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Le breton de Ploemeur d’après l’ALBB de P. Le Roux : lecture critique Loïc Cheveau Université Européenne de Bretagne, F-35000 Rennes, France Université Rennes 2, CRBC, EA 4451, F-35000 Rennes, France Le présent travail se place dans le prolongement de ma thèse sur le breton du pays de Lorient, commencée en 2003 et soutenue en octobre 2007 à Rennes 2. Pendant la préparation de ma thèse, j’avais bien étudié et intégré les données de l’Atlas linguistique de Basse-Bretagne de P. Le Roux sur le breton de Ploemeur afin d’utiliser au maximum les formes locales pendant mes enquêtes auprès des bretonnants de la région. Le corpus utilisé comme base à ma thèse était composé d’environ 38 heures d’enregistrements (dont environ 36 heures enregistrées par moi-même, le reste provenant des archives sonores de Radio Bro-Gwened), parmi lesquelles 6 heures 31 d’enregistrements en breton de Ploemeur. J’ai vite constaté des différences assez marquées entre le breton de Ploemeur tel que présenté dans l’ALBB et celui que parlaient mes informateurs. J’ai trouvé des indices pouvant expliquer ces différences dans la première partie de l’ALBB. En effet, P. Le Roux donne les informations suivantes au sujet de son informateur : « Ploemeur, Lorient, Morbihan, marin, 52 ans ; père et mère de Bannalec, 30km N.O. ». Il est surprenant que les deux parents du locuteur choisi par P. Le Roux ne soient pas originaires de la commune étudiée, et surtout qu’ils viennent tous deux d’une commune aussi lointaine, d’un point de vue géographique et linguistique : Bannalec se situe en BasseCornouaille, en pays de l’Aven. Ce fait a donc pu avoir des conséquences sur le parler de l’informateur. Certaines données de l’ALBB pour Ploemeur sont en contradiction avec les éléments que j’ai relevés. Dans cette communication, je me propose de commenter seulement les faits qui ne correspondent pas avec mes observations. En effet, dans le cadre de ma thèse j’ai étudié la phonologie, la morphologie et la syntaxe du breton du pays de Lorient, mais pas les faits lexicologiques : je n’ai pas enregistré tous les mots figurant dans le questionnaire de l’atlas. Je vais donc présenter les différences les plus marquantes entre les données de P. Le Roux et celles de mon corpus, et proposer des hypothèses pour tenter de les expliquer. I. Morphologie. 1. Le tutoiement. La première chose qui frappe est la présence de nombreuses formes de tutoiement dans l’ALBB pour Ploemeur. En effet, sur le terrain on s’aperçoit vite que dans la zone basvannetaise (à l’exception de l’Ile de Groix), les locuteurs n’utilisent jamais le tutoiement, ni spontanément, ni quand on leur demande de traduire de petites phrases en breton, et ne reconnaissent pas les formes de tutoiement quand on les utilise devant eux. Voici les formes relevées : Ploemeur (ALBB) də tə vʁøˈdeːʁ1 us Ploemeur (L.Cheveau) du pʁəˈdeːʁ h ɔχ, mɔχ Groix : da fʁøˈdeʲʁ Groix : us wis h wɛχ Groix : was vis vɛχ Groix : ves tɛ wɛ twa tøs hɥi wɛ ~ wa ~ ɔ pwɛ ~ pwa ~ pɔ pe Groix : te ˈwaj Groix : tE2 fwaj Groix : fes dit ba tə zɔʁn dɔχ ba u tɔʁn gəˈtei ɟəˈnɔχ 220. (mets cela) dans ta bouche 237. (quand) tu sais (quelque chose) 255. (va) dans ton