"Un homme palestinien tient un enfant enveloppé dans un linceul lors de funérailles, alors que les combats entre Israël et le mouvement Hamas se poursuivent pour le sixième jour consécutif dans la ville de Gaza, le 12 octobre 2023." ( AFP / Mohammed ABED)

Une vidéo qui prouverait qu'il s'agit d'une poupée et non d'un enfant décédé à Gaza ? C'est infondé

  • Publié le 18 octobre 2023 à 13:44
  • Mis à jour le 19 octobre 2023 à 17:18
  • Lecture : 11 min
  • Par : AFP France
La guerre entre Israël et le Hamas a fait des milliers de morts depuis l'attaque lancée par le mouvement islamiste palestinien le 7 octobre 2023 et l'intense campagne de frappes menée en représailles sur la bande de Gaza. Dans ce contexte, la vidéo d'un petit garçon palestinien inerte enveloppé dans un linceul a été partagée par de nombreux internautes condamnant la morts de civils dans la riposte. Rapidement, des comptes officiels israéliens ont assuré que cette image montrait en fait "une poupée". Selon ces comptes, cette image -que le Hamas aurait publiée "accidentellement" avant de la retirer- fournirait la preuve d'une "mise en scène" macabre destinée à incriminer Israël. Mais plusieurs éléments permettent de remettre en cause de cette version. La même scène a été photographiée par l'AFP, devant la morgue d'un hôpital de Gaza, et rien n'indique qu'il s'agisse d'une poupée, selon le photographe.

Depuis le 7 octobre 2023, et l'attaque sanglante menée par le Hamas, plus de 1.400 personnes ont été tuées côté israélien et 199 otages enlevés, selon Israël.

En réponse, Israël a promis d'"anéantir" le Hamas et a déclenché une intense campagne de frappes meurtrières sur la bande de Gaza, et a appelé les civils à fuir la ville de Gaza. Une riposte qui a tué au moins 3.000 personnes, en majorité des civils palestiniens dont des centaines d'enfants, selon les autorités locales, selon les derniers bilans disponibles le 18 octobre.

Dans ce contexte, la vidéo d'un petit garçon les yeux clos, enveloppé dans un linceul est devenue le symbole de ces civils tués, alors que l'armée israélienne se prépare à déclencher une offensive terrestre dans la bande de Gaza. Des images qu'Israël a rapidement accusées d'être une "mise en scène du Hamas".

"Le Hamas a accidentellement publié une vidéo d'une poupée (oui, une poupée) utilisée pour une mise en scène, visant à faire croire à la mort d’un bébé à la suite de frappes israéliennes…", a indiqué le 13 octobre le compte X (ex-Twitter) de l'ambassade d'Israël en France , celui d'Israël en anglais ainsi que son compte Instragram.

La vidéo a été partagée au total des dizaines milliers de fois par des comptes pro-israéliens, comme celui de Yoseph Addad ou le compte "StopAntisemitism", suscitant de nombreux commentaires haineux et moqueries.

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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter) le 17/10/2023
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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter) le 17/10/2023

 

 

D'où vient cette vidéo ?

La première occurrence de la vidéo retrouvée par l'AFP a été publiée le 12 octobre 2023 sur le compte Instagram d'un photographe palestinien, Momen El Halabi, avec la légende "qui arrêtera la haine noire? #Gaza_under_bombardment? [Gaza bombardée, NDLR] Où sont les Musulmans, où sont les Arabes, où sont les gens de conscience ".

Depuis l'attaque du Hamas le 7 octobre et la riposte qui a suivi, le journaliste documente la guerre, publiant de nombreuses photos de civils palestiniens blessés ou tués par les frappes israéliennes sur son compte Instagram.

La séquence de Momen El Halabi est plus longue que celle publiée sur X par les comptes israéliens et de meilleure qualité. Elle montre d'abord un homme en débardeur blanc sortir une petite fille en pleurs et recouverte de poussière d'une voiture garée devant le service d'urgences d'un hôpital pour la placer sur un brancard bleu avant qu'elle soit emmenée à l'intérieur. Un autre homme court derrière le brancard en tenant un autre enfant dans ses bras.

