Gabriel Laverdière

KLESIS. REVUE PHILOSOPHIQUE. NO 54. https://www.revue-klesis.org/

Résumé
Le documentaire mémoriel mène l’enquête tout en procédant à une réflexion sur l’inscription et la réception de faits passés qui, mis en récit et en représentation, sont destinés à une transmission postmémorielle ou, mieux, à une réécriture mémorielle. Le spectateur acquiert alors un souvenir par la médiation de présentifications. Les configurations expressives qui les font advenir permettent au spectateur de prendre conscience d’états de choses tirés du passé. Les représentations et récits que propose le documentaire mémoriel tiennent ainsi lieu d’états de choses passés. Cette représentance dépend de la capacité du support filmique à accueillir une écriture de l’histoire et des moyens utilisés pour reconfigurer le passé en une image destinée à un spectateur doué de mémoire. L’analyse porte sur le film polonais Entendez mon cri (1991), qui emploie des documents d’archives et des témoignages afin de ranimer le souvenir d’un événement violent, le suicide d’un homme.

Abstract
The memorial documentary both investigates past events and reflects upon their inscription and reception. As they are turned into story and representation, these events can be transferred through a process of postmemory or, rather, of memorial rewriting. The spectator thus acquires memory by the mediation of presentifications. The expressive configurations which create them allow the spectator to become aware of states of affairs drawn from the past. The memorial documentary thus offers representations and narratives that can take the place of past states of affairs. This standing for depends on the capacity of the filmic apparatus to receive the writing of history and on the means used to reconfigure the past into an image that is intended for a memory-abled spectator. The analysis focuses on the Polish film Hear My Cry (1991), which uses archival documents and testimonies to revive the memory of a violent event, a man’s suicide.

[Français] Cet article essaie de mettre à profit l’analyse de l’« énonciation impersonnelle » du cinéma dans une perspective qui s’ouvre à la question de l’éthique. Des aspects élémentaires de l’analyse du film comme phénomène de communication sont d’abord présentés. Puis est suggérée l’existence d’une éthique « impersonnelle » ou « spectrale » à l’œuvre dans le film comme texte. La communication au cinéma suppose, du côté de la réception, une lecture plus ou moins libre de ce texte, et l’« éthique impersonnelle » du film se mesurerait à partir des types d’invitations que le spectateur en reçoit. Cette invitation se manifeste sur les « plans de l’expression et du contenu », qui sont ici envisagés sous l’angle de la directivité. La corrélation de ces plans est considérée dans sa tensivité variable : étant plus ou moins directif sur le plan du contenu et de l’expression quant aux lectures possibles auxquelles le spectateur pourra se prêter, le texte filmique est plus ou moins « programmatique » ou « thématique », plus ou moins « énoncif » ou « énonciatif ». Le type de relation que l’émetteur et le texte entretiennent avec le récepteur est par là défini, de même que, par conséquent, l’aspect éthique de la communication filmique.

[English] This article seeks to use the analysis of the “impersonal enunciation” in cinema to develop paths toward the question of ethics in film. First are presented some elementary aspects of film as a phenomenon of communication. Secondly, we submit the existence of an “impersonal” or “spectral” ethics in the film taken as a text. Communication in the cinema supposes that, on the receiving end, the reader is more or less free to interpret the message, and an “impersonal” ethics would be measured according to the type of invitation that the spectator receives from the film. This invitation manifests itself through the “content and expression planes,” which are considered here in connection with directivity. The correlation of these planes is considered in its variable tensivity: since it is more or less directive on the content and expression planes, the filmic text is more or less “programmatic” or “thematic,” more or less “enunciative” or “enuncive.” The type of relation that the sender and the text maintain with the receiver is thus defined, as well as, consequently, the ethical aspect of the filmic communication process.

