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Libération

La campagne des Serbes, sur le registre de la peurLe parti de Karadzic agite la «menace» du retour à une Bosnie multiethnique.

par Hélène Despic-Popovic
publié le 9 septembre 1996 à 22h37

Vlasenica envoyée spéciale

Un spectre hante la «Republika srpska», celui de Radovan Karadzic, son leader inculpé de crimes de guerre. Interdit d'élection, écarté de la vie publique, il est cependant là. De façon explicite d'abord, sur les affiches de son parti, le SDS (Parti démocratique serbe), qui, à Vlasenica, petite ville de l'est de la Bosnie, ont même été placardées sur l'hôtel où se trouve la représentation de l'OSCE. Par omission ensuite, dans ce cadre vide de toute photographie suspendu vendredi à la tribune, sous l'écusson serbe, lors d'un meeting du SDS dans cette petite ville.

L'atmosphère n'était pas à la fête. Les regards étaient graves. Le parti de Karadzic joue pour les élections du 14 septembre sur le registre dans lequel il est passé maître: la peur. Il agite la menace d'un retour des Musulmans dans leurs foyers, un thème qui paye dans ces contrées repeuplées de réfugiés qui craignent d'être contraints à un nouvel exode si les légitimes propriétaires reprennent possession de leurs biens. «On entend dire que les Musulmans veulent revenir sur les rives de la Drina. Je vous le dis: cela ne se produira pas. Car vous, les réfugiés, vous êtes ici chez vous, et nous sommes tous ici chez nous», a martelé Aleksa Buha, le ministre des Affaires étrangères de la «Republika srpska» et président par intérim du SDS.

Frustrations serbes. Autre crainte évoquée par les orateurs, celle de perdre une indépendance arrachée l'arme au poing. «Le défaut des Serbes est de perdre en temps de paix ce qu'ils ont gagné dans la guerre», s'est exclamé l'actuel président du «Parlement» de la RS, Momcilo Krajisnik, paraphrasant une célèbre remarque de l'écrivain nationaliste serbe Dobrica Cosic, cristallisant les frustrations des Serbes dans l'ex-Yougoslavie. «Ce que veulent les Serbes est clair: ils ne veulent ni du communisme, ni du socialisme, a-t-il lancé à l'adresse des partisans du président serbe Milosevic, principaux rivaux du SDS pour ces élections. Et ils ne veulent ni vivre avec les Musulmans, ni vivre en Bosnie. Ce qu'ils veulent est la Republika srpska.» Or, à en croire le responsable, qui oublie fort volontiers que Dayton n'a pas donné aux Serbes bosniaques un Etat mais une entité dans une Union, tout se ligue contre elle. «Trois pièges nous guettent, a averti Momcilo Krajisnik. Le premier, ce sont ces élections, car elles ont été organisées, a-t-il ajouté dans une nouvelle allusion aux partisans du président de Serbie, pour amener au pouvoir des Serbes plus flexibles qui interpréteront d'une manière erronée les accords de Dayton et renverront les Serbes dans le giron de la Bosnie.» Le deuxième «piège» est, selon lui, la question du statut de Brcko, ville clé sous contrôle serbe dont la population était, avant-guerre, en majorité musulmane, qui reste l'unique point non résolu Dayton. «Sans Brcko, nous n'avons plus d'Etat. Nous ne le rendrons jamais.» Frissons d'appréhension. Troisième et dernier «piège» enfin, «la volonté de certains médiateurs internationaux de réintégrer la Republika srpska en Bosnie.» «Il est douloureux, a déclaré le responsable serbe, de parler aujourd'hui avec les chômeurs qui cherchent du travail. Mais il faut dire que toute aide économique est conditionnée à des projets qui vont dans le sens de la réintégration. Et cela, nous n'avons pas le droit de l'accepter au nom de tous nos morts.» L'auditoire se mit à frissonner d'appréhension et d'approbation. Et, quand Krajisnik a lâché: «Ces élections ne sont pas seulement un vote mais l'être ou ne pas être de la Republika srpska», l'assistance s'est enflammée. Pris au jeu de sa rhétorique, l'orateur conclut ses propos d'un «Dieu aussi est serbe». Les participants au meeting se sont sentis confortés. A l'issue du rassemblement, un économiste de 45 ans soucieux de conserver l'anonymat expliquait: «Nous devons sauvegarder la RS. Je me suis battu pour elle et, ayant cet objectif, il ne m'a pas été trop difficile de faire la guerre.»

Bosnie vilipendée. Depuis des semaines, la télévision de Pale, SRT, outrageusement dominée par le SDS qui concède à peine quelques miettes à l'opposition, ne cesse d'assurer les téléspectateurs que les élections du 14 septembre ont pour unique but de légaliser l'existence de la «Republika srpska» en tant qu'Etat et la division de la Bosnie. De meeting en meeting, les orateurs vilipendent cette Bosnie, source de tous maux. «Nous ne voulons pas d'une Bosnie multi-ethnique», répètent-ils à l'envi. Et assurent qu'ils feront tout ce qu'ils peuvent pour que la Bosnie ne renaisse pas des cendres dans lesquelles la guerre l'a laissée. «Nous avons besoin de dix bons fils serbes pour franchir, au cours des deux ans à venir, dans le Parlement de la Bosnie de Dayton, une étape historique qui nous mènera à une séparation définitive», a expliqué Vlasenica Slobodan Bijelic, candidat du SDS au Parlement de Bosnie, lequel sera composé d'un tiers de députés de la RS et de deux tiers de députés de la Fédération croato-musulmane. «Alors, quand nous aurons achevé cette tâche, et que nous continuerons à construire notre Etat serbe, je suis convaincu que ce cadre vide, a-t-il ajouté, dramatique, en se tournant vers le cadre ornant la tribune qui aurait dû contenir le portrait du président de la RS, contraint à la démission sous la pression internationale, arborera de nouveau la photographie qui lui appartient.»

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