365/976) et la dernière version de bien après dangereusement le califat d’al-Manṣūr (Abū Yazīd)86, 97681. le texte d’Ibn Ḥawqal le qualifiant d’ibadite et les ajouts Cela dit, pour entrer encore plus dans le vif du sujet, de la version des manuscrits de Leyde et d’Oxford le dans la notice consacrée à la ville d’al-Mahdiyya, les reliant plus particulièrement à l’ibadisme dans sa version manuscrits ne comportant pas la version pro-Fatimides nekkarite87. donnent le même texte : « al-Mahdiyya madīna ṣaġīra Ainsi, dans la version des manuscrits de Leyde et staḥdatahā l-Mahdī l-qā᾿im bi-l-Maġrib wa-sammāhā d’Oxford, le calife fatimide al-Manṣūr peut être qualifié bi-hāḏāl-ismwa-hiyafīniḥrl-baḥrwa-taḥawwalailayhā de « mawlāna amīr l-muʼminīn al-Manṣūr bi-llāh ṣallā fī sanat ṯamān wa-ṯalāt mi᾿a »82 (al-Mahdiyya est une Allāhʻalayhwa-sallam »88 (notre seigneur le prince des petite ville fondée par al-Mahdī qui s’imposa au Maghreb croyants, celui auquel Dieu apporte la victoire [titre cali- et qu’il nomma ainsi, elle se trouve sur un promontoire fal], que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui), surplombant la mer, et il y déplaça le siège de son pouvoir alors qu’il n’est qualifié que de « ṣāḥib l-Maġrib » (le en 308). Texte d’Ibn Ḥawqal sur al-Mahdiyya, détail maître du Maghreb)89, « ṣulṭān l-Maġrib »90, ou de important, qui suit fidèlement celui déjà donné par « zaʻīm Ṣanhāğa » (chef [de la tribu berbère] des Ṣan- al-Isṭaḫrī qui qualifie aussi la ville de petite notamment83. hāğa) dans la version des autres manuscrits. Mieux, le Cela alors que les manuscrits de Leyde et d’Oxford seul manuscrit comportant clairement la première version (A. 3012 de Topkapi), reconnaît le calife abbasside à Bagdad comme seul « amīrl-muʼminīn » et se contente 78 Ayasofya 2934, f. 21. Topkapi 3347, f. 52-53. Bnf Arabe 2214, d’appeler le calife fatimide « ῾Ubayd Allāh »91. f. 10v et 11r. D’ailleurs, comme la demi-page consacrée à l’Andalus, Ailleurs, alors qu’Ibn Ḥawqal précise de manière tout à ces quelques lignes consacrées à la Sicile sont incorporées dans la par- tie dédiée au Maghreb entre la notice de Tripoli et celle de Gabès. fait neutre que Ceuta appartient aux « Banū Umayya » (les 79 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 373. L’Ayasofya 2577M n’évoque tout simplement pas Rukn l-Dawla à ce passage du texte. 84 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 48. 80 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 267. 85 Topkapi 3012, f. 63. 81 Bien que ces manuscrits comportent un ajout postérieur, un court 86 Ibn ῾Iḏārī, al-Bayānal-muġrib, vol. I, p. 216-219. passage rajouté à la description fabuleuse de Madīnat l-Zahrā᾿ par Ibn 87 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 71 et 94. Ḥawqal pour expliquer au lecteur que la cité califale n’eut plus rien à 88 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 72. 89 voir avec cette merveilleuse présentation après la chienlit de 1010. Ibn Topkapi 3012, f. 53. Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 112. 90 Ayasofya 2577M, f. 44. 82 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 71. Ayasofya 2934, f. 22. 91 Topkapi 3012, f. 11, 47 et 233. Quelques années plus tard, vu Topkapi 3347, f. 54. Bnf Arabe 2214, f. 11r. Ayasofya 2577M, f. 42-43. l’évolution politique de la situation en Orient, al-Maqdisī appellera On peut même simplement trouver « ῾Ubayd Allāh ». Topkapi 3012, dans son texte « amīrl-muʼminīn » aussi bien le calife abbasside al-Ṭā᾿i῾ f. 47. li-llāh (r. 363/974-381/991) que le calife fatimide al-῾Azīz bi-llāh 83 al-Istakhrī, Viaeregnorum, p. 38. (r. 364//975-386/996). al-Maqdisī, Aḥsanal-taqāsīm, p. 3. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 203 Omeyyades) et que ses habitants relèvent fiscalement de été surpris à l’improviste par Abu Yazid Makhlad ibn l’Andalus, un nouveau passage ne figurant que dans la ver- Kaidad, qui se préparait à l’attaquer, et l’on connaît toutes sion des manuscrits de Leyde et d’Oxford appelle de ses les péripéties de ces événements lors de la [rébellion] de vœux à ce que Ceuta revienne dans le giron fatimide92. Plus cet homme au Maghreb à la tête de son parti de gens impies et hypocrites, Abadites et Nakkarites schismatiques. flagrant encore, un autre passage ne figurant que dans la Lorsque le sort l’eut favorisé et le destin l’eut mis en version des manuscrits de Leyde et d’Oxford, le fameux pas- vedette, son pouvoir en était arrivé à un point tel qu’il sage polémique qui a le plus poussé les historiens à traiter s’était emparé du Maghreb tout entier, avait mis le siège Ibn Ḥawqal d’espion, essaie de mettre en exergue une pré- devant Mahdiya, réduisant à la dernière extrémité ses tendue vulnérabilité militaire de l’Andalus omeyyade et habitants et nos seigneurs – que le salut soit sur eux ! – appelle par conséquent à la chute de la dynastie de Cordoue jusqu’au moment où Dieu permit sa perdition alors qu’il au profit des Fatimides93. Là où al-Isṭaḫrī faisait sans amba- avait une confiance entière dans sa victoire, qu’il se ges remarquer que les Fatimides n’avaient pas le pouvoir de réjouissait dans son orgueil. Mais son arrogance le trahit s’emparer de l’Andalus94, les ajouts de la version des manus- et sa joie le perdit. Notre seigneur, l’émir des croyants crits de Leyde et d’Oxford veulent faire dire le contraire Mansur billah – que les bénédictions et le salut de Dieu soient sur lui ! – marcha contre lui à la tête d’une troupe à Ibn Ḥawqal qui se présente comme le continuateur de dont le mot d’ordre était la foi et à laquelle l’appui divin l’ouvrage du fameux géographe persan qu’il a personnelle- devait apporter complaisance et succès. » ment rencontré et qui dresse au contraire un portrait flatteur de la puissance des Omeyyades