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La violence dans le monde médiéval

Punition de la violence par la violence : Cruauté des sanctions dans le droit pénal médiéval en Allemagne

Joëlle Fuhrmann

Full text

1Si nous nous représentons le système pénal tel qu’il existait dans l’Europe médiévale, et tout particulièrement en Allemagne au bas moyen âge, celui-ci nous apparaît comme étant un "théâtre de l’horreur et de la terreur" puisque les méthodes punitives se caractérisaient à cette époque par une atrocité et une brutalité extrêmes et atteignaient leur point culminant par l’accomplissement de rituels superstitieux et de cérémonies macabres. A la cruauté des méthodes punitives s’ajoutait également le fait odieux selon lequel les sanctions, qu’il se fût agi de peines mutilatoires, déshonorantes, de condamnations à mort telles que l’enterrement de personnes lors de leur vivant, la noyade forcée, la potence, le bûcher, le supplice de la roue etc..., donnaient lieu à des festivités publiques et joyeuses, à des spectacles très prisés par le peuple et par les classes dirigeantes d’alors.

2Or, ce côté pervers du système pénal médiéval, loin d’être arbitraire, reposait sur des fondements très précis et était légitimé par des intentions visant à maintenir coûte que coûte l’ordre dans la société.

  • 1 BLEI, Hermann, Strafrecht. I. Allgemeiner Teil. Ein Studienbuch. C.H. Beck’ sche Verlagsbuchhandlu (...)

3Afin de pouvoir comprendre ce monde si complexe et si étrange, tel qu’il se reflétait, entre autres, dans le droit pénal, nous devons tout d’abord nous libérer des idées sur la cruauté du droit médiéval, telles qu’elles ont été inculquées aux générations passées depuis le siècle des lumières. Il est certain que l’ancien système pénal était inhumain et barbare mais l’on ne connaissait pas d’autres moyens que les tortures et les peines de mutilation et de mort. Les sanctions privatives de liberté n’étaient pas considérées comme étant suffisamment effectives et les contrôles policiers s’avéraient irréalisables. De plus, l’ancien droit ne tendait pas, comme de nos jours, à la réinsertion de l’accusé dans la société en lui donnant les moyens de s’améliorer mais au rétablissement du droit au moyen de peines corporelles envers celui ou celle qui avait violé les règles de l’ordre établi. Une certaine idée d’échange dominait dans la conception du droit pénal médiéval : le criminel effaçait la gravité de sa faute en payant de sa personne : plus le délit était important, plus l’inculpé devait endurer des souffrances corporelles. En outre, l’intimidation de la population, l’expiation et la réparation du délit étaient les objectifs principaux qui déterminaient la férocité des peines. De plus, ces dernières étaient soumises à un rituel bien déterminé qui se trouvait sous la surveillance méticuleuse du tribunal. Le droit pénal médiéval offrait encore un lien très étroit entre le désir de vengeance et le sentiment religieux1 ; il avait un caractère sacral car il transposait la sanction d’une sphère toute personnelle dans une autre plus élevée, à savoir au niveau divin ; en effet, afin d’échapper lui-même à un malheur, l’être humain se sentait obligé d’accomplir un acte vengeur à la place de Dieu et pour celui-ci même, sanction ayant pour but d’exorciser le mal par le mal. Pensons à cet égard aux jugements de Dieu, lesquels provenaient d’une croyance selon laquelle Dieu était juste et souhaitait la justice sur terre. Si l’esprit humain n’était pas apte à discerner le juste de l’injuste, il fallait alors se tourner directement vers Dieu. Il y avait plusieurs sortes de jugements de Dieu : l’inculpé(e) devait ou bien porter un fer brûlant ou bien plonger son bras jusqu’au coude dans un seau rempli d’eau bouillante ou alors se battre en duel avec une autre personne payée à cet effet par le tribunal.

  • 2 HOMEYER, C G. (Hrsg.), Des Sachsenspiegels I. Teil, Berlin, Ferdinand Dümmler Verlag, 1861.
  • 3 STÖCKLE, Frieder,"...bis er gesteht. Folter und Rechtsprechung", Arena-Verlag Georg Popp, Würzburg (...)