Plusieurs films qui se prêtent à la « biographie » laissent songeur quant à la vérité de la représentation. Le cas du film Evita intéresse ici, car il met à profit plusieurs ambiguïtés : la vie d’Evita, fortement mythifiée, comme celle de son interprète, la chanteuse Madonna. Par le mode spectaculaire de la comédie musicale, le film admet son approche ludique. L’examiner sous cet angle fait penser que tout récit biographique invente, monte, découpe le fil d’une vie, de sorte que la vérité y paraît d’abord tenir à l’interprète qu’est l’auteur ou même, dans le cas d’Evita, à la sorte d’interprète-auteure qu’est l’actrice.
https://journals.openedition.org/itineraires/4070

"La face cachée de la Lune" de Robert Lepage, un observatoire poétique du Québec. Traduction : Javier Vargas de Luna. Revue Unidiversidad, no 29 (oct-déc. 2017).
http://www.unidiversidad.com.mx/29/presentacion/la-cara-oculta-de-la-luna-de-robert-lepage-un-observatorio-poetico-para-quebec

[ENGLISH Abstract follows]
KLESIS. REVUE PHILOSOPHIQUE. NO 36 (2016), p. 125-158. http://www.revue-klesis.org
La généralisation du numérique a amené à questionner de nouveau le statut indiciel des images photographique et cinématographique, ou leur rapport à la réalité, et leur ontologie. À une époque, certains, dont André Bazin, voyaient dans l'argentique un moyen de restituer la réalité. Plus récemment, Lev Manovich, André Gaudreault ou Philippe Marion invoquaient, quant à eux, la sorte de faillite indicielle dont témoignerait l'image numérique. Ce fameux indice, qui traduirait un lien direct à la réalité, a incité à penser l'ontologie du cinéma. Or, il se trouve des présuppositions sur lesquelles il faut revenir en interrogeant la matérialité des supports argentique et numérique, de même que leur fonctionnement sémiotique. Cet article en reprend certaines. Il tente d'éclairer le processus technologique qui permet la captation d'informations lumineuses par les appareils numériques, en retournant à la notion peircienne de l'indice (qui voisine d'autres dimensions du signe) et en se penchant sur les fondements qui justifient, ou non, les déclarations concernant l'ontologie du cinéma.
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ABSTRACT
The popularisation of the digital has led to questions regarding the indexical status of photographic and cinematographic images, or their relation to reality, and their ontology. At one time, many thinkers of film, including André Bazin, saw in the argentic or analogic a means of reproducing reality. More recently, Lev Manovich, André Gaudreault and Philippe Marion noted the kind of indexical paucity that the digital image features. The notorious index, which signifies a direct link to reality, has led to a conception of the ontology of cinema. There are presuppositions which we must now examine anew concerning the materiality of the argentic/analog and digital media, as well as their semiotic operationality. This article attempts to shed light on the technological process that allows the capture of luminous information by digital devices, returns to the Peircian notion of the index, and examines the foundations that justify, or fail to justify, common statements concerning the ontology of cinema.

dans Nouvelles vues. Revue sur les pratiques et les théories du cinéma au Québec, no 16, « Musique rock et cinéma » (printemps-été 2015). Publié en novembre 2015.
URL: http://www.nouvellesvues.ulaval.ca/

L'analyse proposée des films C.R.A.Z.Y. (Jean-Marc Vallée, 2005), J'ai tué ma mère (Xavier Dolan, 2009), Les amours imaginaires (Dolan, 2010) et Laurence Anyways (Dolan, 2012) convoque trois perspectives : le rock, le camp et le queer. Dans ces films québécois, la musique rock semble orienter la narration et l'esthétique. Elle fait également le pont entre l'anticonformisme auquel renvoie le paradigme rock et l'identité marginale des personnages. L'esthétique de l'image se plie parfois à la bande sonore, qui encourage certains effets visuels. Cela dit, les films de Vallée et de Dolan se servent différemment de l'esthétique rock et du camp, ce qui s'accorde aux représentations distinctes qu'ils produisent eu égard à l'orientation ou à la diversité sexuelles et au genre. L'excès des films de Dolan, leur hyper-référentialité, leur jeu constant entre recherche d'émotions esthétiques et d'émois narratifs, leur fréquente suspension de la réalité contribuent à une écriture du différé dans laquelle les personnages queer jouissent d'une amplitude considérable, alors que dans C.R.A.Z.Y. la performance hyperbolique s'articule plutôt à une analytique de l'homophobie (sociétale et intériorisée) que le film s'efforce de dresser, sans pouvoir échapper à un certain malaise.