Une deuxième séquence montre ensuite un petit garçon inerte, le teint cireux et les yeux clos, dans un linceul blanc, posé sur une table. De nombreuses blessures sont visibles sur son visage. Il est pris dans les bras d'un homme en polo gris de marque Ralph Lauren qui passe le petit garçon à un autre homme, en tee-shirt rouge, qui embrasse le front de l'enfant.

C'est une capture d'écran de l'image de cet enfant qui a circulé dans de nombreuses publications pro-israéliennes -qui ont apposé un cercle rouge autour du visage de l'enfant- affirmant qu'il s'agirait d'une poupée.

Les ambulances visibles en fond permettent d'établir que la séquence a été filmée devant l'hôpital d'Al-Chifa, plus grand complexe médical de la bande de Gaza, au niveau des urgences, comme l'indique un panneau à l'entrée.

Depuis les attaques du 7 octobre et les représailles qui ont suivi, l'AFP a publié de nombreuses photos de victimes arrivant à l'hôpital. Sur ces photos, le bâtiment visible en fond de la vidéo relayée par les comptes israéliens est reconnaissable, comme montre la comparaison ci-dessous.

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Capture d'écran du début de la vidéo du petit garçon dans un linceul prise le 17/10/2023
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Une photo de l'AFP montrant des médecins transporter un enfant palestinien blessé à l'hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza après une frappe aérienne israélienne, le 11 octobre 2023. ( AFP / MOHAMMED ABED)

 

 

Selon les comptes qui relaient cette allégation, la vidéo de l'enfant au linceul blanc aurait "accidentellement été publiée" par le Hamas.

Toutefois, la vidéo semble avoir été publiée pour la première fois volontairement par le photographe palestinien Momen El Halabi et figure d'ailleurs encore sur son compte. Instagram n'affiche pas immédiatement la date et l'heure de publication de la vidéo mais le nombre de jours depuis sa publication. Il est néanmoins possible de retrouver ces informations dans le code source de la page, en faisant sur Google Chrome un clic-droit sur la page puis en cliquant sur "inspecter".

Un onglet s'ouvre alors sur la droite du navigateur, qui nous présente la même page web, mais sous forme de lignes de code. Dans ce texte figure la date et l'heure de publication en heure GMT, en face du mot "datetime".

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( Juliette MANSOUR)
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( Juliette MANSOUR)

 

 

Selon ces informations, la vidéo a été publiée par le photographe palestinien le 12 octobre 2023 à 13h59 GMT ou 15h59 heure française.

Ce n'est que plus tard que la vidéo a été reprise sur le canal Telegram du Hamas, dans un message publié le 12 octobre à 20h40 heure française avec la légende : "Les enfants sont l'objectif de l'occupation. Scènes poignantes au complexe médical d'Al-Chifa aujourd'hui". Elle y apparaît encore à la date du 17 octobre.

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Capture d'écran prise sur Telegram le 17/10/2023

Comme relaté par l'AFP, en riposte à l'attaque lancée par le mouvement palestinien Hamas le 7 octobre, de nouveaux raids israéliens frappent sans relâche Gaza, où des immeubles entiers ont été détruits.

Le 12 octobre, l'AFP avait relaté dans un reportage le chaos dans l'hôpital d'al-Chifa suite à des raids et expliquait que de nombreux Palestiniens cherchaient leurs proches devant la morgue de l'hôpital.

Dans ce contexte, un photographe de l'AFP avait photographié le même garçon et l'homme au polo Ralph Lauren qui apparaissent sur la vidéo de Momen El Halabi, avec la légende : "Un homme palestinien tient un enfant enveloppé dans un linceul lors de funérailles, alors que les combats entre Israël et le mouvement Hamas se poursuivent pour le sixième jour consécutif dans la ville de Gaza, le 12 octobre 2023."

