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Analyse

France-Serbie, une si longue amitié. Paris est régulièrement soupçonné de proserbisme par ses alliés.

par Marc Semo
publié le 3 novembre 1998 à 15h39

En plein coeur de Belgrade, au bout de la grande rue piétonnière qui

débouche sur le parc Kale Magdan, se dresse le «monument à la France». Cette grande sculpture de pierre grise rappelle comment, pendant la Première Guerre mondiale, la marine tricolore sauva les restes de l'armée serbe après sa longue et héroïque retraite, puis l'aida dans sa revanche. Quand le ton monte avec Paris, il est recouvert de noir en signe de deuil. Le reste du temps, le régime y invite les délégations de passage pour célébrer une amitié franco-serbe forgée par les tourmentes du siècle et deux guerres contre l'Allemagne. Elle n'est plus ce qu'elle était mais elle continue à tort ou à raison à alimenter chez certains de nos partenaires européens comme à Washington des soupçons récurrents de «pro-serbisme». Louise Arbour, procureur du Tribunal pénal international sur l'ex- Yougoslavie n'hésitait pas encore en décembre 1997 à déclarer: «les criminels de guerre se sentent en sécurité absolue en secteur français».

Cette compréhension pour Belgrade a été bien réelle dans une partie du quai d'Orsay, comme de l'armée et de la classe politique française. François Mitterrand ne cachait pas sa sympathie pour les anciens alliés serbes, même si l'évolution du conflit dans l'ex-Yougoslavie et l'évidence du rôle joué par Slobodan Milosevic l'obligea à changer d'attitude, au moins en apparence. Charles de Gaulle, quant à lui, s'était toujours refusé à se rendre dans la Yougoslavie de Tito, pourtant chef de file des non-alignés, parce que ce leader communiste avait fusillé le chef de la résistance anticommuniste, le général Drazan Mihailovic, son condisciple à l'école de guerre à Paris. La première Yougoslavie, celle de 1918, est une création franco-britannique. Le régime de Slobodan Milosevic en dénonca l'éclatament en 1991comme le résultat «d'un complot vaticano-allemand». Même plus nuancée, cette thèse est aussi celle d'une partie des élites françaises: la reconnaissance prématurée des indépendances slovène et croate aurait précipité la guerre dans l'ex Yougoslavie. En fait, elle avait commencé trois mois avant que ces Républiques ne soient finalement reconnues comme Etats. Et en décembre 1994, le général à la retraite Pierre-Marie Gallois, un des pères de la dissuasion française, écrivait à Radovan Karadzic, alors président des ultra-nationalistes serbes de Bosnie, accusé de crimes contre l'humanité et de génocide, une missive éloquente publiée par le quotidien serbe Vecerni Novosti: «vous savez combien personnellement je regrette, étant octogénaire, de ne plus être en mesure d'être avec vos soldats pour témoigner la gratitude de mon pays dans les batailles que vous menez au nom d'une cause qui nous est commune: le droit des peuples contre l'impérialisme allemand.» L'année suivante, il était envoyé sur place pour négocier la libération de deux pilotes français abattus par les forces serbes.

Cette mémoire explique les sentiments de certains des diplomates et surtout des militaires français. Ces derniers, sur le terrain, se sont directement trouvés confrontés à une armée serbe qui jouait et abusait de cette «amitié franco-serbe». Ils se sentaient souvent d'autant plus proches des officiers serbes qu'il s'agissait d'une vraie armée à la différence des forces croates ou bosniaques. Ce contexte explique nombre de ratés et d'ambiguïtés. Il faudra le choc, en mai 1995, de la prise en otage des Casques Bleus par les forces serbes pour créer un changement d'attitude initié par le nouveau président Jacques Chirac. Paris prend alors l'iniative de créer une force de réaction rapide envoyée près de Sarajevo et joue un rôle actif aux côtés des Américains dans les frappes aériennes qui contraindront finalement les forces serbes à accepter les accords de Dayton. L'attitude des autorités françaises sera ensuite tout aussi déterminée dans la crise du Kosovo au côté de l'Allemagne et des Etats-Unis. Mais les soupçons sont tenaces. En décembre 1995, le général Jean-René Bachelet, commandant des troupes de l'Onu à Sarajevo, est rappelé à Paris pour avoir critiqué les accords de Dayton en évoquant notamment le drame de populations serbes «qui se croient contraintes à choisir entre la valise et le cercueil». L'été dernier encore, le Washington Post mettait en cause un officier supérieur français, le commandant Hervé Gourmelon, chargé de mission de liaison avec les Serbes bosniaques pour ses relations «contestables» avec Radovan Karadzic. Selon les Américains, il l'aurait informé des divers plans préparés par la Sfor, la force de l' Otan en Bosnie, pour son arrestation et son transfert devant la justice internationale. Paris a démenti avec embarras .

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