lit ba tə vek ba u pek Groix : dit Groix : na tɔʁn ; Névez : ba tə zɔʁn Groix : ɟəˈnut ; pas de forme similaire ailleurs na ˈfeːk ; Névez : ba tə vek wiˈœs wijət wɛˈʁes ; Névez : ˈwiəs də tə ˈɥelø du cɥeːlə 262. (si) tu fais 323. le tien 502. (attaché) à toi ʁœs tə gɑ͂ˈni dyˈzit ʁət u kaˈni dyˈzɔχ na kɥeˈleʲ ; Névez : ba tə ˈɥelət gʁɛs ; Névez : ʁɛs ha kaˈni ; Névez : tə ˈhæ͂i Français 42. à tes frères 51. (aujourd’hui) tu es (malade) 54. (hier) tu étais (malade) 60. (quand) tu es (malade) 70. toi, tu étais (malade) 86. tu avais (du pain) 89. (quand) tu as (du pain) 107. à toi 173. (tiens cela) dans ta main 209. (je vais) avec toi ALBB : autres dialectes Dans l’ALBB, on remarque que le tutoiement existe dans le parler de l’informateur, mais qu’il n’a pas été systématiquement utilisé dans toutes les réponses où on l’attendait. Dans 1 J’ai choisi de transposer en API les transcriptions de l’ALBB, qui sont faites dans un alphabet phonétique propre à l’auteur et dont les symboles sont parfois difficiles à reproduire sur les logiciels de traitements de texte actuels. 2 J’utilise le symbole E ici pour remplacer le [e] donné par Le Roux, et qui transcrit un son parent de [e], [ɛ] ou [ə] et que le linguiste n’a pas pu définir. certains cas, le locuteur n’a rien répondu (carte 478 : « va ! ») ou a utilisé le vouvoiement : 219. tes chèvres : o koˈʁət 244. quand tu sauras, quand vous saurez : wiˈɛχ 64. tu es (en train)... : eˈmɔχ Dans mon corpus, je n’ai relevé aucune forme de tutoiement à Ploemeur (ni d’ailleurs dans les autres communes étudiées dans ma thèse : Guidel, Caudan et Quéven). A chaque fois que j’ai demandé à un bretonnant de traduire une forme avec « tu », il a systématiquement répondu avec une forme de vouvoiement. Pourtant, mes informateurs étaient enfants à l’époque où les enquêtes de l’ALBB ont été faites (1911) ou sont nés quelques années après, et devraient donc au moins se souvenir de ces formes s’ils les avaient entendues dans leur commune. On remarque également que dans le Nouvel Atlas Linguistique de Basse-Bretagne (publié en 2001, les enquêtes pour Ploemeur ayant été faites en 1988 et 1995), on n’a pas relevé l’existence d’une forme de tutoiement pour la carte 455, concernant le pronom « tu ». Le fait que les parents du locuteur de l’ALBB soient originaires de Bannalec ne semble pas avoir influé sur la présence du tutoiement dans son parler, car d’après les travaux de P.Y.Kersulec, le tutoiement n’existe que de façon résiduelle dans cette commune (elle se manifeste essentiellement par l’utilisation très occasionnelle du possessif ta). On peut donc penser que l’informateur de P. Le Roux a pu être influencé par un autre dialecte. 2. Les déterminants possessifs. Outre la deuxième personne du singulier dont je viens de parler, indiquée [tə] dans l’ALBB là où je n’ai entendu que [u(h)], Le Roux fournit plusieurs formes de déterminants possessifs, différentes de celles que j’ai enregistrées. Français 41. (où est) mon frère ? 