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Capture d'écran prise sur le fil AFP le 17/10/2023
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Capture d'écran prise sur le fil AFP le 17/10/2023

 

 

Interrogé, l'auteur de ces photos, Mohammed Abed est revenu le 17 octobre 2023 pour l'AFP sur le contexte dans lequel il avait pris ces clichés.

"Cette photo a été prise à l'hôpital Al-Chifa, à côté de la morgue, où les victimes étaient disposées. Bien sûr, elles étaient sorties de la morgue pour que leurs parents puissent les embrasser en attendant la voiture qui les transporterait au cimetière. Sur cette photo, l'homme se tient debout, l'enfant dans les bras, à côté du corps d'une autre personne disposé sur le sol. Le visage de l'enfant est livide ", a indiqué le photographe.

"C'est le corps d'un vrai enfant, tué après un bombardement aérien, sûrement pas d'une poupée", a-t-il ajouté.

Le vidéaste palestinien Momen El Halabi a de son côté indiqué à nos confrères de Checknews -qui a également consacré un article de vérification (archive ici) à cette vidéo- le 16 octobre que l'enfant sur les photos aurait 4 ans, s'appellerait Omar Bilal Al-Banna et serait originaire du quartier Al-Zaytoun, dans l'est de la ville de Gaza.

L'AFP n'a néanmoins pas pu vérifier ces informations, en raison de la poursuite des bombardements et de la mort d'un très grand nombre de civils qui rendaient difficile l'identification des victimes.

Des photos de l'AFP prises le 12 octobre montrent les cadavres alignés devant la morgue de l'hôpital.

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( Juliette MANSOUR)

Le photographe a également pris une vingtaine d'autres clichés de l'enfant et de l'homme montrant la même scène mais qui n'avaient pas été publiées par l'AFP le 12 octobre. L'enfant est reconnaissable par les blessures qu'il arbore au visage.

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L'homme au tee-shirt gris a également été photographié par le Times of Gaza le même jour.

Plusieurs internautes relayant la vidéo de l'enfant se sont étonnés que du coton semble sortir de sa bouche, accréditant, selon eux, la thèse selon laquelle la vidéo montrerait une poupée.

Mais Moussa Abou Ramadan, professeur de droit musulman et d'islamologie à l'Université de Strasbourg a souligné le 17 octobre auprès de l'AFP que ce rite était courant : "Chez les musulmans, on lave [le cadavre] , on le couvre avec le linceul, on met du coton dans le nez, dans les oreilles. En Palestine, on fait comme ça".

"On fait ensuite les adieux à la personne décédée. Après le lavage du corps, la mise du linceul, etc., en Palestine, les personnes passent et embrassent le corps pour lui faire leurs adieux, qu'il s'agisse d'un enfant ou d'un adulte (...) C'est la pratique, elle ne figure pas dans les textes religieux", a-t-il ajouté.

Depuis l'attaque du Hamas contre Israël, les enfants se sont retrouvés au coeur de la guerre entre Israël et le Hamas.

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Des médecins s'occupent d'enfants blessés par des frappes aériennes israéliennes à l'hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza, le 11 octobre 2023. ( AFP / MOHAMMED ABED)

L'hôpital Ahli Arab de Gaza a également été touché le 17 octobre. L'armée israélienne et le Hamas se renvoient la responsabilité de la frappe meurtrière.

Celle-ci a fait au moins 471 morts parmi des déplacés du conflit qui s'abritaient dans l'enceinte de l'hôpital, selon le ministère de la Santé du territoire palestinien contrôlé par le Hamas. Probablement beaucoup moins, a toutefois affirmé un haut responsable européen du renseignement, interrogé par l'AFP, qui évalue à "quelques dizaines" le nombre de morts.

Un porte-parole de l'armée israélienne a également contesté le nombre de 471 morts avancé par le Hamas.

Les photos et vidéos de l'AFP montrent des dizaines de corps dans des draps, des sacs mortuaires noirs ou sous des couvertures.