4Outre le fait que la motivation de base du système pénal médiéval consistait dans le maintien de la paix au sein des communautés citadines et campagnardes, on ne peut comprendre en grande partie la rigidité et l’inhumanité du droit pénal médiéval que dans le contexte religieux. La vie de la communauté humaine n’était considérée que dans le cadre de l’ordre divin. La vision chrétienne du monde stabilisait l’homme, l’assurait vis-à-vis des vicissitudes, des déceptions et des menaces qui pouvaient se produire. On croyait à cette époque que les lois divines ne pouvaient être révélées qu’en faisant usage d’une méthode directe. D’ailleurs, le "Miroir des Saxons", le premier livre juridique apparu en Allemagne du nord en 12252, soulignait que Dieu représentait lui-même le droit et, que pour cette raison, il y accordait une grande importance. Prises dans ce contexte, la signification et les répercussions d’un délit avaient, au moyen âge, une portée bien plus grande que de nos jours, car il ne s’agissait pas seulement de poursuivre le délinquant et de lui faire expier ses fautes ; bien plus, toute la vie de l’être humain et, partant, de la communauté des hommes, était en jeu. L’inculpé était alors considéré comme un pêcheur exécrable qui avait détruit l’ordre divin et, se trouvant en lutte entre Dieu et les forces diaboliques de l’enfer dont le théâtre était la société humaine, s’était rangée au côté du mal. Par conséquent, il fallait éliminer le malfaiteur afin que le Bien remportât la victoire sur le Mal, tâche à laquelle les chrétiens devaient s’adonner. La poursuite du Mal se révélait donc comme une cérémonie, comme un triomphe visible du Bien3. Une telle circonstance explique le fait selon lequel les condamnations â mort et les tortures étaient publiques et donnaient lieu à de joyeuses festivités. Ainsi, les spectateurs de telles scènes, si je puis m’exprimer ainsi, n’étaient pas seulement des objets passifs devant être intimidés par la présentation de cruelles sanctions ; ils constituaient bien plus aux yeux de la classe dirigeante et des membres du tribunal des moyens de légitimation, qui, de par leur présence lors des exécutions, confirmaient la validité juridique de telles pratiques.

  • 4 Van DÜLMEN, Richard, Theater des Schreckens..., pp. 88-91.

5Notons encore un point important : la victoire du Bien sur le Mal devait se révéler d’autant plus sublime que l’on avait réussi â dégager le criminel des griffes de Satan. Et comment le libérer autrement que par la torture ! Il devait passer coûte que coûte à l’aveu ! Ce n’était que de cette manière qu’un malfaiteur pouvait se détourner du diable et être de nouveau admis au sein de l’église chrétienne. On ne comprend cette relation que si l’on considère que le droit pénal médiéval s’intéressait toujours également au salut de l’âme du condamné. Les martyres infernaux subis par les inculpés mis à la torture devaient, en quelque sorte, servir à sauver l’âme de ces derniers des supplices de l’enfer. Que représentaient en effet les minutes ou mêmes les heures passées sous la "Question" par rapport aux tourments éternels après la mort ? Selon la conception d’alors, la torture symbolisait le séjour en enfer du criminel. Et une fois lavé de ses péchés par les souffrances du corps et passé à l’aveu, le condamné pouvait alors recevoir l’absolution qui lui était donnée par un prêtre sur le parcours qui le conduisait au lieu de son exécution. Il s’agissait en fait d’une scène macabre : le malfaiteur repenti, revêtu d’un habit blanc, était accompagné de deux membres du clergé alors que retentissaient des chants liturgiques et des prières. Il s’arrêtait souvent en chemin pour boire, pour se confesser une dernière fois ou pour dire adieu à ses proches. Quelquefois, des classes d’adolescents se mêlaient au cortège en murmurant des chants funèbres, car les éducateurs d’antan considéraient comme salutaire que les jeunes fussent confrontés dès leur jeune âge aux conséquences néfastes qui résultaient d’un comportement criminel4.

  • 5 SPRENGER, Jakob/INSTITORIS, Heinrich, Der Hexenhammer, DTV Klassik, C.H. Beck, München, 1986.

6Il est certain que l’arrière-fond religieux des sanctions cruelles revêtait tout son sens lors des délits allant à 1’encontre de Dieu ; citons, par exemple, les cas de sorcellerie, d’hérésie, d’inceste etc...Ce ne fut pas sans raison que le "Marteau des Sorcières", livre paru en 1487 et écrit par deux moines, Jakob Sprenger et Heinrich Institoris, et traitant entre autres des méthodes d’inquisition lors des procès de sorcellerie, connut un grand succès à l’époque. Les pires atrocités étaient permises au nom de Dieu ! La situation a d’ailleurs peu changé aujourd’hui !5.

