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D. LANDIVAR ET É. RAMILILEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT DU SUJET DE DROIT À L’HYPER-SUJET DU DROIT : UNE ANALYSE ANTHROPOLOGIQUE COMPARÉE DU DROIT DES ENTITÉS DE LA NATURE EN BOLIVIE ET EN ÉQUATEUR Diego LANDIVAR Docteur en Économie du Développement, Directeur d’Origens Media Lab Chercheur au Centre d’études et de recherches sur le développement international, (CERDI-CNRS) - Groupe ESC Clermont Émilie RAMILLIEN Chercheuse en anthropologie - Origens Media Lab Résumé Ces dernières années, une intuition remarquable a eu un retentissement important : le droit serait capable d’accueillir des visions du monde, des cosmologies autres que naturalistes, c’est-à-dire autres que celles qui voient le monde fait de discontinuités entre humains et non humains, entre humains et entités de la nature. La plasticité de la personnalité juridique, les fictions et opérations que le droit promeut permettraient non seulement d’accueillir des entités non humaines en tant que sujets de droit, mais aussi de proposer de nouvelles régulations face à la crise écologique. Cet « animisme juridique » revêt pourtant diverses formes qu’il faut savoir mettre en tension pour bien comprendre la portée des reconfigurations ontologiques en jeu. Cet article opère cette mise en tension en comparant, grâce à une analyse anthropologique, les cas de l’Équateur et de la Bolivie afin de montrer qu’il y a au moins deux manières de penser ces types d’excursions juridiques. La première – celle de l’Équateur – montre un animisme juridique fonctionnant comme une jonction entre des conceptions traditionnelles/autochtones de la nature et des opérations techniques/modernes du droit, débouchant alors sur un droit de la nature technique, opérationnel et atomisé. La deuxième – celle de la Bolivie – bien qu’elle soit moins techniquement opérationnelle, instaure un hyper-sujet, la Pachamama, qui fonctionne comme architecture de diplomatie cosmologique, instaurant un tiers garant sacré et dessinant de nouveaux territoires d’inaliénabilité. Mots clés : Animisme juridique, personnalité juridique, hyper-sujet, anthropocène, sacré. RJ•E n° spécial 2018 71 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT Summary From the legal subject to the 'legal hyper-subject': a comparative anthropological analysis of natural entities’ rights in Bolivia and Equator. Over the past few years, a remarkable intuition has led to important repercussions: the law might be capable of opening itself up to world views, to non-naturalist cosmologies – i.e. cosmologies that do not see the world through the lens of discontinuities between humans and non-humans, between humans and natural entities. The plasticity of legal personality and the fictions and operations which law bring about may not only be open to other, non-human, entities as subjects of law, but also be able to propose new regulations in the face of the ecological crisis. This 'legal animism' takes on different forms that it is important to compare and contrast in order to understand the impact of the ontological reconfigurations at stake. This article strives to do this by comparing the cases of Ecuador and Bolivia using anthropological analysis, in order to show that there are at least two ways of thinking these types of extensions of the law. The first (case of Ecuador) displays a legal animism functioning as a junction between traditional/autochthonous conceptions of nature and technical/modern legal operations, thus bringing about a technical, operational and atomized right of nature. The second (case of Bolivia) much less technically operational, establishes a hyper-subject, the Pachamama, which serves as an architecture of cosmological diplomacy and a sacred albeit accountable third party from which new territories of inalienability emerge. Keywords: Legal animism, legal personality, hyper-subject, Anthropocene, sacred. INTRODUCTION Les diagnostics climatiques, océanographiques, géologiques ou encore géo-morphologiques ne cessent de se multiplier, appelant à des transformations radicales dans la manière de penser la gouvernance environnementale. Les paradigmes de la compensation, de l’ajustement, des incitations économiques, semblent en effet avoir atteint leurs limites et s’entrouvre désormais la nécessité impérieuse de penser le périmètre d’action et de déploiement des sociétés contemporaines à travers l’édification de nouvelles formes de régulation ou de réglementation. Le droit est alors invoqué spontanément en tant que système permettant d’envisager des contraintes et donc des limites à l’action des acteurs face à l’anthropocène. Il suffirait alors de penser la transition écologique en tant que transition entre périmètres d’action. À une action dynamisée, encouragée, canalisée par des mécanismes incitatifs-dissuasifs (fiscalité environnementale), de responsabilisation (responsabilité sociale de l’entreprise) ou éducatifs (éducation au développement durable) se substituerait une conception contrainte de l’action sociale (mesures coercitives et réglementées). La limite juridique apparaît alors souvent comme le nouvel horizon politique dessinant les cadrages qui s’imposeront aux citoyens et aux organisations. L’objectif n’est plus d’encourager et de responsabiliser, mais plutôt de borner un pouvoir et des trajectoires. RJ•E n° spécial 2018 72 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT Cette transition peut s’entendre comme une transition entre modes de régulations, passant d’une conception de la limite comme figure endogène (la limite écologique serait une affaire de pédagogie, psychologique, comportementale) vers une conception exogène de la limite (par le droit). L’opération consisterait à faire atterrir (Latour 2017) ce méta-diagnostic écologique qu’on peut qualifier de méta-récit : celui de l’anthropocène comme phénomène global, hyper-objet au sens de Morton (Morton 2013), dans lequel toutes les entités du monde sont engluées. L’identification, la mesure et la formalisation des limites planétaires (planetary boundaries) impliqueraient, par un effet d’atterrissage, l’érection de limites juridiques aux actions individuelles et collectives qui agiraient alors comme clarificateurs des positions et des responsabilités face à l’anthropocène. L’appel qui est fait au droit en tant que système de contraintes suscite un grand nombre de controverses, elles-mêmes porteuses de propositions variées. D’un droit de l’environnement assez large, à la reconnaissance de