41. (donnez cela) à mon frère 172. ma main Ploemeur (ALBB) məm ˈbʁøːʁ də məm bʁøːʁ mən dɔʁn Ploemeur (L.Cheveau) mə ˈbʁøːʁ də mə ˈbʁøːʁ mə ˈdɔʁn ALBB : Groix məm bʁœj dəm bʁœj mən dɔʁn On observe donc dans l’ALBB des formes avec une consonne nasale devant b- et d-, comme en haut-vannetais. Je n’ai jamais relevé de telles formes à Ploemeur ni dans les communes voisines sauf dans l’expression figée [man dwe(j)], mon Dieu !. On pourrait penser à une influence groisillonne ou haut-vannetaise sur le parler de l’informateur de P. Le Roux pour ce point particulier. Le possessif de la première personne du pluriel présente aussi des formes différentes : Français 325. le nôtre 383. notre chien 584. notre maison Ploemeur Ploemeur (ALBB) ən ɑ͂ˈni oʁ ˈhiː o̝n ti Ploemeur (L.Cheveau) ən hɛ͂jˈni əʁ çini ən tini ALBB : autres points Groix : hyn aˈni ; Névez : ˈnæ͂i Groix : hyʁ hi ; Névez : ə ʃi ˈni Groix : hyn ti ; Névez : ɔ͂n ti Je n’ai relevé à Ploemeur et aux alentours qu’un possessif composé de l’article défini, antéposé au syntagme nominal, accompagné du pronom personnel ni suffixé à ce syntagme. D’après ce que j’ai constaté lors de mes enquêtes, la forme de l’ALBB [ən ɑ͂ˈni] est comprise par les bretonnants ploemeurois comme « celui » ou bien « le truc ». [oʁ ˈhi] y signifie « un chien » et [o̝n ti] y veut dire « une maison », du fait de l’homophonie entre les possessifs de l’ALBB et des déterminants indéfinis que j’ai relevés à Ploemeur. 3. La non-personne dans la morphologie verbale. Ploemeur (ALBB) əˈmoʁ Ploemeur (L.Cheveau) ALBB : autres points ən dyd zo Crozon : eˈmoːʁ 77. on était en train (de travailler) 78. on sera 79. si on était 250. on ne sait pas ʰwɛʁ ən dyd wɛ ~ wa ə fɛʁ ma veːʁ wiˈɛʁ cət 269. (ici) on fait (du pain) 353. (quand) on chante ə ʁɛːʁ ən dyd vo ma vɛhɛ ən dyt hæ͂ːni wija cət, ən dɛ͂ːn wija cət... fe gʁɛjt Locmaria (Belle-Ile) : hwɛʁ Calan : i fɛːʁ Clohars-C. : ma vɛʁ Groix : wiˈɛʁ cət gɑ͂neɛʁ ve kæ͂ːnət Français 76. on est en train (de travailler) Groix : e ʁɛʁ ; Névez : ə ʁɛːʁ Groix : gɑ͂ˈnɛːʁ L’ALBB fournit toute une série de formes impersonnelles (ou « non-personnes »). Je n’ai jamais entendu de telle forme en pays lorientais, et à chaque fois que j’ai demandé de traduire en breton une phrase avec l’impersonnel, le locuteur a traduit systématiquement avec un passif, ou avec une tournure avec an den ou an dud. J’ai constaté que l’ALBB fournissait également des formes impersonnelles en différents points du bas-vannetais alors que dans toute cette région je n’en ai jamais entendu. Mon hypothèse est que la non-personne a peut-être disparu de l’usage en bas-vannetais au cours du XXe siècle et a été remplacé par le passif, des périphrases ou la deuxième personne (comme en anglais, « on ne sait jamais » : « you never know »). 4. Autres formes verbales. Français 49. sois (sage), soyez (sages) 52. (aujourd’hui) ils sont (malades) 58. (quand) ils seront 59. (quand) je suis (malade) 61. (quand) ils sont (malades) 84. il a 247. (quand) ils sauront 268. (quand) je ferai 351. (quand) je chanterai 486. (quand) vous viendrez Ploemeur (ALBB) bœt əˈmɔ͂n Ploemeur (L.Cheveau) daː ə dɔʁ bu man ALBB : autres points Calan : bœt vin vɛn vɛn vɛ͂ɲ vɛ͂ɲ vɛ͂ɲ døs wiˈin ʁin gɑ͂neˈhɛn deˈhɛχ, dɛχ nəs wijɛ͂ɲ ʁɛ͂ɲ gæ͂ːnɛ͂ɲ zɛχ Groix : vint Groix : vɛn Groix : vint (Ternes) Groix : des Calan : ə ˈʰwiin Groix : ʁin Calan : dɛχ D’après mes recherches, il semble que l’impératif du verbe être soit sorti d’usage aujourd’hui, et