7Ainsi, l’église et la chrétienté représentaient au moyen âge les fondements de la pratique judiciaire et pénale. Or, il ne s’agissait autrefois pas d’un Dieu bon et miséricordieux, tel que nous le connaissons de nos jours, mais d’un Dieu implacable et sévère. Cette image que les gens du moyen âge se faisaient de la chrétienté était en partie due aux croyances superstitieuses dont les racines remontaient jusqu’aux temps paiens.

8Penchons-nous maintenant sur les différentes procédures offertes par le droit pénal médiéval pour châtier de façon cruelle les réfractaires à l’ordre divin sur terre.

  • 6 FUHRMANN, Joëlle, Fiction et réalité en ce qui concerne la femme dans l’Allemagne du moyen âge tar (...)

9A côté des méthodes punitives non corporelles telles que les amendes, les mises aux arrêts servant à punir les femmes coupables d’inobéissance envers leurs maris ou d’inobervance des règles de la ville, les peines d’expulsion, d’emprisonnement et certaines peines déshonorantes comme le port de la pierre pour les épouses indociles ou les maris trop faibles, par exemple, ou le port de la couronne de paille destiné aux fiancées qui avaient perdu leur virginité avant le mariage ou bien aux jeunes filles qui vivaient dans la débauche, il existait également des sanctions corporelles dont l’échelonnement passait du caractère anodin à l’extrême cruauté selon la gravité du délit. Ainsi, la peine déshonorante de la mise au pilori, utilisée, entre autres, à l’encontre des femmes inculpées d’avoir abandonné leurs enfants ou bien de s’être vouées à des mœurs licencieuses, étaient certes très désagréables, mais ne revêtaient pas la violence qui caractérisait les peines mutilatoires, par exemple. De même, la mise à l’eau qui consistait à ce que la victime fût attachée à une corde, jetée à l’eau et traînée par elle un bon moment dans le lac ou l’étang était moins tragique que la noyade forcée6.

10C’est que les sentences promulguées dans le cadre du droit pénal médiéval étaient loin d’être arbitraires : elles obéissaient à des critères très précis tels que, par exemple, le sexe de l’inculpé - s’agissait-il d’un homme ou d’une femme ? -, le genre du méfait - viol, vol, incendie, adultère, meurtre ? -. Lors de délits plus complexes, la législation prévoyait une cumulation de plusieurs peines ; ainsi, il était courant, dans le cas de crimes très graves, de faire subir à un criminel le supplice de la roue lors de son vivant, puis de brûler son cadavre en deuxième instance. Nous voyons donc que les sanctions, en l’occurrence, corporelles, n’étaient pas interchangeables mais correspondaient au contraire à un rite très exact. Elles visaient, entre autres, à faire "miroiter" au délinquant le dommage qu’il avait commis et, pour ce fait, appliquaient la loi du Talion.

  • 7 HIS, Rudolf, Geschichte des deutschen Strafrechts bis zur Karolina, Druck & Verlag von R. Oldenbou (...)

11La violence dans le droit pénal se manifestait sous deux formes principales, à savoir sous la forme des sanctions mutilatoires et sous celle des peines de mort, étant bien entendu que les procédés de torture les plus divers étaient présents dans la plupart des cas. De plus, il existait des différences dans l’application des sanctions entre le nord et le sud de l’Allemagne : le sud était plus "friand", si l’on peut dire, que le nord de méthodes punitives brutales. Par exemple, alors que les peines mutilatoires n’étaient que peu employées en Frise, le droit saxon, lui, connaissait l’amputation de la main en guise de punition de divers délits, et ce ne fut qu’au quinzième siècle que d’autres sanctions de cet ordre furent appliquées dans cette région7.

12Considérons donc dans un premier temps les sanctions mutilatoires. Ainsi que nous l’avons déjà signalé plus haut, ces peines étaient souvent très complexes parce que cumulatives étant donné qu’elles visaient à faire miroiter au criminel les délits qu’il avait commis et, par conséquent, les dommages qui en résultaient. Elles se propagèrent au 13ème siècle en Allemagne également par l’intermédiaire des lois sur le maintien de la paix dans les campagnes et les villes du pays - "Landfriedensgesetze" et "Stadtfriedensgesetze" -. En outre, elles étaient très précisément graduées selon le caractère bénin ou la gravité du méfait. Certaines d’entre elles pouvaient même être rachetées au moyen d’une forte somme d’argent. Malheur donc aux pauvres bougres démunis de toute richesse ! Ceux-ci ne pouvaient échapper aux sentences prononcées par le tribunal.