de Cordoue dans la plus Second passage : ancienne version de son ouvrage, comme dans celle dite ‫و كأني بها راجعة إلى مولانا عليه السلام‬ dédiée à Sayf l-Dawla (m. 967), comme encore dans la dernière postérieure à 97995. Traduction97 (seule la phrase en italique est rajoutée Voici le texte intégral des ajouts idéologiques les plus par la version des manuscrits de Leyde et d’Oxford) : flagrants : « On va de là à Ceuta…La ville ressortit aujourd’hui aux Premier passage : Omeyyades, et ceux-ci ne possèdent aucune autre ville sur la côte du Maghreb. Dans la banlieue sont installés des ‫و انتقل عنها رجالها بانتقال المنصور عم ؒ عنها و بعده عنها وسكناه‬ Berbères, dont les contributions, les impositions et l’impôt ‫بالمنصورية من ظهر القيروان و ذلك لما دهمه من أبي يزيد مخلد بن‬ foncier étaient perçus par le gouverneur de la ville. Marsa ‫كيداد و قصده المخالفة عليه و اطراد ما اطرد له عند خروجه بالمغرب‬ Musa relève aussi des Omeyyades, et je voudrais bien ‫في احزاب الكفر و النفاق والاباضية والنكارية المراق فإنه صارت به‬ qu’ellerevîntànotremaître,–quelesalutsoitsurlui  ! » ‫الحال عند نجومه لما سبق به القدر و تقدم به القضاء إلى ان استولى‬ ‫على المغرب بأجمعه و حاصر المهدية و ضيق على أهلها و موالينا‬ Quelques lignes avant ce passage, alors que le A. 3346 ‫عم ؐ حتى اذن لله تعالى ببواره و هو في غاية الثقة بانصاره و السرور‬ évoque le fameux eunuque fatimide Ğawhar en ces ‫باغتراره فخانه فجوره و اسلمه سروره و خرج إليه مولانا أمير المؤمنين‬ termes neutres : « Abū l-Ḥasan Ğawhar l-ddāḫil Miṣr ‫المنصور بالله صلؐعم في فئة شعارها الايمان و عادتها من الله الظفر‬ bi-riğāll-Maġāriba »98 (Abū l-Ḥasan Ğawhar, le conqué- ‫و الإحسان‬ rant de l’Égypte avec l’aide de ses troupes maghrébines), la version des manuscrits de Leyde et d’Oxford com- Traduction96 : prend une légère modification lourde de sens : « Abū « Ses notables la [Mahdiyya] quittèrent à la suite de l-ḤasanĞawhar῾abdamīrl-mu᾿minīn »99 (Abū l-Ḥasan l’abandon de Mansur, - sur lui soit le salut ! – lequel partit Ğawhar, le serviteur du Prince des croyants). s’installer à Mansuriya, derrière Kairouan. Ce prince avait Troisième passage : 92 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 79. D’autres passages simi- ‫و من أعجب أحوال هذه الجزيرة بقاؤها على من هي في يده مع‬ laires sont à noter (p. 93 et 96). ‫صغر أحلام أهلها و ضعة نفوسهم و نقص عقولهم و بعدهم من البأس‬ 93 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 108-109. ‫و الشجاعة و الفروسية و البسالة و لقاء الرجال و مراس الأنجاد و‬ 94 al-Istakhrī, Viaeregnorum, p. 41. ‫الأبطال و علم موالينا عليهم السلام بمحلها في نفسها و مقدار‬ 95 Ayasofya 2934, f. 20. Ayasofya 2577M, f. 54-57. Topkapi 3012, ‫جباياتها و مواقع نعمها و لذاتها‬ f. 55-56. 96 Ibn Hawqal, Laconfigurationdelaterre,vol. I, p. 68. Je préfère Traduction100 : donner ici les traductions de Kramers et Gaston Wiet, rééditées par André Miquel, bien que j’y relève quelques approximations ainsi que « Ce qui étonne le plus sur la condition de cette péninsule, l’avait déjà fait observer Thierry Bianquis par exemple « son texte [Ibn c’est qu’elle appartient encore au souverain qui y règne, Ḥawqal] offre une richesse linguistique et ethnologique dont la traduction de Kramers et Wiet ne rend pas compte » Bianquis, 1986, vol. I, p. 3. Jean-Claude Garcin aussi n’avait pas apprécié cette traduction : « la tra- 97 Ibn Hawqal, Laconfigurationdelaterre,vol. I, p. 75. duction française de G. Wiet…doit être utilisée avec précaution, car si 98 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 78. elle est en général fidèle au texte dans sa matérialité, elle en brise souvent 99 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 53. les enchaînements logiques et démonstratifs. » Garcin, 1983, p. 88. 100 Ibn Hawqal, Laconfigurationdelaterre,vol. I, p. 108. 204 CHAFIK T. BENCHEKROUN malgré le peu de fierté des habitants, leur mentalité sor- par Abū l-Ḥasan Ğawhar, le jeune serviteur du Prince des dide et leur manque d’intelligence ; ils sont bien loin croyants et le flambeau de son empire, que les bénédic- d’avoir de l’énergie et du courage, ils montent mal à che- tions de Dieu soient sur lui). Cela alors qu’un autre pas- val, ils n’ont ni l’audace ni la capacité de s’opposer à de sage du texte d’Ibn Ḥawqal parle à nouveau de « Ğawhar bons soldats et de mesurer leurs forces avec des hommes ṣāḥib ahl l-Mağrib »106, en étant altéré dans la version braves et intrépides, tandis que nos seigneurs, - sur eux soit le salut ! – connaissent fort bien la véritable situation des manuscrits de Leyde et d’Oxford de la même du pays, le montant de ses revenus, et savent en quoi manière : « Ğawhar῾abdamīrl-mu᾿minīnl-Mu῾izzli-dīn consistent ses avantages et ses agréments. » Allāh  »107. Ce dernier calife fatimide qui est sobrement qualifié de : « ṣāḥib l-Mağrib », exactement la même Ces passages sont donc clairement des ajouts pro- appellation désengagée du calife fatimide dont se sert Fatimides dans la version des manuscrits de Leyde et al-Mas῾ūdī écrivant en 332/943108, alors que cette appel- d’Oxford. Version que ne semble pas utiliser le géographe lation insérée exactement au même endroit dans le même syrien Yāqūt al-Ḥamawī par exemple, car il cite verbatim passage est ainsi rectifiée dans la version des manuscrits de longs passages d’Ibn Ḥawqal sur l’Andalus sans jamais de Leyde et d’Oxford : « amīrl-mu᾿minīnl-Mu῾izzli-dīn évoquer les ajouts pro-Fatimides101. Mais, il faut recon- Allāh »109.Pareillement, la ville de M’sila (al-Masīla) est naître que même dans le A. 3346 il est possible de trouver fondée par « aḥadḫadamāl῾UbaydAllāh » (un des ser- une critique des Omeyyades sans pour autant que cela viteurs de la dynastie de ῾Ubayd Allāh), passage rectifié relève de l’opposition idéologique. Ibn Ḥawqal y critique dans la version des manuscrits de Leyde et