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Les consultants à l'assaut du public

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Par Frédéric BRILLET

Publié le 11 mars 2008 à 01:01

Ils ont accompagné l'UMP dans la rédaction du programme de campagne de Nicolas Sarkozy. Participé à la définition des critères d'évaluation des ministres du gouvernement Fillon. Et ils distillent aujourd'hui leurs « recos » à tous les niveaux dans le cadre de la RGPP (révision générale des politiques publiques). Du conseil en stratégie, en ressources humaines ou en organisation, jamais les consultants n'ont été aussi présents dans la sphère publique. Au total, la contribution des administrations au chiffre d'affaires des cabinets en management aurait doublé en six ans pour atteindre 10 % en 2006, selon le syndicat Syntec. La France va-t-elle finir par s'aligner sur ses grands voisins européens, où les administrations pèsent 16 % du marché ? Pas sûr : l'éparpillement et l'empilement des structures administratives françaises conduit en effet à un émiettement des ressources. Ainsi les 36.000 communes de France sont loin de constituer autant de clients solvables pour les métiers du conseil...

Il n'en reste pas moins vrai que le secteur public se révèle très porteur. Le décollage remonte à 2001, date à laquelle les cabinets ont cherché des relais de croissance dans les administrations pour compenser l'affaissement de la demande des entreprises. Ils ont, depuis lors, bénéficié de l'accélération de la réforme de l'Etat avec la mise en oeuvre de la LOLF, puis, tout récemment, de la RGPP (révision générale des politiques publiques). Intervenant dix à vingt ans après les Suédois, Canadiens ou Britanniques, cette réforme, longtemps différée, se traduit, en France comme ailleurs, par un recours accru aux consultants. « Traditionnellement focalisée sur les notions d'équité et d'égalité, la gestion des services publics s'intéresse en plus à l'efficience sur laquelle les cabinets disposent justement d'un savoir-faire », confirme Bernard Le Masson, partner en charge de l'activité service public chez Accenture.

Les administrations prennent aussi conscience qu'elles ne peuvent détenir en interne toutes les compétences. « Nous avons fait appel à des consultants pour nous guider dans la jungle tarifaire des opérateurs car les factures de mobile explosaient, mais aussi pour récupérer des recettes fiscales supplémentaires », détaille Jean-Paul Martinerie, élu municipal de Chatenay-Malabry. Dans un univers où la perspective d'une énième réforme suscite souvent scepticisme ou méfiance, les propositions émanant d'experts non engagés dans les rapports de pouvoirs seraient mieux acceptées : « Cela permet d'engager une discussion plus sereine sur l'intérêt du changement avec les parties prenantes, cadres ou représentants du personnel », estime Lionel Fourny, directeur général des services du conseil général de la Moselle.

Les joies du benchmarking
Le recours à des cabinets de conseil atteste aussi d'une forme d'ouverture : les spécificités du modèle français de service public ne servent plus de prétexte pour refuser de prendre en compte ce qui se fait ailleurs. En témoigne l'engouement pour le benchmarking, un terme désormais à la mode dans l'administration. « L'Etat, pour la gestion de ses agents, a tout intérêt à s'inspirer du privé... », déclarait récemment André Santini, secrétaire d'Etat en charge de la Fonction publique, en inaugurant une réunion de DRH du public et du privé prêts à échanger sur le sujet. Le spécialiste des systèmes de défense navale DCNS n'a pas attendu ce feu vert pour s'initier aux joies du benchmarking. Il a fait plancher deux ans durant une centaine de cadres et mobilisé en permanence plus de cinquante consultants pour passer du statut administratif à celui d'entreprise. Pour réussir cette transformation, finalisée en 2004, « les consultants nous ont aidés à analyser des cas d'école semblables, France Télécom et le GIAT, en l'occurrence. Ce partage d'expériences nous a permis d'identifier les actions à entreprendre et fait gagner du temps dans le processus », raconte Bernard Planchais, directeur général délégué de DCNS.

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Avec le benchmarking, la conduite du changement s'impose comme un second fil rouge dans les demandes adressées aux cabinets. « C'est une expertise qui a longtemps été négligée par l'Etat et sur laquelle les cabinets peuvent beaucoup lui apporter », estime Hughes Verdier, vice-président en charge du secteur public de BearingPoint France. A l'instar des entreprises, les administrations nationales et locales attendent en effet que les consultants aillent au-delà du constat en accompagnant les managers du public dans l'application des recommandations.

Un regard neuf de l'extérieur
Le conseil en ressources humaines bénéficie d'une conjoncture particulièrement favorable. Entre le départ en retraite des baby-boomers, qui donne l'opportunité de restructurer en douceur, la LOLF, qui responsabilise les managers opérationnels sur la gestion des ressources humaines, les fusions entre corps, métiers, services ou administrations, la GPEC ou l'e-RH, les besoins abondent. Sur tous ces sujets, les administrations manquent de compétences en interne. « Le ministère avait besoin d'un regard neuf que seul l'extérieur pouvait nous apporter », reconnaît le lieutenant-colonel Yann Nguyen, directeur de projet à la direction des ressources humaines du ministère de la Défense, qui a recouru à plusieurs cabinets pour mettre sur pied une base de données RH regroupant quelque 400.000 salariés. Longtemps cantonnée aux aspects administratifs et juridiques, la fonction ressources humaines s'appuie elle-même sur des consultants pour améliorer ses performances. « On nous a demandé d'ausculter cette fonction dans plusieurs ministères pour identifier les processus qui doublonnent, les compétences qui se chevauchent », détaille Frédéric Petitbon, directeur général délégué d'IDRH.