  • 8 op. cit..., p. 86.

13L’amputation de la main était une sanction mutilatoire très fréquente au moyen âge ; les droits saxon et frison la citaient pour punir presque toutes les violations de lois. Ainsi, elle était utilisée dans les cas de falsification, de parjure, de non-respect des lois concernant le maintien de la paix dans les maisons, les châteaux, sur les marchés, de blessures corporelles au moyen d’un couteau et même du simple port d’armes défendues. A cet égard, les sources juridiques conseillaient d’amputer la main droite et non la main gauche. Une atténuation de la peine consistait à ne couper que quelques doigts de la main8.

  • 9 op. cit..., p. 86.

14L’amputation du pouce concernait surtout les délits de chasse et de falsification de documents, la filouterie, alors que celle de l’index et du médius punissait les méfaits de parjure9.

  • 10 op. cit..., p. 86.

15L’amputation d’un pied - cette fois-ci, le pied gauche -, se rencontre dans les textes juridiques en guise de châtiment â fonction de miroir, par exemple, dans le cas où un individu avait donné un coup de pied à un autre10.

  • 11 op. cit..., p. 86 ; RÖSSLER, Emil Franz, Das Brünner Schöffenbuch aus dem 14. Jh., dans : Deutsche (...)

16La mutilation de la langue avait lieu lorsque l’inculpé avait commis des crimes de diffamation, de parjure et surtout de blasphème. Les accusés qui avaient osé insulter les membres du tribunal se voyaient également couper la langue, ainsi que le stipulaient les articles 99, 556 et 620 du "Livre juridique des échevins de Brunn". Dans de tels cas, le malheureux était pendu à un mur par la langue - la langue devait être clouée au mur - et il ne pouvait se libérer lui-même que lorsque sa langue s’était détachée de son gosier11.

  • 12 HIS, Rudolf, Geschichte des deutschen Strafrechts bis zur Karolina..., p. 87.

17Le fait de crever les yeux était considéré comme une sanction très grave qui, souvent, remplaçait la peine de mort. Par exemple, une servante qui avait livré les enfants de ses maîtres à la prostitution devait subir une telle peine12.

  • 13 op. cit..., p. 87.

18L’amputation d’une oreille ou du nez passait, dans le nord de l’Allemagne, pour être des méthodes punitives concernant surtout les domestiques car de telles mutilations n’altéraient par ailleurs aucunement la capacité de travail de ces derniers. On amputait la plupart du temps une oreille aux voleurs et aux femmes accusées de parjure. La sanction consistant à amputer un nez était appliquée aux voleurs coupables de récidive et, à Augsburg, aux prostituées qui s’étaient attardées en ville pendant la période du Carême13.

  • 14 op. cit..., p. 87.

19La castration était une peine ne se référant qu’aux délits sexuels - adultère, viol, rapt -14.

  • 15 H0MEYER, C G. (Hrsg.), Des Sachsenspiegels I. Teil, Ferdinand Dümmler, Berlin, 1861, Ld. II, Art. (...)

20Les peines corporelles concernant la peau et les cheveux - Strafe an Haut und Haar - peuvent être considérées en partie comme des sanctions mutilatoires car elles allaient jusqu’à l’arrachement du cuir chevelu et la stigmatisation. Les accusés susceptibles d’avoir commis des délits tels que la bigamie ou des vols bénins étaient mis au piloris, roués de coups, stigmatisés puis chassés de la ville. Ces méthodes punitives étaient également utilisées comme "sanctions de grâce" pour les femmes enceintes qui, en d’autres circonstances, se seraient soumises à la peine de mort ou à une sanction mutilatoire ; ces dernières ne devaient subir aucune lésion grave à cause de l’enfant qu’elles portaient en elles. On se bornait alors à leur couper les cheveux (Ssp., Ld.II, Art.3)15

21Si l’on met à part le cas particulier de la femme enceinte, toutes ces peines mutilatoires pouvaient, surtout à la fin du moyen âge, être commuées en amendes, à l’exception des sanctions se rapportant aux délits de vol et de trahison ; toutefois, les peines de mort ne pouvaient pas être rachetées aussi facilement pour de l’argent.