l’écocide (voir avec des approches différentes Neyret 2015 et Cabanès 2016), en passant par la justice climatique (Larrère 2015) ou encore un droit de la responsabilité susceptible d’embrasser les enjeux sociaux, financiers environnementaux et climatiques (Supiot et Delmas-Marty 2015), nombreuses sont les pistes en cours d’exploration. Parmi ces « innovations », la question de la nature en tant que sujet de droit, a été explorée par différentes perspectives disciplinaires, nourries par des expérimentations juridiques conduites dans différents pays, tels que l’Équateur, la Bolivie, l’Argentine, la Nouvelle-Zélande, l’Inde et plus récemment la Colombie (Hutchison 2014 ; Espinosa 2015 ; Cano Pecharroman 2018). Dans des travaux précédents (Landivar et Ramillien 2015 ; 2017), nous avons démontré que ces élargissements du spectre de la personnalité juridique devaient être compris dans toute leur amplitude anthropologique, au regard des reconfigurations ontologiques, négociées lors d’épisodes politiques, notamment constitutionnels, qui en étaient à l’origine. L’objet de cet article est de prolonger cette réflexion en s’intéressant à la portée de cet « animisme juridique » (Hermitte 2013), qui au-delà de l’outil juridique innovant permettant l’inclusion de nouveaux sujets de droit que sont les entités de la nature, permettrait aussi de penser une refonte anthropologique des relations au sein du champ juridique, notamment en réinstaurant un nouveau tiers sacré. Pour cela nous utilisons des données ethnographiques andines, récoltées lors de l’assemblée constituante en Bolivie entre 2006 et 2008, puis les données issues de notre observation en 2011 à Loja, en Équateur, du premier procès d’une rivière (c’est-à-dire en son propre nom) contre des organisations humaines. L’objet de cet article n’est pas de livrer une analyse ethnographique détaillée de ces expérimentations, mais plutôt de suggérer, à partir d’une focale anthropologique et comparée, une grille d’analyse en relation avec les questions qui intéressent la protection juridique de l’environnement1. 1 Nous renvoyons les lecteurs intéressés par les données ethnographiques utilisées ici à nos travaux précédents (Landivar et Ramillien 2015 ; 2017). Les données issues des ateliers constituants peuvent également être consultées librement sur www.origensmedialab.org. RJ•E n° spécial 2018 73 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT À cette fin, nous reviendrons dans un premier temps sur l’émergence de cet « animisme juridique », sur les formes qu’il prend et sur l’importance croissante qu’il acquiert (I). On assiste en effet depuis quelques années à la montée en puissance de ces nouvelles reconnaissances par le droit d’un statut juridique pour les entités de la nature. Ces formes inédites d’inclusion de nouveaux venus dans le droit semblent marquer un tournant, via la promesse d’un bornage légal adapté à la crise écologique que nous traversons. Nous verrons qu’en effet, l’animisme juridique peut être opérationnel, comme il l’a été, pensé et mis en œuvre en Équateur. Mais nous verrons dans un second temps qu’au-delà de ce potentiel opérationnel immédiat, l’animisme juridique a pris une forme différente en Bolivie : la notion bolivienne de Pachamama semble avoir acquis un statut et une présence puissamment transformatrice de la société, bien au-delà de sa simple potentielle utilité légale (II). Nous étayons ainsi l’hypothèse que c’est son caractère sérieusement négocié et sculpté sur un territoire donné qui confère à la Pachamama une force politique et une place anthropologique particulière. L’émergence de ce type d’hyper-sujet sacré-négocié doit être pris en compte dans un contexte à la fois d’érosion des figures légitimantes, comme l’État Nation, et de crise écologique majeure nécessitant de nouveaux tiers-garants. I. UN ANIMISME SOLUBLE DANS LE DROIT ? La notion d’animisme juridique s’est fortement popularisée ces dernières années. C’est à Marie-Angèle Hermitte que l’on doit, en premier lieu, ce concept, prolongeant ainsi les travaux entrepris par Christopher Stone aux États-Unis dans les années 70 (Hermitte 2013 ; Stone, 1972). Cette notion désigne des propositions émanant de terrains constitutionnels et juridiques particuliers, en lien étroit avec des savoirs ou cosmologies autochtones, tels qu’ils se présentent par exemple en Bolivie, Équateur, Inde, Nouvelle-Zélande, ou en Colombie. Elle désigne aussi des revitalisations d’inspirations animistes, cette fois-ci opérées en occident, et qui, à la faveur de nouvelles controverses scientifiques et éthiques sur le vivant, l’écologie, ou encore l’urgence climatique (entres autres), interrogent les rapports entre humains et non-humains (Hermitte 2011 ; 2013). Le lien que la notion d’animisme juridique entretient avec les savoirs autochtones la rapproche de ce que certains auteurs nomment un « indigénisme juridique » (Belaidi 2018), une « vision holistique du constitutionnalisme » (David 2012) ou plus généralement « subjectivation ou personnification de la nature » (Thomas 1998 ; Sohnle 2015). Tous ces concepts sont aujourd’hui repris aussi bien par certains juristes et activistes (Cabanès 2016) que par des organisations non gouvernementales (Global Alliance for Rights of Nature, The Gaia Foundation, Wild Law UK, Community Environmental Legal Defense Fund…). Pour des raisons pratiques nous rassemblons toutes ces acceptions sous le vocable général d’« animisme juridique » car, nous le verrons, elles portent toutes en germe une conception particulière et large de la personne, très proche donc de l’animisme tel qu’il a été défini par l’anthropologie (Descola 2005). RJ•E n° spécial 2018 74 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT En règle générale, l’animisme juridique cherche à questionner la partition classique du droit entre les personnes et les choses, et suggère un certain nombre de nouvelles modélisations ou fictions juridiques permettant à diverses entités (notamment non-humaines, arbres, forêts, animaux, rivières, montagnes…) d’acquérir une personnalité juridique. Les analyses juridiques qui sont faites de ces processus insistent souvent sur l’idée que le droit contemporain est l’héritier d’une vision anthropocentrée, qui fait de l’être humain le centre organisateur des densités ontologiques. Les cosmovisions autochtones sont alors assimilées à des visions du monde alternatives au sein desquelles les découpages entre humains et non humains, nature et culture, personne et chose, sujet et objet sont questionnés. Ces cosmovisions