d’Oxford : la très mauvaise maîtrise de l’équitation des cavaliers « aḥad ḫadam al-Qā᾿im ῾alayhi l-salām »110 (l’un des omeyyades, allant jusqu’à prétendre qu’ils ne sellent serviteurs d’al-Qā᾿im [titre califal] que la Paix [de Dieu] même pas leurs chevaux (« yafrisūn῾alāl-a῾rā᾿ »)102. Ce soit sur lui). qui n’est pas grand-chose à côté des critiques acerbes et Il faut aussi avoir à l’esprit qu’Ibn Ḥawqal se permet mordantes qu’il fait des habitants de la Sicile fatimide103. une présentation élogieuse (« riğālğillaḏawūḥulūmwa Sur les dix pages qu’il consacre à la Sicile, presque autant ʻuqūl  ») des Qarmates qui lui sont contemporains (appe- sont consacrées à une description volontairement insul- lés « al-ʻiqdāniya » sous sa plume111), dont l’armée tante des Siciliens. Il affirme même avoir écrit une sorte venait tout juste d’attaquer les Fatimides en Syrie (en de pamphlet contre les maîtres d’école siciliens qu’il 360/970)112 avec l’appui officiel d’Abū Taġlib113 dont traite de tous les noms d’oiseaux. Ibn Ḥawqal met aussi Ibn Ḥawqal fut proche ainsi qu’il sera démontré plus bien en exergue l’anarchie de certaines régions de l’Em- loin. Il précise bien avoir recueilli personnellement de pire fatimide comme à Sfax à son époque104. Ce qui précieuses informations à leur sujet de la bouche de l’un démontre bien qu’il s’agit plus de franc parler que de de leurs disciples rencontré en Sicile où il réside en critiques politico-idéologiques. 361-362/971-973114. Beaucoup plus loin dans le texte, dans la partie de son Tous les passages où il est question des Fatimides ouvrage consacrée à l’Égypte cette fois-ci, une énième avec révérence ne se trouvent donc que dans la version manipulation altère le texte d’Ibn Ḥawqal. Alors que les des manuscrits de Leyde et d’Oxford, et se retrouvent manuscrits ne comportant pas la version pro-Fatimides donnent : « al-Qāhira staḥdaṯahā Ğawhar ṣāḥib ahl l-Mağrib῾indaduḫūlihilāMiṣr »105 (Le Caire a été fondé 106 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 163. Ayasofya 2577M, f. 70. 107 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 108. par Ğawhar, le maître des gens du Maghreb, lorsqu’il 108 al-Mas῾ūdī, Murūğ l-ḏahab, vol. I, p. 353 ; vol. III, p. 279 ; conquit l’Égypte), la version des manuscrits de Leyde et vol. IV, p. 284. De plus, il ne faut pas oublier que « les historiens d’Oxford donne une version modifiée du même passage : iraqiens furent naturellement hostiles au pouvoir fatimide ». Bianquis, « …bi-l-Qāhirawa-hiyamadīnaaḥdaṯahāAbūl-Ḥasan 1986, vol. I, p. 29. Ğawhar fatā amīr l-mu᾿minīn wa-miṣbāḥ dawlatih 109 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 83. Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 58. ṣalawātAllāh῾alayh » (au Caire qui est une ville fondée 110 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 85. Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 60. 111 Il les appelle aussi plus communément « al-Qarāmiṭa » 101 D’autres auteurs comme Ibn Ğubayr, al-Nuwayrī et Abū l-Fidā᾿ quelques pages plus loin en évoquant la capitale de leur pouvoir au (dans son Taqwīm l-buldān) citent aussi des passages d’Ibn Ḥawqal, Baḥrayn. Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 31. Mais, il faut noter que, mais il s’agit de citations sur des sujets trop vagues pour se faire une plus loin encore dans le texte (p. 269 et 295), il traite de « dağğāl » idée des versions qu’ils utilisent. (imposteur) le fondateur du mouvement des Qarmates au Baḥrayn Abū 102 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 113. Sa῾īd l-Ḥasan b. Bahrām (m. vers 913). Sa sympathie semble donc plus 103 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 120-131. Granara, 1983, aller vers les Qarmates de son époque qui se liguent avec les p. 94-99. Hamdanides et Buwayhides contre les Fatimides. 104 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 70. 112 Garcin, 1983, p. 83. 105 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 146. Ayasofya 2934, f. 24. 113 Bianquis, 1986, vol. I, p. 59. Topkapi 3347, f. 62. Bnf Arabe 2214, f. 13r. Ayasofya 2577M, f. 62. 114 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 26 et 128. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 205 sous une forme totalement désengagée voire parfois un public éloigné de cette culture (Maghreb, Égypte, hostile dans les autres manuscrits. Ainsi, lorsqu’Ibn Sicile plus vraisemblablement) ? En effet, Ibn Ḥawqal Ḥawqal évoque les Qarmates et leurs relations avec les réside en Sicile en 361-362/971-973 et la version pro- premiers Fatimides, les manuscrits ne comportant pas la Fatimides date d’entre 361/972 et 365/976, ce qui peut version pro-Fatimides n’appellent le premier calife fati- laisser penser que son ouvrage ait pu être récupéré par ce mide que d’une manière neutre et désintéressée : biais. Mais, il est bien entendu difficile d’affirmer quoi « al-muqīm bi-l-Maġrib » (celui qui est installé au que ce soit sur les circonstances et l’auteur de ces modi- Maghreb)115, tandis que les manuscrits de Leyde et fications. Cela dit, de tels agissements sont connus et d’Oxford l’appellent dans le même passage : « amīr reconnus. Par exemple, le célèbre Tafsīr du théologien al-mu᾿minīnal-Mahdībi-llāh » (le Prince des croyants mu῾tazilite al-Zamaḫšarī (467/1074-538/1143) fut copié Guidé par Dieu [titre califal])116. À propos d’un autre sous forme d’abrégé par un lettré malékite fassi travaillant chef des Qarmates, « da῾āmarratanli-aṣḥābl-Maġrib »117 pour les Nasrides de Grenade, Muḥammad b. ῾Alī b. (il appela une fois en faveur de ceux du Maghreb) se al-῾Ābid al-Anṣārī (m. 762/1361), de sorte à l’expurger trouve aussi transformé dans la version des manuscrits de de son inclination mu῾tazilite121. Supposons qu’il ne nous Leyde et d’Oxford en : « da῾āmarratanilāağdādamīr reste plus aujourd’hui de l’œuvre d’al-Zamaḫšarī que cet l-mu᾿minīnl-Mu῾izzli-dīnAllāh »118 (il appela une fois en abrégé, tous les historiens le penseraient malékite et non faveur des aïeux du prince des croyants l-Mu῾izz li-dīn mu῾tazilite ! Le procédé semble être ainsi le même que Allāh). celui qui affecta l’œuvre d’Ibn Ḥawqal. L’énumération de toutes ces sourcilleuses rectifica- Ibn Ḥawqal pourrait difficilement être l’auteur de ces tions idéologiques qui ne laissent pas échapper une seule ajouts pro-Fatimides, car ces derniers passages ne se mention aux Fatimides à travers tout le texte d’Ibn trouvent que dans la version des manuscrits de Leyde et Ḥawqal serait une litanie longue et fastidieuse. Il est d’Oxford qui est donc postérieure à 972 (date mention- aveuglant que ces modifications apportées au texte d’Ibn née par Ibn Ḥawqal pour son séjour en Sicile), tout en Ḥawqal sont d’ordre purement idéologique. La version étant donc absents des autres versions aussi bien anté- des manuscrits de Leyde et d’Oxford comprend même un rieure que postérieure. Cela alors que la théorie domi- passage ne figurant dans aucun des autres manuscrits et nante dans l’historiographie contemporaine veut que la traitant d’un point d’histoire fatimide au Maghreb où le première version d’Ibn Ḥawqal soit la version pro- calife est à nouveau présenté sous une image plus que Fatimides datant de la période fatimide pré-égyptienne laudative119. avant le « désenchantement » du géographe irakien122. Ce zèle minutieux semble presque relever d’un fonc- Cette théorisation est fausse, étant donné que les pas- tionnaire fatimide chargé de rendre plus présentable ce sages pro-Fatimides ne se trouvent ni dans la première précieux ouvrage aux informations si utiles pour les version ni dans la dernière. Ils ne se trouvent que dans la voyageurs et commerçants (sans oublier les militaires). version des manuscrits de Leyde et d’Oxford, postérieure Il faut signaler que si la dernière version (A. 3346 et à la période fatimide pré-égyptienne. Comment serait-il Ayasofya 2577M) appelle dans un passage le collecteur possible désormais de théoriser qu’Ibn Ḥawqal ait été de taxes en territoires samanides « bandār », ce qui anti-Fatimides dans la première version de son ouvrage renvoyait à l’époque en persan à la même signification, où il narre pourtant déjà ses voyages au Maghreb et en la version des manuscrits de Leyde et d’Oxford préfère Andalus, pro-Fatimides dans la deuxième version de son donner « l-ṯiqāt »120 (personnes dignes de foi). Cela ouvrage après l’installation des Fatimides en Égypte, veut-il dire que la personne qui rectifie le texte d’Ibn puis à nouveau anti-Fatimides quelques années plus tard Ḥawqal pour le rendre pro-Fatimides, change aussi dans la dernière version de son ouvrage ? Il critiquerait quelques termes persans pour les rendre plus familiers à ainsi le vizir fatimide dans la première version, il retire- rait cette critique dans la seconde version, puis la remet- 115 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 295. Ayasofya 2577M, f. 138. trait dans la troisième (tout en rectifiant idéologiquement 116 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 47 et 210. à chaque fois tout le texte de son ouvrage) ? 117 Ayasofya 2577M, f. 140. Dès ses premières pages, Ibn Ḥawqal affirmait bien 118 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 296. Ibn Haukal, Viae et s’être lancé dans son aventureux voyage depuis Bagdad regna, p. 211. 119 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 69. (« Madīnat l-Salām ») le 7 ramadan 331/15 mai 943 par 120 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 315. Ibn Haukal, Viae et amour (« šaġaf ») pour les grands classiques des regna, p. 226. Ayasofya 2577M, f. 148. Cf. Ayasofya 2934, f. 66. ouvrages géographiques qu’il avait lus dans sa jeunesse, Topkapi 3347, f. 176. Le court paragraphe où se trouve ce terme (ajouté désireux d’en écrire un à son tour ainsi qu’il l’explique en conclusion du chapitre sur la région persane de Kerman) est absent de la première version contenue dans le A. 3012, car il y est question d’un montant d’affermage qui a sûrement été communiqué à Ibn 121 Ibn al-Qāḍī al-Meknāsī, Ğaḏwatl-iqtibās, I, p. 231. 122 Ḥawqal après sa rédaction de la première version de son ouvrage. Blachère, 1969, p. 3. 206 CHAFIK T. BENCHEKROUN dans le préambule de son œuvre et qu’il le rappelle LA PERSPECTIVE DU « COMMERÇANT DE MOSSOUL » longuement dans un élan lyrique au milieu de son texte123. Voyager à travers les contrées avant de les décrire, tels La perspective politique personnelle d’Ibn Ḥawqal sont son leitmotiv et sa légitimité que mettait également durant ses voyages paraît insondable à ses lecteurs. en avant son contemporain al-Mas῾ūdī en mettant en Peut-être, justement, faut-il se tourner vers d’autres pers- doute la crédibilité des écrits géographiques du célèbre pectives, des points de vue extérieurs. écrivain irakien al-Ğāḥiẓ réalisés selon lui d’après des Ainsi, Ibn Ḫaldūn précise que lorsque l’émir hamda- lectures d’autres ouvrages seulement124. Ibn Ḥawqal pré- nide de Mossoul Abū Taġlib (m. 979) dut organiser en cise bien qu’il ne voyageait pas sans ses exemplaires per- 363/974 des pourparlers avec Subkutkīn (le futur fonda- sonnels des grands géographes qui l’avaient précédés : teur de la dynastie des Ghaznévides, alors « chambellan » « lāyufāriqunīkitābIbnḪurdadbahwa-kitābl-Ğayhānī de l’émir des Buwayhides Baḫtiyār ῾Izz l-Dawla et wa-taḏkirat Abī l-Farağ Qudāma b. Ğa῾far »125 (les homme fort du califat de Bagdad)129, il choisit d’envoyer ouvrages d’Ibn Ḫurdadbah, d’al-Ğayhānī126 et le Précis deux représentants : son secrétaire et Ibn Ḥawqal130. Ibn d’Abī l-Farağ Qudāma b. Ğa῾far ne me quittaient