De l’esprit d’un concours : Montesquieu au programme de l’agrégation de philosophie

Portrait anonyme de Montesquieu (d’après une médaille sculptée par Jacques-Antoine Dassier).

On sait que parmi les auteurs que l’histoire a retenus comme les « philosophes français des Lumières », le seul qui jouisse d’une présence majeure et indiscutée dans les programmes de philosophie en France est paradoxalement celui dont l’inscription au sein des Lumières est la plus problématique : Rousseau. Certes, l’Essai sur les éléments de philosophie de D’Alembert et l’Essai sur l’origine des connaissances humaines de Condillac ont pu avoir les honneurs des épreuves orales de l’agrégation de philosophie, avant que les portes des épreuves écrites ne soient récemment ouvertes à Diderot [1]. Le fait reste toutefois assez rare pour que la présence de Montesquieu au titre de la session 2025, aux côtés d’un auteur récurrent (Augustin, trois fois inscrit en vingt ans [2]), soit digne d’intérêt. Il ne s’agit pas de la première consécration agrégative d’un des philosophes politiques les plus influents de la tradition française [3]. Montesquieu n’avait cependant jamais figuré dans les annales de l’épreuve la plus symbolique en termes de reconnaissance académique : la troisième épreuve écrite, dite d’histoire de la philosophie, qui prescrit à tous les candidats l’étude systématique d’une partie importante (voire de la totalité [4]) des écrits d’un philosophe, et non d’une œuvre choisie. Corrélativement, c’est la première fois que Montesquieu n’est pas réduit au seul de ses textes dont la place dans le panthéon philosophique est généralement admise : L’Esprit des lois. Le programme prévoit en effet la lecture de cette œuvre maîtresse aux côtés de la Défense de l’Esprit des lois, mais aussi des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence et de la Dissertation sur la politique des Romains dans la religion. Surtout, il est remarquable que les Lettres persanes figurent – et même priment, chronologie oblige – dans la liste des œuvres soumises à la sagacité des candidats. Car le voyageur persan qui, avec une légitime surprise, découvrirait les mœurs agrégatives, se convaincrait vite qu’il n’y a rien d’usuel à ce que le jury de philosophie arrête son choix sur une œuvre sinon romanesque (Montesquieu ne désigne ses Lettres que comme « une espèce de roman [5] »), du moins fictionnelle. Lorsque Diderot avait été intronisé à l’écrit, on avait précautionneusement exclu un texte comme Le Neveu de Rameau – malgré l’intérêt que lui portait Hegel. Si l’inscription au programme ne préjuge pas du choix du texte qui « tombera » effectivement à l’écrit, il y a un geste théorique notable, de la part des instances universitaires françaises, à inviter à lire en philosophe ce classique des études littéraires que constituent les Lettres persanes.

Programme de la troisième épreuve de la session 2025 de l’agrégation externe de philosophie.

Rares sont à l’agrégation les convergences entre les programmes de philosophie et de lettres. Les Pensées de Pascal peuvent sans doute se flatter d’être l’œuvre que littéraires et philosophes revendiquent le plus équitablement. Elles sont plus timidement suivies par les Essais de Montaigne, récurrents à l’agrégation de lettres (à l’exception précisément du livre II, contenant la très philosophique « Apologie de Raymond Sebond ») et inscrits à l’agrégation de philosophie en 2006 et 2024. On relèvera qu’une seule œuvre postérieure à la Révolution a été jugée digne de la double attention des candidats de philosophie et de lettres : De la démocratie en Amérique de Tocqueville. Bergson a beau avoir été honoré du Prix Nobel de littérature, les jurys de lettres ne s’aventurent pas à le faire figurer au programme. Inversement, il est douteux que l’auteur du Dictionnaire philosophique – l’un des textes de Voltaire les plus souvent proposés aux agrégatifs de lettres – ait jamais sa place dans la formation des professeurs de philosophie, exclu qu’il est du programme de terminale. Un cas emblématique est celui des auteurs qui sont communs aux deux agrégations, à condition de tracer une ligne de partage rigide entre celles de leurs œuvres qui intéressent les philosophes et celles qui sont la chasse gardée des littéraires. Sartre, lui-même fameux lauréat du concours (en philosophie), est-il inscrit à l’agrégation ? Soit, à condition que ce soit pour L’Être et le néant en philosophie (2015) et pour des œuvres fictionnelles en lettres : théâtrales (Le Diable et le bon Dieu en 1983) ou narratives (Le Mur en 2022). Chose plus surprenante, ce cloisonnement disciplinaire est imposé à l’œuvre de Rousseau. L’analyse des rapports entre désir, bonheur et imagination dans la lettre VI, 8 et l’examen du mensonge dans la quatrième promenade ont beau volontiers figurer dans les manuels de philosophie, La Nouvelle Héloïse et Les Rêveries du promeneur solitaire sont abandonnées par les philosophes aux littéraires. Il est à déplorer, à l’inverse, que les jurys de lettres se retiennent de mettre à l’honneur le second Discours ou l’Émile.

Certes, on pourra invoquer pour mémoire tel programme de littérature (comparée et non française) qui proposait à l’étude Le Contrat social, aux côtés de textes d’Aristote, Machiavel et Hobbes – non sans susciter le désarroi des candidats [6]. Il s’agit toutefois de décisions désormais très anciennes, comme le choix symétrique, à l’écrit de l’agrégation de philosophie, d’un texte de Proust à l’époque où l’épreuve sur notion se présentait sous la forme d’un commentaire et non d’une dissertation [7]. L’incursion du côté des programmes comparatistes devrait se doubler d’une prise en compte des programmes de lettres classiques, parmi lesquels les auteurs du canon philosophique sont bien mieux représentés qu’ailleurs : Platon d’abord (on n’est pas réticent à faire étudier La République aux candidats de lettres classiques), mais aussi Lucrèce (seul poète philosophe consacré dans les programmes à ce double titre) et précisément Augustin (qu’on ne songerait pas inscrire à l’épreuve d’histoire de la philosophie sans un texte, les Confessions, qui est également un monument littéraire). Les exceptions – c’est-à-dire les terrains communs – existent donc [8], même si les deux agrégations veillent en règle générale à affirmer leur singularité méthodologique en distinguant les corpus qui relèvent de leur expertise.

Montesquieu, extrait des Quelques réflexions sur les Lettres persanes (1754).

Montesquieu paraît l’un des auteurs propres à fragiliser les partages disciplinaires les mieux établis. Raymond Aron l’écrivait : « de quelle discipline relève Montesquieu ? À quelle école appartient-il ? L’incertitude est visible dans l’organisation universitaire française [9] ». Dans le cas des Lettres persanes, l’université a de toute évidence canonisé l’œuvre comme un jalon dans l’histoire littéraire française. Il n’en demeure pas moins que ces Lettres, au nom de la (trop ?) fameuse « chaîne secrète [10] » qui selon l’auteur permet de « joindre de la philosophie, de la politique et de la morale » aux prestiges de la fiction, s’offrent à une lecture philosophique. Des travaux, articulant anthropologie et politique, en ont donné l’exemple [11]. L’étude d’un tel texte suppose néanmoins de prêter une attention soutenue aux dispositifs énonciatifs, à la modulation des perspectives, aux renversements narratifs (la lettre ultime de Roxane) qui constituent aussi des renversements idéologiques. De façon générale, c’est bien la question de l’ironie – sous une forme qui n’est pas celle de l’ironie socratique – qui doit être intégrée à l’élucidation philosophique du texte. À cet égard, il est notable que le chapitre le plus célèbre de L’Esprit des lois (XV.5), où l’auteur manie une ironie acerbe pour réfuter les tentatives de justification de l’esclavage, soit traditionnellement davantage étudié dans les cursus de lettres que de philosophie. Le commentaire doctrinal peut difficilement faire l’économie de la réflexion littéraire. Il ne peut pas non plus ignorer les enjeux philologiques, complexes s’agissant de cette œuvre « “mobile” dont les éléments s’ajoutent parfaitement mais qui a connu d’autres combinaisons » [12]. Enfin, l’inscription de Montesquieu au programme suppose de faire dialoguer philosophie et histoire. Il s’agit certes de réfléchir à la théorie de l’explication historique que Montesquieu développe contre tout providentialisme, mais aussi au « recours à l’histoire empirique qu’il opère en permanence [13] », dans L’Esprit des lois non moins que dans les Considérations et la Dissertation. Une étude approfondie de l’œuvre requiert que l’on « prête attention à son histoire et à l’histoire [14] ». C’est à ces conditions que peut pleinement être comprise la conceptualité de l’auteur, qu’il s’agisse au premier chef des lois, définies comme les « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses » (la nécessité et le hasard étant par ailleurs le couple de notions sur lequel porte la deuxième composition), des mœurs, du despotisme dans son opposition avec la modération, ou encore de la distinction entre tyrannie réelle et tyrannie d’opinion [15].

Montesquieu and the spirit of modernity, éd. David W. Carrithers et Patrick Coleman (Oxford, Voltaire Foundation, 2002).

Parmi les travaux explorant la philosophie de Montesquieu, les Presses Universitaires de Liverpool ont la générosité de mettre à disposition, en libre accès temporaire, une série de textes publiés dans la collection des Studies on Voltaire and the eighteenth century. C’est le cas d’abord d’un article de synthèse, rédigé selon une double perspective littéraire (Catherine Volpilhac-Auger) et philosophique (Catherine Larrère), qui aspire moins à présenter un traditionnel état des lieux que les linéaments d’un « Montesquieu en mouvement », à partir du chantier des Œuvres complètes. Deux ouvrages collectifs sont ensuite proposés aux candidats. Dans l’introduction du premier (Montesquieu and the spirit of modernity, SVEC 2002:09), David Carrithers replace Montesquieu dans une lignée de figures fondatrices de la modernité politique et présente l’actualité plurielle de L’Esprit des lois, « le traité de l’ère des Lumières les plus clairement lié à l’émergence de la science sociale moderne » (p.5). C’est bien la question de la modernité qui structure le volume, organisé de façon quadripartite. Après une étude sur « comédie et modernité » dans les Lettres persanes (Stéphane Werner), des travaux portent sur la théorisation de la différence entre Anciens et Modernes chez Montesquieu (Catherine Volpilhac-Auger, James Muller, Diana Schaub, Elena Russo), puis le questionnement se déploie sur les plans politique, économique et juridique (Céline Spector, David Carrithers, Carol Blum, Louis Desgraves), avant que deux articles envisagent la postérité philosophique et politique de l’auteur (Daniel Blewer, Catherine Larrère).

