Academia.eduAcademia.edu
@ indig￉nismeL@capitalismeL@socialisme@Z@lGinvention@dGune ᆱ@quatri￈me@voie@ᄏ@_@le@cas@bolivien dゥ←ァッ@l。ョ、ゥカ。イL@￉ュゥャゥ・@r。ュゥャャゥ・ョ lGh。イュ。エエ。ョ@シ@ᆱ@lGhッュュ・@・エ@ャ。@ウッ」ゥ←エ←@ᄏ@ aイエゥ」ャ・@、ゥウーッョゥ「ャ・@・ョ@ャゥァョ・@¢@ャG。、イ・ウウ・@Z MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMM ィエエーZOOキキキN」。ゥイョNゥョヲッOイ・カオ・MャMィッュュ・M・エMャ。Mウッ」ゥ・エ・MRPPYMTMー。ァ・MYWNィエュ MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMM Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) pッオイ@」ゥエ・イ@」・エ@。イエゥ」ャ・@Z MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMM dゥ←ァッ@l。ョ、ゥカ。イL@￉ュゥャゥ・@r。ュゥャャゥ・ョL@ᆱ@iョ、ゥァ←ョゥウュ・L@」。ーゥエ。ャゥウュ・L@ウッ」ゥ。ャゥウュ・@Z@ャGゥョカ・ョエゥッョ 、Gオョ・@ᆱ@アオ。エイゥ│ュ・@カッゥ・@ᄏ@_@l・@」。ウ@「ッャゥカゥ・ョ@@ᄏL@lGhッュュ・@・エ@ャ。@ウッ」ゥ←エ←@RPPYOT@Hョᄚ@QWTIL ーN@YWMQQXN doi@QPNSYQWOャィウNQWTNPPYW MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMM @ dゥウエイゥ「オエゥッョ@←ャ・」エイッョゥアオ・@c。ゥイョNゥョヲッ@ーッオイ@lGh。イュ。エエ。ョN ᄅ@lGh。イュ。エエ。ョN@tッオウ@、イッゥエウ@イ←ウ・イカ←ウ@ーッオイ@エッオウ@ー。ケウN l。@イ・ーイッ、オ」エゥッョ@ッオ@イ・ーイ←ウ・ョエ。エゥッョ@、・@」・エ@。イエゥ」ャ・L@ョッエ。ュュ・ョエ@ー。イ@ーィッエッ」ッーゥ・L@ョG・ウエ@。オエッイゥウ←・@アオ・@、。ョウ@ャ・ウ ャゥュゥエ・ウ@、・ウ@」ッョ、ゥエゥッョウ@ァ←ョ←イ。ャ・ウ@、Gオエゥャゥウ。エゥッョ@、オ@ウゥエ・@ッオL@ャ・@」。ウ@←」ィ←。ョエL@、・ウ@」ッョ、ゥエゥッョウ@ァ←ョ←イ。ャ・ウ@、・@ャ。 ャゥ」・ョ」・@ウッオウ」イゥエ・@ー。イ@カッエイ・@←エ。「ャゥウウ・ュ・ョエN@tッオエ・@。オエイ・@イ・ーイッ、オ」エゥッョ@ッオ@イ・ーイ←ウ・ョエ。エゥッョL@・ョ@エッオエ@ッオ@ー。イエゥ・L ウッオウ@アオ・ャアオ・@ヲッイュ・@・エ@、・@アオ・ャアオ・@ュ。ョゥ│イ・@アオ・@」・@ウッゥエL@・ウエ@ゥョエ・イ、ゥエ・@ウ。オヲ@。」」ッイ、@ーイ←。ャ。「ャ・@・エ@←」イゥエ@、・ ャG←、ゥエ・オイL@・ョ@、・ィッイウ@、・ウ@」。ウ@ーイ←カオウ@ー。イ@ャ。@ャ←ァゥウャ。エゥッョ@・ョ@カゥァオ・オイ@・ョ@fイ。ョ」・N@iャ@・ウエ@ーイ←」ゥウ←@アオ・@ウッョ@ウエッ」ォ。ァ・ 、。ョウ@オョ・@「。ウ・@、・@、ッョョ←・ウ@・ウエ@←ァ。ャ・ュ・ョエ@ゥョエ・イ、ゥエN Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan RPPYOT@ョᄚ@QWT@シ@ー。ァ・ウ@YW@¢@QQX @ issn@PPQXMTSPV isbn@YWXRRYVQQSSTS Indigénisme, capitalisme, socialisme : l’invention d’une « quatrième voie » ? Le cas bolivien Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan L’Amérique du Sud, de la région andine, connaît depuis quelques années, des bouleversements politiques importants qui cherchent à remettre en cause le modèle de développement et de civilisation « occidentaux » sur deux axes. Le premier axe peut être défini comme une critique envers le régime économique libéral emprunté par ces différents pays depuis le milieu des années quatre-vingt. Le deuxième axe, qui engage beaucoup plus la Bolivie et l’Équateur, réside dans une remise en cause profonde des structures historiques républicaines et de leurs dimensions assimilationnistes voire « colonialistes ». Ainsi, dans le cas de la Bolivie, les modèles politiques (démocratie occidentale) et économiques (protectionnisme nationaliste, libéralisme) sont accusés d’avoir écarté, depuis les fondements de la République, la plus grande partie de la population bolivienne notamment la population indigène. La victoire du Mouvement vers le Socialisme (Movimento Al Socialismo, MAS) en décembre 2005 (avec l’élection d’Evo Morales qui remporte 54 % des suffrages au premier tour) représente un véritable tournant dans la vie politique bolivienne. On s’intéressera dans cet article à l’étude du cas bolivien, qui représente le mieux la mutation d’un régime économique et politique en Amérique latine. En effet, l’objectif du gouvernement bolivien est d’inventer un modèle économique et politique sur des bases culturelles et historiques propres. Il s’agit donc pour le gouvernement bolivien de démontrer que l’avenir des nations, dans l’époque postcommuniste, n’est pas dans la convergence inéluctable vers un modèle social-démocrate, où la régulation se fait par le marché et les corrections se font par un État plus ou moins L’homme et la société, no 174, septembre 2009 - décembre 2009 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN 98 Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN faible. Le projet du gouvernement bolivien est de créer une sorte de « quatrième voie » indépendante, qui n’est pas basée sur les conceptions occidentales de l’économie et de la démocratie. Cette quatrième voie serait celle du fondement historique, de la justification culturelle, d’un régime économique et politique, tout en s’ouvrant à la diversité des cultures et populations nationales. L’objectif de cet article est de montrer l’originalité, la pertinence ainsi que la vulnérabilité du modèle politique et économique proposé en Bolivie. La première partie traitera des origines de l’articulation idéologique opérée par le MAS à travers un rapide détour historique. La deuxième partie analysera le modèle politique et économique mis en place en Bolivie depuis janvier 2006. La troisième partie abordera la question de la pertinence du modèle bolivien, de sa vulnérabilité et les risques inhérents à son développement. Il s’agira de comprendre les contradictions internes du modèle bolivien et la difficulté à se définir en dehors des structures économiques « classiques » de type capitaliste ou socialiste. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le projet massiste repose sur une idéologie complexe, résultant de l’articulation de différentes traditions politiques, principalement marxiste, nationaliste-révolutionnaire et indianiste. Pour bien comprendre cette complexité qui donne toute son originalité au processus en cours en Bolivie, on fera un rapide détour historique afin de comprendre l’origine des synthèses idéologiques qu’opère le MAS. Ainsi, on verra comment une identité collective basée sur l’indianité, s’est peu à peu substituée à une identité de classe, paysanne, héritée de la révolution de 1952. Cet essor politique de l’indianisme s’est ensuite renforcé dans les années 1990 avec la mise en œuvre de politiques multiculturelles qui ont favorisé les revendications basées sur des critères ethniques plutôt que socioéconomiques. Enfin, dans les années 2000, c’est par les mouvements sociaux et cocaleros 1 que l’articulation des deux identités (indienne et de classe) s’est faite, ce qui a permis l’affirmation d’un mouvement hétérogène porté par le MAS. D’Indiens à paysans Le projet national qui se construit avec la fondation de la République bolivienne en 1825 prend en compte les populations indiennes sous l’an1. Paysans producteurs de la feuille de coca. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Les origines d’une articulation idéologique : détour historique Le cas bolivien 99 Le Katarisme Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Un mouvement de jeunes Aymaras issus de la paysannerie, produits de cette révolution de 1952 (maîtrisant l’espagnol, ayant fait des études, parfois universitaires, urbanisés mais maintenant des liens avec leurs communautés paysannes d’origine) va se développer peu à peu à la fin des années1960 pour protester contre l’oppression culturelle dont ils restent victimes malgré les avancées socioéconomiques, et construire une résistance : le Katarisme, qui prendra tout d’abord une forme culturelle. Le recours à la figure de Tupac Katari (héros aymara qui conduisit une révolte contre 2. Yvon LE BOT, « Violence de la modernité en Amérique latine », Paris, Éd. Karthala, 1994. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan gle de leur « libération culturelle » afin de les intégrer à une nation idéalement métisse et moderne, débarrassée de ses vestiges traditionnels. Ce projet sera mis en place par le biais de politiques indigénistes, éducatives notamment, ainsi que par celui de la conscription obligatoire. L’héritage colonial persistera cependant avec l’exploitation économique et la domination sociale et culturelle des Indiens, qui, bien que Boliviens, ne seront citoyens qu’en 1952. Toutefois, à partir de 1932, le renouveau idéologique qui accompagne la prise du pouvoir par de nouveaux dirigeants va modifier peu à peu le statut de l’Indien et en faire un paysan : la syndicalisation obligatoire, la création d’un ministère du Travail, ainsi que l’adoption d’un code du travail vont préparer une période de construction de mouvements syndicaux ouvriers, miniers et paysans. La révolution nationale de 1952 modifiera en profondeur la place des Indiens/paysans en instaurant le suffrage universel, en mettant en place la réforme agraire, et en créant un ministère des Affaires paysannes qui permettra aux paysans de s’organiser rapidement en syndicats. La paysannerie va ainsi devenir un pilier de l’État nationaliste via un syndicalisme officiel, qui canalise ce secteur et fait du syndicat l’élément-clé de l’articulation des communautés indiennes à la Nation. En satisfaisant la principale revendication des paysans, celle de la terre, le nouveau pouvoir fige et « domestique » 2 ces secteurs paysans en en faisant la base de son pouvoir. Sur le plan culturel, le pouvoir en place va mettre en œuvre des politiques indigénistes dans le but de moderniser le pays en construisant une culture métisse homogène, en intégrant des éléments culturels des populations indiennes, le but étant de gommer leurs différences culturelles en les intégrant à la nation par la langue, notamment via des programmes d’alphabétisation en espagnol. 100 Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN les Espagnols en 1781) illustre leur volonté de restaurer/(re)fonder une identité indienne malmenée qui aurait résisté au colonialisme espagnol 3 ; leurs revendications culturelles resteront étroitement liées à des positions classistes dénotant l’héritage de 1952. Ce mouvement prendra toute son importance pendant les périodes de répression et bien que politiquement divisé et faible, son influence syndicale sera très grande. Le Katarisme, peut être en partie lu comme le produit des politiques issues de 1952, politiques d’ouverture, d’éducation, de modernisation paysanne et en même temps de blocage de la dimension culturelle et ethnique au profit d’une culture métisse construite. L’idéologie de ce mouvement indianiste de (re)construction d’une identité indienne collective, reliée à une rhétorique classiste, bénéficiera d’une large écoute et constitue un des fondements idéologiques du gouvernement actuel (son vice-président, Garcia Linera, ancien dirigeant de l’Ejercito Guerillero Tupac Katari, étant un des symboles de cette filiation). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Les années 1980 et 1990 vont être marquées par la mise en place de politiques libérales alliées à des politiques multiculturelles, ces dernières visant une reconnaissance culturelle des populations indiennes. Ces politiques de reconnaissance sont liées à un contexte international favorable à ce type d’orientation. La chute du communisme va faire ainsi quelque peu tomber en désuétude les revendications de type classiste et offrir la possibilité de les réinterpréter sous une forme culturelle/ethnique. Ce changement politique va avoir des répercussions idéologiques importantes en favorisant une réorientation des revendications à travers le monde. Le soutien de l’ONU à partir de l’adoption de la Convention 169, en 1989, sur les peuples indigènes et tribaux, va favoriser l’instauration d’un climat international propice aux revendications des droits indigènes. La pression des organisations non gouvernementales, leur présence croissante et massive sur les territoires indigènes en Amérique latine représente aussi un facteur externe essentiel dans les mobilisations à caractère ethnique, dans la structuration d’un discours autour de l’identité indienne 4. 3. Fausto REINAGA, Manifiesto del Partido Indio de Bolivia, La Paz, Éditions PIB, 1970. 4. Jean-Pierre LAVAUD et Françoise LESTAGE, « Contar a los indigenas : Bolivia, México, Estados Unidos », T’inkazos, Revista Boliviana de Ciencias Sociales, n° 13, octubre 2002. Version française in L’année sociologique, n° 55, 2, 2005. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Politiques multiculturelles Le cas bolivien 101 Ce contexte international a ainsi favorisé la mise en place de politiques multiculturelles, politiques qui ont permis et encouragé le déplacement identitaire de populations « paysannes » vers une identité indigène, via des changements constitutionnels et législatifs. Le nouvel ordre juridique bolivien des années 1990 issu de ces politiques, reconnaît des droits spécifiques aux Indiens dans les domaines de l’éducation, l’administration, et surtout le territoire (Loi INRA). Ainsi, des revendications anciennes, en particulier territoriales, de paysans, trouvent un écho auprès du gouvernement à la faveur de ce nouveau contexte et grâce à une identification en tant qu’Indiens 5. Ce phénomène de déplacement identitaire issu d’un nouveau contexte international et national, a préparé le retour des thèses indianistes en augmentant le nombre des populations se définissant comme indigènes et en popularisant ces thèmes. Par ailleurs, la décentralisation de 1994 a permis aux populations indigènes d’accéder à une meilleure représentation politique, ce qui va renforcer la présence indigène dans les prises de décision. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Ces changements s’accompagnent en Bolivie d’une lutte contre le narcotrafic, impulsée par les États-Unis. Cet élément va avoir pour conséquence une consolidation de l’identité indienne en tant que symbole, et élément fédérateur au sein des mobilisations qui vont se multiplier et se radicaliser à partir de l’an 2000. La convergence de différents secteurs sociaux vers un discours anti-impérialiste et anti-libéral réactive la thèse d’un colonialisme interne et alimente une refondation idéologique basée sur des critères ethniques et culturels. Le mouvement des cultivateurs de coca, les cocaleros, a joué un rôle central dans la consolidation et/ou la construction d’une identité collective basée sur l’indianité. Ces colons sont, pour beaucoup, issus de la minerie des régions altiplaniques, d’où ils ont dû émigrer dans les années 1980 (à la suite principalement du démantèlement des mines) pour se reconvertir en cultivateurs de coca. Ils se sont très vite organisés en syndicats, en intégrant, recyclant, leur héritage syndical ouvrier/minier. Le contexte parallèle de stigmatisation croissante de ces paysans dans le cadre des luttes anti-narcotrafic initiées dès les années 1960 va s’accélérer avec les différents plans d’éradication de la coca au cours des an5. Enrique HERRERA, « Droits territoriaux indigènes en Amazonie bolivienne et création de la “ tacanitude ” », in « Désillusions des politiques multiculturelles », L’ordinaire latino-américain, n° 204, 2006, IPEALT. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Mouvements cocaleros et mouvements sociaux : le temps de la synthèse identitaire Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan nées 1980 et 1990. Ces éléments vont favoriser la construction d’un discours politique et identitaire autour des notions de souveraineté, dignité nationale et respect des cultures ancestrales. En effet, ces politiques d’éradication de la coca, impulsées par les différents gouvernements nordaméricains vont créer un climat anti-impérialiste très marqué qui rejoindra par la suite les thèmes fédérateurs du colonialisme interne et du pillage des ressources naturelles. La feuille de coca, « feuille sacrée », va devenir le symbole de cette lutte pour la souveraineté nationale. L’articulation de ce discours avec celui des populations indigènes de l’orient bolivien, illustré par exemple par la « Marche pour la vie, la coca et la souveraineté » en 1994 qui réunit ces différents secteurs, montre la collaboration réussie entre les mouvements paysans cocaleros et les mouvements indigènes grâce à la construction d’une identité paysanne indigène, fière de sa culture, et prête à la défendre contre le colonialisme interne et l’impérialisme nord-américain. On voit ici l’importance du mouvement cocalero qui va élaborer une identité ethnico-culturelle grâce à l’articulation de sa tradition syndicale révolutionnaire, avec la mise en place d’un discours culturaliste. L’irruption de mouvements sociaux protestant contre les effets des politiques libérales menées en Bolivie depuis 1985 (Loi 21060) va accélérer, dans les années 2000, la consolidation d’une identité collective indigène, en tant que base de revendications socioéconomiques. Le cycle des protestations populaires s’accélère à la fin des années 1990, et « la guerre de l’eau » à Cochabamba en 2000 et celle du gaz en 2003 vont confirmer le mouvement, initié par les mouvements cocaleros, de revendications socioéconomiques et de respect de la souveraineté nationale (revendications antilibérales). La « guerre du gaz » d’octobre 2003 semble être un des événements centraux dans ce phénomène de consolidation de l’opposition populaire via la synthèse entre une identité indienne et une identité de classe. Ainsi, la volonté du gouvernement d’exporter du gaz en Amérique du Nord par le Chili (pays avec lequel la Bolivie n’entretient plus de relations diplomatiques depuis la guerre qui les opposa) renforce à cette période le mécontentement populaire, et si, au début, ce mécontentement est lié à un très vif sentiment anti-chilien, il se transforme vite en un mouvement d’opposition au libéralisme. Pendant les mois de septembre et octobre 2003, les mobilisations populaires, massives et violentes, bloquent La Paz ; le gouvernement enverra l’armée pour casser les barrages. Le bilan sera très lourd. Ces événements vont marquer durablement la population bolivienne et cristalliser les revendications de nombreux secteurs populaires autour du thème du pillage historique des ressources naturelles et Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan 102 Le cas bolivien 103 de la nécessaire nationalisation de celles-ci. Ces événements ainsi que les nombreux blocages de routes sur l’altiplano dans cette même période vont accélérer la consolidation de l’opposition, celle-ci ayant pour leader Evo Morales, alors représentant des secteurs cocaleros. La jonction entre les différents discours (anti-libéralisme, nationalisation des ressources naturelles, souveraineté nationale, etc.) se fera entre autres par le recours au discours indianiste, qui synthétise les différents thèmes. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Avant d’exposer les composantes concrètes du modèle politique et économique bolivien, il convient de s’interroger sur leur articulation. Le détour historique montre bien la complexité de cette construction politique qui s’est nourrie de différentes traditions (nationaliste, socialiste, indgéniste, etc.), et de différents mouvements sociaux et culturels. Cependant, une cohérence gobale peut être trouvée, qui rend l’articulation entre les modèles politiques et économiques plus visible. La prise en compte d’une hétérogéneité double est le fondement du modèle bolivien : la reconnaissance d’une hétérogéneité culturelle fait écho à la reconnaissance d’une hétérogénéité des formes productives. Le constat d’une Bolivie plurielle (multiculturelle et plurinationale), symbolisée par la diversité des groupes indigènes (aymara, quechua, guarani, etc.), mais étendue à une prise en compte des classes populaires indiennes comme des classes moyennes, sous-tend toute la logique du modèle. De la même façon, la reconnaissance et la prise en compte de la réalité économique bolivienne reprend cette vision d’une hétérogénéité qui peut être considérée comme un atout. L’hétérogéneité de formes productives, à la fois traditionnelles et modernes, informelles et formelles, rurales et urbaines, paysannes et micro-entrepreneuriales, est une réalité qu’il convient de respecter et promouvoir. Si l’on peut qualifier le changement social bolivien comme une émergence (ou tentative d’émergence) d’un nouveau modèle politique et économique, alors c’est dans cette prise en compte d’une réalité économique et culturelle hétérogène qu’il s’enracine et par lequel il se définit. Nous exposerons à présent les traits significatifs du modèle politique puis économique. Quel modèle politique ? Pour introduire notre propos, nous nous attarderons sur la composition et « l’idéologie » du MAS, éléments intrinsèquement liés qui nous donneront le cadre politique de l’action gouvernementale. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Un modèle bolivien ? 104 Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN Le MAS est constitué de différents mouvements sociaux et syndicats, issus ou liés à des mémoires et traditions différentes. Indianisme, socialisme et nationalisme sont ainsi articulés de façon complexe. Cependant, la dimension indianiste paraît être au centre, si ce n’est de l’idéologie massiste, du moins de sa rhétorique. Ainsi, l’idée de la légitimité d’un accès au pouvoir des peuples indigènes, peuples « originaires » (originarios) historiquement « écartés », « exploités » par un état colonial, est fréquemment utilisée. Cette position est très présente dans le discours du MAS et d’Evo Morales 6. Elle est, entre autres, à la base de la volonté de fonder un État plurinational et multiculturel qui respecte la diversité des cultures et des « nations » indiennes dans le cadre d’un État unitaire. Pour présenter cette originalité du modèle politique, nous nous baserons sur l’étude du Plan national de développement 7 (principalement le programme de décentralisation et de nouvelle territorialisation) ainsi que sur celle du processus constitutionnel, qui sont pour nous des éléments très caractéristiques du modèle politique en construction. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Tout d’abord, le programme « Bolivia Democratica », exposé dans le Plan national de développement, vise à réaliser un nouveau découpage décentralisé du territoire bolivien. Il est planifié sur la base de plusieurs facteurs dont le principal est l’appartenance des populations à une identité indigène particulière. Ce découpage prend en considération l’existence de plus de 60 ethnies recensées. Ce facteur est ensuite pondéré par des limites géographiques afin de réaliser un découpage cohérent avec l’actuel système municipal. Par ailleurs, ce programme vise à privilégier le plus rapidement possible les « Mancomunidades » ou communautés de municipalités sur la base d’une appartenance à un même peuple indigène (ici aussi un peuple indigène particulier est entendu comme une ethnie). Pour cela il propose la création des « Entités indigènes territoriales » qui constitueraient un statut administratif à part entière et qui pourraient se substituer, selon les situations particulières et les demandes locales des populations, à l’actuel découpage municipal. Enfin, toute ethnie, peuple indigène ou fédération 6. Cf. notamment les discours d’investiture du président à Tiwanaku (21 janvier 2006) et à La Paz (22 janvier 2006). 7. Le Plan national de développement (PND, 2006) vise à définir les orientations générales des politiques qui seront mises en œuvre pour les cinq prochaines années. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le programme de décentralisation et territorialisation Le cas bolivien 105 d’ethnies pourra faire une demande auprès de l’État pour créer une nouvelle entité territoriale conforme à son histoire 8. Le Plan de décentralisation prévoit la construction d’une « démocratie participative basée sur les organisations communautaires, qui est le modèle le plus proche de la démocratie délibérative 9 ». La démocratie sera une démocratie sociale qui synthétisera les points forts de la démocratie représentative et de la démocratie participative. De cette manière, le gouvernement pense arriver « à construire un État multinational et communautaire avec des mécanismes autodisciplinaires internes inhérents au pouvoir et à la présence des peuples indigènes et des mouvements sociaux actuels 10 ». De plus, les communautés de municipalités ou les futures « entités indigènes territoriales » composeront à un niveau plus régional « le pouvoir social territorial » qui sera la structure administrative chargée de synthétiser les demandes locales et le « contre-pouvoir actif des décisions de l’État et des départements 11 ». Ce programme est un axe essentiel de la définition de ce nouveau modèle politique, qui serait alors basé sur les structures sociales propres aux caractéristiques culturelles et historiques de la Bolivie. La structure communautaire, associative, à caractère paysan ou autochtone, serait alors considérée comme sujet politique à part entière 12. Nous tenterons de discuter de la pertinence de ce modèle politique ultérieurement. La présentation rapide du modèle politique bolivien peut être complétée par l’analyse du processus constitutionnel. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan L’appel à une Assemblée constituante a été une des revendications majeures des mouvements sociaux à partir des années 2000. Cette demande a été reprise dans le programme du MAS et initiée par l’élection des constituants en juillet 2006. Le processus constitutionnel s’est clos le 24 novembre 2007 avec le vote par les constituants présents du projet de texte de la nouvelle Constitution. Après de nombreuses tensions, cette dernière 8. Ministerio de Planificacion del Desarrollo, Plan de Desarrollo Nacional, 2006 (version CD Rom disponible sur le site www.ine.bo.com). 9. Ibidem. 10. Ibid. 11. Ibid. 12. Nous pouvons constater la cohérence fondamentale de ce programme avec la composition organique du MAS basée sur les mouvements sociaux comme sujets politiques de premier plan, ces sujets politiques étant intrinsèquement liés aux références indianistes, communautaristes, paysannes ou autochtones. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan L’Assemblée constituante 106 Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN Le projet de texte constitutionnel Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le texte du projet de nouvelle Constitution a été voté le 24 novembre 2007 par les constituants présents. Les premiers articles du texte, sous le titre « Bases fondamentales de l’État », notamment les articles 2 et 5, reconnaissent de façon particulière les « nations et peuples indigènes origi13. Les organisations associées au sein de cette coalition sont : El Consejo Nacional de Ayllus y Markas del Qullasuyu (CONAMAQ), La Confederación de Pueblos Indígenas de Bolivia (CIDOB), La Confederación Sindical de Colonizadores de Bolivia (CSCB), La Confederación Sindical Única de Trabajadores Campesinos de Bolivia (CSUTCB), La Federación Nacional de Mujeres Campesinas, Indígenas Originarias Bartolina Sisa, El Movimiento Cultural Afrodescendiente, La Asociación Nacional de Regantes y Sistemas Comunitarios de Agua Potable, La Coordinadora de Pueblos Étnicos de Santa Cruz . Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan sera finalement approuvée par référendum en janvier 2008 (62 % de votes favorables). Le fonctionnement de l’Assemblée constituante a été le suivant. La volonté première du MAS était de créer une Assemblée constituante des mouvements sociaux, c’est-à-dire avec des constituants, représentants de chaque mouvement social. Jugeant ce principe trop complexe à mettre en œuvre, le Parlement bolivien a décidé, en juin 2006, d’appeler à des élections de constituants sur la base des partis politiques. Cependant, les mouvements sociaux ont joué un grand rôle dans le fonctionnement de l’Assemblée constituante. En effet, les constituants ont décidé des thèmes majeurs de discussion en vue de la rédaction de la nouvelle Constitution. À chaque thème a été associée une commission qui a recensé les différentes propositions émanant des mouvements sociaux, civiques, paysans, indigènes. Ceux-ci ont ainsi eut un rôle consultatif, sur chaque thème, par le biais de leurs propositions (propositions du CONAMAQ, ou encore du Comité civique de Santa Cruz, par exemple sur le thème Vision Pais). On peut ainsi voir l’importance que vont revêtir les mouvements sociaux dans ce nouveau modèle politique. Nous donnerons ici l’exemple du rôle qu’a joué le Pacte d’Unité (coalition de plusieurs mouvements sociaux de défense de peuples indigènes et mouvements paysans) dans l’écriture du texte constitutionnel. Cette coalition 13 a proposé un « État unitaire plurinational communautaire » fondé sur la reconnaissance des nations et peuples autochtones et afro-descendants (octroi du statut de nation, autogouvernement sur leurs territoires, pluralisme juridique, culturel, linguistique…). Cette proposition a été largement reprise dans le texte final comme nous allons le voir à présent. Le cas bolivien 107 « Toute collectivité humaine qui partage une identité culturelle, langue, tradition historique, institutions, territorialité et cosmovision dont l’existence est antérieure à la colonie espagnole. » Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Ces ensembles ainsi définis jouissent de différents