jamais). Khaldûn, qui appelle le géographe Ibn Ḥawqal de la Sans oublier la fameuse rencontre avec le géographe même manière dans d’autres passages de son monumental al-Isṭaḫrī (« Abū Isḥāq l-Fārisī ») qu’il rapporte et qui ouvrage131, précise bien qu’Ibn Ḥawqal était alors l’ami/ doit l’avoir encore plus motivé dans son travail127. La per- confident (« ṣâḥib ») de l’émir hamdanide de Mossoul sonnalité d’Ibn Ḥawqal semble plus intellectuelle que qui se trouve être le neveu132 de Sayf l-Dawla auquel politique. Il aurait ainsi fréquenté les cercles muʻtazilites Ibn Ḥawqal aurait donc déjà dédié la première version de de Bagdad notamment128. son ouvrage. Cela alors que l’émirat hamdanide de Son œuvre semble donc loin d’être sensiblement Mossoul (qui règne aussi sur Nuṣaybīn133, la région dont pro-Fatimides. Déblayer sa perspective politique serait est originaire Ibn Ḥawqal) essayait d’afficher sa suzerai- tout de même d’un grand intérêt pour encore mieux le neté sur l’émirat hamdanide d’Alep, jusqu’à chercher à le situer vis-à-vis des ajouts pro-Fatimides dont son œuvre faire reconnaître officiellement par Bagdad134, et à défaut a été vraisemblablement victime. s’imposer manumilitari135. Ce témoignage d’Ibn Ḫaldûn plaçant Ibn Ḥawqal dans des pourparlers avec Subkutkīn peut même se recouper avec des propos qu’Ibn Ḥawqal tient dans son ouvrage et qui démontrent bien qu’il fréquentait ces élites politiques 123 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 3 et 329. Jean-Claude Garcin orientales. Il rapporte par exemple nombre de dires que affirme qu’Ibn Ḥawqal a plutôt « dû fuir Bagdad en 331/943 ». Bian- lui a personnellement confiés Abū Isḥāq Ibrāhīm b. quis et alii, 2012, p. 550. Il est vrai qu’Ibn Ḥawqal évoque une situation l-Butkīn « ḥāğibṣāḥibḪurāsān », général et gouverneur politique difficile lors de son départ de Bagdad, l’année 331/943 ayant des Samanides de Boukhara136 qu’il présente positive- vu de nombreux habitants de la ville fuir en se joignant aux caravanes de pèlerinage à La Mecque. Znīber, 1989, p. 107. Seulement, Ibn ment et qui fut le maître de Subkutkīn en plus d’être un Ḥawqal semble beaucoup plus insister sur son désir de parcourir le redoutable adversaire des Fatimides137. D’ailleurs, dans monde et de suivre les pas des grands périégètes qu’il a lus passionné- d’autres passages de son texte, Ibn Ḥawqal affirme même ment durant son enfance. avoir consulté personnellement en 358/969 des docu- 124 al-Mas῾ūdī, Murūğl-ḏahab, vol. I, p. 98-99. Bien que la crédi- ments officiels d’« affermage » de quelques-unes des bilité d’al-Mas῾ūdī soit à son tour critiquée par al-Idrīsī. al-Idrīsī, Nuzhatl-muštāq, p. 91. principales villes hamdanides et buwayhides : aussi bien 125 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 5, 339 et 453. Nuṣaybīn et Mossoul dont il est tour à tour originaire 126 Vizir de l’émir samanide Naṣr II (m. 943) et géographe célèbre. selon les sources et relevant d’Abū Taġlib ainsi qu’il le Ibn al-Nadīm, al-Fihrisit, p. 222-223. « WazīramīrḪurasānwa-kāna précise, que Bassorah, Wāṣiṭ, al-Kūfa, la région de Tikrīt ṣāḥib falsafa wa-nuğūm wa-hay᾿a fa-ğama῾a l-ġurabā᾿ wa-sa᾿alahum ῾an l-mamālik wa-daḫlihā » (Vizir de l’émir du Khorassan, qui s’adonnait à la philosophie, l’astrologie et la géométrie, et qui réunit 129 Ibn al-Aṯīr, al-Kāmil fī-l-tārīḫ, vol. VIII, p. 631-633. Canard, des étrangers pour recueillir auprès d’eux des informations au sujet des 1951, p. 556-557. royaumes et de leurs rentrées fiscales), ainsi que le présente le 130 Ibn Ḫaldūn, Kitābal-῾Ibar, vol. IV, p. 536. Les détails sont pré- géographe al-Maqdisī avant de critiquer sa méthode de rédaction. sentés de manière quelque peu différente par Ibn al-Aṯīr qui parle al-Maqdisī, Aḥsan al-taqāsīm, p. 3. L’ouvrage d’al-Ğayhānī n’a tou- d’« Abū Aḥmad b. Ḥawqal ». Ibn al-Aṯīr, al-Kāmilfī-l-tārīḫ, vol. VIII, jours pas été retrouvé. Un érudit afghan avait bien annoncé en 1944 la p. 634. découverte d’un manuscrit d’al-Ğayhānī, mais il ne s’agissait finale- 131 Ibn Ḫaldūn, Kitābal-῾Ibar, vol. I, p. 57, vol. IV, p. 269, 271. ment que d’un abrégé d’al-Isṭaḫrī. 132 Bianquis et alii, 2012, p. 212. 127 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 14 et 32. Ibn Haukal, Viaeet 133 Ibn Ḫaldūn, Kitābal-῾Ibar, vol. IV, p. 288-289, 292, 298-299. regna, p. 13 et 27. Certains paragraphes sont tirés parfois mot pour mot 134 Canard, 1951, p. 548-549. du texte d’al-Isṭaḫrī. al-Istakhrī, Viaeregnorum, p. 2-5, 38, 49, 91, 118- 135 Ibn Ḫaldūn, Kitābal-῾Ibar, vol. IV, p. 288-289. 119, 138-139 et passim. 136 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 14-15 et 162. 128 137 Garcin, 1983, p. 79. Bianquis, 1986, vol. I, p. 98 et 127. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 207 ou le Ḫūzistān relevant cette fois-ci d’Abū l-Faḍl b. suivantes. Car, aucune de ces rencontres décisives d’Ibn al-῾Amīd al-Šīrāzī, le vizir de l’émir buwayhide Mu῾izz Ḥawqal ne se trouve dans le manuscrit A. 3012 de l-Dawla (r. 946-967) puis celui de son fils et successeur Topkapi, unique survivant de cette première version où Baḫtiyār ῾Izz l-Dawla (r. 967-978)138. Pour accéder à ce Ibn Ḥawqal ne semble encore être qu’un modeste aven- genre d’informations, Ibn Ḥawqal ne pouvait être que turier assez éloigné des cercles de pouvoir. bien vu par le pouvoir buwayhide qui faisait amasser Mais, cette remarque faite, Ibn Ḥawqal a donc bien toutes ces données139. Cela alors qu’il ne précise pas côtoyé par la suite les hautes sphères des principales avoir pu personnellement consulter des statistiques simi- dynasties orientales dans sa quête d’informations et de laires pour l’Égypte fatimide, se contentant d’en donner statistiques pour l’œuvre de sa vie qu’il ne cessa vraisem- le chiffre qu’il a dû s’être procuré