Montesquieu en 2005, éd. Catherine Volpilhac-Auger (Oxford, Voltaire Foundation, 2005).

Dans le second ouvrage collectif (Montesquieu en 2005, SVEC 2005:05), une étude de Catherine Volpilhac-Auger, préalable à l’introduction du troisième volume des Œuvres complètes (2008), porte sur la genèse de L’Esprit des lois. Les agrégatifs tireront profit de la lecture de l’article de Céline Spector, qui étudie la position singulière d’un auteur ne souscrivant « ni à la conception classique du droit naturel, ni à la volonté d’imposer une politique universaliste des droits de l’homme » (p.242). Prenant pour point de départ la réception contrastée des réflexions économiques de Montesquieu, salué par Keynes comme « le plus grand économiste français », Catherine Larrère explore le statut de « l’esprit de commerce » (L’Esprit des lois, V.6) chez Montesquieu et sa critique de l’expérience de Law. Jean Ehrard distingue le concept de constitution et celui, auquel Montesquieu donne une extension nouvelle, de loi fondamentale. Au-delà de L’Esprit des lois, on pourra consulter des articles consacrés aux Lettres persanes (de Jean-Paul Schneider, Yannick Seité, Catherine Volpilhac-Augé, Laurence Macé, Philip Stewart) ainsi qu’une étude d’Olga Penke invitant à comparer la réflexion de Montesquieu sur l’histoire avec celle de Voltaire. C’est bien le rapport de Montesquieu aux modèles historiques qu’invite à considérer le dernier ouvrage mis à disposition, Montesquieu and the spirit of Rome de Nathaniel Gilmore. L’auteur, en soulignant le rôle matriciel du discours sur Rome dans l’œuvre de Montesquieu, montre que c’est « seulement en revenant à Rome que l’on peut comprendre la modération de Montesquieu, sa personnalité d’écrivain, sa place dans l’historiographie et son évaluation complexe du monde moderne » (p.8).

Montesquieu écrivain canonique : nul n’en pouvait douter ; ce programme contribue en revanche à conforter sa place dans le canon philosophique. Il ne faut pas y voir un nouveau figement de l’œuvre mais la preuve de la richesse des approches – philosophiques, littéraires, mais aussi historiennes voire sociologiques – à laquelle elle s’offre. Le cas singulier de l’auteur des Lettres persanes et De l’esprit des lois est ainsi une invitation féconde à interroger les biais interprétatifs qu’entérinent certains partages disciplinaires postérieurs aux textes auxquels on s’est accoutumé à les appliquer. Montesquieu serait-il un auteur enclin à déjouer, dans leur esprit sinon dans leur lettre, les lois des concours de l’enseignement ?

– Nicolas Fréry


[1] En 1998 pour D’Alembert, en 2003 et 2018 pour Condillac, en 2021 pour Diderot. Les programmes postérieurs à 2002 peuvent être consultés sur le site Philopsis. Nous remercions Philippe Gambette de nous avoir indiqué que les programmes antérieurs sont consultables dans l’index des cours du Collège Sévigné.

[2] Avant 2025, Augustin a été inscrit au programme en 2005 et 2017, sans compter sa présence à l’épreuve orale de commentaire d’un texte latin (en 2013 pour le De trinitate).

[3] De l’esprit des lois avait été inscrit au titre de l’épreuve orale de commentaire d’un texte français ou traduit en français en 2004.

[4] L’ensemble de l’œuvre de Platon était au programme de la session 2020, ainsi que toute celle de Nietzsche à l’exception des fragments posthumes. En 2011, le bulletin officiel pouvait laconiquement annoncer : « Kant. », même si la session 2023 se « limitait » aux trois Critiques.

[5] Montesquieu, « Quelques réflexions sur les Lettres persanes », dans Œuvres complètes (Oxford, Voltaire Foundation), t.I (2004), p.42.

[6] Pierre Brunel note à ce sujet : « s’il s’était agi de l’agrégation de philosophie, un tel programme n’aurait sans doute surpris personne. Mais pour un concours littéraire, et une épreuve de littérature comparée, il a plongé les candidats et leurs professeurs dans la perplexité la plus grande » (L’État et le souverain, Paris, PUF, 1978, p.9).

[7] Voir le sujet de la session 1974, avant que le « commentaire “explicatif et critique” d’un texte ou document portant sur une question au programme » soit remplacé en 1979 par une composition sur une notion, un couple ou un groupe de notions au programme.

[8] Parmi les auteurs anciens, on ajoutera bien sûr Cicéron et Sénèque, mais aussi des auteurs comme Ambroise de Milan ou Lactance. On relèvera que le panthéon – restreint – des auteurs ayant été inscrits aux deux agrégations ne comporte pas d’autrice. De la littérature de Staël est en effet le seul texte théorique écrit par une femme à avoir été inscrit au programme de l’agrégation de lettres et les seules autrices à ce jour proposées à l’agrégation de philosophie sont Arendt et Weil.

[9] Raymond Aron, Les Étapes de la pensée sociologique (Paris, Gallimard, 1976), p.25.

[10] Voir à ce sujet Catherine Volpilhac-Auger, « Pour en finir avec la “chaîne secrète” des Lettre persanes », Montesquieu : une histoire de temps (ENS Éditions, 2017).

[11] Céline Spector, Montesquieu : Les Lettres persanes. De l’anthropologie à la politique (Paris, PUF, 1997). Voir aussi Colas Duflo, « Les lettres persanes et le “roman politique” », Autour des Lettres persanes : Montesquieu et la fiction, dir. Aurélia Gaillard, Lumières 40 (2022), p.15-29.

[12] Catherine Volpilhac-Auger, Introduction à De l’esprit des lois dans Œuvres complètes de Montesquieu, t.I, p.LXXXVIII.

[13] Bertrand Binoche, Introduction à De l’esprit des lois de Montesquieu (Paris, PUF, 1998), p.5.

[14] D’après le rapport du jury de la session 2004, où L’Esprit des lois était inscrit au programme des épreuves orales.

[15] Voir Céline Spector, Le Vocabulaire de Montesquieu (Paris, Ellipses, 2001). Sur le concept de tyrannie d’opinion chez Montesquieu, voir Bertrand Binoche, « Montesquieu et les deux tyrannies (De l’esprit des lois, XIX, 3) », dans Le Monde parlementaire au XVIIIe siècle, dir. Alain Lemaître (Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010), p.155-67.

Julie de Lespinasse: head and hand (2)

In an earlier blogpost, I wrote about Lespinasse’s last will and testament, her insistent request for D’Alembert to have her head opened soon after her death, her bequest to him of a chiffonnière with nine drawers because she had heard him say he loved drawers, and her instructions as to what he should do with the papers that he would find when he opened the drawers of the desk and large cupboard she also left him. In this blogpost, I want to say a bit more about the only papers she asked him not to burn, her manuscripts, some loose, some bound, four volumes of which are today at the Voltaire Foundation.

If they have not been studied to date, it is no doubt, at least in part, because what she calls ‘mes manuscrits’ were not hers in the sense in which we now tend to understand that phrase, which is to say they are not, for the most part, writings by her in her hand. Lespinasse is largely neither the author nor the copyist, and most of her manuscripts were hers only in the sense that she owned them. To use another phrase from her last will and testament, they were ‘ce que j’ai d’ecrit’. Moreover, what she had by way of writing did not consist in manuscripts in the usual sense of that term: they are not, for the most part, autographs. The texts are, for the most part, not in the hands of their authors. So, what did Lespinasse own and bequeath?

Copies of and extracts from a wide range of texts by a wide range of writers (Fig. 1), reproduced in mostly very neat and sometimes quite beautiful handwriting (Fig. 2) by a large number of unidentified copyists, working from printed as well as manuscript sources.

Fig 1. Tables of contents from Mss 70, 71 and 73. Ms 70 contains two cahiers, each with a table of contents in D’Alembert’s hand (the two on the left here).
Fig. 2. First page of ‘Aventure d’un jeune officier anglois chez les sauvages Abenakis; tirée de mémoires particuliers’ (VF, Ms 71).

Four of these manuscript volumes ended up at the Voltaire Foundation because when they came up for sale in Paris in May 1968, Theodore Besterman bought them, and he did so because among the many different texts they contain, there are numerous copies of letters to and from Voltaire, notably the exchange between D’Alembert and Voltaire in which the latter addresses ‘Bertrand’ and signs off ‘Raton’. I think it’s right to say that all the letters in this exchange had already appeared in print by the time Besterman came to add them to his edition and that Lespinasse’s copy is in some cases the only contemporary manuscript instance we have. But this is not all the volumes contain; very far from it.

Fig. 3. ‘Vers envoiés à la Cour pour mettre sous le portrait de Mr. d’Alembert’ and ‘Vers d’un agonisant pour le portrait d’un homme qui ne mourra point’ (VF, Ms 70).

There are items from many other major correspondences of the eighteenth century, those of Catherine II of Russia, Frederic II of Prussia, Mme Geoffrin, J.-J. Rousseau, Galiani. Some of these letters had already appeared in print, though it’s not clear whether any were copied from print or not, and certainly some must have been copied from manuscript. There are songs and verses on a wide variety of events and occasions, and there are ‘Vers trouvés dans la poche d’un jeune homme qui venait de perdre sa maîtresse, le désespoir le porta a prendre de l’opium, mais trouvant le poison trop lent, il se tua d’un coup de pistolet le 27 juillet 1753 Rue de l’Orangerie à Versailles dans un hotel garni’; and ‘Vers envoiés a la Cour pour mettre sous le portrait de Mr. d’Alembert’, and ‘Vers d’un agonisant pour le portrait d’un homme qui ne mourra point’ (Fig. 3).

Fig. 4. ‘Suite du Voiage sentimental’ (VF, Ms 73).

There also are literary portraits from the memoirs of the cardinal de Retz and by the marquis de Lassay, Deffand and Lespinasse; there are philosophical treatises, including a ‘Discours sur l’immortalité de l’ame’ and a ‘Du suicide’, neither attributed to Hume in the manuscript though they are certainly his and were first published in French translation; there’s an ‘Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune, ou Regrets sur ma vieille robe de chambre de M. Diderot’, an ‘Aventure d’un jeune officier anglois chez les sauvages Abenakis tirée de mémoires particuliers’ (Fig. 2), and a ‘Suite du Voiage sentimental’, the latter by Lespinasse, though not in her hand (Fig. 4).