sont ainsi souvent réduites à des versions approximatives de l’animisme qui, en effet, et dans des modes hétérogènes et souvent situées/territorialisées, peuvent accorder à certains non-humains le statut de personne (voir Descola 2005 pour une synthèse des travaux sur ce mode d’identification ontologique). Ce qui est remarquable, c’est que l’animisme comme le droit, porteraient en eux une capacité agentive qui les rapprochent. L’animisme comporte une conception élargie et « désanthropisée » de la notion de personne, concept fondamental dans le droit (Thomas 1998) car au centre de la partition entre personnes et choses (au cœur même de ce que Alain Supiot qualifie de « fondement juridique de la personne » [Supiot 2009, p. 45]). Le droit de son côté, par le truchement des opérations (Thomas 2011), artifices (Thomas 2005) ou encore des fictions qu’il génère (Thomas 2011 ; Sohnle 2015) offre une ouverture créative pour instituer des « êtres », des « sujets de droit » ou encore édifier des « institutions » selon les valeurs qui seront partagées par une société. Le droit a ainsi la possibilité de s’extraire d’une réalité objective en devenant potentiellement « un autre monde » (Hermitte 1999). Il assure alors une certaine flexibilité philosophique instaurant (au sens de Souriau 1943) des entités pour lesquelles une réalité physique, une quelconque véracité ou des faits « réels » ne sont pas forcément nécessaires (Yan Thomas écrit à ce propos que la « fiction requiert avant tout la certitude du faux », Thomas 2011, p.133). Un des points soulevés par l’animisme juridique est alors le suivant : si les sociétés occidentales ont su donner une personnalité juridique à des entités qui n’étaient pourtant pas considérées, à certains moments, comme des personnes au sens strict (des organisations, des enfants, etc.), rien n’empêcherait une redistribution plus large de ce type de qualité à d’autres entités (argument au cœur de la démonstration de Stone en 1972). Outre ces réflexions théoriques, des travaux ont analysé les expériences d’animisme juridique conduites dans différents pays. Au sein de ceux-ci, on peut distinguer deux grandes directions analytiques. La première direction tend à souligner la créativité de ces expériences, en cherchant justement à comprendre les origines et l’emboitement des opérations politiques, constitutionnelles qui ont été nécessaires (David 2012 ; Tanasescu 2013 ; Espinosa 2015 ; Akchurin 2015 ; Sohnle 2015). La deuxième va concerner plus frontalement la question de l’efficacité de ces expériences dans la gestion de problèmes écologiques que ce soit sur un plan auto-réflexif (la personnification de la nature a-t-elle assuré sa protection concrète et réelle et sous quelle forme) ou sur un plan comparatif (dans quelle mesure une telle opération protègerait mieux la nature face à d’autres propositions) (Hutchison 2014 ; Humphreys 2017 ; Belaidi 2018). Il nous semble que ces lectures, même si RJ•E n° spécial 2018 75 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT elles sont nécessaires et se justifient eu égard aux attentes écologiques actuelles, ne permettent pas tout à fait de saisir la complexité des opérations qui sous-tendent les annonces médiatiques faisant de telle rivière ou de telle espèce, une personne. Il apparaît que ces évolutions du droit nécessitent d’être prises en compte, non pas comme de simples leviers d’action spécifiques dans des contextes de crise écologique particuliers, ou comme de simples innovations créatives à noter, mais comme des expériences transformatrices du droit et de la manière de faire société avec l’ensemble des acteurs humains, non-humains, institutions, cosmologies, qui (re)font surface avec vigueur aujourd’hui, au nord comme au sud. Pour tenter de mieux comprendre les enjeux de l’animisme juridique et les conséquences anthropologiques de telles expériences, nous examinerons ce qui différencie l’animisme juridique équatorien de l’expérience constitutionnelle bolivienne, ce qui permettra de montrer que l’efficacité directe de l’animisme juridique n’est peut-être pas un critère si pertinent pour prendre la mesure de ce qu’il se passe. De nombreux observateurs ont écrit ces dernières années sur la place de la Pachamama, figure de la cosmologie indigène andine, encore présente dans les pratiques religieuses des communautés autochtones de ces pays (Poupeau 2013 ; Tanasescu 2013 ; Berros 2015 ; Espinosa 2015 ; Humphreys 2017). La Terre Mère Sacrée s’est en effet retrouvée être le pivot des bouleversements juridiques et ontologiques qui ont traversé ces territoires. On retrouverait la Pachamama dans les constitutions politiques de ces pays grâce à un transfert qu’on pourrait qualifier de cosmologique : c’est parce que les communautés autochtones, qui « croient » aujourd’hui encore à cette divinité, ont bénéficié d’une inclusion politique volontariste à la fin des années 2000, que celle-ci va se retrouver comme figure symbolique tutélaire dans les textes constitutionnels (Berros 2015 ; Espinosa 2015). Et c’est cette conception très large d’une « terre mère englobante », « nourricière », d’une nature « sacrée » qui va ouvrir la voie à une conception singulière de la nature comme réservoir d’entités qu’il faut protéger grâce au droit. Cette lecture est cependant à certains égards « folklorisante » et ne rend pas compte, ni des tensions politiques endogènes à cette opération, ni de la créativité institutionnelle qui ont été nécessaires à la production de ces expérimentations constitutionnelles et juridiques. C’est ce qui différencie, selon nous, l’expérience équatorienne de l’expérience bolivienne, sur laquelle nous reviendrons plus loin, car le processus qui a mené à la mise en place de la Pachamama comme figure tutélaire est différent dans les deux cas et aboutit à des résultats distincts quant aux possibilités/conséquences ouvertes par ces opérations. En Équateur, le processus constitutionnel a fonctionné comme un raccord entre des registres mythologiques autochtones et des conceptions traditionnelles de la nature d’un côté (Akchurin 2015 ; Espinosa 2015), et des conceptions modernes du droit fortement inspirées de l’éthique environnementale de l’autre. Les collectifs modernes-naturalistes (économistes, constitutionnalistes, députés, avocats) sont allés puiser la figure de la Terre Mère dans les registres mythologiques andins pour transformer l’idée de nature et la faire correspondre à des intuitions développées par certains juristes américains proches de l’éthique RJ•E n° spécial 