soit remplacé par une périphrase qui signifie « il faut que vous soyiez » (da(v) eo deoc’h bout). Les questions sur je chanterai et peut-être sur vous viendrez (deˈhɛχ) ont peut-être été mal comprises par le locuteur car je chanterai (futur) et je chanterais (conditionnel) sont homophones en français. En effet, les formes données par l’informateur de Le Roux semblent être des formes de conditionnel. Il y a également une forme qui a été mal analysée par Le Roux faute de connaître le dialecte en détail : Ploemeur (ALBB) Ploemeur (L.Cheveau) ALBB : autres points Français niˈbəs Calan : bøs 82. nous avons (du pain) bøs En fait, les formes du verbe avoir à la première personne du pluriel contiennent toujours ni-, qui est fusionné avec la forme verbale proprement dite, et inséparable. On dit par exemple graet ni-beus, « nous avons fait », là où la syntaxe interdit normalement que l’on place un sujet entre un participe passé et un verbe conjugué, ou pa ni-bo, « quand nous aurons », là où on ne peut placer un sujet juste après la conjonction pa. Il semble que Le Roux ait compris que la forme verbale soit ici bo, alors que l’élément ni fait également partie de cette forme, au lieu d’être simplement un pronom antéposé. Enfin, en ce qui concerne les formes du présent habituel, on peut comparer les formes suivantes : Ploemeur Ploemeur Ploemeur ALBB : autres points (ALBB) (L.Cheveau) forme du présent ponctuel en divers mœs me points du vannetais et de la Cornouaille mwa məzɛ Groix : mbwaʲ ; forme de l’imparfait ponctuel en divers points du vannetais et de la Cornouaille Français 88. (quand) j’ai 90. (quand) j’avais L’informateur de Le Roux a utilisé le présent ponctuel et l’imparfait ponctuel là où le présent habituel ou l’imparfait habituel seraient attendus. Mes informateurs, eux, connaissent et utilisent des formes différentes pour le ponctuel et l’habituel. Il est difficile de dire si les formes habituelles n’existaient pas dans le parler de l’informateur de Le Roux, ou s’il ne les a simplement pas utilisées dans ses réponses. II. Phonologie 1. Le h- initial étymologique Français 72. elle, elle est 156. goûter 258. l’été 307. graine, la graine 307. semer 308. aboyer 309. nom 319. soleil 322. aucun 327. sel Ploemeur (ALBB) i wɛ aveˈʁœn ən ˈɑ͂ːɔ͂ aːt, ən aːt aˈdɑ͂ɲ aˈhaːl ɔ͂ː jɔːl ˈɑ͂ːni ˈaːlən Ploemeur (L.Cheveau) hi ~ çi + wɛ ~ wa ~ ɔ haveːʁən ən hæ͂ːw haːt, ən haːt haːdɛ͂ɲ hahal hɔ͂ːn çawl hæ͂ːni haːlən D’une manière générale, le h- initial a disparu en haut-vannetais littoral, dans l’ouest de la Cornouaille et en Léon. Pour Ploemeur dans l’ALBB, le h est donc généralement muet, mais on a 554 : haˈlɑ͂ɲ. En revanche, dans ce que j’ai collecté, le h est toujours prononcé (y compris après les articles). 2. La lénition du g-. D’après mes recherches, quand il est lénifié le g- disparaît dans les dialectes du pays lorientais (au moins), tout comme en gallois. Mais d’après l’ALBB, il devient h- : Français 202. un lièvre 216. la jambe 218. la chèvre 233. de la lumière 285. une racine 301. la taupe Ploemeur (ALBB) oʁ ˈhat əʁ ˈhaʁ əʁ ˈhoːʁ oʁ hulɔˈwɛn oʁ huʁˈjœn əʁ ˈhow Ploemeur (L.Cheveau) o ˈʁat ə ˈʁaːʁ ə ˈʁoːʁ oʁ ulɔwən oʁ uʁjən ə ˈʁo D’après l’ALBB, Ploemeur est le seul point du vannetais, avec Plélauff, où le g- devient haprès l’article. En revanche, cette mutation est en usage dans la majeure partie de la zone KLT. Par ailleurs, on peut noter également qu’à la question sa laine (224) , l’informateur a répondu [i gloˈɑ͂n] : on peut supposer que l’absence de mutation soit due au fait que l’informateur ait mal compris la question, et qu’il ait répondu en utilisant le possessif féminin (qui lui ne fait pas muter le g). 