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Libération

Dix ans après, les Serbes voient l'horreur de Srebrenica en face

Le pays est en état de choc après la diffusion d'images de crimes de guerre.
par Hélène Despic-Popovic
publié le 4 juin 2005 à 2h28

Vendredi dernier encore, un Serbe sur deux ne croyait pas que les massacres de 8 000 Musulmans bosniaques avaient bien eu lieu en 1995, après la chute de l'enclave de Srebrenica. Cette semaine, le déni a cédé la place à l'épouvante, avec la diffusion par les grandes chaînes de télévision d'extraits d'une vidéo montrant l'exécution de six Bosniaques par des paramilitaires serbes.

Les victimes ont désormais un visage et les criminels un nom, qui s'étale dans toute la presse. Dix suspects, dont deux figurent sur le film, ont immédiatement été placés sous les verrous. «La Serbie est profondément choquée», a souligné le président de Serbie, le démocrate Boris Tadic.

Explicites. Les Serbes découvrent que les assassins sont parmi eux. «[Jusqu'à aujourd'hui], ils marchaient dans nos rues, jouaient aux citoyens respectables, rencontraient nos voisins, nos enfants. Ce n'est pas normal. Les monstres doivent être en prison», s'est ému Boris Tadic. Comme lui, le Premier ministre conservateur Vojislav Kostunica a traité l'assassinat des six Bosniaques de «crime brutal, ignoble et honteux». La vigueur de leurs propos et la large diffusion des images semblent préparer l'opinion à la capture des criminels de guerre les plus recherchés, le leader politique des Serbes de Bosnie pendant la guerre Radovan Karadzic et son chef militaire Ratko Mladic.

C'est la première fois que la très austère Radiotélévision de Serbie montre des images aussi explicites de crimes de guerre. Tourné par un des membres du commando, le film est particulièrement odieux. Il montre, selon la chaîne indépendante B92, des hommes en uniforme de camouflage ­ dont certains portent un béret rouge frappé d'insignes serbes ­ qui font sortir six jeunes civils amaigris d'un camion militaire. Un extrait montre un militaire frappant au visage un homme à terre en criant : «Pourquoi tu trembles, enculé de ta mère ?» Derrière, un autre lance : «Regarde celui-là, il a chié dans son froc.» Une scène montre ensuite l'exécution de trois hommes, l'un derrière l'autre, d'une rafale dans le dos. Une autre, où deux des victimes ont été préalablement torturées, n'a pas été diffusée car trop choquante, a souligné la chaîne. Ces exécutions sommaires ont eu lieu près de Trnovo, lieu identifié comme la base de ce groupe paramilitaire. Les victimes, toutes identifiées, étaient de Srebrenica. Quatre jeunes étaient mineurs.

Bénédiction. La vidéo a été présentée pour la première fois mercredi par l'accusation au procès de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic devant le Tribunal pénal international pour les crimes de guerre en Yougoslavie. Le procureur entendait faire la preuve de l'implication de forces venues de Serbie, même dans le conflit bosniaque. Elle commence par la bénédiction par un pope orthodoxe des membres du commando, les Skorpioni («scorpions»), avant leur départ pour le front.

Le document a été donné au tribunal par une ONG serbe, le Fonds pour le droit humanitaire. Sa directrice, Natasa Kandic, affirme que le groupe paramilitaire fonctionnait dès 1991-1992 comme une unité de la Sécurité d'Etat de Serbie. Très peu connu, il a fait parler de lui en 2003, lors de l'ouverture, en Serbie, du procès pour crime de guerre d'un de ses membres, accusé du meurtre de 19 civils albanais en mars 1999 à Podujevo, au Kosovo. Dejan Anastasijevic, journaliste à Vreme, a expliqué à la radio B92 qu'au Kosovo les Scorpions faisaient partie des unités spéciales antiterroristes du ministère de l'Intérieur de Serbie, et avaient été actifs en Croatie et en Bosnie au début des années 90 : «Nous savons tous que ces unités, prétendument de volontaires, étaient plus ou moins sous le contrôle de la Sécurité d'Etat.»

«Je veux savoir.» Le choc est à son comble parmi les voisins et les familles des ex-paramilitaires. La femme de Branislav Medic, l'un des assassins identifiés sur la vidéo, a confié au quotidien belgradois Blic avoir fermé les yeux en regardant la télévision. Sa fille aînée, âgée de 19 ans, a «tout regardé». «Depuis lors, elle se tait et elle pleure.» L'épouse du paramilitaire, qui se souvient de son absence pendant cet été 1995, exige des explications : «Je veux savoir qui les a emmenés là-bas. Celui qui a agi sciemment doit être puni, fût-il mon époux. Et si quelqu'un a donné des ordres, je veux savoir qui les a donnés.»

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