2018 76 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT environnementale. Le rôle joué par certains intellectuels tels Eduardo Gudynas ou Alberto Acosta (président de l’assemblée constituante) a notamment été déterminant pour faire la jonction entre une proposition ontologique animiste et les droits de la nature dans leur expression constitutionnelle et technique. Il est ainsi important de rappeler, par exemple, que l’assemblée constituante équatorienne a bénéficié du conseil du cabinet Community Environmental Legal Defense Fund, spécialisé dans l’architecture des droits de la nature et dont la mission et les pratiques sont fondamentalement inspirées des travaux de Christopher Stone (Stone 1972) ou Roderick Nash (Nash 1989 ; CELDF 2019). Il est d’ailleurs intéressant de constater la grande proximité des articles relatifs aux droits de la nature dans le texte constitutionnel de 2008 avec les arguments étayés par Stone (notamment en ce qui concerne l’intérêt à agir, l’inversion de la charge de la preuve, la question de la tutelle, …) ou par Nash (le droit comme système dynamique qui ne cesse d’élargir la catégorie de sujet en fonction de certaines conquêtes progressistes (Nash 1989). L’animisme juridique équatorien se retrouve principalement dans les discours d’intellectuels et moins dans les positions des constituants, notamment indigènes. Cela démontre aussi que l’instauration de droits de la nature a été une construction avant tout théorique, raccrochée à des intuitions anthropologiques et historiques, et par la suite de technique juridique. Cependant, la force opérationnelle de cet animisme juridique est importante, et a donné lieu à des cas concrets où ont pu intervenir et poursuivre en justice des entités de la nature (voir à ce propos Landivar et Ramillien 2017 ou encore Belaidi 2018 pour une perspective critique). L’esprit équatorien des droits de la nature va ainsi être orienté par des impératifs ontologiques précis (faire de chaque entité de la nature une entité individuée et atomisée, ayant la capacité d’être sujet de droit) ou en termes d’efficacité dans la mise en place des procédures juridiques (porte-parolat, possibilité d’un procès, techniques de représentation, rôle du juge…). En synthèse, il a été pensé pour être opérationnel au sein des architectures institutionnelles modernes tout en rentrant en résonnance avec les attachements cosmologiques en présence. Selon nous, l’élément le plus saillant en termes d’opérationnalité technique est lié à la possibilité du procès, comme nous l’avons démontré dans un travail récent, à propos notamment d’une ethnographie que nous avons réalisée lors du procès de la rivière Vilcabamba face à la municipalité de Loja (Landivar et Ramillien 2017). Validant l’intuition de Marie-Angèle Hermitte (Hermitte 2011), nous avons en effet pu voir que l’approche équatorienne des droits de la nature (et malgré les difficultés à faire aboutir les conséquences d’un procès de ce type [Belaidi 2018]) en faisant de la nature une personne, plus qu’un geste d’ouverture ontologique, obligeait les entités à pouvoir s’opposer et se répondre dans une sphère délimitée dans le temps et l’espace. Cette « équité » dans le placement des entités humaines et non humaines au sein d’un tribunal affirme une certaine opposabilité des entités non humaines aux collectifs humains extractivistes, le tout devant un juge qui doit alors prendre en considération (et traduire en action) de nouvelles valeurs et de nouvelles philosophies de la personne. RJ•E n° spécial 2018 77 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT II. LA PACHAMAMA BOLIVIENNE : UN HYPER-SUJET ENTRE DIPLOMATIE ONTOLOGIQUE ET SACRÉ Dans le cas bolivien, l’animisme juridique n’a pas été opérationnel dans le droit jusqu’à présent, mais la figure de la Pachamama en tant que sujet est devenue puissante et opérante sur le plan politique comme nous allons le voir. Loin d’être une déité passée et folklorique, elle a été véritablement sculptée, et en toute modernité, lors des négociations de l’assemblée constituante entre communautés andines (analogistes), amazoniennes (animistes) et les constituants qu’on peut qualifier sans risque d’erreur de naturalistes (scientifiques, philosophes, marxistes). Elle a, depuis, vécu un déploiement remarquable comme entité tutélaire, critiquée ou invoquée, au cœur de la vie politique du pays. Il est plus difficile de parler ici d’un véritable animisme juridique au sens occidental et popularisé du terme. C’est en effet par des opérations de convergence et de modelage entre animisme et analogisme (entre autres) que des entités non humaines ont acquis le statut de sujet2. L’animisme a été défendu par un petit nombre de constituants mais a eu un rôle important dans la capacité à faire converger les positions, l’analogisme était, quant à lui, présent en plus grand nombre et donc avait une force de proposition déterminante. On retrouve les manifestations d’un animisme dans plusieurs interventions de constituants issues des basses terres proches des bassins amazoniens (Landivar et Ramillien 2015). Mais, fait significatif, ce sont les communautés analogistes qui se sont, la plupart du temps, emparées des récits d’inspiration animistes pour avancer des propositions politiques et stratégiques. L’animisme cosmologique, malgré sa position numéraire limitée au sein de l’assemblée constituante, s’est retrouvé néanmoins être un déterminant fondamental de l’édification de la Pachamama comme figure diplomatique. Il joue un rôle majeur dans la mécanique de négociation constitutionnelle, bien plus que dans l’interprétation technique d’un droit de la nature. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour comprendre cela. Les positions animistes que l’on a pu observer rendent compte de conceptions philosophiques finalement assez réduites par rapport à ce que, par exemple, Philippe Descola détaille à propos de ce mode d’identification ontologique (Descola 2005). Comme ce dernier l’explique, dans l’animisme amazonien il ne suffit pas de statuer que toute entité non humaine a une intériorité humaine, lui ouvrant la voie à une personnification. Les discontinuités entre humains et non humains sont beaucoup plus fines et complexes et dépendent d’un certain nombre de paramètres cosmologiques et de situations particulières. Les positions animistes défendues lors des ateliers constituants ont montré une vision plutôt générale (et donc réduite) de l’animisme, appelant notamment à contester le statut de chose ou d’objet aux entités de la nature ou aux entités divines, sans pour autant statuer sur leur définition exacte et la portée de la personnification. 