DEPUIS cinq ans, le malaise engendré dans la conscience européenne par la guerre en ex-Yougoslavie s'est traduit par un effort réitéré de banalisation de ce conflit. Combattu par quelques intellectuels isolés cherchant à souligner la spécificité des moyens mis en oeuvre par cette agression national-communiste, cet effort de banalisation se poursuit néanmoins, de façon il est vrai plus feutrée, mais constante et obstinée. Comme si cette spécificité était du registre de l'intolérable. Et comme si l'intolérable ne pouvait qu'être nié.
Symptôme intéressant de cet effort de banalisation : à peine avait-on été contraint, par les faits relatés notamment dans le Livre noir de l'ex-Yougoslavie, de reconnaître qu'il s'agissait, non pas d'une guerre civile ni même d'une classique guerre territoriale, mais d'une agression visant à « nettoyer ethniquement » ces territoires, qu'on s'empressa de reprocher aux agressés croates et musulmans les mêmes méfaits. Au lieu d'admettre que les nettoyages ponctuels opérés des côtés croate et musulman étaient la réponse en miroir, sporadique et inévitable, à l'idéologie mise en oeuvre par le gouvernement serbe (idéologie délibérément implantée, au préalable, chez les populations serbes de Croatie et de Bosnie par une propagande menée d'abord par le psychiatre Raskovic, puis par son successeur Karadzic), on a accusé toutes les parties, sans distinction, d'opérer ce nettoyage. Ainsi, la spécificité de la guerre téléguidée par Belgrade était à nouveau gommée et les « belligérants », une fois de plus, implicitement renvoyés dos à dos.
Cette spécificité, quelle est-elle ? Le premier séminaire international sur l'aide médicale et psychosociale aux victimes masculines des violences sexuelles lors de la guerre en ex-Yougoslavie, qui s'est tenu à Zagreb les 22 et 23 avril derniers, a permis de mieux la cerner en en dévoilant un aspect particulier.
Organisé par le Centre médical pour les droits de l'homme de Zagreb, ONG travaillant en relation avec les organisations internationales et dirigée par le docteur Mladen Loncar, ce séminaire a réuni, outre plusieurs psychiatres croates et bosniaques, des spécialistes européens, notamment le docteur Soeren Buus Jensen (OMS) et le docteur Inger Agger (Union européenne), et deux enquêteurs pour le Tribunal international de La Haye, M. Abribat et Mm Terlingen. L'objectif de ce séminaire était d'attirer l'attention des instances internationales sur les sévices sexuels subis par les hommes dans les camps serbes, et de mener une réflexion concertée sur le sens de ces violences systématiques. Le docteur Loncar a lui-même été détenu au début du conflit dans un camp serbe, à Begejci ; depuis son retour, il se consacre aux victimes de ces camps et notamment à l'aide psychosociale des victimes de violences sexuelles. « Lors de l'enquête auprès des femmes violées, a expliqué le docteur Loncar, nous avons découvert que des hommes (maris, pères ou frères) avaient, eux aussi, été victimes de violences sexuelles ; et ce qui nous a frappés, c'est que leur nombre dépassait largement celui qu'on aurait pu attribuer aux éventuels désirs homosexuels des bourreaux. » Malgré la difficulté éprouvée par les victimes à témoigner de tels sévices, il fut rapidement démontré que le cas Tadic, accusé notamment d'avoir forcé un prisonnier « à arracher avec les dents les testicules d'un détenu évanoui » (Le Monde du 8 mai), n'était pas un fait isolé.
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