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Grands projets inutiles

Le contournement routier de Strasbourg, encore un projet inutile de Vinci

En question depuis les années 1970, concrétisé en 1999 puis abandonné, le contournement routier de la capitale alsacienne est ressuscité, avec Vinci aux commandes. Sur place, des opposants venus de tous les horizons récusent la pertinence du projet.

-  Strasbourg, correspondance

Ils sont venus à vélo depuis Strasbourg ou en covoiturage. Ce samedi 5 février, huit jeunes écologistes d’Alsace occupent l’une des cinq cabanes montées sur le futur tracé de l’autoroute. Cinq d’entre eux resteront dormir. Autour du feu, les soutiens défilent. Deux maires de communes voisines, des riverains, un agriculteur… Sur la route départementale, certaines voitures klaxonnent en soutien.

Depuis 2014, c’est la cinquième nuit que passent quelques écologistes sur place. Le reste du temps, les constructions en bois sont vides. Deux autres seront inaugurées au printemps. Elles symbolisent les futurs péages sur le « grand contournement Ouest » de Strasbourg (dit GCO) et doivent sensibiliser les passants. « Occuper le terrain n’a jamais été dans nos habitudes, en Alsace. Mais quand on voit comment les Bretons, qui cassent tout, obtiennent gain de cause, on s’interroge », remarque Alain, 42 ans, habitant d’un village proche du tracé. « Mais s’il y a une opposition, elle sera non-violente », tempère Simon Baumert, animateur du groupe local des jeunes écologistes. Être en permanence sur le terrain leur sera difficile. « Même les plus partants ont une famille. Le tracé fait 24 kilomètres et le calendrier n’est pas connu », ajoute Nicolas. Dernière idée, nationaliser le débat depuis la parution du décret de concession au Journal officiel le 31 janvier.

Vinci, à nouveau mandaté en octobre 2015 

Le projet d’une rocade autour de Strasbourg est ancien. « Dans les années 1970, mon père me parlait déjà d’une route qui devait passer ici », se souvient Dany Karcher, maire sans étiquette de Kolbsheim. Il devient plus officiel en 1994, avec des études préliminaires. L’autoroute A35, qui traverse Strasbourg sur l’axe nord-sud, est saturée, il faut trouver une solution. Au terme d’une série de débats, enquêtes et concertations publiques en 1999 les ministres Jean-Claude Gayssot (PS) et Dominique Voynet (Verts), approuvent la troisième des cinq solutions étudiées, celle du GCO.

En janvier 2012, Vinci est nommé concessionnaire. Quelques mois plus tard, l’État (passé aux mains du PS), lui retire ce statut, faute de financement. Les opposants crient victoire, mais très vite la chambre de commerce et d’industrie, appuyée par la région et le département, de droite, revient à la charge. Le maire de Strasbourg, Roland Ries (PS), véhément opposant jusqu’ici se range à l’idée du GCO, remanié en 2 x 2 voies pour la forme, mais dont l’emprise sur les terres reste presque identique (de 300 hectares à 280 hectares, auxquels devrait s’ajouter un parking de 20 hectares). L’État redonne son accord et après un autre appel d’offres, Vinci est à nouveau mandaté en octobre 2015.

Le projet de GCO, selon la chambre de commerce et d’industrie de l’Alsace. Pour l’heure, le tracé précis reste inconnu.

Sur le fond, les opposants regrettent qu’il n’y ait jamais eu de débat depuis que le projet est ressuscité. « Certains sont contre, mais nous pensons que ce projet diminuera la pollution dans Strasbourg », a botté en touche Philippe Richert (LR), président de la région Alsace, devenue Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, lors des élections régionales. Ce sont peu ou prou les mêmes mots qu’utilise désormais le maire de Strasbourg en présence de ses adjoints écologistes, qui n’ont jamais su peser sur ce dossier. Depuis, il est question d’interdire les camions sur l’actuelle autoroute strasbourgeoise, l’A35, qui serait transformée en boulevard urbain à long terme, pour un coût d’au moins 150 millions d’euros.