2 Pour une définition de ce que l’on entend par positions animistes, analogistes ou naturalistes, voir Landivar et Ramillien 2015, où nous reprenons les modes d’identification ontologiques proposés par Descola 2005 en les adaptant au terrain bolivien. RJ•E n° spécial 2018 78 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT L’animisme a offert malgré tout deux contributions majeures à la diplomatie cosmopolitique (Landivar et Ramillien 2015 ; 2017) dans ces négociations. Il a d’abord apporté une ouverture philosophique importante, jouant le rôle de l’altérité radicale, celle qui a été trop longtemps occultée par le colonialisme épistémique. La « redignification » de l’animisme au niveau global (via les ONGs de protection de la nature, des peuples autochtones, et les instances internationales) a joué un rôle important dans ce phénomène. Légitimé par un Occident s’employant depuis quelques décennies à être décolonial et ouvert à d’autres cosmologies, l’animisme a pu jouer un rôle clé : il a ouvert les vannes de la créativité ontologique, politique et réglementaire. Mais l’animisme a surtout joué un rôle de préalable diplomatique essentiel. L’animisme accueillait ainsi naturellement une quantité d’êtres quasi-humains (c’est à dire avec une intériorité humaine, avec un corps qui peut être animal, végétal, etc.) plus vaste que le naturalisme ou l’analogisme. En contestant la partition entre personnes et choses, sujets et objets, humains et non humains, alors même que les constituants universitaires (diplômés en droit constitutionnel d’universités françaises comme Jorge Lazarte), marxistes ou nationalistes refusaient catégoriquement, au nom de la « réalité objective » et de la « rationalité », toute aventure philosophique de ce type, l’animisme a su instaurer une atmosphère inclusive, une plasticité ontologique accueillante. L’animisme prépare ainsi le terrain diplomatique en Bolivie mais l’opération de convergence entre visions du monde (ce que nous avons nommé diplomatie ontologique [Landivar et Ramillien 2015]) va se faire à partir des propositions analogistes portées par différents constituants du MAS3 et souvent liées à des territoires indigènes des hauts plateaux andins. Les manifestations animistes que l’on a pu relever dans les échanges constitutionnels ont donc instauré une tolérance philosophique de base, mais c’est la figure de la Pachamama, clairement introduite par des constituants analogistes, qui a fait converger des positions politiques antagonistes. C’est ici que va se jouer pleinement ce que l’on pourrait appeler une « créativité déique ». La Pachamama a bien sûr été invoquée par différents acteurs du processus comme figure symbolique traditionnelle mais très rapidement elle est devenue un hyper-sujet : un « être » que l’on négocie, un être à sculpter politiquement, à décrire et écrire constitutionnellement, comme nous l’avons montré. L’enjeu était éminemment stratégique. Il ne s’agissait pas, comme beaucoup l’ont suggéré, de convoquer ou d’importer une figure patrimoniale à laquelle les boliviens sont fortement attachés. Il s’agissait de se mettre d’accord sur les attributs que l’on allait faire endosser à cette divinité, qui devenait tout à coup moderne. L’intérêt de cette figure de la Pachamama pour développer la réflexion sur l’animisme juridique et plus généralement sur le droit de l’environnement est notable car on se retrouve à présent face à une entité qui s’est déployée au-delà de ce qui était attendu. Si la Pachamama n’a pas encore prouvé son efficacité à inscrire dans la loi 3 Movimiento Al Socialismo, parti qui a gagné les élections de 2005 sur la promesse de convoquer une assemblée constituante. RJ•E n° spécial 2018 79 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT des limites aux dérives de l’activité humaine et à leurs conséquences écologiques dramatiques, elle s’est instituée en Bolivie comme une figure tutélaire, englobante, puissante, menaçante, moquée aussi, critiquée, mais à laquelle la vie politique ne peut échapper4. Son déploiement, bien au-delà du simple outil juridique (efficace) qu’il peut être en Équateur, peut être expliqué, selon nous, par des caractéristiques qui lui donnent une existence inédite et néanmoins idoine dans le contexte actuel. La Pachamama bolivienne est en effet une entité avec des limites géographiques, ancrée sur un territoire, vaste mais limité, et une entité qui a également des limites ontologiques : son caractère sacré instaure du profane, de l’interdit, de la limite. À l’intérieur de ce bornage qui n’est pas rigide mais qui existe, la Pachamama est devenue au cours du processus constituant une entité dont les attributs pouvaient être négociés, un espace non stabilisé permettant des convergences, un travail de création, de re-création, d’instauration de la part des constituants. Ces caractéristiques, entrevues pendant la constituante, ont permis l’émergence de l’entité politique, et potentiellement juridique, remarquable qu’elle est devenue. C’est d’abord la force de ses contours qui ont produit ces dernières années les conditions de son déploiement : son caractère territorialisé et sa sacralité. Dans les deux cas, on voit se dessiner une partition entre ce qu’elle est, son périmètre de déploiement, les limites qu’elle institue, ce qu’elle représente et encourage, et ce qu’elle n’est pas, la limite extérieure de son action, de sa puissance, là où elle n’est plus opérante, symboliquement et géographiquement. Nous passerons rapidement sur son ancrage géographique et culturel, les hauts plateaux et les vallées andines qui correspondent aux espaces des analogistes. Culturellement, la Pachamama est issue des cosmologies de ces territoires, elle y figure en bonne place même si d’autres entités y revêtent une importance tout aussi grande. Son ancrage sur ce territoire est fort, elle est étroitement liée à de nombreuses pratiques rituelles indigènes si présentes et anciennes, qu’elles sont à présent également intégrées à la vie sociale des populations métis ou non indigènes. Cet ancrage sur un territoire a son importance, il permet à cette figure devenue symbole de ne pas être hors sol, de ne pas être pure abstraction théorique, aisément mobilisable par le droit mais sans ancrage réel. 4 La Pachamama est aujourd’hui une entité continuellement discutée et négociée dans les débats politiques boliviens. Après avoir symbolisé l’indigénisme politique du gouvernement