En réaction à la controverse initiée (et moussée) par l'ex-directrice (de courte durée) de la revue littéraire XYZ, Vanessa Courville, qui a démissionné de son poste pour protester (avec toute la grâce d'un éléphant dans une boutique de porcelaine) contre le viol présumément (mais finalement bien chastement) décrit dans une nouvelle d’un numéro de ladite revue, qui était alors encore non publiée (et par rapport à laquelle, donc, le public ne pouvait se faire une tête par lui seul). On trouvera, pleine de souffrance compassée et de pathétiques remontrances, la seconde intervention de Mme Courville au bout du lien suivant:
https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/533502/xyz-il-n-a-jamais-ete-question-de-censure

Dans le milieu de la culture, les genres qui ont fait florès au cours des dernières décennies se sont consacrés à brouiller la distinction entre l'art et la vie : l'essor du mémoire et de l'autofiction ; le retour obstiné du vécu psychologique ou psychopathologique dans la critique ; le stand-up de type autobiographique ; sans oublier la nécessité permanente de s'afficher soi-même dans les médias sociaux, où chacun passe désormais pour un « créateur de contenu », aménageant sa vie quotidienne pour composer d'agréables tableaux destinés aux yeux du public. Alors, que reste-t-il de la transgression, une pratique qui dépendait en fait du maintien de cette distinction ?

https://boutique.bouquinbec.ca/elegie-pour-la-transgression.html

Présentation et traduction de l’ouvrage "Free Women, Free Men: Sex, Gender, Feminism" (2017). Publié par les Presses de l’Université Laval (Québec, 2019). À paraître.
https://www.pulaval.com/produit/femmes-libres-hommes-libres-sexe-genre-feminisme

Présentation et traduction de deux extraits de l’ouvrage "Sexual Personae": "Personas sexuelles. Préface" et "Le sexe et la violence, ou la nature et l’art". Publié par les Presses de l’Université Laval (Québec, 2017) et Éditions Hermann (Paris, 2018).

Le phénomène de la manifestation publique est commun à toutes les sociétés, où il s’exprime différemment. Il traduit des idéaux, mais est aussi susceptible d’excès. Le film Le banquet, réalisé et coscénarisé par Sébastien Rose, signale l’ambiguïté des grands mouvements populaires. Il met en scène une grève étudiante à travers laquelle s’entrecroisent les destins de divers personnages. Si des questionnements sociopolitiques sont au nombre des enjeux soulevés par le film, sa portée atteint aussi le hors-champ d’une pensée humaniste, c’est dire qu’il se penche sur la nature des activités humaines et leurs retombées contradictoires. Le chaos mis en intrigue fait songer que le projet du Québec moderne, né pendant les années 1960 sur la base solide (mais oubliée) de ce qui précédait, a déjà vécu ses heures de gloire et qu’il connaît un déclin, dont rendent compte autant l’actualité que la fiction. Le foyer du déploiement de la société québécoise qu’était le système d'éducation concentre désormais, nous dit le film, toutes les failles de la culture contemporaine. Ainsi, Le banquet attable les préoccupations politiques – du recteur, des politiciens ou des grévistes –, idéologiques – du professeur et de l’idéaliste –, et celles qui appartiennent, pourrait-on dire, au « retour du refoulé », soit les préoccupations (indéfinies) des laissés pour compte – la jeune mère et le meurtrier. Mais par ailleurs, au-delà des questionnements sociopolitiques, le film nous invite à considérer la force des choses que le phénomène de la manifestation risque de libérer, qui est ici présenté sous la forme, désormais familière, d’un grand éclat de violence.

téléchargement : www.theses.ulaval.ca/2010/26619/26619.pdf

Thèse de maîtrise.