There are pages and pages of synonyms (Fig. 5), some but not all of which appeared in the Encyclopédie, signed ‘0’ for D’Alembert, an exception being ‘Simplicité, modestie’, which I also found among the loose papers in the Fonds Guizot in Lespinasse’s hand.

Fig. 5. Synonyms (VF, Ms 71).

And there are pages of excerpts from Émile, La Nouvelle Héloïse and many other works, some of which are in Lespinasse’s hand (Fig. 6).

Fig. 6. Extracts in Lespinasse’s hand (VF, Ms 70).

Thanks to the generosity of the OUP John Fell Fund, I have a small grant to work on what I am calling ‘Lespinasse’s Manuscript Miscellany,’ and I have my work cut out. We need to establish what the texts are, where they were copied from, whether they are all copies, and if any pieces are original. Do any also appear in other manuscript recueils? A brief look at Deffand’s miscellaneous papers along with her bound recueil in the Lewis Walpole Library at Yale already suggests some commonalities. What authors are present? Some are named; some are not but are obvious, such as Diderot; others I have identified, such as Saint-Lambert and Hume; but many are yet to be. And how important a concept even is the author in Lespinasse’s legacy? Can we identify the copyists? We know that the philosophes shared copyists; can we find any of them here? And what do the texts say together as a collection? The Enlightenment is usually (and rightly) thought of as an age of print with manuscript being reserved for ‘radical’ texts; but is this evidence of a different kind of manuscript Enlightenment? And what can Lespinasse’s bequest tell us, if anything, about her activities in the socio-literary world? None of these questions has a simple answer.

With respect to that final question, in fact, when you open a volume, you might be forgiven for asking the same question as the sleeping D’Alembert in Diderot’s comic dialogue Le Rêve de D’Alembert: ‘Qui est là? Est-ce vous, Mademoiselle de Lespinasse?’. For if you can find her hand, it’s not her head, and if you find her head, the text is someone else’s hand. But I am glad to be making an attempt, nearly two hundred and fifty years after her death, to open her manuscripts and, perhaps in so doing, look inside her head.

– Kate Tunstall

This two-part blogpost uses some of the material I presented at a panel run by Andrew Clark and Joanna Stalnaker on ‘Women and Posterity’ at the 2024 ASECS meeting in Toronto.

Julie de Lespinasse: head and hand (1)

Fig. 1. The envelope of Julie de Lespinasse’s last will and testament (Photo: Archives nationales, MC/RS//542, details).

‘Je veux que six heures apres ma mort, on me fasse ouvrir la tête’. That is the first instruction given by Julie de Lespinasse in her last will and testament, addressed to D’Alembert as her executor. The line comes as a bit of a surprise or, at least, it did to me. I was expecting, somewhat illogically I realise on further reflection, that what she would be wanting to have opened six hours after her death would be something more obvious like the envelope containing her last will and testament, which does state: ‘A Monsieur Dalembert. Ceci est le testament de Mlle de lespinasse, pour être ouvert au moment de sa mort’ (Fig. 1).

But, of course, he had already opened it by the time he came to read the line about wanting her head opened. It is not metaphorical. At least, there are no metaphorical possibilities at this stage in the will, the second sentence, the first in her voice, the preceding one being wholly formulaic, ‘ceci est mon testament, et mes dernieres volontes, au nom du pere, du fils et du st esprit’. She really does want her head opened: ‘Je veux que six heures après ma mort, on me fasse ouvrir la tête par un chirurgien de la charité ou d’un autre hopital’. I don’t know enough about the history of autopsy and/or of leaving one’s body to science, but it is revealing to compare Lespinasse’s testamentary instruction with that of Mme Du Deffand: ‘je veux que mon corps soit gardé dans le lit où je mourrai autant que faire se pourra, et qu’au moins vingt-quatre heures après mon décès, ouverture soit faite de mon corps’. By comparison, then, Lespinasse wanted opening within a quarter of the time, and not her full body. She was not interested in having doctors examine her heart, her liver, her spleen. For a woman whose heart would be central to her literary posterity, following the publication of the letters she wrote to Guibert which he did not burn, she was herself exclusively concerned with her head, the inside of her head. And I am interested in it too, albeit metaphorically, and yet not, I think, against her will.

Having informed D’Alembert of his duties as executor, Lespinasse’s will informs him of what she wants for him as a legatee, and it is here that she authorises a metaphor: ‘J’espere que monsieur dalembert voudra bien accepter comme une marque de ma tendre amitie mon secretaire de bois de rose a dessus de marbre, une grande armoire de bois de rose ou sont mes livres, et une chifoniere de bois de rose a neuf tiroirs, je lui ai oui dire qu’il aimoit les tiroirs, je le prie avec instance de veiller a ce que j’aye la tête ouverte peu de tems après ma mort’ (Fig. 2).

Fig. 2. D’Alembert’s inheritance (Photo: Archives nationales, MC/RS//542, detail).

We might say she bequeaths him a set of drawers for him to enjoy opening – who knew D’Alembert liked drawers! – in exchange for him opening her head. And of the other items she leaves him, one is a writing desk or ‘secrétaire’, which is to say an object entrusted with secrets, and the other, a large ‘armoire’ containing her books. (I could not help thinking of Baudelaire’s ‘gros meuble à tiroirs [qui] cache moins de secrets que mon triste cerveau’.) So, what was hidden in the drawers of Lespinasse’s head? What was stored on the rosewood shelves of her brain?

Fig. 3. Lespinasse’s instructions to D’Alembert regarding her papers (Photo: Archives nationales, MC/RS//542, detail).

There were papers, which she instructs her executor to burn: ‘je prie encore monsieur dalembert de vouloir bien faire bruler devan lui tous les papiers ou j’ai ecrit desus pour être brulé et c’est presque a tout ce que j’ai d’ecrit, sans y comprendre pourtant mes manuscrits dont j’ai disposé’ (Fig. 3).

And he seems to have done so: I know of no extant papers with ‘pour être brulé’ written on them, though I have found one paper saying ‘ne jettés ni cette lettre ni ce discours je veux les garder’. But what of ‘mes manuscrits dont j’ai disposé’? The will disposes as follows: ‘je prie monsieur de st chamans de recevoir, comme une marque de ma tendre amitié, tous mes manuscrits, tant ceux qui sont reliés que ceux qui ne le sont pas’. I haven’t yet managed to find much out about monsieur de Saint-Chamans, but what can we find out about the manuscripts that were not so important as to need burning but important enough to be bequeathed as a mark of loving friendship? The after-death inventory of Lespinasse’s possessions lists as the last item in the category ‘les livres’: ‘Six vol. in-8o manuscrits et un paquet de différens manuscrits non-reliés, prisés vingt-quatre livres’. Has anything survived?

The answer is yes.

Fig. 4. Spines of the four VF volumes (Mss 70-73).

At the Voltaire Foundation, there are four quarto volumes, amounting to over 1600 pages in total, the spines of each volume bearing the words ‘Manuscrits légués par Mlle de Lespinasse’ and the names of the bookbinder, ‘Herring & Muller’, active in Paris in the early part of the nineteenth century (Fig. 4). An identically bound folio volume of some 235 pages is to be found in the Archives nationales in the Guizot family archive, along with some loose papers – Pauline Guizot, née de Meulan, having been Saint-Chamans’s niece. To judge by an 1877 description of the Guizot archive by Charles Henry, much has gone missing, though inasmuch as Henry’s description was evaluative, it may itself have been responsible for some of the dispersal: the volume present in the archive today was bought back in 1992 by the Guizot Association, Henry having judged it to be of no interest. And there is a further quarto volume of another 417 pages to be found in the Bibliothèque Nationale de France in the Département des manuscrits. Although its binding has nothing to say of Lespinasse and her name is not mentioned in the catalogue entry, a mere glance at the titlepage instantly reveals it to belong with one of the VF volumes: it reads ‘Recueil de differens morceaux en prose et en vers. Tome III’ in D’Alembert’s hand, just as the titlepage of the second of the VF volumes (Ms 71), also written in D’Alembert’s hand, reads ‘Recueil de differens morceaux en prose et en vers. Tome II’ (Fig. 5).

Fig. 5. Titlepages, BnF volume (left); VF, Ms 71 (right).
Fig. 6. Spine of the BnF volume.

The binding on the BnF volume, restored in 1974, looks like an eighteenth-century binding (Fig. 6): is it one of the six mentioned in the after-death inventory? Did Ms 71 resemble it before being rebound by Herring and Muller to make a set of matching volumes, at least one of which was assembled after Lespinasse’s death, its table of contents page, not in D’Alembert’s hand, referring to ‘[l]es cahiers non reliés’? How and why the BnF volume got separated from the others, I don’t know. And I don’t know either what has happened to ‘Recueil de differens morceaux en prose et en vers. Tome I’, nor whether there was a tome IV, a tome V, and a tome VI. These are not, however, the only questions thrown up by Lespinasse’s manuscripts. Others concern not so much her head as her hand and its near-total absence from what she called ‘mes manuscrits’.

To be continued…

– Kate Tunstall

Un cas d’école ? Germaine de Staël et l’agrégation

Portrait d’Anne-Louise-Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein par Marie-Éléonore Godefroid
(© RMN-GP Château de Versailles / Franck Raux).

Dans les programmes de littérature française de l’agrégation, où le cloisonnement entre les siècles a force de loi, rares sont les passe-murailles. Ce privilège était même jusqu’alors l’apanage d’un seul auteur, Claudel, qui après avoir eu trois fois les honneurs du concours au titre de l’œuvre du XXe siècle1, a représenté le XIXe siècle avec la deuxième version de Tête d’or (1894) le temps de la session 2006. Aussi est-il remarquable que Germaine de Staël, présentée en 2000 comme une écrivaine du XIXe siècle pour son roman Corinne (1807), rejoigne à présent, avec son essai fondateur De la littérature (1800), le cercle des auteurs du XVIIIe siècle ayant bénéficié de cette reconnaissance académique. Un petit vent de révolution soufflerait-il sur le concours ? On peut le penser littéralement, tant la date fatidique de 1789 peine à être outrepassée – sauf pour les habitués des programmes que sont André Chénier et le Beaumarchais de la Mère coupable – lorsque la présidence de l’agrégation arrête son choix sur l’œuvre du XVIIIe siècle qui sera soumise à la sagacité des candidats. Jamais, à vrai dire, ne s’était-on autant approché d’un seuil séculaire qu’avec De la littérature. Le défi avait été relevé deux fois par Les Aventures de Télémaque, mais on accorde plus facilement à un texte de 1699 son brevet d’œuvre du XVIIe siècle2 qu’on n’accueille un texte de 1800 dans la famille des œuvres du XVIIIe siècle, même s’il est bien connu qu’en toute rigueur calendaire le XIXe siècle n’a commencé que le 1er janvier 1801 (ou le 11 Nivôse an 9 ?). On se prend à imaginer un bulletin officiel où figureraient aux côtés de De la littérature des textes comme les Mémoires de d’Artagnan de Courtilz de Sandras (1700), Le Journal d’une femme de chambre de Mirbeau (1900) et L’événement d’Ernaux (2000).