bolivien, elle a été domestiquée par différents courants d’opposition pour montrer les incohérences de la politique gouvernementale entre discours « pachamamistes » et politiques extractivistes. Cela démontre bien que son identité échappe même au gouvernement bolivien et rappelle plutôt certains attributs négociés lors de la constituante. Le cas le plus exemplaire du rôle supra-politique joué par la Pachamama est sans aucun doute l’affaire autour du parc national du Tipnis, moment où la Pachamama a été reprise par les classes moyennes sensibilisées à la problématique écologique ainsi que par les communautés indigènes des basses terres qui se sont senties trahies (pour une clarification de cette affaire importante, voir Landivar et Ramillien 2017). RJ•E n° spécial 2018 80 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT Son deuxième contour est ontologique : la Pachamama est sacrée5. C’est une divinité, dont il est nécessaire de respecter la substance et l’action, en ne profanant pas l’ordonnancement du monde dans lequel elle a sa place et d’où elle tire sa puissance. Sa sacralité est renforcée dans le processus constitutionnel par la convocation d’un autre élément clé de la cosmologie andine, le Pachakuti, qui correspond au moment historique où le monde se ré-agence. On peut le rapprocher de la notion de révolution, de retournement du monde, qui se réorganise afin d’être de nouveau en phase avec les règles cosmologiques établies. Ce moment historique mythologique très respecté dans la tradition andine qui survient cycliquement lors de grands bouleversements, a été associé au temps de la constituante par les constituants analogistes6. La Pachamama de la Constitution bolivienne a été renforcée dans sa sacralité à cette occasion, car le moment constituant en lui-même était sacré et produisait du sacré. Cette sacralité induit les notions de profanation et d’interdiction, c’est là que la Pachamama va prendre toute sa force réglementaire et symbolique dans la Constitution : certains espaces, êtres, entités, ensembles d’entités sont issus de la Pachamama, sont la Pachamama et à ce titre, ne peuvent être détruits, exploités, privatisés. Cela a offert à certains, pendant la constituante, une opportunité importante pour contrer le néo-libéralisme et la prédation sur les ressources naturelles. C’est cela qui a séduit les constituants d’inspiration marxiste ou nationaliste, certains universitaires et économistes également. Ériger une déesse, qui plus est, une déesse intrinsèquement liée à la Terre et au Territoire, revenait à ériger un rempart contre l’extractivisme et la privatisation des ressources naturelles, bien au-delà de ce que pourrait opérer un cadre réglementaire. Le gaz, le lithium, les forêts devenaient alors inaliénables, imprivatisables, inconstructibles. Dans ce sens, la Pachamama participe aussi d’une méta-opération du droit qui consiste à faire sortir certains objets (territoires, entités, ressources) de la sphère marchande et patrimoniale, en résonance avec ce qui était un des fondements des opérations du droit romain (Thomas 2011). Cette entité ainsi définie par ces limites extérieures de sacralité et de territoire, l’est également par ce qu’elle est, à l’intérieur de ces limites : une entité modelée et négociée dans ses attributs pour permettre la convergence d’ontologies qui, sinon, seraient restées séparées et irréconciliables dans leurs différences et les frictions que cela occasionne. C’est cette faculté de cette divinité à être négociée qui a été essentielle dans son déploiement et son rôle central dans ce processus. Et c’est 5 Il est important de relier ceci aux données que l’ethnographie du sacré en Bolivie a pu faire émerger et qui démontre que celui-ci revêt une forme particulièrement présente, récurrente et distribuée dans l’imaginaire populaire et politique bolivien (Platt 1978 ; Shérif 1986 ; Absi 2003 ; Franzone 2014 ; Croci 2016 ; Delaere 2016). 6 Il ne faut pas oublier que la tenue d’une assemblée constituante était une revendication majeure portée par différents mouvements indianistes et sociaux depuis fort longtemps et était investie du pouvoir de clore l’épisode historique de la colonisation. Il y a donc là un imaginaire constitutionnel qui va au-delà de l’opération technique juridique ou politique et qui va puiser dans le sacré du moment politique des ressources actives marquantes de l’histoire du pays. RJ•E n° spécial 2018 81 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT aussi ce qui lui donne aujourd’hui cette place incontournable et particulière dans la vie sociale et politique bolivienne et qui offre des perspectives importantes et inédites dans le droit de la nature. La Pachamama a en effet offert une opportunité diplomatique essentielle tout comme d’autres entités sacrées qui ont été mobilisées lors de l’assemblée constituante (le Pachakuti et la feuille de Coca notamment). La Pachamama est apparue comme un espace de diplomatie ontologique, permettant de faire converger différentes « versions du monde ». Ainsi, par exemple, pour les constituantes féministes urbaines elle permettait d’avancer une proposition progressiste afin de défendre le droit des femmes. La Pachamama devenant sacrée, ce sont toutes les femmes qui se retrouveraient ainsi « redignifiées ». Le droit des femmes devenait une extension naturelle d’une Pachamama instaurée comme sacrée. Pour les marxistes et nationalistes, cela permettait de nationaliser les ressources naturelles, et d'invoquer une inaliénabilité de certains territoires. La stratégie consistait ici à instaurer la Pachamama comme bouclier, comme rempart au néo-libéralisme. La Pachamama, loin d’invoquer une quelconque sacralité déique pour ces constituants, était avant tout une opération de « sacralisation » du territoire et des ressources naturelles. La Pachamama étant sacrée, ses territoires et ressources devenaient inatteignables et donc inaliénables, inviolables. Elle devenait alors la meilleure garantie contre les privatisations et l’extractivisme, deux phénomènes centraux de la grande période d’ultra libéralisme mis en place en Amérique Latine depuis les années 80. La loi de la Mère Terre de 2011, avant d’être une loi sur l’environnement, doit être lue avant tout comme un manifeste d’économie politique qui protège les territoires, les ressources naturelles de toute privatisation et qui assigne au droit un rôle bien spécifique. Celui-ci va opérer comme un « rattachement » ou « réinscription » (suivant l’expression suggérée par Supiot 2007) du droit et