indirectement (pour blablement d’actualiser. Étant alors familier des élites l’année 359/970). Cela ne peut que montrer sa familiarité politiques aussi bien hamdanides de Syrie que buwayhides avec les hautes sphères buwayhides, et un manque de d’Irak, il fut peut-être pour cela pressenti pour participer crédit auprès des hautes sphères fatimides dont, d’ail- aux pourparlers entre les deux pouvoirs en 363/974 que leurs, il critique amèrement le puissant vizir Abū l-Farağ rapportent donc Ibn al-Aṯīr et Ibn Ḫaldūn notamment. Ya῾qūb b. Killis. D’ailleurs, au sujet de cette proximité entre Ibn Pourtant, la personnalité sûrement très diplomatique Ḥawqal et l’émir de Mossoul Abū Taġlib, il se trouve d’Ibn Ḥawqal lui permit également de récolter des infor- que dans la deuxième version de son Kitāb ṣūrat l-arḍ mations similaires auprès d’anciens collecteurs de taxes écrite avant 976, Ibn Ḥawqal parle de l’émir Abū Taġlib samanides qui furent en fonction à l’apogée de cette de manière élogieuse en précisant bien qu’il régnait dynastie sous Naṣr b. Aḥmad (m. 943)140. D’ailleurs, il encore à cette époque, mais, dans la version écrite après semble cultiver une très bonne image des Samanides141, 979 (A. 3346 et Ayasofya 2577M) ce même passage est faisant même suivre dans deux passages différents le modifié pour cette fois-ci fustiger (spectaculaire palino- nom de ce même émir Naṣr b. Aḥmad (et d’un autre émir die !) le même émir hamdanide désormais décédé144. samanide précédent) de l’eulogie « raḥimahu llāh »142. Dans les deux versions, ce passage est inséré exactement De plus, Ibn Ḥawqal fréquenta également les hautes au même endroit dans la partie consacrée à l’Andalus, à sphères du pouvoir farghounide d’Afghanistan dont il un moment où il narre les formidables richesses des laissa un portrait des plus flatteurs. Particulièrement Omeyyades. d’Abū Ğa῾far b. Sahl b. al-Marzubān, secrétaire de l’émir Version écrite par Ibn Ḥawqal avant 979, car il y farghounide Abū l-Ḥāriṯ Muḥammad b. Aḥmad, dont il affirme qu’Abū Taġlib émir de Mossoul règne encore145 : dit le plus grand bien et qui semble lui avoir ouvert les ‫و تواطأ به الخبر فيما جمعه الحكم بعد هلاك أبيه من خدمه و‬ portes de son diwān avec toutes les précieuses informa- ‫المصادرين الذين كانوا في جملته و إلى وقتنا هذا عن أسباب الأندلس‬ tions administratives qu’il devait sûrement renfermer. ‫و لوازمها و جباياتها وخراجها وأعشارها و صدقاتها و جولها تمام‬ Hamdanides d’Alep, Hamdanides de Mossoul, Sama- ‫أربعين ألف ألف دينار وليس لهذا المال في وقتنا هذا بموضع من‬ nides de Boukhara, Buwayhides d’Ispahan, Farghounides ‫مواضع الأرض نظير غير ما في يد أبي تغلب الغضنفر بن الحسن بن‬ d’Afghanistan, Ibn Ḥawqal fréquenta donc étroitement ‫عبد الله بن حمدان فإنه مما يعلمه الخاص و العام بالعراق و ديار‬ plusieurs sphères de pouvoir ainsi qu’il s’en vanta lui- ‫ربيعة جمع من تركة أبيه ما يضاهيه و يزيد عليه‬ même un jour à Bassorah après s’être offusqué de l’in- hospitalité d’un riche armateur persan auquel il venait Traduction146 : pourtant remettre un document important : « laqad « L’on connaît d’après les récits qui circulent le montant ra᾿aytuakṯarmulūkl-arḍ  ! »143 (j’ai rencontré la plupart des biens qu’al-Ḥakam rassembla après la mort de son des rois de la Terre !). Mais, détail important, il semble père auprès des courtisans et des serviteurs de ce dernier, que toutes ces importantes rencontres ne datent pas de la de ceux qui avaient continuellement vécu dans son entou- première version de l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal, mais des rage, ainsi que de tous les moyens de subsistance de l’Andalus, ses denrées de première nécessité, ses levées d’impôts, ses impôts fonciers, ses dîmes, ses aumônes, et 138 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 214, 217, 239, 240, 247 et ses ğ.w.l.hā : 40 millions de dinars. Aujourd’hui encore, 259. Topkapi 3347, f. 101. cette énorme fortune n’a de comparable sur terre que celle 139 Même l’émir de Mossoul Abū Taġlib se devait de reconnaître qui se trouve entre les mains d’al-Ġaḍanfar b. al-Ḥasan b. la tutelle buwayhide sur le califat abbasside de Bagdad. « Califat qui n’avait plus du califat que le nom », ainsi que le note l’auteur maghré- bin al-Raqīq écrivant quelques décennies plus tard. al-Raqīq, Quṭb 144 Ayasofya 2577M, f. 90. Trois siècles plus tard, Ibn al-Ğawzī al-surūr, p. 513. aura les mêmes récriminations contre Abū Taġlib en évoquant sa mort. 140 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 315. Ibn al-Ğawzī,Mir᾿ātl-zamān, vol. XI, p. 337. 141 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 470-472 et 491. 145 Ibn Haukal, Viaeetregna, p. 77. 142 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 467 et 494. 146 A défaut de traduction disponible de ce passage, je me permets 143 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 291. Ayasofya 2577M, f. 135. de donner ici la mienne. 208 CHAFIK T. BENCHEKROUN ῾Abd-Allāh. Il est de notoriété publique en Irak et en tantôt « al-lla῾īnal-maš᾿ūm »151 (le sinistre maudit !). De Haute Mésopotamie que ce qu’il a récupéré de l’héritage surcroît, il faut bien noter que dans la plus ancienne ver- de son père rivalise avec cette somme et même la sion de son œuvre, léguée uniquement par le A. 3012 de dépasse. » Topkapi, vraisemblablement dédiée à Sayf l-Dawla (bien Version écrite par Ibn Ḥawqal après 979, car il y pré- que sans dédicace), Ibn Ḥawqal ne se permet de critiquer cise qu’al-Manṣūr b. Abī ῾Āmir a pris désormais le pou- aucun personnage ḥamdanide bien identifié152. Toutes les voir en Andalus et qu’Abū Taġlib n’est plus147 : critiques envers Sayf l-Dawla et d’autres personnages ḥamdanides qu’on retrouve dans tous les autres manus- ‫و لما توفي عبد الرحمان بن محمد سنة خمسين و ثلثمائة صار الأمر‬ crits sont absentes