droits territoriaux, politiques, juridiques, culturels, religieux établis dans cette partie. On ne doit cependant pas négliger le fait que dans ce modèle politique, le cadre reste celui d’un État unitaire, qui tire principalement sa force de son rôle économique comme on le verra par la suite. La coca, un des nouveaux symboles de l’unité La définition d’une nouvelle conception du territoire, comme nous venons de le voir, est un des axes majeurs de la politique du gouvernement Morales. Mais ce remodelage territorial peut être contradictoire avec une vision unitaire du pays. Dès lors, le gouvernement bolivien s’emploie à construire une nouvelle culture nationale, faite de références à divers mou- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan naires et paysans » selon la formule utilisée tout au long du texte, et leur garantit, dans le cadre de l’État, leur droit à l’autonomie, à l’auto-gouvernance, à leur culture et à la reconnaissance et consolidation de leurs institutions et entités territoriales, conformément à la Constitution. L’article 2 est précédé de la mention « Étant donné l’existence précoloniale de nations et peuples indigènes originaires paysans et leur propriété ancestrale sur leurs territoires ». L’article 5 reconnaît comme langues officielles l’espagnol et toutes les langues des nations et peuples indigènes originaires paysans, en les citant, et garantit l’utilisation d’au moins une langue en plus de l’espagnol par l’État. L’article 26 (2.4) énonce que le droit à la participation (politique) inclut : le choix direct des représentants des nations et peuples indigènes originaires paysans, en accord avec leurs normes et procédés propres. Ces quelques exemples choisis dans la première partie sont déjà très significatifs de l’esprit du texte dans son ensemble : la reconnaissance particulière des peuples indigènes, reconnaissance culturelle, politique, territoriale, est capitale tout au long du texte. Leur reconnaissance en tant que « nation » respecte la volonté du nouveau gouvernement de fonder un État « plurinational et multiculturel », ce qui implique l’autodétermination de ces « nations ». Le quatrième chapitre du texte constitutionnel traite directement des « Droits des nations et peuples indigènes originaires paysans ». Son premier article, l’article 30, définissant cette notion de « nation et peuple indigène… » en tant que : 108 Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN vements et traditions politiques, où l’indigénisme reste une clé réthorique centrale. La coca s’est ainsi convertie en symbole d’unité nationale, principalement dans la sphère internationale. La feuille qui fédérait de nombreux mouvements sociaux en tant que symbole anticolonialiste et antiimpérialiste comme nous l’avons vu, est devenue un instrument politique précieux que Evo Morales va faire valoir non plus à l’intérieur du pays, mais à un niveau international. Celle-ci va ainsi symboliser une revendication nationale pour la reconnaissance d’une certaine dignité à un niveau international. Cette idée se concrétisera par les références systématiques faites à la feuille de coca dans les discours de Evo Morales devant les instances internationales (Parlement européen en 2007, ONU en 2007 et en 2009, etc.) lorsqu’il réclame que l’on retire cette plante de la liste des stupéfiants déclarée par l’ONU en 1961. Mais, au delà des symboles politiques, le modèle bolivien se fonde sur des principes économiques qui méritent notre attention. Quel modèle économique ? Les principes du capitalisme andin-amazonien La définition du concept de capitalisme andin-amazonien est donnée par celui qui l’a théorisé, Alvaro Garcia Linera : Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan L’idée essentielle sous-jacente au concept de capitalisme andin, réside dans l’affirmation et la reconnaissance d’une hétérogénéité du système productif. Les grandes entreprises qui créent l’excédent économique (minerie, hydrocarbures) se juxtaposent au très grand nombre de micro-entreprises et entreprises communautaires ou associatives. Les excédents ainsi créés, sont utilisés pour promouvoir et financer l’activité des microentreprises mais surtout des organisations économiques communautaires, paysannes et/ou indigènes (OECAs). Le Plan de développement économique Le programme économique stipule qu’au découpage classique entre secteur public et secteur privé s’ajoutera un troisième secteur : le secteur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan « Il s’agit d’un régime capitaliste au sein duquel les potentialités familiales, indigènes, paysannes, sont équilibrées et articulées autour d’un projet de développement national et de modernisation productive. » 109 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan communautaire. Celui-ci sera composé d’unités de production indigènes ou paysannes et sera une priorité du Plan national de développement 14. Plusieurs mesures concrètes sont avancées par le Plan économique de développement. Une des mesures phare présentées dans ce plan est la création d’une Banque nationale de développement. Cette banque est chargée de redistribuer une partie de l’excédent économique réalisé par les grandes entreprises nationales/nationalisées, via le soutien des petites unités de production et des entreprises communautaires. Ainsi, être originaire d’une communauté ou municipalité « indigène », ou faire partie d’une entreprise de type communautaire sont des éléments qui déterminent l’accès aux services de cette Banque au même niveau que les capacités de remboursement ou la nature de l’activité économique. Cette Banque nationale de développement a initié un programme de crédit sur la base de « prêts à des entreprises communautaires rurales » en partenariat avec les Instituts de micro-finance (Linea Credito Sindicado, NAFIBO, 2007). Ce programme vise à promouvoir les unités productives qui travaillent en communautés, notamment dans les régions où la population indigène est importante. Il y a donc un encouragement à se présenter au gouvernement comme personne morale à caractère « indianiste » et représentant une ethnie particulière. À profil de remboursement et à profil d’activité économique égal, un entrepreneur issu d’une communauté indigène aura plus de probabilités d’être éligible à un programme de crédit. Ainsi, par exemple, en mai 2006, la Banque de développement du Venezuela a fait une donation au gouvernement bolivien de 100 millions de dollars afin de financer les petits producteurs. Les premières opérations financières sur la base de cette somme ont été entreprises par la Banque nationale de développement en direction de producteurs de soja organisés en « communauté paysanne indigène » dans une petite municipalité du département de Santa Cruz. Cette décision fortement symbolique illustre bien l’orientation du programme économique massiste, basée sur le concept de « capitalisme andin ». Après 6 mois d’activité du « Banco de Desarrollo Productivo », le montant des crédits distribués avoisine les 40 millions de dollars. 