[English Abstract follows]

L’objet de cette thèse de maîtrise se situe à la rencontre de l’Histoire et de la société québécoises, des relations entre fiction et Histoire, du cinéma québécois, de l’histoire de l’homosexualité, de l’homophobie et de l’éthique postmoderne des rapports de sexe et de genre.
Dans un contexte qui relève de l’esthétique, cette recherche s’interroge sur les poé-tiques identitaires qui se manifestent dans le film québécois C.R.A.Z.Y. L’interrogation première porte sur l’identité québécoise, son histoire (réelle et ima-ginaire), et la seconde, sur l’identité homosexuelle, le genre (gender) et le processus de sortie du placard. Il semble bien que le film C.R.A.Z.Y., eu égard à la période qu’il représente (Révolution tranquille), invoque la mémoire et l’imaginaire d’un passé fortement lié à l’identité actuelle des Québécois. De plus, l’homosexualité en consti-tue un thème central qui oriente sa structure narrative vers une reformulation iden-titaire marquée par l’empathie, la pluralité et la valeur humaine.
Réfléchir au film en sa matérialité s’avère essentiel dans la mesure où cette manifes-tation permet d’atteindre au fonctionnement discursif du film et, d’un même élan, d’atteindre à celui de la réception. Comme l’explique Paul Ricœur, dont l’étude du récit forme la base de la réflexion ici entreprise, le caractère ludique de la fiction ré-intègre le réel ainsi que les problématiques qui y habitent et qui ont servi de support à la fiction et au narratif.

Abstract :
The object of this master's degree thesis is found at the crossroads of Quebecois History and society, of relations between fiction and History, of Quebec cinema, of gay History, of homophobia’s mechanisms and origins, and of the postmodern ethics of sex and gender.
Grounded in æsthetics, this research reflects upon the poetics of identity which manifest themselves in the quebecois film C.R.A.Z.Y. The first point concerns quebe-cois identity, its history (real and imaginary), and the second concerns gay identity, gender and the process of coming out. Considering the period it represents (the Quiet Revolution), it seems the film C.R.A.Z.Y. calls upon the memory and imagina-tion of a past strongly connected to current quebecois identity. Furthermore, ho-mosexuality constitutes a central theme which leads the film’s narrative structure to reformulate identity through empathy, plurality, and value of the human being.
To consider film’s material nature is essential as far as it allows to reach and unders-tand its discursive functioning and, at the same time, to understand how it reaches and affects the viewer. Paul Ricœur, whose study of the narrative forms the basis of the reflection here undertaken, explains how fiction’s playfulness reinstates the problematics and the reality to which they are bound, a reality which first served as the ground and support for fiction and narrative.

[Français] Cet article essaie de mettre à profit l’analyse de l’« énonciation impersonnelle » du cinéma dans une perspective qui s’ouvre à la question de l’éthique. Des aspects élémentaires de l’analyse du film comme phénomène de communication sont d’abord présentés. Puis est suggérée l’existence d’une éthique « impersonnelle » ou « spectrale » à l’œuvre dans le film comme texte. La communication au cinéma suppose, du côté de la réception, une lecture plus ou moins libre de ce texte, et l’« éthique impersonnelle » du film se mesurerait à partir des types d’invitations que le spectateur en reçoit. Cette invitation se manifeste sur les « plans de l’expression et du contenu », qui sont ici envisagés sous l’angle de la directivité. La corrélation de ces plans est considérée dans sa tensivité variable : étant plus ou moins directif sur le plan du contenu et de l’expression quant aux lectures possibles auxquelles le spectateur pourra se prêter, le texte filmique est plus ou moins « programmatique » ou « thématique », plus ou moins « énoncif » ou « énonciatif ». Le type de relation que l’émetteur et le texte entretiennent avec le récepteur est par là défini, de même que, par conséquent, l’aspect éthique de la communication filmique. [English] This article seeks to use the analysis of the “impersonal enunciation” in cinema to develop paths toward the question of ethics in film. First are presented some elementary aspects of film as a phenomenon of communication. Secondly, we submit the existence of an “impersonal” or “spectral” ethics in the film taken as a text. Communication in the cinema supposes that, on the receiving end, the reader is more or less free to interpret the message, and an “impersonal” ethics would be measured according to the type of invitation that the spectator receives from the film. This invitation manifests itself through the “content and expression planes,” which are considered here in connection with directivity. The correlation of these planes is considered in its variable tensivity: since it is more or less directive on the content and expression planes, the filmic text is more or less “programmatic” or “thematic,” more or less “enunciative” or “enuncive.” The type of relation that the sender and the text maintain with the receiver is thus defined, as well as, consequently, the ethical aspect of the filmic communication process.