Première page de De la littérature (Paris, Maradan, 1800) (Gallica / Bibliothèque nationale de France).

Avec De la littérature, le cru 2025 offre ainsi un cas-limite qui permet par excellence d’interroger les biais, institutionnels et interprétatifs, induits par la délimitation séculaire. Le « cas Staël » est d’autant plus révélateur que sa présence au programme constitue à un autre titre un événement pour les études dix-huitièmistes. Elle devient en effet la première autrice à entrer dans le canon agrégatif pour le XVIIIe siècle. Le seul siècle qui n’avait jusqu’alors jamais été représenté par une écrivaine dans les annales du concours se voit doté pour la session 2025 d’une figure de proue dont l’appartenance séculaire fait débat. Il est frappant que ce trouble dans le canon soit suscité par un essai majeur qui, précisément, s’intitule De la littérature considérée dans son rapport avec les institutions sociales3. La notion de siècle4 et la destinée des « femmes qui cultivent les lettres5 » sont des questions sur lesquelles Staël se prononce dans cet ouvrage où se déploie une philosophie de l’histoire et une politique de la littérature. Enjeux de périodisation et de spécialisation, représentation des plumes féminines : il n’y a rien d’anecdotique, du point de vue de l’histoire des institutions et de la réception, à réfléchir sur ce que traduit ou trahit cette (ré-)inscription de Germaine de Staël à l’agrégation.

Les auteurs que le hasard a fait vivre à la frontière de deux siècles s’exposent à être les mal-aimés des programmes. Ils satisfont en effet mal à une attente implicite : celle de pouvoir incarner un siècle au cours de l’année de préparation. Ils risquent en outre de laisser une importante béance avant ou après eux : pour la session 2025, cent cinquante-cinq ans de vie littéraire se sont écoulés de La Suite du Menteur à De la littérature. De là la relative impopularité de ces écrivains de l’entre-deux : Fontenelle, dont les dates sont emblématiques (1657-1757) et qui n’a jamais eu droit de cité à l’agrégation, en sait quelque chose. D’autres que Staël et Claudel pourraient certes jeter un pont entre deux siècles : Gide, trois fois au programme pour le XXe siècle, serait candidat à un recul vers le XIXe siècle si Paludes (1895) et Les Nourritures terrestres (1897) avaient les faveurs du jury. Les réticences sont toutefois grandes, l’échelonnement par siècles commandant la structure du concours mais aussi plus généralement les spécialisations universitaires. Ce profilage séculaire est l’objet de débats auxquels on pourra se reporter6. Il n’est pas difficile de faire valoir quelle est la part d’arbitraire dans ces délimitations qui ne sont pas celles qui prévalent dans les autres sciences humaines. La périodisation est nécessaire, mais pourquoi une durée de dix décennies, et pourquoi un terminus a quo et un terminus ad quem qui soient des multiples de cent ? S’il faut vraiment découper l’histoire littéraire en tranches7, la tranche séculaire est-elle celle qui se justifie le mieux ? L’ironie trouve à s’exercer : on se doute que nul événement fracassant survenu entre le 31 décembre 1800 et le 1er janvier 1801 ne justifie que Sophie Cottin, pour citer une contemporaine de Staël, devienne entre Claire d’Albe (1800) et Amélie Mansfield (1802) une écrivaine d’un autre siècle.

En réalité, ce partage séculaire a beau être discutable, il y a lieu de craindre qu’à trop le remettre en cause on fragilise un enseignement de l’histoire littéraire – surtout des périodes dites « anciennes » – déjà menacé. L’agrégation obéit en France à des logiques scientifiques, mais aussi (et d’abord ?) pédagogiques et institutionnelles, qu’on ne saurait négliger sans quelque risque de jouer les demi-habiles. Il n’en demeure pas moins qu’une prise de conscience de ces biais est salutaire. Chaque siècle charrie un imaginaire, nécessairement simplificateur, qui informe le regard porté sur les œuvres qu’il a vu naître. La tentation est grande, au moins du point de vue des candidats, de considérer Staël soit comme l’héritière des Lumières soit comme une pionnière du romantisme selon le siècle auquel on l’affilie – surtout quand on l’intronise dans le premier cas comme essayiste, dans le second cas comme romancière8. Ces questions se posent et en rejoignent d’autres : une œuvre se comprend-t-elle mieux par l’amont ou par un plus proche aval ? Faut-il considérer que tel texte parachève une période ou en ouvre une nouvelle ? La notion de « fin de siècle », forgée au tournant des XIXe et XXe siècles, peut-elle s’appliquer rétroactivement aux siècles antérieurs ? D’autres facteurs influent sur la représentation séculaire d’une œuvre. Ainsi de l’éventuel contenu historique : les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, dont la publication date de 1617, peuvent être systématiquement inscrits au titre de l’œuvre du XVIe siècle parce que le recueil est connu comme une fresque saisissante des Guerres de Religion. Il n’est pas rare enfin que, dans le monde académique, l’aire de spécialité des exégètes contribue à l’affiliation d’un auteur à un siècle ou au contraire en résulte partiellement (de spécialiste d’un écrivain, on devient spécialiste d’un siècle). Toujours est-il qu’on peut se réjouir des travaux destinés à faire émerger de nouvelles périodisations, comme les années 1680 à 17209, ou encore la période 1760-1830, champ d’exploration de la revue Orages, qui accorde une place de choix à l’œuvre staëlienne.

À l’occasion de l’inscription de Corinne à la session 2000 du concours, les Cahiers Staëliens avaient fait paraître un volume s’ouvrant sur un propos introductif de G. Gengembre intitulé « Mme de Staël, d’un siècle à l’autre ». S’il s’agissait alors de se féliciter de la consécration de Staël à l’aube du XXIe siècle, ce titre prend un autre sens à présent que les annales de l’agrégation l’institutionnalisent comme une écrivaine du XVIIIe siècle autant que du XIXe siècle. En 2000, Staël marquait l’histoire du concours doublement : elle était à la fois la première autrice inscrite au programme pour le XIXe siècle (Sand et Desbordes-Valmore la rejoindront tardivement en 2021 et 2023) et la première tous siècles confondus à « tomber », selon le verbe consacré, à l’écrit de l’agrégation externe de lettres modernes. Avant Marguerite de Navarre en 2006, elle avait les honneurs de l’épreuve reine dès sa première apparition au cours, acquérant ainsi un « taux dissertatif10 » maximal, là où Racine et Marivaux sont des vedettes des programmes mais proportionnellement de grands perdants à l’écrit. Le sujet de la session 2000 sur Germaine de Staël (on écrivait alors « Madame de Staël11 ») interrogeait précisément son identité d’écrivaine, en invitant, à partir d’une citation de Madelyn Gutwirth, à réfléchir sur « les conséquences du silence imposé à la femme ». Le débat reste ouvert : identifier les autrices à leur statut d’autrice, n’est-ce pas risquer de les y réduire ? Quel choix sera fait si à vingt-cinq ans de distance Staël l’emporte à nouveau sur ses concurrents – et, cette fois, sa concurrente – en lice pour la composition française ? Quelle que soit la décision du jury, l’inscription de Staël au concours en 2025 est à nouveau chargée de symbole. Le XVIIIe siècle était en effet le dernier siècle pour lequel aucune autrice n’avait été inscrite depuis la création du concours. Alors que Marguerite de Navarre et Louise Labé figurent depuis longtemps dans les annales, que Lafayette et Sévigné n’ont pas manqué d’être consacrées à l’agrégation comme dans les manuels scolaires, et que Colette était entrée au concours en 1968 avant Aragon, Céline ou Sartre, le XVIIIe siècle ne pouvait jusqu’alors revendiquer à l’agrégation que des plumes masculines. Il y a lieu de s’en étonner, quand on songe aux œuvres de Françoise de Graffigny ou Isabelle de Charrière, qui ont fait l’objet de travaux nombreux et d’éditions fiables, ou encore de Claudine de Tencin, Louise d’Épinay, Manon Roland, Félicité de Genlis. Les nouveaux visages sont dans les programmes plus rares parmi les œuvres d’Ancien Régime que parmi celles du XIXe siècle et surtout du XXe siècle12 ; certains des nouveaux entrants qui rejoindront néanmoins dans un avenir proche le cénacle des auteurs de concours seront-ils, pour le XVIIIe siècle, des nouvelles entrantes ?

Le programme d’agrégation, par le rôle structurant qu’il joue – et, nous le souhaitons, qu’il continuera à jouer – dans le système académique français, est un observatoire privilégié pour s’interroger sur certaines reconfigurations des méthodes et des canons, et la session 2025 suscite à cet égard de riches questionnements. Bien des précisions seraient à apporter : la distinction entre canon d’auteurs et canon d’œuvres13 ; entre textes réputés classiques et textes effectivement étudiés dans les classes ; entre la fonction pédagogique du concours et le rôle, qu’on lui fait de plus en plus assumer, de vitrine et d’aiguillon de la recherche. Il faudrait montrer plus nettement comment réaménager le canon n’implique pas « d’ajouter ce qui a pu être absent de notre histoire, mais plutôt de réapprendre à voir et à écouter ce qui a été effacé à un certain moment, sur la base d’un jeu de normes et de résistances qui doit être étudié au cas par cas14 ». On gagnerait également à s’interroger sur la conjonction entre l’évolution du canon littéraire et celle, même discrète, du canon philosophique, comme en témoigne en particulier, dans le cas de Staël, le récent numéro des Cahiers Staëliens consacré à « Staël et la philosophie15 ». À cet égard, il ne laisse pas d’être frappant que De la littérature soit le premier texte théorique écrit par une femme à faire son entrée dans le programme de l’agrégation de lettres, qui jusque là avait proposé à l’étude des poétesses, des romancières, une épistolière, une autobiographe et une dramaturge. C’est aussi le partage entre belles-lettres et philosophie qu’invite à mettre en question un ouvrage qui, comme De la littérature, montre que « toute représentation littéraire porte en elle la trace structurelle, avec les moyens qui lui sont propres, d’un regard philosophique sur le monde16 ».