3. Le r- initial non-muté. Français 150. brûler 443. chevaux 543. grenouille ; gelée 545. rats 547. donné ; donner 548. crin 549. chemise (d’homme) 550. roue ; roues Ploemeur (ALBB) ʁɔʃˈtɑ͂ɲ ʁɔ͂ˈsœt ʁɑ͂n ; ˈʁɛo ʁaˈhœt ʁɑ͂ɲ ; ʁɛjt ʁɑ͂ːn ʁɔˈʃøt ʁoːt ; ʁoˈdɔw Ploemeur (L.Cheveau) ʁ̥ʷɔʃtɛ͂ɲ ʁ̥ɔ͂sət ~ ʁ̥ɔsət ʁ̥æ͂ːn ; ʁ̥ɛːw ʁ̥ahət ʁ̥ɛjt ; ʁ̥ɛ͂ɲ ʁ̥æ͂ːn ʁ̥ʷɔʃət ʁ̥oːt ; ʁ̥oːdɔw Le r- à l’initiale absolue est sonore dans tous les mots pour Ploemeur dans l’ALBB. D’après mon expérience, il est sourd dans presque tous les mots (la seule exception que j’aie notée est le nom de lieu [ˈʁwɛwən], « Rennes »). 4. Le s- initial non-muté. Dans certains cas, Le Roux donne des formes qui commencent par s- là où j’ai entendu seulement un z- : Français 145. samedi Ploemeur (ALBB) saˈdɔːʁn 306. chanson sɔ͂ˈnœn Ploemeur (L.Cheveau) zadɔʁn ; disadɔʁn zɔ͂ːnən 559. savon soɛˈwøn zwɛwən ALBB (autre (autre points) points) Groix : saˈdɔʁn le mot sonenn avec un [s] initial est surtout haut-vannetais. la forme que nous avons collectée est très proche de celle de Calan [ˈzwɛʷɔ͂n] Pour la question samedi, il est surprenant de constater que Le Roux écrit « la même forme, précédée de di- ou de- (v. carte 142) est l’adverbe de temps samedi », mais qu’il ne précise pas que le z- initial devient s- dans ce cas, quel que soit le dialecte. Pour d’autres mots, les formes données sont bien en z- et correspondent en cela à ce que j’ai relevé : zaχ et ˈziəʁ (555), zɛː (556), zɑ͂t et zɛ͂ːt (557), zɛh et zɛhɑ͂ɲ (560), zɛˈhuʁ et ziˈœt (561), zyːn (570). Le fait qu’un s- initial étymologique suivi de voyelle ou semi-consonne se prononce z- en initiale absolue est un trait essentiellement trégorrois, haut-cornouaillais et bas-vannetais. Le fait que pour ces trois mots, l’informateur de Le Roux ait donné des formes en s- vient peutêtre d’une influence bas-cornouaillaise ou haut-vannetaise, alors qu’il a conservé la forme « originelle » bas-vannetaise pour les autres mots. 5. Autres formes prononcées différemment. Français 207. appelé, appeler 209. avec toi 210. avec lui 211. avec elle 212. avec nous 213. avec vous 214. avec eux 430. courtil Ploemeur (ALBB) galɥœt ; galvɛ͂ɲ gəˈtei ɟəˈtɔ͂ ? gəˈtɔ͂ gəˈti gəˈnem ? gənɔˈhɥi gəˈtɛː liɔʁχ Ploemeur (L.Cheveau) galwət, galwɛ͂ɲ ɟəˈnɔχ ɟəˈtɔ͂ ɟəˈti ɟəˈnem ɟəˈnɔχ ɟəˈtɛ jɔχ ALBB (Groix) HV gə HV gə HV gə HV gə HV gə HV gə Névez : ˈliɔʁs Appelé ; appeler, la conservation du -w- non-initial ancien (ainsi que la prononciation [w] de la plupart des -b- vieux-bretons intervocaliques) semble typique des dialectes lorientais à l’intérieur de l’ensemble vannetais : je l’ai relevée à Ploemeur, Guidel, Quéven et Caudan, alors qu’elle semble absente ou rare dans le pays Pourlet et en haut-vannetais (où on a le plus souvent un [ɥ]). Pour les formes pronominales de