58 % des crédits ont été attribués à des associations de producteurs, sociétés coopératives et entreprises communautaires majoritairement dans le secteur de l’alimentation (83 % du nombre de crédits), du textile (7 %) et de 14. Le secteur privé traditionnel ne l’est pas en tant que tel. Ministerio de Planificacion del Desarrollo, Plan de Desarrollo Nacional, op. cit., chapitre 5. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le cas bolivien 110 Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN l’artisanat (6 %). Parallèlement, 42 % du montant total des crédits ont été distribués à des micro, petites et moyennes entreprises, sous la forme de prêts individuels. Les secteurs privilégiés sont l’alimentation (60 % du nombre de crédits), le textile (19 %) et le bois (9 %). Enfin, la mise en œuvre du Plan national de développement économique vise à mettre en pratique le concept de capitalisme andin-amazonien à travers la création d’entreprises mixtes « publiques et communautaires ». Ce projet, lancé en janvier 2008, s’est concrétisé par la création d’entreprises d’industrialisation dans les secteurs de la quinoa, des jus de fruits, de l’amande, du cuir et du papier. Ces ensembles visent à créer plus d’excédents à l’intérieur du pays, à travers la transformation de matières premières en produits à plus forte valeur ajoutée. Ceux-ci seront financés par du capital public (issu du Budget national) mais composés d’association de petits producteurs assurant à la fois l’approvisionnement et la transformation des matières premières. Pertinence et vulnérabilité du modèle bolivien La pertinence du modèle économique mis en place par le gouvernement bolivien est observable à travers différents éléments. Le premier élément repose sur l’idée de l’hétérogénéité du système productif. En effet, une très large majorité des entreprises boliviennes sont des micro ou petites entreprises 15. Selon des estimations diverses, en Bolivie, il y aurait entre 500 000 16 et 700 000 entreprises (estimation de la Banque mondiale). Cependant, les études convergent sur les proportions de chaque type d’entreprise. Ainsi, pour reprendre une récente étude réalisée par la Banque interaméricaine de développement sur la situation de micro et petites entreprises 17, environ 99,6 % des entreprises sont des micro-entreprises, 0,35 % des petites entreprises et 0,05 % des grandes entreprises. En outre, près de 80 % de la population active bolivienne travaille dans une entreDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan 15. Servicio de asistencia tecni-S.A.T., Estadisticas de las MyPes bolivianas, Ediciones S.A.T., La Paz, 2005. 16. Hernando LARRAZABAL, Micro y pequena empresa urbana y periurbana en Bolivia, Ministerio de Trabajo, La Paz, 2002. 17. J. RAMIREZ et D. BORDA, Boliiva : situacion y perspectiva de las MPYMES y su contribucion a la economia, Serie de notas de referencia, BID, 2006. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le modèle économique 111 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan prise de moins de 10 salariés 18. Cependant, ce secteur ne contribue que pour 19,6 % du PIB 19. Ces données descriptives montrent bien la dualité du secteur productif bolivien caractérisé par un tissu très large et atomisé de micro-entreprises peu excédentaire et un secteur moderne industriel et commercial créateur de richesse. La pertinence du modèle économique proposé par le gouvernement actuel repose donc sur un solide diagnostic de l’hétérogénéité productive et a le mérite de proposer une politique cherchant à articuler ces deux pôles. La place de l’État comme articulateur de ces deux secteurs est un positionnement qui prend le contre-pied des politiques économiques mises en place en Bolivie depuis vingt ans, basées sur la privatisation, la dérégulation, le soutien aux micro-entreprises étant réservé au secteur de l’économie sociale (ONG, Instituts de micro-crédit, etc.). Le deuxième élément repose sur une idée plus qualitative que quantitative. Il existe très peu de données sur le nombre d’entreprises communautaires et de communautés indigènes ou paysannes rurales en Bolivie. Cependant, nous pouvons dire que le succès de la micro-finance par le biais des prêts groupés ainsi que la promotion de ce type d’activité par des organismes de financement du développement (Fundapro, FinRural, ONGs, Organismes de commerce équitable, etc.) dans certains secteurs (cacao, quinoa, soja, artisanat) montrent que la taille de ce secteur n’est pas négligeable et est en plein essor. D’abord, nous pouvons avancer l’idée que ce secteur économique communautaire (au sens de communauté ou association de producteurs) est un secteur qui dispose d’une qualité distributive importante, c’est-à-dire que la distribution des revenus engendrés par l’activité productive sera réalisée de facto selon des principes d’équité et de solidarité dynamiquement réciproques. Même si aucune étude empirique n’a été solidement menée à ce sujet, quelques études monographiques ont été réalisées montrant les forces de ces entreprises communautaires (cf. à ce sujet le succès de Conservacion Forestal, El Ceibo, etc.). Selon le Plan national de développement, 3 000 entreprises communautaires seront créées et soutenues par l’État, d’ici 2010, correspondant à 60 000 emplois 20. Ce soutien des entreprises communautaires semble être également un positionnement intéressant en termes de commerce interna18. Hernando LARRAZABAL, Micro y pequena empresa urbana y periurbana en Bolivia, op. cit. 19. Dionisio BORDA et Julio RAMIREZ, Bolivia : situacion y perspectiva de las MPYMES y su contribucion a la economia, op. cit. 20. Ministerio de Planificacion del Desarrollo, Plan de Desarrollo Nacional, op. cit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le cas bolivien Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan tional. En effet, ces entreprises communautaires sont souvent liées à des projets de commerce équitable (cas du cacao et de l’artisanat) et d’agriculture biologique (quinoa, soja, fruits secs) correspondant donc à une réponse positive à la demande des pays industrialisés de ces produits. La vulnérabilité du modèle économique en Bolivie semble reposer en partie sur une vulnérabilité conceptuelle que nous allons analyser ici. Le concept de capitalisme andin amazonien cherche à prendre en considération l’hétérogénéité du système productif. Il est basé théoriquement sur l’idée d’une articulation entre des structures productives modernes (ou issues de l’histoire coloniale) et des structures productives traditionnelles (ou issues d’une histoire précoloniale). A priori, cette articulation devrait donner un rôle important à l’État, rendant ce concept pertinent par rapport à l’histoire et la réalité économique bolivienne. Cependant, ce concept demeure fragile dès lors que l’on intègre une réflexion sur la dynamique future du système économique. Cette dynamique est caractérisée par un certain nombre de forces d’attraction qui engendrent des mutations importantes dans la structure productive. Les systèmes économiques basés sur l’accumulation, l’investissement, la croissance, la productivité, engendrent des transformations continues (naissances, croissance, disparitions) du système