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Libération

Les mandats inappliqués de la Forpronu. Les textes et les moyens existent. Seule manque la volonté politique des Etats.

par Marc Semo et Véronique Soulé
publié le 29 mai 1995 à 4h41

Le problème de la mission de l'ONU en ex-Yougoslavie est qu'elle «se

situe dans une zone grise, entre maintien et imposition de la paix», reconnaissait dès février 1993 Marek Goulding, à l'époque sous-secrétaire général de l'ONU. Alors que la France réclame un «durcissement» du mandat des Casques bleus, on peut s'interroger sur ce que pourrait être ce renforcement, au vu des multiples résolutions qui ont déjà défini la mission onusienne, passablement renforcée, au moins sur le papier, au fil des mois. Plutôt que d'un mandat trop mou, le problème semble avoir été jusqu'ici le manque de volonté politique des Etats pour faire appliquer les textes votés à l'ONU.

D'emblée, la mission onusienne a souffert d'une ambiguïté majeure. Placée dans le cadre du peacekeeping (maintien de la paix), elle se fondait sur un pari extrêmement incertain: selon ce scénario, les Casques bleus veillaient au respect de fragiles cessez-le-feu, alors que les diplomates cherchaient une issue politique. Or, rejetant tous les plans de paix, les Serbes de Bosnie n'ont accepté le déploiement de Casques bleus que dans le but de geler la situation et de préserver leurs conquêtes (70% du territoire de la Bosnie, plus de 20% de la Croatie).

Sur le papier, les Casques bleus ont ainsi le droit, depuis août 1992, de recourir à «tous les moyens nécessaires» pour mener à bien leur mission humanitaire et, depuis juin 1993, celui de «faire usage de la force» en cas d'attaques sur des zones de sécurité. Dans les faits, les Casques bleus sont devenus des otages impuissants. «Les soldats de l'ONU ne sont pas assez forts pour dissuader les Serbes, résume Pierre Hassner, directeur de recherches au Ceri, mais ils ont dissuadé la communauté internationale d'intervenir, car ils sont devenus des cibles trop vulnérables.»

Le maigre bilan de l'ONU en Croatie est un exemple de cette contradiction. Selon le mandat défini dans la résolution 769 (7 août 1992), la Forpronu devait, entre autres, assurer le contrôle aux frontières internationales de la Croatie avec les «zones protégées» (régions occupées par les Serbes où les Casques bleus sont déployés). Mais devant l'intransigeance des sécessionnistes de Krajina, cette résolution n'a jamais été appliquée. Et bien peu s'en souviennent encore, au point que le 31 mars 1995, le Conseil de sécurité a voté une autre résolution (la 981) prônant, en des termes sensiblement différents, un contrôle aux frontières internationales de la Croatie.

On pourrait multiplier les exemples de ces résolutions apparemment redondantes, qui précisent ce que des textes précédents ont déjà annoncé. Comme si, au moment de sauter, la communauté internationale reculait et se cherchait des arguties juridiques. Ainsi: le 9 octobre 1992 (résolution 781), le Conseil de sécurité interdit les vols militaires dans le ciel bosniaque. On croit déceler une nouvelle fermeté. En fait, il faudra attendre six mois pour que, le 31 mars 1993, le Conseil vote une résolution (la 816), demandant à ses membres d'«user de tous les moyens» pour empêcher de nouvelles violations de la zone d'exclusion aérienne.

La résolution 836, votée le 4 juin 1993, semblait, elle aussi, annoncer un regain de détermination. Le Conseil de sécurité y autorise la Forpronu à prendre «toutes les mesures, y compris l'usage de la force, pour répliquer à des bombardements ou à des incursions armées dans les zones de sécurité». Dans la réalité, ces enclaves musulmanes ne seront jamais vraiment protégées par l'ONU, dont le premier souci reste la situation des Casques bleus, exposés aux représailles serbes. En avril 1994, durant la crise de Gorazde, l'aviation de l'Otan finira par frapper, mais pour protéger des observateurs onusiens menacés par les forces serbes.

Sur le terrain, les responsables militaires de l'ONU évoquent souvent le problème de la «chaîne de commandement» pour expliquer leur impuissance. Toute demande d'intervention aérienne doit passer par le représentant du secrétaire général de l'ONU, Yasushi Akashi. Or le diplomate nippon répugne à employer la force. Mais au-delà du personnage, il s'agit bien d'un dilemme de fond où la communauté internationale a placé ses propres troupes: «maintenir» une paix fictive en s'assurant la coopération de toutes les «parties», à commencer par les Serbes.

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