la préposition get : la présence d’un g palatalisé semble typique du bas-vannetais également. Il est surprenant de voir que la plupart de ses formes ont un g- non-palatalisé dans l’ALBB pour Ploemeur. On pourrait y voir une influence du hautvannetais, voire de la Cornouaille, car nous n’y avons relevé que le g- palatal (de même que dans le reste du pays lorientais). Pour le mot courtil, c’est la conservation du li- initial devant la voyelle qui est surprenante, car en bas-vannetais, l’usage est souvent de transformer ce groupe en [j] à l’initiale. D’ailleurs, deux autres termes présentés dans l’ALBB présentent cette évolution : livre (428) : [joːʁ] ; toile (439) : [jɑ͂ːn], ce qui tendrait à prouver que liorzh y fait exception à la règle. Il pourrait s’agir d’une influence d’un dialecte haut-vannetais, de la Cornouaille (qui ont [li-]) ou de Groix (qui a [lʲ-]). III. Lexique Le Roux a relevé un certain nombre de mots différents de ceux que j’ai entendus. Je ne donne ici que ceux qui diffèrent de ceux que j’ai relevés ; il y en a peut-être d’autres, qui ne se sont pas trouvés dans la conversation avec mes informateurs. Ploemeur (ALBB) dimøʁheːʁ Ploemeur (L.Cheveau) bɛn diməʁ̥çeːʁ ALBB (autres (autres points) points) əˈbɛn əʁ ˈgeːʁ maːχ plaχ dɔχˈty baʁ ˈgeːʁ ʒo u m̥ʰɛχ 461. janvier ɛʁˈvøːʁ ɟənøːʁ 462. février ɛʁˈɥɛːʁ hevʁøːʁ 467. septembre 519. comment ɟɛˈnolo pəˈnɔʃ ʒæ͂ːʒəli pɛχmot pratiquement tout le vannetais Groix : əʁ gɛːʁ maʁχ merc’h partout sauf à Bréhat (avec [mɛʁχ] comme première forme) et Ploubazlanec : plaχ aucune forme similaire ; la forme groisillonne indiquée correspond à ce que j’ai collecté. aucune forme similaire ; à Groix, Clohars-Carnoët et Bubry la forme est assez similaire à la forme que j’ai collectée. Tréméven : ɟɛˈnɔlə Groix : peˈnoʃt Français 142. mercredi (futur) 171. tout de suite 366. à la maison 443. cheval 446. (votre) fille aucun exemple avec a-benn préfixé Mercredi : il est surprenant de ne jamais trouver a-benn dimerc’her sur la carte 142 (à moins que Le Roux l’ait systématiquement enlevé pour ne mettre en lumière que le mot signifiant mercredi). En effet, pour tous mes informateurs bas-vannetais, dimerc’her signifie mercredi dernier, tandis que mercredi prochain se dit a-benn dimerc’her, comme dans d’autres dialectes. Tout de suite : le mot a-benn me semble surtout haut-vannetais, même si j’ai relevé cet adverbe dans certaines expressions figées, notamment à Guidel dans le dicton deñventigoù du, glav doc’htu ; deñventigoù gwenn, glav a-benn (« petits moutons (nuages) noirs, pluie immédiatement ; petits moutons blancs, pluie tout de suite »). Mais le mot utilisé spontanément est toujours doc’htu à Ploemeur, chez mes informateurs. A la maison : l’utilisation de la préposition e est surprenante car d’après mon expérience cette préposition n’est utilisée en bas-vannetais que dans de rares expressions figées, et pas dans à la maison. On peut donc penser ici à une influence du haut-vannetais ou de Groix. Cheval : d’après mes informateurs, le mot marc’h signifie étalon, et non cheval, qui se dit [ʒo]. Comment : le mot penaost est connu à Ploemeur, mais il signifie quelle sorte de, ou quel. Ex : penaost loen oa hennezh ?, quelle sorte d’animal