productif. En effet, ces mutations sont elles-mêmes porteuses de gains de productivité, de croissance et d’accumulation. L’organisation (et l’articulation) d’acteurs économiques basée sur une économie de marché va dès lors accentuer ces transformations en rendant la dynamique productive plus intense par le biais notamment de la concurrence. Ainsi, un régime d’accumulation capitaliste associé à un fonctionnement libéral du marché augmente la vitesse de mutation des systèmes économiques. Dès lors, nous devons poser la question, le modèle bolivien cherche-t-il à limiter les effets du libéralisme économique ou s’attaque-t-il aux fondements du capitalisme traditionnel ? Si la réponse réside dans la première partie de la question, le modèle économique bolivien ne fera que freiner l’intensité des forces d’attraction porteuses de mutations des systèmes productifs. Ce modèle présente des risques à trois niveaux, nous présentons ceuxci sous forme de questions que nous soulevons. D’abord, toute promotion d’activités économiques (individuelles ou associatives) sera porteuse de gains de productivité, d’investissement et finalement de croissance. Les meilleures entreprises communautaires ou individuelles vont connaître logiquement une croissance, ce qui signifie qu’elles exerceront des forces d’attraction (en main-d’œuvre, capital, etc.) et des pressions concurrentielles. Jusqu’à quel point, ces forces dynamiques garantiront la pérennité Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan 112 113 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan de l’hétérogénéité du système productif ? Ensuite, ces entreprises, pour croître, devront répondre à une demande plus importante. Celle-ci se trouvant dans les espaces urbains, on peut se demander de quelle manière la force d’attraction des espaces économiques urbains agira sur la localisation des entreprises communautaires rurales ? En outre, une question importante est celle de savoir comment la structure économique communautaire réalisera la gestion quotidienne de l’équilibre entre recherche de gains de productivité et qualité distributive ? Ces trois questions soulèvent le problème de la dynamique du système économique bolivien et ouvrent le champ à de nouveaux défis pour l’État basés sur un nouveau rôle de créateur d’équilibres sur le long terme (capacité à équilibrer la structure productive, à équilibrer les espaces urbains et ruraux, à équilibrer de manière décentralisée la promotion de l’efficience économique et la qualité distributive). En garantissant ces équilibres, l’État garantira la pérennité d’une structure productive hétérogène (moderne et traditionnelle, urbaine et rurale, efficace et distributive). Ces équilibres sont des contraintes qui s’imposent à la politique économique afin de garantir l’existence du secteur économique indigène, communautaire, associatif et coopératif. L’analyse de Karl Polanyi sur les organisations sociales sous-jacentes aux modèles économiques a montré en quoi le capitalisme et le libéralisme économique peuvent être des modèles complémentaires et s’attirer entre eux. Si nous considérons que le socialisme est un capitalisme d’État, que le capitalisme moderne est un capitalisme basé sur l’individualisme, le modèle bolivien devra inventer un système où le capitalisme ne déstructurera pas la forme communautaire au profit d’une organisation sociale libérale et individualiste. Son rôle est donc double : à la fois promouvoir l’hétérogénéité du système productif et le pérenniser. Cela passe donc par la garantie d’un encastrement du modèle économique dans une hétérogénéité de la forme sociale (individuelle/moderne et communautaire/traditionnelle). Enfin, un autre élément de vulnérabilité risque d’être lié à la reconstruction d’un État fort : le rôle de celui-ci est essentiel dans ce modèle. Cependant, les privatisations successives des années 1980 et 1990 ont fragilisé l’ensemble de son organisation. Les structures publiques d’aide au développement, les entreprises publiques nationales ou les services publics doivent être reconstruits, ce qui implique un effort financier considérable et un investissement en capital humain très important 21. Les difficultés que 21. Cela justifie en quelque sorte la politique macroéconomique de la Bolivie qui cherche d’abord à rendre la politique budgétaire libre du poids de la dette (la Bolivie connaît pour la deuxième année consécutive un excédent budgétaire). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le cas bolivien 114 Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN connaît le processus de nationalisation des hydrocarbures est l’exemple même de cet élément de vulnérabilité du modèle : la reconstruction d’une entreprise publique qui doit garantir la transparence et l’efficience de son activité semble être délicate, au vu des moyens dont dispose le pays. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan On s’attardera ici sur quelques éléments qui pourraient constituer une vulnérabilité du modèle politique. Tout d’abord, le cas des droits individuels doit être abordé. Le problème repose ici sur la valorisation et la reconnaissance légales de la communauté indigène. Comme nous l’avons vu dans la deuxième partie, la nouvelle Constitution reconnaîtrait la communauté indigène comme organisation autonome, libre dans l’exercice de son système politique, économique et juridique (article 30). On se posera ici la question de la possibilité de l’individu à se soustraire aux normes et usages du groupe. On peut supposer que les logiques qui semblent contradictoires, définies dans le projet de nouvelle Constitution, avec, d’un côté, une logique unitaire et, de l’autre, une logique de reconnaissance d’entités autogouvernées, risquent d’être à l’origine de difficultés de coordination. Cet élément peut être très problématique pour le respect d’un État de droit. Le morcellement géographique du pays (réseau de communication faible et précaire), ne favorise pas la présence de l’État et le respect de ses lois sur l’ensemble du territoire. Déléguer ses pouvoirs à des communautés traditionnelles, c’est en effet reconnaître leur légitimité à s’administrer sur leurs propres territoires et selon leurs propres usages et normes, mais cela peut aussi poser des problèmes au niveau des droits individuels. L’exemple le plus médiatisé est celui de la justice communautaire, qui peut être d’une grande violence et qui est censée relayer la justice publique dans les cas de petits délits. Ce problème, s’il est moins répandu et dramatique que ne veut bien le faire croire la surenchère médiatique à ce propos, reste d’actualité et peut s’accentuer si l’autonomie juridique est reconnue et encouragée. Sur ce même thème des droits individuels, on pourra aussi rajouter les problèmes qui risquent d’apparaître pour les personnes en situation, pour des raisons culturelles, de plus grande vulnérabilité comme les femmes ou les enfants. En effet, il est du rôle de l’État de garantir les droits de tout individu. Or, dans un pays où les droits des femmes sont encore peu reconnus et où la forme patriarcale est la plus répandue, cette reconnaissance