  • 16 HIS, Rudolf, Geschichte des deutschen Strafrechts bis zur Karolina..., pp. 82-85.

22Intéressons nous donc maintenant aux condamnations à mort. Celles-ci furent également introduites en Allemagne au 13ème siècle par l’intermédiaire des lois sur le maintien de la paix dans les campagnes et les villes - Landfriedensgesetze et Stadtfriedensgesetze -. Elles étaient surtout appliquées pour des délits tels que les meurtres, les viols, les rapts, les adultères, la bigamie, le proxénétisme et les vols. Au cours des siècles, ces peines furent souvent commuées en de fortes amendes ou en sanctions qui consistaient à expulser les coupables de la ville pour une longue durée ou à perpétuité. Ce fut surtout le cas pour les inculpés de rapt, d’adultère ou de bigamie alors que les délits de vol, de viol et de meurtre étaient toujours passibles de la peine de mort. Mais de telles commutations ne pouvaient, au bas moyen âge, être décidées que par les juges et les représentants de la force publique alors qu’à la période franque, le coupable avait le droit d’être gracié : il pouvait "sauver son cou" - den Hais lösen - en payant une forte amende. Les scrupules de la part du tribunal qui se faisaient jour à la fin du moyen âge lorsqu’il s’agissait de gracier un condamné à mort étaient surtout dus au fait que la criminalité avait beaucoup augmenté depuis le haut moyen âge, circonstance due, entre autres, à l’affaiblissement du pouvoir public et à la recrudescence du brigandage16.

23Parfois, on ne limitait la peine de mort qu’au cas où le coupable était pris en flagrant délit, ainsi que cela pouvait se passer lors d’un adultère, par exemple. Cela venait du fait que l’on estimait au moyen âge que le délinquant était devenu hors-la-loi par l’accomplissement de son méfait et que, s’il était pris en flagrant délit, il devait subir la même peine qu’une personne mise au ban de la société par les tribunaux : on devait le tuer.

  • 17 van DÜLMEN, Richard, Theater des Schreckens..., pp. 108-111.
  • 18 HIS, Rudolf, Das Strafrecht der Friesen im Mittelalter, Dieterich’ sche Verlagsbuchhandlung, Theod (...)

24Les condamnations à mort dans le cadre du droit pénal médiéval ne visaient pas seulement à tuer l’accusé mais aussi à le supplicier de façon atroce. De plus, elles étaient, à des exceptions près, différentes, selon qu’elles s’adressaient â un homme ou bien â une femme. Il existait même un proverbe à ce sujet : "de mans up de galghe ende de wyfs up den putte" (l’homme à la potence, la femme sous la pierre). La pendaison, le supplice de la roue et l’écartèlement étaient des sanctions masculines typiques alors que les femmes étaient la plupart du temps condamnées à la noyade forcée, à la mort sur le bûcher et à être enterrées lors de leur vivant. La décapitation, elle, s’appliquait aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Certes, il y avait aussi des exceptions à ces règles : un homme pouvait être condamné à être noyé et une femme devait aller à la potence ; dans de tels cas, le greffier prenait soin de bien noter dans son protocole que la décision prise par le juge et les échevins étaient inaccoutumés17. Il est à remarquer à cet égard que les condamnations à mort typiquement masculines exposaient les corps des inculpés à la vue de tous alors que les sanctions typiquement féminines visaient à cacher les corps des accusées, soit en les faisant disparaître sous terre ou sous l’eau ou bien en les laissant se consumer dans les flammes ; il était en effet jugé indécent, à l’époque médiévale, d’exposer un corps de femme à la vue du public, surtout, comme c’était le cas lors des pendaisons, si la coutume voulait que les coupables fussent pendus nus. A cet égard, il est intéressant de remarquer que les condamnés à la potence devaient, selon le droit frison, être pendus la tête recouverte d’un bonnet noir et tournés vers le nord, direction qui était réputée porter malheur18.

  • 19 .FUHRMANN, Joëlle, Considérations mythologiques et juridiques sur l’empalement du cœur au moyen âge (...)