était-ce ?. Penaost y sert également de conjonction de subordination. La façon habituelle de dire comment est pezhmod dans les communes de Quéven, Ploemeur et Guidel (au moins). IV. Hypothèses La distance parfois assez importante entre le breton ploemeurois présenté dans l’ALBB et celui que j’ai collecté ces dernières années (et celui qui a été enregistré dans les années 1990 par les animateurs de Radio Bro-Gwened) m’a amené à formuler plusieurs hypothèses au sujet des influences possibles : - une influence du breton des parents (originaires de Bannalec, en pays de l’Aven). Mais les formes différentes de celles que j’ai relevées ne ressemblent généralement pas à celles de la région de Bannalec (sur l’ALBB, les communes les plus proches sont Scaër et Elliant). - une influence du dialecte de régions visitées par le locuteur, car ce dernier était marin. On peut penser en particulier à l’île de Groix, notamment pour expliquer des formes de tutoiement notamment, telles que ous, tu es. - une influence du dialecte des collègues de travail sur le bateau: le long isolement sur un navire a dû favoriser les influences réciproques entre les dialectes des marins, s’ils venaient de communes différentes. Certaines formes fournies par Le Roux ne ressemblent à aucune autre forme donnée dans l’ALBB dans les autres communes. Ce fait nous laisse entrevoir de deux autres hypothèses : - certaines formes étaient peut-être en usage à l’époque des enquêtes de Le Roux, est auraient disparu entre-temps. Cela semble être le cas pour les formes impersonnelles des verbes, et pour les formes impératives du verbe être. - il y a peut-être un dialecte ploemeurois du littoral différent de celui des terres (c’est ce dernier que j’ai enregistré), et peut-être influencé par Groix, en particulier pour le tutoiement. Mais le fait que mes informateurs ne comprennent pas les formes de tutoiement tendrait à faire penser que la population de l’intérieur des terres et de la zone côtière avaient vraiment peu de contacts, sans quoi mes locuteurs auraient au moins gardé le souvenir du tutoiement. La question de la représentativité du parler de l’informateur de P. Le Roux pour Ploemeur se pose donc. J’ai l’intention de poursuivre autant que possible les enregistrements linguistiques de bretonnants de naissance (tant qu’il en reste) dans l’ouest du Morbihan. J’espère pouvoir retrouver des locuteurs du breton ploemeurois, en particulier sur la zone côtière : ils me permettront peut-être de confirmer ou d’infirmer certaines de mes hypothèses. Bibliographie CHEVEAU, L. (2006), « Les mutations consonantiques en breton vannetais littéraire et en breton lorientais », in : Journal of Celtic Linguistics 10, Cardiff : University of Wales Press. CHEVEAU, L. (2007), « Object Personal Pronouns in Lorient Area Breton », in : Studia Celtica 41, (à paraître). CHEVEAU, L. (2007), Approche phonologique, morphologique et syntaxique du breton du Grand Lorient (basvannetais), thèse de doctorat, Université de Rennes 2. (téléchargeable ici : http://loig.cheveau.ifrance.com/breton/These_Loic_Cheveau.pdf ) LE DÛ, J. (2001), Nouvel atlas linguistique de Basse-Bretagne, Brest : CRBC LE PIPEC, E. 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