Attaquée en diffamation par les gendarmes qu’elle accuse d’avoir tué son frère, Assa Traoré, devenue icône de la dénonciation des violences policières, a saisi l’occasion de son procès, jeudi 6 mai, pour faire celui de la « criminalisation des victimes ». « Depuis le début, la famille Traoré organise des rassemblements pacifiques, mais pour lui faire payer ce mouvement extraordinaire reconnu partout dans le monde sauf en France, on la traîne devant le tribunal », a fustigé à la barre Youcef Brakni, bras droit d’Assa Traoré au sein du collectif La Vérité pour Adama, et l’un des quatre témoins cités par la défense.
« Je n’ai jamais vu une sœur de victime se retrouver au tribunal parce qu’elle a donné le nom des personnes qui ont tué son frère », a appuyé Samir Elyes Boulaadj, figure du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB). Pour ces militants des quartiers populaires, l’affaire Adama Traoré, mort en 2016 après son interpellation par les gendarmes, est à remettre dans un contexte de « criminalisation systématique » des victimes par les forces de l’ordre, relayée, selon eux, par les médias afin d’étouffer les affaires.
Le « J’accuse » d’Assa Traoré
« Les gendarmes sont sacrifiés sur l’autel de la thèse de la violence générale et du racisme systémique », a tancé Rodolphe Bosselut, avocat de deux d’entre eux. Pour ce procès, la chambre des délits de presse s’est déplacée dans une grande salle, pour accueillir une soixantaine de personnes, dans une ambiance calme, encadrée par un dispositif policier important. Une manifestation du collectif est annoncée, vendredi 7 mai, au second et dernier jour du procès.
Les trois gendarmes, auxquels Assa Traoré espérait être confrontée, étaient absents. Objet du procès : la tribune d’Assa Traoré, intitulée J’accuse, publiée sur Facebook en juillet 2019, lors du troisième anniversaire de la mort d’Adama. Dans une référence à la formule d’Emile Zola, Assa Traoré cite les noms des gendarmes et les accuse, en usant d’une anaphore, « d’avoir tué [son] frère Adama Traoré en l’écrasant avec le poids de leurs corps », « de ne pas [l’]avoir secouru » et « d’avoir refusé de [le] démenotter en affirmant qu’il simulait ».
« En quoi donner le nom des gendarmes permet d’aboutir à la vérité ? En quoi jeter en pâture change quoi que ce soit à cette quête de vérité ? », a soutenu Me Bosselut. « Madame Traoré n’est pas satisfaite par l’information judiciaire et veut lui substituer une vérité médiatique, la sienne », a tancé l’avocat, pointant l’« animosité personnelle » de l’autrice du texte.
« Je suis juste une sœur qui demande justice »
Droite à la barre, Assa Traoré a repris le discours qu’elle martèle depuis cinq ans : « Je suis juste une sœur qui a perdu son frère et qui demande la justice. » Adama Traoré, un jeune homme noir de 24 ans, est mort dans la caserne de Persan près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), au terme d’une course-poursuite un jour de canicule.
Depuis ce jour, sa famille se bat pour voir les gendarmes sur le banc des accusés. « Si mon frère n’avait pas croisé la route de ces gendarmes, il ne serait pas mort. Si la justice avait fait toutes les investigations, je n’aurais pas été là aujourd’hui », a dénoncé Assa Traoré. Depuis cinq ans, des juges d’instruction tentent de déterminer les causes de cette mort, s’appuyant sur des expertises médicales dont les conclusions divergent quant à la responsabilité des gendarmes, lesquels, à ce stade, ne sont pas mis en examen.
Assa Traoré a dit assumer « pleinement, à 1 000 % » la tribune. « Je la réécrirais et la prolongerais avec le nom des personnes qui continueront à entraver la manifestation de la vérité », a-t-elle maintenu. La suite des plaidoiries des parties civiles, celles de la défense et les réquisitions se poursuivent vendredi, avant une décision qui sera prise à une date ultérieure. En février, les gendarmes ont obtenu une condamnation d’Assa Traoré par la cour d’appel de Paris, devant laquelle ils l’attaquaient au civil pour « atteinte à la présomption d’innocence ».
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