25L’enterrement d’une personne lors de son vivant constituait une méthode punitive très grave qui était appliquée dans les cas d’adultère, de meurtres d’enfants ou d’époux, d’empoisonnement, de sorcellerie. Ainsi, le "Miroir des laïques" - Laienspiegel - d’Ulrich Tengler, le manuel juridique de pratique judiciaire le plus répandu aux 15ème et 16ème siècle prescrivait de jeter l’accusé(e) dans une fosse, de le - ou la - fixer à la terre au moyen d’un pal et de recouvrir son corps de terre jusqu’à ce qu’il - qu’elle - passât de vie à trépas. L’introduction d’un tube entre les lèvres du - de la - suppliciê(e) visait à ce que celui-ci - celle-ci - endurât de son vivant et en toute rigueur le terrible supplice du pal19.

  • 20 FUHRMANN, Joëlle, Fiction et réalité en ce qui concerne la femme..., Manuscrit DEA..., p. 123 ; va (...)

26La noyade forcée était toutefois plus répandue que la condamnation à mort décrite ci-dessus. Elle aussi était surtout une peine réservée aux femmes. Les mains et les pieds de la coupable étaient liés, puis, on jetait cette dernière dans l’eau après lui avoir passé une pierre autour du cou. Souvent, on la mettait dans un sac où se trouvaient déjà des animaux tels que des chiens des vipères ou des singes, et on lançait ce sac dans un fleuve ou dans un lac. Cette peine était surtout utilisée pour punir celles qui avaient assassiné des parents proches20.

  • 21 FUHRMANN, Joëlle, Fiction et réalité en ce qui concerne la femme..., p. 123.

27La mort sur le bûcher concernait les femmes et les hommes coupables d’être hérétiques ou bien d’avoir eu des rapports sexuels avec des juifs. Cette méthode fut surtout employée par l’Inquisition, à l’époque où des milliers de femmes furent condamnées à mort parce qu’elles étaient accusées de sorcellerie21.

  • 22 op. cit..., p. 123.

28La condamnation à être jeté dans de l’eau ou de l’huile bouillante apparut dès la fin du 13ème siècle dans presque tous les droits des villes et les coutumes. Elle était surtout destinée aux falsificateurs mais aussi aux hérétiques22.

  • 23 CLAUBEN, Hans-Kurt (bearb. von), Freisinger Rechtsbuch, Weimar, 1941, Art. 29.

29Le supplice de la roue et l’écartèlement étaient des sanctions réservées, à quelques exceptions près, aux hommes. On en faisait usage lors de graves délits tels que des assassinats répétés ou des trahisons politiques. Ils donnaient lieu à un spectacle affreux : en ce qui concerne le supplice de la roue, les membres et le dos des malheureux étaient broyés par la roue alors que le tronc, lui, était attaché entre les rayons de la roue ; puis, on dressait cet instrument de torture sur un poteau. Ruprecht von Freising réclamait à l’article 29 de son livre juridique datant du 14ème siècle l’utilisation de cette peine à l’encontre des femmes qui avaient assassiné leurs maris23.

  • 24 van DÜLMEN, Richard, Tneater des Schreckens..., pp. 130-32,38

30Quant â 1"écartèlement, il était destiné aux personnes qui avaient trahi leur pays et aux régicides. Il consistait en ce que le condamné fût attaché par une corde à plusieurs chevaux qui devaient partir dans des directions opposées. Or, étant donné que les bêtes n’arrivaient que rarement à écarteler un homme, le bourreau devait auparavant couper à la hache les articulations de l’inculpé. D’autres fois, on renonçait à l’emploi de chevaux. Le pauvre pêcheur était alors couché tout nu sur une planche de bois ; ses membres étaient liés par une corde aux extrémités de cette planche. Le bourreau ouvrait alors de son couteau tranchant la poitrine de l’accusé pour en retirer toutes les entrailles, y compris le cœur, le foie et les poumons qu’il jetait au visage du criminel. Puis, ce dernier - ou du moins ce qu’il en restait - était mis sur une table sur laquelle on lui tranchait la tête au moyen d’une hache, et on coupait son corps en quatre morceaux, lesquels étaient cloués ensuite à des poteaux que l’on dressait dans les rues principales. Une telle violence dépassait la folie ! La décapitation par l’épée semblait bien humaine au vu de telles ignominies. Elle était d’ailleurs considérée comme la peine de mort la plus digne et était principalement destinée aux nobles24.

