Ils ont craint l’orage mais en fin de journée, ce mardi 2 juin, le ciel s’est éclairci. Sur les réseaux sociaux, la rumeur d’un gros événement gonflait – sur Instragam, la vidéo appelant à manifester pour Adama cumulait plus d’un million de vues. Mais personne ne s’attendait à ça : malgré l’interdiction de la manifestation par la Préfecture de police de Paris quelques heures plus tôt, 20 000 personnes rassemblées devant le tribunal de grande instance de Paris, une marée de poings levés, émue et solennelle, « Justice pour Adama ! ».
« Adama », un prénom devenu aujourd’hui le symbole de la lutte contre les violences policières en France parce qu’une sœur opiniâtre et déterminée le scande sans relâche depuis quatre ans. Ce 2 juin, Assa Traoré, 35 ans, a pris la parole longuement pour raconter, encore, son histoire : son petit frère, Adama Traoré, est mort le jour de son 24e anniversaire sur le sol de la caserne de Persan (Val-d’Oise) à la suite d’une interpellation par les gendarmes. Ses derniers mots : « Je n’arrive pas à respirer. »
Les mêmes que ceux de George Floyd, 46 ans, asphyxié par un policier lors de son arrestation à Minneapolis, dont l’agonie a été filmée. Les images de l’homme suppliant « I can’t breathe » ont enflammé les Etats-Unis, et ce 2 juin, à Paris, les pancartes des manifestants portaient son nom. Comme elles portaient aussi ceux d’Adama Traoré, de Zyed (Benna) et Bouna (Traoré), de Cédric Chouviat, de Lamine Dieng, de Babacar Gueye, d’Ibrahima Bah, de Rémi Fraisse, d’Angelo Garand, de Steve Maia Caniço, de Zineb Redouane… tous morts lors d’une intervention policière.
Les têtes pensantes du Comité Adama
Onze jours plus tard, le 13 juin, place de la République, Assa Traoré a transformé l’essai : plus de 20 000 personnes ont de nouveau répondu à son appel. Dans la foule, des jeunes et des moins jeunes, des hommes et beaucoup de femmes, des politiques et des artistes, des hétéros et des homos, des primo-manifestants et des vieux briscards de la lutte contre les violences policières… « Peu importe d’où tu viens, peu importe ta couleur de peau, peu importe ta religion, peu importe ton orientation sexuelle, tu ne dois pas rester spectateur face à l’injustice », a hurlé la jeune femme devant cette foule d’une diversité inédite, qui scandait « Adama ! Adama ! ».
Le 19 juin, veille d’une nouvelle mobilisation, pour Lamine Dieng, mort au cours de son interpellation par la police en 2007 à Paris, Assa Traoré arrive pour la séance photo organisée par M dans un trench bleu électrique. Elle est venue avec deux de ses trois enfants et quelques amis, piliers du comité. Elle fait la bise en précisant qu’elle a déjà « chopé le Covid ». Elle dit au photographe « c’est la première fois que je suis photographiée par un Noir » avant de souligner que les « rares » journalistes noires qu’elle a rencontrées étaient des « femmes précaires », pigistes ou stagiaires. Almamy Kanouté la chambre en la découvrant dans sa belle robe noire : « Tu fais encore ta diva. » Il dit ça tendrement, « comme un grand frère », avant de faire remarquer, attentif, qu’une petite poussière s’est accrochée à sa robe. Elle, sourire ironique : « Moi j’aime m’habiller et me coiffer. Je ne vois pas pourquoi je ne prendrais pas soin de moi. »
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