dans cette première version léguée ‫إلى ابنه أبي العاصي الحكم بن عبد الرحمان فصادر رجال أبيه و‬ uniquement par le A. 3012 de Topkapi. Mieux, le seul ‫قبض نعم خدمه و الوزراء الذين لم يزالوا في صحبته فكان الحاصل‬ personnage ḥamdanide à y être évoqué nommément est ‫منهم عشرين ألف ألف دينار يتواطأ في علم ذلك أهل الخبرة بهم و‬ un personnage secondaire et de moindre importance ‫يتساوون في معرفة وجوهه و لم يكن لهذا المال في وقته في بلد‬ ‫الإسلام شبه إلا ما كان في يد الغضنفر أبي تغلب بن الحسن بن عبد‬ (Abū ῾Abd Allāh b. Abī l-῾Alā b. Ḥamdān)153. ‫الله بن حمدان فإنه كان مما يتعامله خاصتهم بالجزيرة و العراق و‬ L’attention apportée par Ibn Ḥawqal à ce genre de ‫مقداره يزيد على ذلك حتى قيل أنه كان خمسين ألف ألف دينار و‬ corrections montre bien, ainsi que l’affirmait Ibn Ḫaldūn, ‫أدال الله منه فأخرجه عن يده و محقه و بدده و كذلك عادة الله تعالى‬ qu’il fut très proche à un certain moment du sérail ‫في كل ما كسب من حرام و اجتمع بالبغي و الظلم و الآثام‬ hamdanide, lui qui date sa sortie de Bagdad (marquant le début de son voyage) par l’affrontement entre l’émir Traduction148 : hamdanide Nāṣir l-Dawla et les Byzantins154. Cela « Après la mort d’Abd al-Rahman ibn Muhammad, en montre tout aussi éloquemment qu’il y a bien eu diffé- l’année 350 (961), l’autorité échut à son fils Abul-As rentes versions de la main du même Ibn Ḥawqal et qu’il Hakam ibn Abd al-Rahman. Celui-ci soumit à des était bien conscient que son ouvrage allait circuler rapi- confiscations les courtisans de son père, se saisit des dement dans les cercles de pouvoir hamdanides. Bien que richesses de ses serviteurs et ses ministres, de ceux qui sa circulation ne semble pas avoir été aussi rapide en avaient continuellement vécu dans son entourage. Le dehors de ces cercles, car, al-Maqdisī, qui écrit vers résultat de cette opération s’éleva à vingt millions de 375/985-381/991 et qui affirme avoir ratissé de nom- dinars, total sur lequel les personnes compétentes sont breuses bibliothèques et librairies pour consulter le plus d’accord, et en procurant même des détails. Cette énorme fortune n’a été égalée à son époque, en pays musulman, possible d’ouvrages géographiques, ne cite pas Ibn que par les avanies de Ghadanfar Abu Taghlib ibn Hasan Ḥawqal dans la liste des grands géographes (al-Ğayhānī, ibn Abd-Allah : ce dernier avait opéré des reprises sur les al-Balḫī, Ibn al-Faqīh, al-Ğāḥiẓ et Ibn Ḫurdāḏbah) qu’il sommes maniées par les notables en Haute Mésopotamie a utilisés pour rédiger son propre ouvrage155. La tournure et en Iraq. L’ensemble avait été supérieur au chiffre déjà familière que prend le texte d’Ibn Ḥawqal dès qu’il est donné, on dit même qu’il se montait à cinquante millions question de territoires hamdanides laisse effectivement de dinars. Mais Dieu fit changer sa fortune et lui fit perdre penser que son ouvrage était initialement conçu pour un cette opulence en l’abandonnant et en l’affaiblissant. lectorat bien particulier. On comprend mieux ainsi les C’est ainsi que le Très-Haut a l’habitude d’agir en cas de craintes répétitives exprimées par Ibn Ḥawqal au sujet du bénéfices illicites, lorsqu’une fortune est acquise par la danger byzantin en Syrie, les Hamdanides ayant beau- convoitise, l’injustice et des procédés malhonnêtes. » coup lutté contre les Byzantins156, et Sayf l-Dawla Cette attitude se retrouve plus loin dans le manuscrit. (« l’âme de la résistance aux Byzantins »157, auquel il Car, si dans le passage concernant la ville de Nuṣaybīn aurait dédié la première version de son ouvrage) ayant figurant dans la deuxième version, Ibn Ḥawqal ne criti- été magnifié de son vivant comme une sorte de héros quait que Nāṣir l-Dawla au sujet de ses exactions contre la romantique sauvant l’Orient du péril byzantin158. population locale149, il y ajoute son fils et successeur Abū Taġlib dans la dernière version écrite après la mort de ce dernier, les traitant tous les deux de « dağğālīn »150 (impos- 151 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣūrat l-arḍ, p. 215 et 220. Il faut avoir à teurs) et accentuant encore plus le trait contre Nāṣir l’esprit que c’est Abū Taġlib qui fit destituer et exiler son père. Canard, « Ḥamdānides », EI2, p. 130. l-Dawla. Il l’appelle tantôt « al-lla῾īnlāraḥimahuAllāh » 152 Ce manuscrit ne contient qu’une critique contre les Ḥamdanides (le maudit que Dieu ne le prenne pas en sa miséricorde !), en général qu’on retrouve au même endroit dans les autres manuscrits. Topkapi 3012, f. 102. Ayasofya 2577M, f. 87. Topkapi 3347, f. 114. 153 Topkapi 3012, f. 185. 147 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 112. 154 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 3. 148 Ibn Hawqal, Laconfigurationdelaterre,vol. I, p. 111. 155 al-Maqdisī, Aḥsanal-taqāsīm, p. 3-5 et 9. 149 Ayasofya 2934, f. 39. Ibn Haukal, Viae et regna, p. 142-144 156 Ibn Ḫaldūn, Kitābal-῾Ibar, vol. IV, p. 293-296. 157 et 148. Bianquis, 1986, vol. I, p. 6-7. 150 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 213. Cf. Topkapi 3347, f. 118. 