de l’économie à un territoire, opération stratégique consistant à utiliser un dieu comme médiateur d’un droit foncier (et plus particulièrement inspiré du paradigme de la nationalisation). Enfin, pour les communautés indigènes et leurs constituants, cela permettait à la fois de sacraliser certains territoires (dans la lignée d’un analogisme relativement classique) et de protéger des entités qui comptent et auxquelles les uns ou les autres sont attachés (animistes ou analogistes). La Pachamama est alors apparue comme une divinité qui, à l’intérieur de certaines limites (sacralité et territoire), offrait une plasticité ontologique particulièrement bienvenue dans ce contexte où se côtoyaient et entraient en conflit des mondes différents. Ces situations où entrent en friction (Tsing 2004) des cosmologies distinctes sont de plus en plus nombreuses et répandues, conséquence évidente de l’accélération des inter-relations dans un monde globalisé et de la crise écologique qui nécessite de manière dramatique et urgente de faire tenir ensemble des attachements au monde différents et souvent en opposition. L’avantage des divinités de ce type, englobantes et diplomatiques, c’est qu’elles permettent une négociation, un façonnage de leurs attributs selon les besoins de la situation sans rien enlever à leur substance, et donc à leur pouvoir d’action. Les divinités importées et, la plupart du temps, imposées, à travers l’histoire dans les contextes d’invasion et de colonisation, ont montré de tout temps leur plasticité, leur capacité RJ•E n° spécial 2018 82 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT à accueillir une négociation de leurs attributs. On sait que les divinités romaines ont pu s’implanter sans trop de difficulté en endossant les attributs des divinités celtes par exemple, on sait aussi de manière plus récente et documentée, que les missionnaires en Amazonie intégraient les attributs des divinités en présence chez les communautés indigènes à l’ensemble des attributs des saints et divinité catholiques. Certains s’y prêtaient mieux que d’autres, comme la figure de la Vierge Marie, si commodément accueillante des nuances et complexités de la Terre Mère andine, une entité plus menaçante que bienveillante (Harris 2000). La question de la violence du colonialisme est évidemment un élément dramatiquement central de ces partages d’attributs effectués de force. Ce qu’on a appelé euphémiquement syncrétisme religieux pour parler de ces pratiques et croyances entrecroisées et créatrices, ne rend pas compte de la question de la violence, mais c’est aussi la preuve que malgré la violence ou à cause de celle-ci, le façonnage des attributs des divinités selon les besoins des communautés a souvent été remarquablement et efficacement mené. Ces situations de frictions ontologiques (Blaser 2013 ; Demeleunaere 2014 ; Landivar et Ramillien 2015) dramatiques ont contraint les individus et communautés à modeler des divinités permettant une cohabitation cosmologique relative. C’est pourquoi ces séquences de modelage intensives de ces entités peuvent être comparées à des territoires diplomatiques qui s’agencent selon des attributs et non selon des substances, des figures Janussiennes qui n’ont pas besoin de refléter la même chose pour tous les collectifs pour fonctionner. On pourrait ainsi les rapprocher de ce que Ernesto Laclau qualifiait « de signifiants vides » (Laclau, 1996), c’est à dire des espaces de représentations qui tendent à faire converger des opinions ou représentations du monde antagonistes grâce à des dénominateurs communs. Ces derniers sont bâtis sur la nécessité d’une volonté commune pour arriver à une certaine efficience politique (arriver à un texte constitutionnel commun dans ce cas). Cela rappelle très fortement, en action, la proposition cosmopolitique d’Isabelle Stengers (Stengers 2007) : la Pachamama fonctionne alors comme opérateur diplomatique, comme évènement à la fois politique et ontologique. Elle ne représente plus un Dieu passé, inscrit dans des substances immuables et transcendantales, mais évoque plutôt un « archi-actant » (Greimas 1966, p.184), un hyper-sujet qui tient par des négociations fragiles entre conceptions du monde, de la nature, de l’économie, du territoire, de la personne, hétérogènes. L’hyper-sujet est donc bien plus qu’un sujet de droit et s’apparente à de nouveaux « cosmo-colosses » tels qu’ils ont été nommés et décrits par Bruno Latour (Latour 2015). Ces trois caractéristiques de la Pachamama, sacralité, ancrage territorial et plasticité des attributs, expliquent selon nous la place qu’elle occupe aujourd’hui en Bolivie, bien après l’évènement historique constitutionnel, et malgré son inefficacité juridique directe. Nous faisons l’hypothèse que ce type d’entité pourrait, au-delà de l’animisme juridique opérationnel qui lui est associé comme en Équateur, être une piste pour « faire atterrir » un droit de la nature efficace et englobant. En effet, et en premier lieu, ce sont ses caractères sacré et ancré dans un territoire qui permettent à une entité de ce type de ré-instaurer un tiers extérieur, essentiel pour le droit, tiers transcendantal et garant, auparavant endossé par l’État, mais qui RJ•E n° spécial 2018 83 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT a été démantelé par la libéralisation des échanges et l’essor de la contractualisation. Cette piste est à rapprocher des travaux sur les fondements anthropologiques du droit (Supiot 2009) qui montrent que la mondialisation libérale a effectué une décentralisation des jeux de la responsabilité au niveau des acteurs marchands, en amoindrissant le plus possible le recours à un tiers extérieur, instituant et garant des trajectoires politiques et juridiques. La sacralité et l’ancrage sur un territoire de la Pachamama lui permettent de devenir ce tiers qui tend à être de plus en plus absent, et c’est également grâce à ces caractéristiques qu’elle a acquis sa place dans une constitution politique d’une nouvelle modernité. En l’absence de Dieu et devant la métamorphose de l’État nation (l’État bolivien est devenu officiellement à ce moment-là un « État Plurinational »), la Pachamama a pris la place manquante, mais de manière différente. Nous faisons dès lors l’hypothèse qu’une entité de ce type pourrait constituer une piste pour faire évoluer le droit de la nature parce que ces entités, sacrées, ancrées et néanmoins plastiques, outre le fait qu’elles réinstaurent un tiers qui peut réintroduire des rapports plus équilibrés dans le droit, sont avant tout