Germaine de Staël: forging a politics of mediation, éd. Karyna Szmurlo (Oxford, Voltaire Foundation, 2011).

Il importe pour terminer – blog de la Voltaire Foundation oblige – d’indiquer des ressources sur Staël publiées dans les Studies on Voltaire and the eighteenth century (notamment un volume coordonné par Karyna Szmurlo), de signaler des articles consacrés aux rapports complexes qu’entretient Staël avec Voltaire (d’Edouard Ousselin et plus récemment de Stéphanie Genand), et de renvoyer à la Besterman Lecture de 2022, dispensée par Helena Rosenblatt sur « Madame de Staël et les origines du libéralisme ». Nous ne pouvons que souhaiter qu’en 2025, comme en 2000, le programme fasse naître des « vocations staëliennes17 ».

– Nicolas Fréry

  1. Voir la « Liste des auteurs français au programme des agrégations de lettres et de grammaire depuis 1960 » établie par Mathilde Barraband et Laurence Gélinas dans Du « contemporain » à l’université (Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2015). Nous ne considérons dans ce billet de blog que les programmes de l’agrégation dite de lettres modernes, créée en 1960. Nous n’aborderons pas le choix des œuvres médiévales, parce qu’il n’obéit pas directement à une logique séculaire (un texte du XIe siècle peut alterner avec un texte du XVe siècle). ↩︎
  2. D’autant que le centre de gravité scolaire du XVIIe siècle est bien sûr sa seconde moitié. ↩︎
  3. Sur le sens de ce titre et le dialogue qu’il suppose avec L’Esprit des lois de Montesquieu, voir la présentation de Jean Goldzink dans Germaine de Staël, Œuvres critiques, II : De la littérature et autres essais littéraires, in Œuvres complètes, dir. Stéphanie Genand (Paris, Honoré Champion, 2013), p.69. ↩︎
  4. Voir notamment le chapitre XIX de la première partie, « De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » ainsi que le chapitre XX, dont le titre vaut programme : « Du dix-huitième siècle jusqu’en 1789 ». Il faudrait s’interroger sur les enjeux – chronologiques, axiologiques – de formules récurrentes comme « le siècle de Périclès », « le siècle d’Auguste », « le siècle de Louis XIV ». ↩︎
  5. Titre du chapitre IX de la seconde partie de De la littérature, éd. Gérard Gengembre et Jean Goldzink (Paris, GF, 1991), p.332-42. ↩︎
  6. Voir par exemple Jean Marie Goulemot, « Vouloir ne plus être dix-huitièmiste… », Revue de synthèse, 3e série, 97-98 (1980), p. 37-52. Le critique souligne que « l’essentiel est la question posée qui découpe, déconstruit et reconstruit le champ où on l’applique » et que « ce qui nous unit ou nous divise ne relève pas de la période où nous inscrivons nos recherches, mais bien des questions posées et des moyens mis en œuvre pour tenter d’y répondre » (p. 51). On gagnera à lire à ce sujet les récentes réflexions de Lucien Derainne sur son blog « Ébruiter les méthodes ». ↩︎
  7. Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ? (Paris, Seuil, 2014). ↩︎
  8. Les auteurs s’étant illustrés dans plusieurs genres ont un statut particulier à l’agrégation. Les auteurs du XVIIIe siècle les plus souvent inscrits au programme ont fourni des œuvres relevant de genres différents (par ordre décroissant d’occurrences : Marivaux, Voltaire, Diderot, Rousseau), à l’inverse des auteurs les plus sollicités pour le XVIe et le XVIIe siècles (Montaigne, Rabelais, Molière, Racine, Corneille). Après 1800, aucun autre auteur que Victor Hugo ne peut se prévaloir d’avoir été inscrit au programme pour des œuvres aussi génériquement variées. ↩︎
  9. Ainsi de René Démoris, qui s’est notamment attaché à ce « moment électif, entre classicisme et Lumières » (Christophe Martin, « In memoriam René Démoris (1935-2016) », Revue d’histoire littéraire de la France, 2016/3, p.768). ↩︎
  10. « Valeur statistique intéressante, mais non prédictive, hélas », malicieusement définie par Beate Langenbruch dans un article (« Corneille, auteur de concours », Appropriations de Corneille, Publications numériques du CÉRÉdI, 25, 2020) auquel le présent billet de blog doit beaucoup. Une apostille pourrait être ajoutée à cet article avec l’inscription de trois comédies de Corneille au programme de la session 2025. ↩︎
  11. Voir à ce sujet Damien Zanone, « Le sens d’un nom », En attendant Nadeau, 50 (2018). Le programme paru le 10 avril 2024 sur le site du ministère annonce cette fois « Germaine de Staël ». ↩︎
  12. Qu’on en juge à l’échelle des années 2014 à 2024 : sept noms font leur première apparition au XXe siècle (Yourcenar, Bonnefoy, Bouvier, Beauvoir, Cendrars, Genet, Sarraute) et un pour le XVIIIe siècle (Casanova). Différence de vivier, dira-t-on ? Biais contemporanéiste ? On invoquera plutôt la différence d’objectif : pour le XXe siècle, patrimonialiser des textes (plus ou moins) récents, quitte à ce qu’aucun auteur ne se taille la part du lion (deux tomes d’À la recherche du temps perdu n’ont pas encore été au programme) ; pour les siècles plus anciens, maintenir l’actualité d’un corpus « classique » qui est loin d’être toujours connu de près. ↩︎
  13. Baudelaire est bien sûr un habitué du concours, mais non ses Salons, sur lesquels a porté la composition française en mars 2024. Les amis de Marivaux peuvent se réjouir de son succès dans les programmes ; il aura toutefois fallu attendre sa septième inscription pour qu’il figure comme journaliste. ↩︎
  14. Jean-Christophe Abramovici, Stefania Ferrando, Stéphanie Genand, Florence Lotterie, « Introduction » au volume Normes et genres dans l’Europe des Lumières, Dix-huitième Siècle, 55/1 (2023), p.20. ↩︎
  15. « Staël et la philosophie », dir. Johanna Lenne-Cornuez et Charlotte Sabourin, Cahiers Staëliens, 73 (2023). ↩︎
  16. Florence Lotterie, « Madame de Staël. La littérature comme “philosophie sensible”, Romantisme, 124/2 (2004), p.20. ↩︎
  17. Formule de Gérard Gengembre dans « Mme de Staël, d’un siècle à l’autre », Cahiers Staëliens, « Madame de Staël, du XIXe siècle à l’agrégation », 51 (2000), p.6. ↩︎

The Eighteenth-Century Studies Collection: a major step in the digital enlightenment

Besterman’s vision for Studies on Voltaire and the Eighteenth Century

In a report written on 20 January 1950 to his newly formed ‘International Advisory Committee’, Theodore Besterman noted that his ‘search for Voltaire correspondence had brought to light other manuscript material’; he envisioned publishing ‘many by-products’ with the hope that his efforts on the correspondence would lead to ‘something bigger’. [1] In May of that year, he wrote to Norman Torrey, a member of the advisory committee, that out of frustration with the lack of activity among other publishers, ‘I have decided to establish a new series, Eighteenth-Century French Studies’. [2] The same day, he wrote to André Delattre, inquiring if he had found a publisher for his repertory of Voltaire letters, and explained the rationale for ‘a new series of Eighteenth-Century French Studies. This is for various reasons… partly because of the intolerable publications bottle-neck in this country’. [3]

That July he reported to the same advisory committee ‘I am to edit a series entitled “Eighteenth-Century French Studies”, the first volume of which will be an edition of Voltaire’s note-books’. [4] In September, he wrote to his closest collaborator, Bernard Gagnebin, that he would retain material that could not be included in the edition of the correspondence ‘pour les Eighteenth-Century French Studies, en français naturellement’. [5]

By April 1952, he was at work planning out the envisioned Institut et Musée Voltaire in Geneva, and he wrote to Herbert Dieckmann, who had recently discovered the Diderot manuscripts, that ‘if the institute is established, it is my intention to set upon foot a publications policy to enable such undertakings as a critical edition of Diderot’s works at the expense of the institute and without interference…’ He continued: ‘The endless talk that goes on about the crisis in learned publication seems to me singularly unprofitable; what is needed is to do something’. [6]

That something, of course, would be the Institut et Musée Voltaire. In early September 1954, as he prepared for the public launch of the Institut the following month, he wrote to Pierre Lelièvre, the influential French art historian then working under Julien Cain overseeing all French public libraries, and who provided him essential assistance in obtaining Voltaire manuscripts from provincial French libraries. He expressed to Lelièvre his joy to have the latter’s collaboration in the preparation of ‘le premier volume’ of a new series. [7]

In November 1954, having now formally established and publicly launched the Institut, and having published the Notebooks as well as the initial volumes of the Correspondence, he wrote again to Torrey and mentioned the need for a serial, conceived as a venue for additional manuscript material, now referred to as the ‘Travaux sur Voltaire’. [8] The first volume did appear in 1955 and with its second volume, in 1956, adopted the title Studies on Voltaire and the Eighteenth Century; it has continued to appear mutatis mutandis for nearly 70 years, since 2015 as the Oxford University Studies in the Enlightenment. Besterman had envisioned it not only as a companion to the Voltaire correspondence (which would itself evolve into the Œuvres complètes de Voltaire) but as the basis for a wide-ranging publication program of source material and commentary on eighteenth-century French literature.

Oxford University Studies in the Enlightenment ONLINE: an expansion of the archive for 2024

This year, through the expansion of its online offerings of digital editions of Voltaire Foundation publications, Liverpool University Press has brought together a collection that fulfils the original vision of Besterman. This began in 2019 with the publication of the Oxford University Studies in the Enlightenment ONLINE ebook collection including over 500 volumes of the series published up through 2016. This year, the online collection is expanding, in two ways.

First, the collection will be enhanced with 57 additional volumes from the Oxford University Studies in the Enlightenment print series, published from 2017 through 2021. Almost every major development in eighteenth-century scholarship of the past few years is well represented in this set. This includes a number of particularly noteworthy volumes, in literature, history, art history, philosophy, and environmental studies, as well as two volumes in digital humanities scholarship. Geographically there are books covering France, Britain, Italy, Greece, Russia, China, Persia, Mexico and the Caribbean. Authors range from Rousseau and Bernardin de Saint-Pierre to Linnaeus, from Buffon to Beccaria, and from Vico to John Millar, Potocki, Catherine the Great, and, of course, Voltaire. Topics covered range from the history of sexuality and libertine fiction to classical tragedy, from volcanoes and geographers to scepticism, and from atheism and the Catholic enlightenment to slavery and republican political theory. Here one can read works on the emergence in the eighteenth century of empirical historiography, the art of letter writing, the aesthetics of history painting, and the work of creating an encyclopaedia. 