Une myriade d’opposants 

« Avec les années, les arguments en faveur du projet changent. D’abord, c’était contre les bouchons, puis pour créer de l’emploi ; maintenant c’est contre la pollution. Il y a un problème avec l’autoroute dans Strasbourg, mais le GCO n’est pas la solution, car les embouteillages sont le matin et le soir, quand les gens de la campagne vont travailler en ville. Et, même pour ceux qui la traversent, qui va utiliser un contournement payant [le tarif de 3 € par passage est souvent évoqué] ? », s’agace Dany Karcher.

L’A35 est actuellement empruntée par 160.000 véhicules par jour. Une moyenne qui descendra péniblement, estiment les opposants, quand on sait que 77.000 personnes habitent hors de l’agglomération mais viennent y travailler. Même parmi les 15.000 camions qui profitent de cette autoroute gratuite – contrairement à son homologue allemande, où une taxe poids-lourd a été instaurée en 2005 – seule une partie traverse l’agglomération, l’autre se rendant au centre ou au port de Strasbourg. L’Association pour la protection de l’air (Aspa) anticipe moins de pollution au long de l’A35, mais plus sur l’agglomération, « avec les vents dominants vers Strasbourg », précise Dany Karcher.

Moyennes annuelles de dioxydes d’azote (NO2) dans l’agglomération de Strasbourg en 2009 (à gauche) et en 2013. La baisse s’explique par l’amélioration des véhicules, selon l’Aspa.

Ces différents arguments ont réuni une myriade d’opposants : les écologistes mais aussi le Modem, des cadres du PS local – qui restent silencieux –, le Parti de gauche, le Parti communiste, l’association des usagers des transports de Strasbourg – où siègent d’anciens élus de droite – des maires sans étiquette ou encore des agriculteurs.

Certains sont sensibles au coût, d’autres à l’inefficacité supposée, d’autres encore aux terres agricoles et aux espaces naturels menacés. « Mais entre ceux qui se disent contre et ceux qui agissent, il y a un monde », regrette Luc Huber, maire de Pfettisheim et membre du collectif GCO non merci, fondé en 2003. Lors de l’inauguration de la cinquième cabane, le 28 janvier, 250 personnes ont fait le déplacement.

 « Pour une fois, nous sommes d’accord avec les écologistes »

Pour Dominique Daul, agriculteur et président d’une des sections locales de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA), l’opposition demeure, mais pas question de suivre les opposants dans une confrontation directe avec les promoteurs. « Si le projet ne se fait pas, ce sera mieux pour tout le monde. Pour une fois, nous sommes d’accord avec les écologistes. On peut regarder les différentes études, le GCO ne réglera pas le problème de la circulation vers Strasbourg. C’est un projet politique et imposé. Mais nous ne voulons pas de double peine. Le projet semble acté et nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas négocier de compensation dès à présent, car les agriculteurs seront les premiers affectés. Nous avons été reçus par Vinci, qui semble disposé à écouter nos propositions. »

Terres agricoles menacées par le projet autoroutier.

Objectif des agriculteurs : obtenir un fonds pour moderniser les exploitations restantes. À la cabane, Thibaut Dimer, agriculteur de 26 ans, est préoccupé. « Ici, les exploitations sont divisées en parcelles. J’ai par exemple 100 îlots répartis sur 65 hectares. Si on m’enlève 30 % de ma terre, ce sera autant de chiffre d’affaires en moins. Ça, c’est un chiffre clair, alors que pour les compensations et les remembrements, on est dans le brouillard. Même le tracé exact n’a pas été publié, donc on ne sait pas comment on est concerné ! »

Les travaux sont prévus pour 2017. En 2016, Vinci devrait finaliser son dossier, voire débuter les expropriations. Les associations opposantes préparent un collectif d’assistance juridique pour les futurs expropriés. Sur le tracé, une occupation différente se profile les 2 et 3 avril. « Ce sera un événement festif et politique pour sensibiliser à ce qui nous attend. On décrétera que c’est une zone interdite aux bulldozers et aux grues », décrit Guillaume Bourlier, habitant d’Ernolsheim et à l’initiative du festival. « Si les travaux débutent, ce sera un endroit symbolique », s’enthousiasment déjà les jeunes écologistes.

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