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« Radio Sexe » : la sulfureuse radio libre qui cartonne sur Twitch

Version moderne et branchée sur les réseaux de l’émission du Doc et Difool des années 1990, c’est un succès d’audience qui s’attire aussi des critiques pour son machisme.

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Publié le 08 décembre 2019 à 13h55, modifié le 08 décembre 2019 à 15h56

Temps de Lecture 4 min.

De gauche à droite, les streameurs jeu vidéo Zack Nani, Joey et Kamet0, les rappeurs Al Kpote et Jok’Air, et le youtoubeur Prime.

Le langage est fleuri, les conseils sans détour, le ton décontracté. En ce dimanche de printemps, une auditrice appelle pour faire part de sa frustration : elle aimerait que son compagnon la satisfasse au lit plusieurs fois par jour. Goguenarde, la bande d’une demi-douzaine d’amis qui animent l’émission se confond en fous rires et excuses sur les limites de l’appareil masculin. Sur le tchat, les spectateurs jubilent.

En moins d’un an, l’émission vidéo en ligne « Radio Sexe », qui a entamé sa seconde saison, dimanche 24 novembre, sur Twitch, s’est imposée comme le nouveau rendez-vous hebdomadaire de toute une génération biberonnée aux jeux vidéo, à YouTube, au rap et aux réseaux sociaux. Ils étaient 70 000 en simultané à suivre en direct son retour, soit la vidéo la plus suivie au monde sur Twitch ce soir-là.

Chaque dimanche entre 21 h 30 et minuit, ses animateurs répondent tantôt avec humour, tantôt avec sérieux, vantardise et pas mal de machisme aux questions des internautes. Comment réagir si un copain drague sa petite amie ? Et si elle nous surprend en train de nous entraîner avec une poupée gonflable ? Peut-on coucher avec une femme mariée, mère de deux enfants ? Se mettre en couple avec une cam-girl ?

« C’est beaucoup plus vaste que le sexe », arrête le youtubeur belge Kotei, de son vrai prénom Zouhair, 22 ans, l’un des streameurs à l’origine du projet. « Ça parle aussi d’amour, de confiance en soi, on essaie de régler les problèmes des gens. Ça aurait pu s’appeler Radio Love ! Après, bien sûr, on parle de sexe, mais ce n’est pas le centre. »

Renouveau de la libre antenne

L’inspiration, elle, est assumée : il s’agit des émissions libres comme « Lovin’Fun » sur Fun Radio et « Radio libre » sur Skyrock, mais avec un ton plus abrupt, et un vocabulaire coloré venu de la banlieue. Ici, on ne fait pas l’amour, on « ken » ; on n’est pas un dragueur, mais un « charo » (abréviation de « charognard ») ; et on souligne l’importance du préservatif, le « gilet pare-balles ». Une manière d’incarner « le renouveau de la libre antenne », comme le résume la chroniqueuse de France Inter Sonia Devillers.

« C’est un groupe d’adolescents qui déconne autour du sexe », resitue le pédiatre Christian Spitz, l’ex-Doc de Difool sur Fun Radio dans l’émission « Lovin’fun » des années 1990. « Il y a un besoin vital de parler de sexe, il y a une certaine anxiété, et c’est un sujet envahissant pour un jeune adolescent. Il a un corps qui réclame son dû, c’est quelque chose d’extraordinaire, il y a besoin de se révéler dans la relation à l’autre et à son corps. »

Au micro, chacun joue une partition à lui, visage découvert et sous pseudo. Il y a le discret Kameto, âme pure de la bande, toujours prêt à se ranger du côté de la vertu. Le Lyonnais Zack Nani, voix à la Galabru et fou rire communicatif, « hétéro beauf selon France Inter », aime-t-il à citer. Ou encore Prime, à la coiffure bicolore flamboyante, qui lâche parfois des « pff, c’est dur l’amour » de jeune bellâtre déjà désabusé.

Plus d’admirateurs que d’admiratrices

L’équipe s’est enrichie à la rentrée de sa première chroniqueuse permanente, Myriamanhattan, dite « Dr Respect ». « On n’est pas du tout contre le fait d’avoir une chroniqueuse ou une femme dans l’équipe, mais à la base c’est une bande de potes, ça s’est fait comme ça », expliquait en août Kotei, qui cherchait alors « une fille pertinente, qui pourrait en même temps être dans nos délires ».

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Sa présence est une manière de répondre aux critiques sur le plateau quasi exclusivement masculin de la première saison, avec son lot de propos misogynes ou phallocentrés. L’émission compte d’ailleurs plus d’admirateurs que d’admiratrices. « J’ai jamais compris pourquoi “Radio Sexe”, c’était tenu par des mecs cis het [des hommes non trans, hétérosexuels]. Genre 90 % d’entre eux savent pas baiser, pourquoi leur laisser la parole ? », s’est plainte une internaute, dans un message Twitter « aimé » plus de 6 000 fois.

D’autres relèvent avec amertume la liberté dont disposent ces hommes pour parler sexualité, encouragés par une très large communauté, tandis que Clarisse, une influenceuse, a été victime en novembre de cyber-harcèlement pour avoir osé parler de fellation dans une vidéo.

Mais le nouveau rendez-vous-phare du dimanche soir met aussi en lumière de manière plus consciente d’autres problèmes de société, comme le racisme que vivent les jeunes d’origine étrangère. Pour autant, Kotei se défend de toute prétention : « Je ne suis pas sociologue, moi, je cherche juste à faire des émissions sympas qui plaisent. »

Van Damme dans le viseur

Le concept de « Radio Sexe » est né d’une simple blague sur Twitter, à la fin de 2018, entre deux comptes influents, Kotei et Kameto (200 000 abonnés sur YouTube), qui se sont mis au défi de lancer une émission libre par webcam interposée.

Huit mois plus tard, la troupe s’est agrandie, a monté un plateau, et porté par un succès d’audience fulgurant, ils concluaient leur première saison en fanfare à Los Angeles, chez l’acteur et réalisateur porno Manuel Ferrara. En attendant de réaliser leur « petit rêve », inviter Jean-Claude Van Damme.

« “Radio Sexe” a zéro valeur éducative, pas plus que le porno. C’est juste là pour distraire, c’est du délire, un peu macho, estime le pédiatre Christian Spitz. Mais s’il a la vertu de défouler en racontant des conneries, pourquoi pas ? » Sans prétention, la sulfureuse radio libre a même réussi à rabibocher des couples, à la grande fierté – et à la surprise – de ces apprentis infirmiers des cœurs.

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