This collection includes critical editions such as the Marquis d’Argenson’s Considerations sur le gouvernementthe journal of the naturalist Pierre-Joseph Amoreux, and the translation of Vincenzo Ferrone’s major study on the rights of man. From established scholars to debutant students to non-specialists seeking a resource on the Enlightenment, all will find value in having such a broad and rich range of scholarship accessible with only a few clicks and searchable with only a few keystrokes.

This collection had already been enhanced, in 2023, with the inclusion of nine volumes published in the Vif series, combining texts and commentary. It had also included two special volumes, available Open Access: a collection of essays on Voltaire’s contes and nouvelles for the 2020 agrégation and Robert Darnton’s 2022 lecture, ‘Theatricality and Violence in Paris, 1788’, delivered to commemorate the historic occasion of the celebration of the completion of the Œuvres complètes de Voltaire.

This year, the digital collection will expand further with the inclusion of several major Voltaire Foundation editions of texts and commentaries available in digital format for the first time. This includes five collections of correspondence by leading eighteenth-century figures – La Beaumelle, Helvétius, André Morellet, Pierre Bayle and Madame de Graffigny (accompanied by an edition of her Lettres d’une Péruvienne). The enhanced collection will also include the complete works of Montesquieu accompanied by several volumes of interpretive essays on Montesquieu (entitled Cahiers Montesquieu). Finally, the expanded collection includes a series of clandestinely published texts expressing Enlightenment free thought:

Correspondance complète de Rousseau ONLINE: immortalising Rousseau

Equally significantly for eighteenth-century French scholars, Liverpool University Press released in the latter part of 2023 a digital edition of Ralph Leigh’s masterful (and in the editor’s own word, ‘Immortal’) 52 volumes of the Correspondance complète de Rousseau.

Such a collection of source material, edited by the leading scholarly institute in the field, and enhanced with additional functionality for search and analysis, offers new opportunities for the study, and teaching, of the eighteenth century.

‘The impossible dream’

Besterman, in 1950, promised ‘much bigger things’ than just the Voltaire letters. He may have never dreamed of a digital archive of the Oxford University Studies in the Enlightenment as part of a larger Eighteenth-Century Studies Collection. But in so many ways, this umbrella collection represents a fulfilment of what he once called ‘the impossible dream’.

– Professor Gregory S. Brown, General Editor of the Oxford University Studies in the Enlightenment series.

This post originally appeared on the Liverpool University Press blog.


[1] IMV MS TB 19065.

[2] IMV MS TB 22830, 31 May 1950.

[3] IMV MS TB 5764, 31 May 1950.

[4] IMV MS TB 19067.

[5] IMV MS TB 8250, 8 September 1950.

[6] IMV MS TB 5937, 2 April 1952.

[7] IMV MS TB 13510, 6 September 1954.

[8] IMV MS TB 22867, 26 November 1954.

Voltaire gets hot and bothered in the closet

For better and for worse, the theatre is a place of distraction. The rapturous reception to Cole Porter’s Anything Goes at the Barbican in London during summer 2021 was no doubt due, at least in part, to the fact that audiences wanted to think of something other than Covid. Less welcome kinds of distraction also lurk in the playhouse. It’s not just other spectators’ munching, sniffling, and shuffling that divert our attention from what’s happening on stage. Andrew Scott, playing Hamlet in 2017, interrupted his delivery of ‘To be or not to be’ when he spotted a member of the audience open a laptop.

Illustration for Voltaire’s Tancrède (c.1760) by Gabriel Jacques de Saint-Aubin (The Morgan Library and Museum, New York).

Distraction was no less an element of theatrical life in eighteenth-century France. Voltaire writes to Isaac de Pinto that ‘les honnêtes gens, en passant par la Grève où l’on roue, ordonnent à leur cocher d’aller vite, et vont se distraire à l’Opéra du spectacle affreux qu’ils ont vu sur leur chemin’ (D10600). Distraction was a key element of Voltaire’s own dramatic practice, especially where his more spectacular plays were concerned. His vision of theatre is evident when he describes Tancrède to the comte and comtesse d’Argental: ‘il faut que cette machine soit brillante, pompeuse, que tout intéresse, que le cœur soit déchiré, que les larmes coulent, qu’un grand et tendre intérêt ne laisse pas aux spectateurs le temps de la réflexion, et qu’ils ne songent aux poulies qu’après avoir essuyé leurs larmes’ (D8363). Distraction is here synonymous with absorption.

The same elements can provoke negative as well as well positive distraction. Académicien Jacques Hardion describes the spectator as dazzled by ‘le faux éclat de quelques fleurs passagères’, [1] and Luigi Riccoboni claims that young spectators are so struck by decoration, music, and other trappings that they are be unable to account for their thoughts at that moment. [2] For many commentators, the implicitly male heterosexual spectator cannot help but get hot under the collar at the sight and sound of an actress.

What’s a man to do? How might he ‘properly’ judge the dramatist’s work? The answer: read the play. And there’s no better place to do so than in the cabinet, a place eighteenth-century lexicographers translated as the closet.

In the ‘Lecture’ article in the Encyclopédie, Louis de Jaucourt tellingly refers to just one room: the cabinet. Alone, in silence, and less vulnerable to the seductive human voice, the reader may meditate upon the work, subjecting it to scrutiny ‘pour en recueillir le fruit tout entier’. The closet, in contrast to the theatre, was usually presented as a place of disenchantment and disillusion. Here the playtext is stripped of all that might distract the reader, as Alexandre Tanevot writes in the preface to his tragedy Sethos: ‘tout poème dramatique demande une scène, et des acteurs, et c’est risquer beaucoup, que de l’exposer au public, dénué du charme de la représentation. La pompe du spectacle, le jeu séduisant de l’acteur, couvre beaucoup de défauts, et donne aux beautés un nouvel éclat : l’impression au contraire, est sans voile pour les uns, et sans fard pour les autres.’ [3]

Despite such nudity, the reader’s encounter with the exposed text is remarkably chaste, devoid of the sensory and sensual excitation associated with the theatrical experience. Free from the overheated stimulation of the playhouse, the closeted reader recovers his wits and coolly assesses the text.

So cool was the closet that it became positively frigid, with some commentators portraying the reader’s encounter with drama as a bloodless experience. A certain chevalier de *** invokes Cicero and Quintilian for whom, he claims, a play on paper is like a dead body whose eyes have no fire and whose feet and limbs do not move. [4] Pierre-Alexandre Levesque de La Ravalière and Charles Desprez de Boissy refer to the dramatist’s words as ‘traits morts’, [5] and Bertrand de La Tour strikes a yet more morbid note: ‘tout est mort dans la lecture’. [6] Reading a play is, it seems, as fun as conducting an autopsy.

But someone didn’t get the memo that reading plays is a chilly diagnostic exercise. Instead of calmly assessing plays by Crébillon, De Belloy, and other dramatists, Voltaire unleashes torrents of abuse in his marginal comments: ‘barbare’, ‘ridicule’, ‘galimatias’, ‘scène détestable’, and ‘détestable écrivain’. [7] There’s more: ‘pas un vers qui ne soit une faute’ and ‘Sot! Pour faire une tragédie, il faut d’abord savoir écrire’. [8] Voltaire is hot and bothered, and he’s loving it. Inserting his adversarial voice into others’ works, Voltaire disrupts their tragedies. There is no pretence at impartiality: comments such as ‘tu as trop d’esprit en mourant’ about De Belloy’s Gabrielle de Vergy, ‘Thyeste raisonnait comme une grue’ about Crébillon’s Électre, and ‘Il faut parler moins quand on est empoisonné’ about the heroine’s momentous death scene in La Harpe’s Mélanie provide an acidly witty voice that drowns out the plays’ tragic pretentions. [9]

Françoise de Graffigny by Pierre-Augustin Clavareau (Musée du Château des Lumières, Lunéville; photo: T. Franz, Conseil départemental 54).

In general, the doctes’s advice on how and why to read plays fell on deaf ears. To take just Françoise de Graffigny as an example, she read Maffei’s Mérope and Riccoboni’s Samson whilst playing tric-trac, and Boissy’s L’Époux par supercherie as she waited for lunch; more dramatically, she read scenes from Amphitryon and other plays by Molière in an attempt to fall asleep after the night patrol gave her an attack of the vapours by loudly discharging their weapons at three in the morning. [10]

The cover image of Reading drama in eighteenth-century France is a portrait of Marie-Josèphe Buron, née Fromont (1769) by her nephew Jacques-Louis David (Art Institute Chicago). Might the sitter have been reading a play?

Today our encounter with eighteenth-century drama overwhelmingly occurs not at the theatre, but at school or university, and through print or online. Our approach is accordingly scholarly, diagnostic, and analytical. I suggest we turn the classroom or the library into a closet and pursue a closeted mode of reading such as Voltaire and Graffigny enjoyed. We may then be better placed to experience, to explore, and to understand a broad range of responses provoked by the extraordinary plays written three centuries ago.

– Thomas Wynn is Professor of French at Durham University, and his new monograph Reading drama in eighteenth-century France was recently published by Oxford University Press.


[1] Mercure de France, October 1731, p.2389–90.

[2] Luigi Riccoboni, De la réformation du théâtre (Paris, 1743), p.54–55.

[3] Alexandre Tanevot, Sethos, tragédie nouvelle (Paris, Veuve Pissot, 1740), p.3.

[4] ‘Lettre de Monsieur le chevalier de *** à Monsieur de Campigneulles, membre de plusieurs académies de sciences et belles-lettres au sujet de la lettre de Monsieur Desprez de Boissy sur les spectacles’, in Charles Desprez de Boissy, Lettres sur les spectacles, avec une histoire des ouvrages pour et contre les théâtres, seventh edition, 2 vol. (Paris, Veuve Desaint, 1780), vol.1, p.264.

[5] Pierre Alexandre Lévesque de La Ravalière, Essai de comparaison entre la déclamation et la poésie dramatique (Paris, Veuve Pissot, 1729), p.30; Desprez de Boissy, ‘Preuves des principes contenus dans les lettres’, in Lettres sur les spectacles, vol.1, p.363.