des entités de crise ontologique. La Pachamama est appelée pour permettre la convergence de mondes et de visions du monde qui non seulement se côtoient sans se mélanger (de manière schématique) mais s’affrontent violemment. Une entité de ce type n’est pas une divinité consensuelle qui permet à tout le monde de se mettre d’accord, mais une divinité qui doit être négociée, constamment traduite et donc qui oblige à endosser les habits de la diplomatie. La diplomatie ontologique est une diplomatie de mondes forcés de se côtoyer et de créer ensemble du présent. C’est en cela qu’une entité de ce type peut être mobilisée, pour, dans le meilleur des cas, permettre de créer ces territoires de négociation. CONCLUSION : QUELLE MODERNITÉ DE LA PACHAMAMA FACE À L’ANTHROPOCÈNE ? L’avènement de l’ère anthropocène s’accompagne d’un grand nombre de diagnostics qui convergent en grande partie vers la question des limites. L’anthropocène exige d’abord une certaine clarification de ce qui est possible de maintenir ou faire perdurer dans la nouvelle ère climatique, du point de vue notamment de son impact écologique. Cela se traduit par la nécessité de faire un certain nombre d’arbitrages basés en partie sur des opérations d’exclusion. La Pachamama, comme nous l’avons vu, est un événement éminemment négatif, au sens de Saussure, c’est à dire qui va tirer son ontologie non pas d’une identité immuable et transcendante mais plutôt en réaction à des ennemis ou des situations politiques critiques (néo-libéralisme, patriarcat, colonisation, extractivisme, etc.). On peut alors en effet douter de l’efficacité, en temps d’urgence climatique et de frictions cosmologiques, d’une opération qui consiste à mettre d’accord différentes visions du monde sur des horizons émancipateurs communs prédéfinis. L’universel est ainsi un universel négatif, fait d’ennemis communs, de décisions sur ce qui doit être fermé. RJ•E n° spécial 2018 84 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT L’anthropocène rappelle également la nécessité d’instaurer de nouveaux tiers garants, capables, comme la religion ou l’État à d’autres époques, de garantir la densité ontologique des collectifs humains. On l’a vu, la Pachamama en est une réponse localisée, fragile, mais politiquement efficace. L’anthropocène est également une ère à la fois unificatrice et post coloniale, et en ce sens cela oblige à horizontaliser les rapports au monde et à la nature que tous les collectifs entretiennent. Il est aujourd’hui en effet difficile de penser que la géo-ingénierie comme horizon scientiste puisse s’imposer aux autres collectifs sans créer des tensions radicales sur sa manière de penser le monde et son fonctionnement. L’anthropocène est donc aussi une ère de frictions cosmologiques qui obligent à repenser la posture diplomatique. La Pachamama revitalise certaines formes de traduction et de dextérité déique telles qu’elles étaient opérationnelles avant l’avènement du monothéisme (Assmann 2001 ; 2015 et Bettini 2016). En concaténant les visions du monde, en accueillant différentes conceptions de la nature, la Pachamama ne s’embarrasse pas de réalité objective ou de véracité (à ce titre on peut dire que ceux qui ont le plus souffert de la constituante bolivienne furent les philosophes matérialistes). La Pachamama agit comme le versant en action et décentralisé de la proposition cosmopolitique d’Isabelle Stengers et Bruno Latour (Stengers 2007 ; Latour 2015). Les peuples négocient sur la base d’attachements et de détachements, ils sont obligés de traduire les entités ou divinités qui comptent dans la cosmologie des autres, et un soin particulier est porté aux attributs plutôt qu’aux substances. Enfin, l’opérationnalité technique/juridique faisant cruellement défaut à la figure de la Pachamama (contrairement à l’animisme juridique équatorien), il est parfaitement logique qu’on puisse s’interroger sur sa capacité à concrètement agir dans l’anthropocène7. La Pachamama, contrairement aux entités dignifiées par la Constitution équatorienne, est une entité collective, enveloppante et qui a plus à voir avec l’idée d’un événement cosmopolitique que d’une divinité aux contours bien définis. Cependant, par son rattachement à l’idée de terre et de territoire, elle ouvre la voie à de nouvelles configurations du droit où les territoires pourraient devenir le socle ontologique de référence du droit. On ne s’attacherait plus alors à défendre telle ou telle entité atomisée dans un vaste répertoire extensible à l’infini de sujets de droit, mais un territoire compris dans toute sa densité cosmopolitique : terre nourricière, territoire à défendre, coalition d’entités humaines et non humaines, espace inaliénable et hors marché, commun… Cela oblige cependant les collectifs qui entrent en anthropocène à un certain nombre de renoncements : renoncer à un principe organisateur commun prédéfini, à un universel préétabli qu’il suffirait d’exporter (même s’il s’agit bien, comme pour le cas de la Pachamama, de composer un universel), renoncer à penser les autres modes de relations à la nature comme des croyances 7 La question de l’agir dans l’anthropocène est cependant essentielle et doit être prise fondamentalement au sérieux, dans la mesure où certaines caractéristiques du changement climatique et du CO2 (irréversibilité, cumulativité, persistance) nous obligent à repenser les capacités individuelles ou collectives à agir sur un climat désormais déréglé (l’action anthropique carbonée agit sur un climat stable, mais qu’en est-il une fois le climat déréglé ?). RJ•E n° spécial 2018 85 D. LANDIVAR ET É. RAMILLIEN - DU SUJET DE DROIT À L'HYPER-SUJET DU DROIT ou des représentations, renoncer (du moins provisoirement) à bâtir des mondes communs sur la base d’horizons positifs, renoncer à penser nos attachements sur le mode de la substance, renoncer à penser le sacré comme un tabou incompatible avec nos institutions (pour un sacré cosmopolitique en somme). Bibliographie Absi, P. (2003), Les ministres du diable : le travail et ses représentations dans les mines de Potosí, Bolivie. Akchurin, M. (2015), « Constructing the rights of nature: Constitutional reform, mobilization, and environmental protection in Ecuador », Law & Social Inquiry, vol. 40, n° 4, p. 937-968. Assmann, J. (2001), Moïse l’Égyptien : un essai d’histoire de la mémoire, Éditions Aubier, 2001. Assmann, J. (2015), « Nommer l’Un dans la théologie Égyptienne », Revue des sciences religieuses, 89/2, p. 137-163. Belaidi, R. 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