Rythmer le calendrier
Les choses se compliquent sérieusement quand vient l'heure de valider et de faire accepter les recommandations. Ainsi, les jeux d'acteurs partisans du statu quo se déploient avec plus de virulence que dans le privé, et les circuits de décision sont plus complexes. « Nous passons beaucoup de temps à discuter pour convaincre : dans un ministère, il faut compter avec les cadres de l'administration centrale, les services déconcentrés, les partenaires sociaux. En entreprise, une direction générale peut imposer le changement d'en haut, fût-ce de manière brutale », reconnaît Françoise Larpin, associée et directrice nationale de KPMG secteur public. Les clients du public entretiennent d'ailleurs un rapport au temps différent : « Les administrations ne vivent pas avec les mêmes contraintes d'urgence que celles qui prévalent dans les entreprises. Mais les politiques qui nous mandatent aspirent eux à des résultats avant le prochain scrutin », observe Bertrand Baret, partner en charge du secteur public chez Roland Berger. Pour sortir de cette contradiction, alors qu'ils doivent accompagner des réformes structurelles sur plusieurs années, les cabinets prennent soin de rythmer le calendrier en fixant des objectifs intermédiaires avec des résultats concrets qui satisfont les élus et évitent la démobilisation des agents.

Des cadres dubitatifs
Reste que l'intervention de cabinets privés suscite encore de nombreuses appréhensions, du bas en haut de la hiérarchie. Au Trésor, par exemple, la CGT fustige les cabinets qui viennent « casser le service public à la française et lui substituer un modèle anglo-saxon ou les valeurs de solidarité sont remplacées par l'obsession de la rentabilité ». Les cégétistes du SNM (Syndicat national de la météorologie) estiment, quant à eux, que la RGPP (voir encadré) « retire la réflexion stratégique à la haute fonction publique pour la confier à des groupes mixtes, les gouvernements peinant à réformer la fonction publique de l'intérieur ». En fait, les cadres du public se montrent moins dépossédés que dubitatifs : ils reconnaissent que les consultants apportent ce fameux « regard extérieur » et de la rigueur dans les calendriers de mise en oeuvre du changement, mais les critiquent sévèrement sur d'autres points. « Nous relevons des recommandations semblables à celles des audits internes, la plus-value est donc relative, et elles sont souvent accessoires ou irréalistes. Dans ce dernier cas, les réformes ne peuvent aboutir, ce qui démotive les services qui ont dû se mobiliser pour aider à produire ces audits. Certains consultants n'apportent pas aux gestionnaires le soutien attendu sur le plan méthodologique. Enfin, nous nous interrogeons sur les rentes de situation que des cabinets trouvent auprès des administrations et collectivités territoriales », énumère un administrateur civil diplômé de l'ENA.

Un secteur porteur
Rente de situation ? A en croire les cabinets, les modalités d'achat des administrations limiteraient fortement ce genre de dérives. La réforme du Code des marchés publics a en effet abaissé les seuils obligatoires de passation d'appels d'offres et durci la concurrence. « Avec cette procédure, le moins-disant l'emporte souvent sur le meilleur rapport qualité-prix », déplore Jacques Soria, du groupe BPI. A mission comparable, les professionnels estiment d'ailleurs que les clients du public paieraient de 10 % à 20 % de moins que dans le privé. Ils pointent enfin le formalisme du Code des marchés publics, qui restreint les interactions entre cabinets et commanditaires et complique encore la donne. « Jamais une entreprise ne confierait une mission d'envergure à un cabinet sans un échange à l'oral permettant d'affiner les propositions. Ça n'est pas toujours le cas dans le public », regrette Bertrand Baret, en charge du secteur public chez Roland Berger.

Alors pourquoi les cabinets se lancent-ils sur ce marché compliqué et supposé moins rentable ? Il y a bien sûr des raisons d'image, liées au prestige de ces clients. Mais surtout, la conviction qu'il s'agit d'un secteur porteur en volume et sur lequel il reste beaucoup à faire.

Enfin, du point de vue des consultants, les missions menées dans le public seraient plus impliquantes puisqu'elles contribuent à l'intérêt général, d'une part, et élargissent leurs perspectives de carrière d'autre part. De fait, un nombre croissant de consultants deviennent contractuels dans les collectivités locales qu'ils ont conseillées, quand d'autres atterrissent dans les cabinets ministériels. Au sommet de l'Etat, ces professionnels accèdent désormais à des postes clés, autrefois chasses gardées des fonctionnaires de carrière. En témoignent les parcours d'Eric Woerth, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat et ancien associé du cabinet Bossard, de François-Xavier Migeon, associé chez McKinsey de 1999 à 2004 et aujourd'hui directeur à la DGME (voir interview), ou de Raymond Soubie, ex-président d'Altedia, devenu conseiller social à l'Elysée. En sens inverse, on voit des énarques demander à effectuer leur mobilité dans des cabinets de management. Autant de chassés-croisés qui témoignent eux aussi d'un rapprochement entre les deux mondes.

FRÉDÉRIC BRILLET

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