158 Sourdel, 2004, p. 735. REQUIEM POUR IBN ḤAWQAL 209 Pour revenir à la prétention, presque chauviniste, par un commerçant andalou agissant en secret pour le concernant les richesses de l’émirat hamdanide, il faut compte du calife de Cordoue164. observer qu’elle demeure dans les deux versions du texte, Cela dit, si la présente étude a essayé de démontrer au contraire du fameux passage polémique souhaitant que le commerçant de Mossoul était plus crédible que aux Fatimides de conquérir un Andalus faible et aux l’espion fatimide, elle a surtout voulu montrer la néces- abois qui ne se trouve que dans la version pro-Fatimides. sité d’élargir le corpus des manuscrits à utiliser pour étu- D’ailleurs, si ce dernier passage est bien d’Ibn Ḥawqal dier le texte d’Ibn Ḥawqal. La découverte du manuscrit pourquoi présenterait-il l’Andalus comme affaibli et vul- de la première version de l’ouvrage d’Ibn Ḥawqal, le A. nérable en souhaitant sa prise par les Fatimides, pour dire 3012 de Topkapi, apporte ainsi un éclairage tout à fait trois pages plus loin que l’Andalus est un magnifique et nouveau. En effet, ladite première version utilisée aupa- prospère royaume que seule dépasse en splendeur et en ravant par les historiens n’en était pas une car elle com- puissance celui des Hamdanides dont il est lui-même prenait d’innombrables anachronismes renvoyant à la bien entendu originaire ? version ultérieure et des digressions d’un auteur artuqide du XIIe siècle très soucieux de partager avec nous ses Faire d’Ibn Ḥawqal un espion fatimide au Maghreb et réflexions et méditations. Cette première version est en Andalus fut une facilité qui mua en truisme dans l’his- sûrement à situer entre 355/966 et 358/969. Elle a donc toriographie universitaire. Ibn Ḥawqal est pourtant loin été achevée juste avant les importants voyages en Irak et de se livrer aussi facilement à pareille interprétation que en Perse effectués par Ibn Ḥawqal en 358/969, année le géographe al-Muhallabī qui a dédié vers 375/985 son dont il a ensuite daté nombre de visites de villes et d’af- ouvrage au calife fatimide al-῾Azīz bi-llāh159 (ouvrage fermages qu’il rapporte dans la version ultérieure. C’est qui finira d’ailleurs par être appelé al-῾Azīzī160, à la grâce à cette nouvelle expérience qu’il se libèrera encore manière du Livre de Roger d’al-Idrīsī). Un siècle avant plus du poids du texte d’al-Isṭaḫrī, alors qu’il ne s’en Ibn Ḥawqal, son illustre prédécesseur Ibn Ḫuradāḏbah, distinguait vraiment dans sa première version qu’à tra- homme-lige des Barmécides, intime du calife al-Mu῾ta- vers son apport permis par ses voyages au Maghreb, en mid (870-892) et qui composa son ouvrage géographique Andalus et en Afrique subsaharienne. La découverte de alors qu’il travaillait pour les postes abbassides161 (véri- ce manuscrit de la première version de l’ouvrage d’Ibn table nid d’espions), a livré un témoignage bien plus sus- Ḥawqal est donc d’un précieux secours, mais elle ne pect de partialité sur le Maghreb et l’Andalus sans être résout pas tous les problèmes. Par exemple, le passage pour autant taxé d’espionnage par les historiens. Les quasi inaugural où Ibn Ḥawqal raconte sa passion pour la voyageurs et géographes arabes médiévaux se retrouvent littérature géographique, son départ de Bagdad et le com- souvent suspectés d’espionnage aussi bien par leurs mencement de ses voyages, ne figure étrangement pas contemporains que par les historiens qui se penchent dans ce nouveau manuscrit165. La présence de ce passage aujourd’hui sur leurs œuvres ! Ainsi, al-Maqdīsī, qui uniquement dans la version pro-Fatimides reste comme écrit à peine quelques années après Ibn Ḥawqal, rapporte une épine dans le pied. Seule la découverte de nouveaux avoir été lui-même accusé d’espionnage162. Tandis que le manuscrits pourrait aider à résoudre ce problème. voyageur andalou Ibn Ğubayr (fin XIIe siècle) fut récem- ment suspecté d’espionnage par un historien qui inter- Bibliographie préta certains aspects topographiques de sa description de la Sicile comme des informations collectées pour faciliter la conquête de l’île par le calife almohade (considéré de Manuscrits surcroît comme le supposé destinataire du récit de voyage)163. Mais, d’un autre côté, cela ne signifie pas VersionditedédiéeàSayfl-Dawla(m.967) pour autant que les tentatives d’espionnage et d’infiltra- – Ibn Ḥawqal, Kitābhay᾿ataškāll-arḍwa-miqdārihāfīl-ṭūl tion n’existaient pas. Il suffit de rappeler, événement wa-l-῾arḍ l-ma῾rūf bi-ğuġrāfyā, Bnf Arabe 2214, Biblio- dont peut avoir été témoin Ibn Ḥawqal, le sort de l’An- thèque nationale de France. dalou ῾Abd al-Malik b. Samīt qui voulut rejoindre les – Idem, Kitāb ῾ağā᾿ib l-dunyā, Ayasofya 2934, Süleymaniye Fatimides avant d’être rattrapé sur les côtes d’Ifrīqiyya Kütüphanesi d’Istanbul. – Idem, Kitāb hay᾿at aškāl l-arḍ wa-miqdārihā fī l-ṭūl wa-l- ῾arḍl-ma῾rūfbi-ğuġrāfyā, A. 3347, Topkapi Sarayi Müzesi Kütüphanesi d’Istanbul. 159 al-Bakrī, al-Masālikwa-l-mamālik, vol. I, p. bā᾿ (lettre arabe). 160 Aboulféda, Géographied’Aboulféda, p. 22. 161 Ibn al-Nadīm, al-Fihrisit, p. 239. 162 al-Maqdisī, Aḥsanal-taqāsīm, p. 45. 164 al-Ṭāhirī, 1993, p. 122. 163 Dejugnat, 2008. 165 Ibn Ḥawqal, Kitābṣūratl-arḍ, p. 3. 210 CHAFIK T. BENCHEKROUN Laplusancienneversion – al-Istakhrī, Viaeregnorum, M. J. De Goeje (éd.), Brill, Lug- duni batavorum, 1967. – Idem, Ṣifat al-aqālīm al-islāmiya wa-ġayrihā wa-mā fī-hā – al-Maqarrī, Nafḥ l-ṭīb min ġuṣn l-Andalus l-raṭīb, Iḥsān mina l-ğibāl wa-l-biḥār, A. 3012, Topkapi Sarayi Müzesi ῾Abbās (éd.), Dār Ṣādir, Beyrouth, 1968. Kütüphanesi d’Istanbul. – al-Maqdisī, Aḥsan al-taqāsīm fī-ma῾rifat al-aqālīm, Maktabat Madbūlī, Le Caire, 1991. Versionpro-Fatimides – al-Maqrīzī, al-Mawā῾iẓwa-l-i῾tibārfīḏikrl-ḫiṭaṭwa-l-āṯār, Fu᾿ād Sayyid (éd.), Mu᾿assasat l-furqān li-l-ṯūrāṯ l-islāmī, – Idem, Kitābal-masālikwa-l-mamālik, Or. 314, Bibliotheek Londres, 2002. der Rijksuniversiteit de Leyde. – Miskawayh, Traité d’éthique (Tahḏīb al-ʼaḫlāq wa taṭhīr – Idem, Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, Huntington 538, al-ʼaʻrāq), Mohammed Arkoun (trad.), Vrin, Paris, 2010. Bodleian Library d’Oxford. – al-Mas῾ūdī, Murūğ l-ḏahab wa-ma῾ādin l-ğawhar, Dār l-qalam, Beyrouth, 1989. Dernièreversion – al-Mutanabbī, Dīwān al-Mutanabbī, Dār Ṣādir, Beyrouth, – Idem,Kitābaqālīml-buldān,Ayasofya2577M,Süleymaniye s. d.. Kütüphanesid’Istanbul. – al-Qazwīnī, Aṯār l-bilād wa-aḫbār l-῾ibād, Dār Ṣādir, – Idem, Kitābṣūratl-arḍ, III. A. 3346, Topkapi Sarayi Müzesi Beyrouth, s. d.. 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