31Que pouvons-nous donc conclure de telles scènes de violence ? Il nous paraît à notre époque incroyable que le droit, en l’occurrence, le droit pénal médiéval, fût si cruel et parfois si injuste puisque, rappelons-le, les condamnés qui avaient de l’argent pouvaient, s’ils n’avaient pas commis des crimes trop graves, faire commuer leurs sanctions mutilatoires et même leurs peines de mort en de fortes amendes. Il fallut attendre le siècle des lumières pour que des critiques se penchent sur ce système barbare et y apportent les réformes nécessaires pour établir un droit plus juste et plus humain.

32Cet aperçu de la violence dans le système pénal médiéval nous permet une fois de plus de constater que la société d’alors riche en contrastes, n’hésitait pas à recourir à des mesures extrêmes pour réaliser ce qu’elle croyait être la valeur suprême : le maintien de l’ordre divin sur terre.

Notes

1 BLEI, Hermann, Strafrecht. I. Allgemeiner Teil. Ein Studienbuch. C.H. Beck’ sche Verlagsbuchhandlung, München, 1983, p. 8 ; WELZEL, Hans, Das deutsche Strafrecht. Eine systematische Darstellung, Walter de Gruyter & Co., Berlin, 1969, pp. 10-11.

2 HOMEYER, C G. (Hrsg.), Des Sachsenspiegels I. Teil, Berlin, Ferdinand Dümmler Verlag, 1861.

3 STÖCKLE, Frieder,"...bis er gesteht. Folter und Rechtsprechung", Arena-Verlag Georg Popp, Würzburg, 1984, pp. 26-29 ; van DÜLMEN, Richard, Theater des Schreckens. Gerichtspraxis und Strafrituale in der frühen Neuzeit, C.H. Beck, München, 1988, p. 7.

4 Van DÜLMEN, Richard, Theater des Schreckens..., pp. 88-91.

5 SPRENGER, Jakob/INSTITORIS, Heinrich, Der Hexenhammer, DTV Klassik, C.H. Beck, München, 1986.

6 FUHRMANN, Joëlle, Fiction et réalité en ce qui concerne la femme dans l’Allemagne du moyen âge tardif (13ème-15ème siècle). La situation de la femme à travers les écrits juridiques, religieux et médicaux de l’époque et sa représentation dans le récit bref allemand du moyen âge tardif. Manuscrit de DEA, Université Jules Verne, Amiens, 1987, pp. 126-27.

7 HIS, Rudolf, Geschichte des deutschen Strafrechts bis zur Karolina, Druck & Verlag von R. Oldenbourg, München und Berlin, 1928, p. 71.

8 op. cit..., p. 86.

9 op. cit..., p. 86.

10 op. cit..., p. 86.

11 op. cit..., p. 86 ; RÖSSLER, Emil Franz, Das Brünner Schöffenbuch aus dem 14. Jh., dans : Deutsche Rechtsdenkmäler aus Böhmen und Mähren, Scientia Verlag, Aalen, 1963, art. 99, pp. 52-53, art. 520, pp. 261-62 et art. 620, pp. 285-86.

12 HIS, Rudolf, Geschichte des deutschen Strafrechts bis zur Karolina..., p. 87.

13 op. cit..., p. 87.

14 op. cit..., p. 87.

15 H0MEYER, C G. (Hrsg.), Des Sachsenspiegels I. Teil, Ferdinand Dümmler, Berlin, 1861, Ld. II, Art. 3.

16 HIS, Rudolf, Geschichte des deutschen Strafrechts bis zur Karolina..., pp. 82-85.

17 van DÜLMEN, Richard, Theater des Schreckens..., pp. 108-111.

18 HIS, Rudolf, Das Strafrecht der Friesen im Mittelalter, Dieterich’ sche Verlagsbuchhandlung, Theodor Weicher, 1901, p. 195

19 .FUHRMANN, Joëlle, Considérations mythologiques et juridiques sur l’empalement du cœur au moyen âge, Sênêfiance n° 30, Publications du CUERMA, Aix en Provence, 1991, p. 115.

20 FUHRMANN, Joëlle, Fiction et réalité en ce qui concerne la femme..., Manuscrit DEA..., p. 123 ; van DÜLMEN, Richard, Theater des Schreckens..., p. 122.

21 FUHRMANN, Joëlle, Fiction et réalité en ce qui concerne la femme..., p. 123.

22 op. cit..., p. 123.

23 CLAUBEN, Hans-Kurt (bearb. von), Freisinger Rechtsbuch, Weimar, 1941, Art. 29.

24 van DÜLMEN, Richard, Tneater des Schreckens..., pp. 130-32,38

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