Ces questions, il s’y était pourtant préparé. Derrière son masque blanc, Olivier Véran cache mal son agacement. Ce 12 janvier, le ministre de la santé est auditionné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Il est venu détailler son plan de vaccination contre le Covid-19. Il sait qu’il devra surtout justifier d’en avoir sous-traité la logistique à un cabinet privé de conseil en stratégie, et pas n’importe lequel. Le plus haut de gamme. Le plus secret. Le plus intimement lié à Emmanuel Macron et son entourage, aussi.
Le député (PS) des Landes Boris Vallaud se lance : « Pourquoi vous a-t-il fallu recourir à McKinsey ? » Son collègue (La France insoumise) du Nord Adrien Quatennens ironise : « Ne dispose-t-on pas, au sein de l’appareil d’Etat, d’un Haut-Commissariat au plan ni de logisticiens compétents ? » Soupir sous le masque du ministre. Depuis une semaine et les premières révélations du site Politico et du Canard enchaîné, les oppositions se déchaînent contre ce contrat avec McKinsey. Véran est pressé de changer de sujet : « Il est tout à fait classique et cohérent de s’appuyer sur l’expertise du secteur privé. » Il n’en dira pas plus.
C’est étonnant comme les gens n’aiment pas parler de McKinsey. On a vite renoncé à dénombrer les messages sans réponse, les refus catégoriques, les excuses embarrassées, les « bon courage » compatissants. Ceux qui acceptent de l’évoquer exigent en quasi-totalité l’anonymat. Ce n’est pas pour rien que le cabinet américain est surnommé « la Firme » dans le secteur.
Une légende qui en dit long
« La Firme » n’aime pas la publicité. Elle laisse parler sa légende : l’invention du conseil en stratégie par James McKinsey dans les années 1920. Dix milliards de dollars (8,3 milliards d’euros) de chiffre d’affaires dans le monde en 2019, selon la dernière estimation de Forbes. Une clientèle parmi la plus chic : des PDG, des ministres, des chefs d’Etat. Un réseau d’« alumni » (anciens) fidèles et puissants. Une aura intellectuelle, entretenue par les think tanks internes et leurs études reprises dans les médias. Des tarifs en conséquence. « Quand on fait appel à eux, il y a une part de snobisme, on achète aussi une réputation », explique un concurrent.
« Consultant, c’est un métier de l’ombre et chez “Mac”, on n’est pas habitué à être sous les spotlights », avait prévenu un ancien. Sans surprise, les dirigeants de McKinsey ont refusé de répondre à nos multiples sollicitations. Le nombre de salariés en France ? Désolé, c’est secret. Selon Le Guide des cabinets de conseil en management (Editions du management), présenté comme le Gault & Millau du secteur et bien informé, 470 consultants de McKinsey étaient basés en France en 2019.
Il vous reste 89.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.