[6] Bertrand de La Tour, Réflexions sur le théâtre (Avignon, Marc Chauve, 1773–1778), vol.8, p.152.

[7] OCV, vol.136, p.272–73; OCV, vol.137B, p.802, 811, 828, 830, and 837.

[8] OCV, vol.136, p.272, and 274–75.

[9] OCV, vol.136, p.267; OCV, vol.137B, p.822; OCV, vol.140A, p.145.

[10] See letters dated 1 May 1744, 5 May 1744, and 1 January 1740, in Graffigny, Correspondance, vol.5, letters 688 and 690; and vol.2, letter 231.

An ongoing conversation and collaboration: German and European cultural histories, 1760-1830

German and European cultural histories, 1760-1830: Between network and narrative, edited by Crystal Hall and Birgit Tautz, has recently been published in the Oxford University Studies in the Enlightenment series. This book features eleven essays, an introduction, and an epilogue and is accompanied by a unique digital gateway into the arguments and supporting evidence in the volume. The digital collaboration hub features multimedia exhibits and interactive visualisations (found at https://liverpooluniversitypress.manifoldapp.org/projects/german-and-european-cultural-histories).  In this blog post, the editors converse about considerations of approach and method (the multiple dimensions of network), in this latest publication from OSE.

Crystal & Birgit: Our book went through a lengthy gestation process, partly because it grew out of a symposium, as so many edited collections do. But its central claim has only grown stronger in the process, namely that DH-supported network analysis will bring new perspectives to the many networked constellations that have been fundamental narratives in German and European cultural histories around 1800. Today, we clearly see advantages and possible pitfalls as conventional readings intersect with ‘distant’ approaches. And we are more than ever convinced that Between network and narrative can be read in at least two ways, beginning with the book or starting with the materials online. Here we let you into one of our conversations, as we tried to sum up what sets German and European cultural histories, 1760-1830 apart from competing books and what makes you want to indulge in it.

Crystal: I’ll start by pointing out that our authors approach their objects of study with both digital and non-digital humanistic methods. While making important claims about German, French, English, and Italian cultural history around 1800, this hybrid volume also demonstrates that the binary of DH and non-DH sometimes imposes unnecessary boundaries on how a group of scholars can answer a complex question. For example, Mary Dupree’s close reading of a farcical tale of a declamator and Renata Schellenberg’s reconstruction of a failed attempt to influence art collecting are in direct conversation with Birgit’s computational text analysis and uncovering of cosmopolitan ideals in journals. By problematising and contextualising aspects of inherited narratives about the period, the contributions recover wide patterns and local variations of communication, collaboration, and identity building.

Birgit: I couldn’t agree more, and I really want to underscore the attention your comment, and many of our contributors, bring to local variations, the forgotten or underappreciated, often lone-actor’s cultural interventions that begin to tell alternate histories to the well-worn or established. Local instances of cultural production fed into networks of actions and activities, despite lacking causalities or even clear-cut intentions towards a greater whole. Our book really understands network analysis in a dual way, aside from the dominant digital humanities method featured in the book, we really zero in on the configurations of people, objects, and texts – all in order to cast alternatives to all-encompassing narratives that tend to define our views of literary and cultural life. So many of the fundamental narratives around 1800 involve or aim at the nation as organising principle or concept or (as in the German case) telos, and we really understand the seemingly national attributions more openly, in terms of language, vernacular linguistic communities, but also material accumulations.

Crystal: The breadth of analyses showcases how a network can be a concept, a process, and a product. The best demonstration of this might just be the interactive network graph that represents the people, places, and institutions mentioned in the essays in the volume. I hope that readers will engage with this artifact to compare to their reading of the text so that they can experience a non-linear perspective on the book and the period that it represents.

Birgit: The index graph is just one of the rich resources on Manifold that re-engage with the multi-disciplinary nature of the contributions. They come from art history, history of the book, history, literary studies, and musicology and all of our authors contemplate the strengths and weaknesses of treating the period between 1789 and 1810 as either continuous with or a departure from the centuries before and after by examining different facets of the longer period between 1760 and 1830. While many essays investigate German-language material, nearly all expand into other European cultures and cover important regions, protagonists, objects, and constellations of bi- and multilingual life. They intersect Italian, French, and English networks and reach across the Atlantic into New England. And they provide critical perspectives on people, objects, and texts that test the boundaries of narratives of transmission, organisation, and cohesion that often mark scholarly evaluations of this period in European history. In the end, German and European cultural histories, 1760-1830: Between network and narrative makes for a truly novel reading experience, in terms of what you read about as well as how you read between the book and Manifold.

– Crystal Hall and Birgit Tautz

This post originally appeared on the Liverpool University Press blog.

‘The fruit of more than 25 years of research’: Ralph Leigh’s masterly critical edition of the Correspondance complète de Rousseau is now available for the first time as an ebook collection

The masterly critical edition of the Correspondance complète de Rousseau in 52 volumes, edited and annotated by Ralph Leigh, was first published between 1965 and 1998, in Geneva and then in Oxford. Critics are unanimous in hailing this edition as a model of its kind. It is this monument that Liverpool University Press, in partnership with the Voltaire Foundation, that has been made available as an ebook collection for the first time.

Scientifically impeccable, this edition meets the highest scholarly standards in every respect. The fruit of more than 25 years of research, it offers a wealth of information and an astounding degree of accuracy, providing an essential record of the public and private life of one of the most important figures in eighteenth-century literature and the history of ideas. This edition has been the subject of exemplary care from start to finish: the meticulous precision of the explanatory notes, which involve a huge amount of archival work, and the quality of the remarks, leave us astonished.

The Correspondance complète de Rousseau is the first edition to include all the letters written by Rousseau or addressed to him, as well as all correspondence between third parties on a broad range of subjects relating to the philosophe and his time, together with a large number of additional documents. Drafts and copies have been collated against the original manuscripts and all variants reproduced. Ralph Leigh’s extensive annotations provide information on a host of characters who played a role in the intellectual circle of the time, identify events and places, explain eighteenth-century linguistic usage, give bibliographical information and clarify obscure allusions.

But while the edition of this correspondence offers invaluable documentary resources, it also provides access to a body of work that can be read for itself and in relation to other Rousseau’s works: reading the correspondence invites us to re-read the epistolary fiction of La Nouvelle Héloïse, the autobiographical project of Les Confessions, and also Rousseau’s theoretical and polemical works. A vast repository of open questions, the Correspondence continues to profoundly renew critical approaches to Rousseau and his time.

In this edition, Rousseau’s correspondence occupies volumes 1 to 40 of the collection; volumes 41 to 49 presents posthumous letters and documents concerning, in particular, the various editions of Rousseau’s works published after his death, the birth of Rousseauism and Rousseau’s influence on the Revolution. The indexes occupying volumes 51–52 already provided a very useful and effective research tool. Correspondance complète de Rousseau ONLINE is now available and will provide invaluable services to researchers. As a result, it makes this fantastic collection not only more accessible, but also enriches it by making it cross-searchable.

– Christophe Martin, Sorbonne Université

This post originally appeared on the Liverpool University Press blog.

A digital rhyme-index for the Eighteenth-Century Poetry Archive

The Eighteenth-Century Poetry Archive – ECPA – is a peer-reviewed, award-winning digital archive and research project devoted to the poetry of the long eighteenth century. ECPA is open access and has been online at https://www.eighteenthcenturypoetry.org/ since 2015. Its main objective is to develop into a lively, collaborative workspace in support of the teaching, study, and research of eighteenth-century poetry. To this end, it is committed to the creation of a digital archive of high-quality primary and secondary sources. It comprises two central components: the digital collection of richly encoded full-texts (currently 3,400 poems by over 300 poets) and a research project, which focuses on the computationally assisted analysis of these texts.

ECPA now boasts a new digital rhyme-index. Rhyme indices – published traditionally in print and increasingly in the digital medium – have had a crucial role as research tools for particular authors or corpora, highlighting the phonological and semantic functions of rhyme for the patterning and structuring of poetic texts. Their value lies particularly in their succinct presentation.

Excerpt of a rhyme index in print, taken from William Edward Mead The Versification of Pope (Leipzig, 1889)

The ECPA rhyme-index makes the most of this by embracing data visualisation techniques to quickly highlight key information and by allowing for interactivity to fully exploit the potential of the underlying data. Based on the already existing metadata that powers ECPA’s close-reading interface, the rhyme-index offers a visualisation layer for the poetry corpus as a whole. The rhyme index thus supplements existing ways into the corpus, such as browsing by poets, poems, and editions, as well as faceted searches by prosodic and other poetic features.

The ECPA close reading interface

The aim of the ECPA rhyme-index is three-fold:

  1. to facilitate the macro-analytical exploration of the poetry based on quantitative rhyme data about the whole corpus;
  2. to pair the distant reading of rhyme with detailed metadata about every rhyme occurrence in the corpus; thus
  3. enabling a granular and multi-perspectival approach that exposes corpus-, author- and rhyme-specific data.

The rhyme-index comprises an overview page as well as rhyme word- and author-based pages. Each page consists of a number of related panels intended to highlight various aspects, metrics, and properties of the selected view.

ECPA rhyme-index overview page

The overview page offers a first crucial access point into the corpus by way of a sortable table of all rhyme words in the corpus ranked by raw frequencies (top left). Clicking on any of the rows brings up the selected word’s rhyme word page. In addition to the rhyme word table, the overview page also contains a donut chart of all rhyme vowel sounds in the corpus by raw frequency (top middle), and a Sankey diagram that visualises the flow between rhyme vowel sounds, thus grouping rhyme pairs by degree of closeness of the sound match (right). Finally, a stacked bar chart (bottom left) shows the rhyme pair co-occurrences for the 75 authors with the highest raw co-occurrence frequency. Each column shows an author with all the authors in the ECPA corpus they share one or more rhyme pairs with. The visualisations on the overview page (chosen from many more experiments [1]) hope to be above all suggestive of further avenues of scholarly engagement and investigation.

ECPA rhyme-index rhyme word page

The rhyme word page [2] zeros in on the detailed use of rhyme words in the corpus. Here, all rhyming words for the chosen rhyme word are displayed in a donut chart. Alongside is a column chart of all authors in the corpus that employ the selected rhyme word. As and when a different rhyming word for the selected rhyme word is chosen, the display is updated dynamically, indicating the number of occurrences of the rhyming words for each of the authors. On the bottom of the page, a detailed table of the rhyme occurrences is displayed, which includes the rhyming word, the rhyme pair in the context of their lines, their rhyme sounds, degree of closeness, their positions in the rhyme scheme, and the author name and title of the poem. The table is sortable by each of these categories. Clicking on the poem title or the lines will jump back into the poem, where the occurrence can be studied in the context of the surrounding lines or stanza. A click on the author name will jump to the author page in the rhyme-index.