d’autonomie juridique aux communautés peut aussi être perçue comme un désengagement de l’État. Nous reprendrons ici les arguments de groupes féministes boliviens, pour qui la déco- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le modèle politique 115 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan lonisation de l’État ne va pas sans une remise en question du patriarcat qui lui est associé, et pour qui les revendications « originarias » ne favoriseront guère un meilleur respect des droits individuels. Ainsi, les contradictions entre la reconnaissance et l’autonomie des communautés, et une volonté d’unité de l’État, via un processus d’intégration nationale et l’affirmation d’un État fort, risquent de poser de vrais problèmes de compétences et pourraient engendrer une insuffisance de l’État à garantir les libertés et droits individuels. L’unité du pays peut aussi être menacée par le nouveau modèle politique. Nous citerons ici Jean-Pierre Lavaud pour qui la Bolivie est en proie à un phénomène d’ethnicisation, phénomène qui conduit à « une segmentation du pays, alimente des tendances centrifuges et finalement concourt à rendre le pays sinon ingouvernable du moins très difficilement gouvernable 22 ». Nous parlerons ici plutôt d’une polarisation (entre l’orient et l’occident du pays) qui tend vers le régionalisme radical, phénomène qui, s’il s’amplifie, par une radicalisation d’un discours ethnicisé comme dans les affrontements qui y mènent, peut menacer l’unité nationale et l’établissement de normes communes. Cette polarisation s’est construite autour de certains thèmes (richesses naturelles notamment) et s’est radicalisé autour de thèmes ethniques/racistes qui trouvent leur écho dans des partis extrémistes des deux côtés : le Mouvement indigéniste Pachakuti (MIP) et le Mouvement Nation Camba de Libération (MNCL), porté par les élites blanches de Santa Cruz. Ces deux extrêmes sont loin d’être l’expression de la majorité mais illustrent bien ce phénomène de polarisation entre deux régions : la région des basses terres (Media Luna) qui se veut plus métissée, voire blanche, contre l’altiplano indien ; le dynamisme économique et les ressources naturelles de la Media Luna contre une région andine plus pauvre sur ces points-là. Ces quelques éléments rapides mettent en évidence une situation complexe entre ces deux pôles : à des intérêts économiques, administratifs et territoriaux se mêlent parfois des régionalismes voire nationalismes plus ou moins exacerbés basés la plupart du temps sur un essentialisme qui peut parfois être ethnique. Il nous semble que cette vulnérabilité soit bien plus latente que celle issue d’une ethnicisation généralisée volontairement provoquée par les politiques publiques de l’actuel gouvernement, ce qui relativise les positions des auteurs qui voient un processus d’ethnicisation en Bolivie. 22. Jean-Pierre LAVAUD , « Bolivie : vers l’anarchie segmentaire ? L’ethnicisation de la vie politique », Hérodote, 123, 4e trimestre 2006. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Le cas bolivien Diégo LANDIVAR et Émilie RAMILLIEN Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Cette polarisation s’est accentuée au fil des sessions de l’Assemblée constituante, sur de très nombreux thèmes et via la confrontation partisane. La question des autonomies (ainsi que la question de la définition de la capitale) est la plus significative, les deux pôles défendant deux visions très différentes l’une de l’autre. La minorité (représentants des partis d’opposition) défend son projet d’autonomie départementale dans lequel l’État n’est que le coordinateur entre les différents départements et où les gouvernements départementaux ont un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire 23. À l’inverse, la proposition de la majorité (MAS) défend un rôle prépondérant de l’État où les autonomies sont plus municipales et indigènes que départementales. Ces deux visions antagonistes de la forme nationale, si elles reflètent la polarisation qui existe en Bolivie, montrent bien la difficulté de surpasser les contradictions qui semblent inhérentes au modèle politique proposé. Après plusieurs étapes alternant négociations et affrontements violents, ce qui mena à la situation la plus critique (plusieurs « campesinos » sympathisants du gouvernement ayant été tués en septembre 2008 dans le département de Pando), le gouvernement d’Evo Morales semble avoir retrouvé un certain pouvoir (notamment après le soutien unanime des présidents des pays de la région en septembre 2008 et la division du bloc des préfets des régions autonomistes après les événements violents de Pando) qui cependant demeure fragile. Cette fragilité provient notamment de la difficile conciliation entre les positions régionalistes toujours présentes, les positions « indigénistes » véhiculées par la nouvelle constitution et certains dirigeants du MAS, et les positions d’une classe moyenne se sentant de plus en plus marginalisée par le programme économique et politique. De même, si le modèle politique bolivien veut rester cohérent avec ses objectifs de prise en compte de l’hétérogénéité de la forme sociale et culturelle, il ne doit pas se limiter à la promotion de la forme communautaire, du mouvement social ou de l’entité ethnique car une bonne partie de la population (la classe moyenne entre autres) pourrait ne pas se retrouver dans les positions et procédés du gouvernement. Conclusion Comme nous l’avons vu, le modèle qui se construit peut se révéler vulnérable sur bien des points. 23. Cette demande d’autonomie a été approuvée par la population des départements formant la Media Luna lors d’un référendum en 2006. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan 116 117 Le cas bolivien Le modèle bolivien a le mérite de remettre en cause (du moins conceptuellement) l’idée que l’avenir des nations et des États réside dans la marche inéluctable vers une modernité économique basée sur l’individualisme et l’économie de marché. S’il ne semble pas avoir comme objectif l’invention d’une « quatrième voie » servant de norme ou de sens de l’Histoire, il ouvre néanmoins le champ des possibles, ajoutant une troisième dimension à la typologie des modèles politiques et économiques. Ainsi, la définition des modèles ne résiderait plus seulement dans le choix d’un équilibre médian entre économie de marché et rôle de l’État mais pourrait se faire selon les caractéristiques productives et sociales propres à chaque nation. La force du modèle bolivien réside d’abord dans la prise en compte de la diversité culturelle, géographique, ethnique et économique du pays. C’est en ce sens que les changements en Bolivie apportent des éléments intéressants aux débats actuels sur les modèles politiques et économiques. On avancera en conclusion que les défis que devra affronter le gouvernement, s’ils sont liés à sa capacité à faire des compromis, sont également les produits de la vulnérabilité même du modèle. CERDI, Université d’Auvergne (Diégo LANDIVAR) EHESS (Émilie RAMILLIEN) * * Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.85.240.100 - 17/01/2017 10h21. © L'Harmattan *