C'est la crise partout?
Les prix augmentent en Suisse, mais pas les salaires

La guerre en Ukraine impacte les entreprises comme les ménages. Alors qu'un renchérissement global sévit déjà, certains secteurs sont bien plus touchés que d'autres. Les syndicats veulent une augmentation des salaires, face à une Union patronale qui reste de marbre.
Publié: 01.05.2022 à 15:25 heures
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Dernière mise à jour: 01.05.2022 à 15:30 heures
Dans le secteur de l'entretien des bâtiments, dont fait partie le nettoyage, les entreprises s'attendent à une augmentation de salaire de 1,5% seulement cette année.
Thomas Schlittler

Le 1er mai, c'est la fête du travail. Mais les salariés ont en réalité peu de raisons de se réjouir: le renchérissement grignote leurs revenus. Selon l'indice des prix à la consommation, en mars 2022, la vie en Suisse coûtait 2,4% de plus que l'année précédente à la même date. Nous connaissons également le taux d'inflation le plus élevé depuis 2008. Un taux qui n'a malheureusement pas fini de croître, face à des salaire qui, eux, ne sont pas près de décoller.

En effet, selon une récente enquête du Centre de recherches conjoncturelles de l'EPFZ (KOF), dont le SonntagsBlick a eu l'exclusivité, les entreprises suisses prévoient des augmentations de salaire de seulement... 1,6% en moyenne, et ce pour les douze prochains mois. À noter également que les entreprises n'adaptent généralement les salaires qu'une fois par an, souvent en début d'année.

«Cela devrait avoir pour conséquence qu'en 2022, les salaires nominaux ne s'adapteront pas à la conjoncture causée par la guerre en Ukraine – aux hausses de prix qu'elle a provoqué», explique Jan-Egbert Sturm, directeur du KOF. Les Suisses devront donc se serrer la ceinture cette année.

L'imprimerie laissée pour compte

Mais nous ne sommes pas tous égaux face à la crise – et l'étendu de la récession dépendra aussi du secteur d'activité. Selon l'étude, les personnes interrogées dans les secteurs des services financiers, de l'informatique, de l'hébergement, de l'entreposage, des véhicules à moteur, de l'industrie du bois, de la construction mécanique et de la fabrication d'appareils de traitement des données – dont fait par ailleurs partie l'industrie horlogère – sont celles qui peuvent s'attendre à la plus forte croissance salariale. À savoir 2% en moyenne.

En revanche, le secteur l'imprimerie se situe tout en bas de l'échelle des augmentations salariales, avec une croissance attendue de seulement 0,5%. Dans le secteur de l'immobilier, ainsi que dans le secteur de la fabrication de biens – qui comprend la production de bijoux, d'instruments de musique, d'articles de sport, de jouets et d'appareils médicaux –, une majorité d'employés part même du principe que les salaires n'augmenteront pas tout court.

Daniel Lampart, économiste à la tête de l'Union syndicale suisse, estime que les augmentations salariales envisagées dans toutes les branches sont trop faibles: «Il faut absolument des augmentations générales de salaire, et ce dans une mesure qui compense au moins la perte de pouvoir d'achat des travailleurs».

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Les suppressions et l'automatisation menacent

L'Union patronale suisse reste sourde à une telle exigence: «Lorsqu'ils fixent des augmentations de salaire, les employeurs ne se basent pas en premier lieu sur le renchérissement, mais sur la marge de manœuvre financière dont disposent les entreprises», explique l'économiste du groupe, Simon Wey. Cette marge de manœuvre s'est plutôt réduite au cours des dernières semaines et des derniers mois. Les entreprises étant elles aussi confrontées à des prix plus élevés, notamment en ce qui concerne l'achat d'énergie et de matières premières.

A cela s'ajoute le fait que ces dernières ne peuvent pas répercuter facilement ces hausses de coûts sur les consommateurs. «Les entreprises opérant sur des marchés concurrentiels ont peu de marge de manœuvre pour fixer leurs prix. Les coûts supplémentaires limitent donc cette marge pour les augmentations de salaire», poursuit Simon Wey. Si les entreprises devaient faire face à des dépenses supplémentaires sous forme de salaires plus élevés, ceux-ci devraient alors être compensés d'une autre manière. L'économiste précise: «Dans le cas le plus extrême, il se pourrait alors qu'elles doivent, paradoxalement, réfléchir à des suppressions d'emplois et à des automatisations supplémentaires».

Le syndicaliste Daniel Lampart voit rouge face à un tel argumentaire. Selon lui, l'économie suisse a étonnamment bien surmonté le choc de la pandémie. Sleon lui, la plupart des entreprises suisses se porteraient plutôt bien, compte tendu de la situation: "La guerre en Ukraine et la forte hausse des prix des matières premières provoquent certes une certaine insécurité. Mais le carnet de commandes est excellent dans la plupart des branches. Il y aurait donc suffisamment de marge de manœuvre pour procéder à des ajustements salariaux adaptés à la situation actuelle».

«Pas de besoin de rattrapage pour les salaires réels»

L'évolution des recettes de l'impôt sur le bénéfice de la Confédération et des cantons donne raison à l'hypothèse de Daniel Lampart: l'indice montre que la plupart des entreprises suisses ont effectivement connu deux bonnes années

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En 2010, ces dernières s'élevaient encore à 13,5 milliards de francs. En 2020, première année de pandémie, elles ont atteint 18,2 milliards – soit une augmentation de 35%. Dans le même temps, le nombre d'employés en Suisse ayant généré ces bénéfices n'a augmenté que de 10%, passant de 3,6 à 4 millions d'équivalents temps plein.

L'Union patronale suisse n'est pas convaincue par ces chiffres. «Des recettes plus élevées de l'impôt sur les bénéfices ne permettent pas forcément de conclure que chaque entreprise a réalisé davantage de bénéfices, car le nombre d'entreprises a également augmenté durant la même période», rétorque Simon Wey. De plus, les salaires réels et la productivité auraient, selon lui, connu une hausse assez régulière au cours des dernières années. «Contrairement aux affirmations des syndicats, il n'y a donc pas de rattrapage à faire en matière de salaires».

Toutefois, une chose ne peut pas être contestée par l'Union patronale: en 2022, les Suisses subiront bel et bien des pertes au niveau des salaires. Mais l'économiste patronal estime que ce sera... supportable. «Après tout, nous avons aussi connu de nombreuses années de renchérissement négatif au cours de la dernière décennie – et les salaires n'ont alors pas été réduits, bien au contraire». Si l'on se fie à ces déclarations, rien ne sert d'espérer de grandes concessions de la part de votre employer, donc. En tout cas pas cette année. Le directeur du KOF, Jan-Egbert Sturm, se veut toutefois (modérément) rassurant: «En 2023, les salaires devraient à nouveau augmenter d'environ 1%, même corrigés de l'inflation».

(Adaptation par Daniella Gorbunova)

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