ECPA rhyme-index author page

The author page gives an author-centric view of rhyme use in the ECPA corpus. In addition to a sortable table of all rhyme words used by the selected author in the poems included in ECPA (by raw frequencies), there is a column chart of all rhyme pair co-occurrences with other authors in the corpus. Additionally, a bar chart (top right) lists all the rhyme schemes used by the author in the poems included in ECPA. On the bottom of the page, we again find a detailed table of the rhyme occurrences. At any point, in either page type, one can return to the overview via the Rhyme-Index link at the top or find a new rhyme word or author via the search options.

There is a wealth of data to be explored and interesting finds to be discovered, but of course the usual caveats for basing any hypotheses on data visualisations apply. Understanding the corpus, its composition, its biases and omissions, blind spots and invisibilities all help to avoid the many pitfalls of working with and interpreting data. In the vein of transparency, the data underlying each of the panels in the rhyme index can be downloaded via the downloads button in the top right-hand corner of each panel. One of the most beneficial, if less frequently acknowledged, side effects of exploratory data analysis of this kind is that it tends to reveal inconsistencies and errors in the underlying data. The ECPA rhyme-index is no exception in this respect, and I apologise for any errors, which I will correct as I become aware of them.

Fortunately, rhyme studies is a field of research that is alive and well in digital humanities circles. Some of the aspects I still hope to explore in more detail include additional metrics, such as rhyme word keyness (effect size metrics) and rhyme frequency ratios [3], and network-analytical approaches on the level of the rhyme sound and to explore certain semantic and sonic clusters within groups of poems, or schools of poetry (e.g. graveyard school). The phonology and semantics of rhyme are a complex system, influenced by historical, cultural, and linguistic developments. Even without the historical and cultural uncertainties of a corpus spanning several centuries or multiple languages, there is still the whole variety of linguistic phenomena, including word and line stress, pronunciation, rhyme patterns, word semantics, rhythm, rhyme chains, and sometimes simply play, to take into account. If the rhyme-index helps to shed light on any of these questions, it will have fulfilled its purpose. Please do not hesitate to contact me with any questions, issues, or suggestions.

– Alexander Huber


[1] Other experiments included co-occurrence rhyme word and author networks.

[2] This view is indebted to the outstanding digital work published by Petr Plecháč and Robert Kolár, and Helena Bermúdez Sabel, Clara Martínez Cantón, and Pablo Ruiz Fabo, in their Gunstick 2.0. Database of Czech rhymes (http://versologie.cz) and DISCOver: an interface to explore the DISCO corpus (http://prf1.org/disco/) projects respectively.

[3] Suggested by Natalie M. Houston in her chapter ‘Rhyme frequency in nineteenth-century English poetry’ (https://doi.org/10.1515/9783110781502-007).

L’« énigmatique » Élie Bertrand

Élie Bertand (1713–1797) entre science, religion, préceptorat et journalisme, sous la direction de Rossella Baldi avec la collaboration d’Alice Breathe et Valérie Kobi (Genève, Slatkine, 2023).
Portrait d’Élie Bertrand, huile sur toile de Sigmund Barth, 1749 (photo Daniel et Suzanne Fibbi-Aeppli ; avec l’aimable autorisation du Musée d’Yverdon et région, MY/2.A.1 ; tous droits réservés).

Dans sa collection « Travaux sur la Suisse des Lumières », la Société suisse pour l’étude du XVIIIe siècle (SSEDS) vient de faire paraître un volume collectif consacré au pasteur et naturaliste Élie Bertrand (1713–1797), correspondant de Voltaire dès l’arrivée de ce dernier en terre vaudoise. Figure clé des Lumières helvétiques, l’« énigmatique Bertrand » – comme il a été décrit par une certaine historiographie romande – attendait qu’on se penche de manière transversale et pluridisciplinaire sur son cas depuis un moment. Il manquait en effet une compréhension plus fine de son parcours et de son activité savante, souvent mentionnés, mais étudiés par fragments. À l’exception d’une biographie intellectuelle parue dans les années 1980, seuls quelques aspects de sa carrière avaient suscité de l’intérêt, notamment les liens qu’il a entretenus avec la cour polonaise de Stanislas II ou ses interventions en tant que théoricien de la pratique de la collection naturaliste, si à la mode au 18e siècle. À la décharge des spécialistes des Lumières helvétiques, force est de reconnaître que l’œuvre de Bertrand – déployée sur une cinquantaine d’années à l’intérieur d’un périmètre aux vastes perspectives érudites et géographiques – se prêtait mal à un exercice individuel de synthèse. Théologien, naturaliste, académicien, voyageur, pédagogue, conseiller de Stanislas II, éditeur, traducteur et journaliste prolifique : ce ne sont ici que quelques-unes des expressions d’une action multiple, énergique, mais de qualité inégale. Dès lors, il fallait une entreprise collaborative pour brosser un portrait du philosophe aux teintes moins cendrées que celui qu’il nous a légué.

L’ouvrage de la SSEDS réunit une heureuse palette de contributions qui s’éclairent mutuellement. Elles révèlent l’existence de quantité de sources jusqu’à présent peu connues ou exploitées. Rappelons à ce propos qu’un « Mémoire sur la vie d’E. Bertrand » rédigé dans les années 1780 par les responsables de la Société typographique de Neuchâtel (STN) avait annoncé que le savant avait détruit sa correspondance passive, ainsi que ses papiers. La fortune de ce texte jamais imprimé mais dont plusieurs copies se sont conservées a certainement contribué à décourager quelques historiens et historiennes, qui ont cru à ce manque apparent de sources. Du reste, le volume de la SSEDS démontre que l’ensemble du contenu de ce « Mémoire », qui a servi de base à l’élaboration de la biographie intellectuelle susmentionnée, est à manipuler avec précaution. Comme d’autres, Bertrand a apporté un soin remarquable à la confection de son image de philosophe, soit en modifiant quelques-uns de ses éléments biographiques, soit en les évacuant. Partant, l’introduction du livre revient sur l’un d’entre eux, qui constitue une découverte majeure : l’implication financière et managériale de notre homme dans les activités de la STN, dont les directeurs Frédéric Samuel Ostervald et Jean Élie Bertrand étaient respectivement l’un de ses amis proches et le neveu. L’historiographie de la STN n’a étonnamment pas relevé que Bertrand a été de facto un des associés et surtout une des têtes pensantes de l’entreprise, du moins pendant les premières années de ses opérations éditoriales (1768–1772). Ainsi, c’est aussi à Bertrand que l’on doit la tenace politique de contrefaçon qui caractérise la société.

L’ouvrage se divise principalement en deux sections : une première, qui esquisse une toile de fond, et une seconde, ordonnée de façon chronologique. La première livre trois contributions de portée plus générale, qui scrutent chacune un des éléments constitutifs de l’action intellectuelle de Bertrand : la science, la théologie et le journalisme. Dans ce domaine se rejoignent l’itinéraire de l’homme de science et celui de l’homme d’Église, même si l’érudit ne revendique pas son appartenance aux milieux du journalisme professionnel. Vient ensuite une série d’études de cas axées sur la période bernoise de la vie de Bertrand ; elle couvre les décennies 1750–1760, alors qu’il occupe la fonction de premier ministre de l’Église française de Berne et sa notoriété en tant que naturaliste atteint son apogée. Ces études analysent les échanges épistolaires avec Voltaire lors du tremblement de terre de Lisbonne de 1755 et l’investissement de Bertrand au sein de la Société économique de Berne, puisque notre homme chérit la vie associative et amasse les honneurs académiques à travers l’Europe. La Société économique présente une claire vocation bilingue, ce qui occasionne un chapitre s’intéressant à la traduction en italien de traités d’agronomie de Jean Bertrand (1708–1777), le frère d’Élie. La traduction représente à la fois un instrument de médiation et de réélaboration des savoirs et appelle en cause la notion de partage, concept qui définit en profondeur l’œuvre d’Élie Bertrand. Il trouve sa parfaite expression dans son activité de précepteur des comtes polonais Michel Georges et Joseph Mniszech ; un chapitre examine donc le programme éducatif conçu pour ces futurs hommes d’État. Par l’intermédiaire de ces jeunes seigneurs et leur mère, la comtesse Catherine Mniszech, Bertrand accède aux faveurs de la cour polonaise et est nommé conseiller de Stanislas II. Entre-temps, en 1765 il quitte Berne pour accompagner le Grand Tour des Mniszech. Une des contributions du volume résume les trajets de ces pérégrinations continentales, ainsi que les enjeux de l’aventure polonaise de Bertrand. De courte durée, elle s’interrompt en 1768. Le pasteur, désormais anobli, rentre en Suisse et s’installe à Yverdon-les-Bains. Depuis la petite ville au bord du lac de Neuchâtel, il collabore à la STN, mais également à la refonte protestante de l’Encyclopédie dirigée par Fortunato Bartolomeo De Felice. Le volume se clôt alors sur ses deux dernières productions. D’abord les Éléments de la police générale d’un État (1781) ; il s’agit d’une traduction revue et adaptée du Grundfeste zu der Macht und Glückseeligkeit der Staaten du caméraliste allemand Johann Heinrich Gottlob von Justi dont l’historiographie a erronément attribué la paternité à De Felice. Enfin, le Thévenon, ou Les journées de la montagne : ce recueil donne voix aux velléités littéraires de Bertrand et est un étonnant succès de librairie, du moins à l’échelle de la STN.

Nous le savons, l’approche monographique constitue un exercice périlleux et n’est pas exempt de dangers. Aussi le lecteur averti remarquera-t-il non seulement les redites, mais encore apercevra-t-il aisément les lacunes. Notamment, il aurait été souhaitable de discuter des contributions encyclopédiques de Bertrand ou de ses relations avec la noblesse danoise. Toutefois, un tome de ce genre ne doit et ne peut ambitionner l’exhaustivité. Il vise plutôt à dégager des pistes pour laisser à d’autres le plaisir de les explorer. Il ne nous reste donc qu’à souhaiter que la présente publication suscite la curiosité pour que les investigations se poursuivent.

– Rossella Baldi et Alice Breathe