Politique

El Khomri au nez et à la barbe de Macron ?

La loi sur les nouvelles opportunités économiques devrait être fondue dans celle de la ministre du Travail, reléguant au second plan le locataire de Bercy.
par Nathalie Raulin
publié le 5 janvier 2016 à 20h01

L'étoile d'Emmanuel Macron serait-elle en train de pâlir ? Pour la première fois depuis son entrée au gouvernement, le ministre de l'Economie semble ne plus pouvoir compter sur le soutien de l'Elysée. Lundi, dans ses vœux au gouvernement, François Hollande a comme pris ses distances avec son poulain, affirmant que la loi sur les «nouvelles opportunités économiques»- dite NOE -, sur laquelle Macron travaille d'arrache-pied depuis la rentrée, pourrait finalement ne venir qu'en appendice de la «grande réforme» concoctée par sa collègue Myriam El Khomri sur la refonte du code du travail, la négociation collective et la mise en place du compte personnel d'activité. Le chef de l'Etat, qui dans son allocution du 14 juillet avait pourtant lui-même appelé de ses vœux une loi Macron 2 sur l'économie numérique, prenant alors le contre-pied de Manuel Valls, ne parle plus que de «dispositions introduites pour saisir les nouvelles opportunités économiques, notamment celles offertes par la révolution numérique». De quoi étayer l'hypothèse qui traîne depuis plusieurs jours d'une absorption du texte de Bercy par celui de la ministre du Travail, même si, officiellement, rien ne serait décidé. «Nous attendons l'arbitrage sur le contenu et sur le dispositif mi-janvier», indique-t-on à Bercy. «Tout n'est pas tranché», confirme l'Elysée, qui ajoute néanmoins : «Ce qui est vrai, c'est que l'on cherche la méthode la plus efficace au regard du temps législatif qui reste.» Même l'entourage du ministre de l'Economie ne se fait plus guère d'illusion. «L'hypothèse d'une fusion des deux textes tient aujourd'hui la corde», admet-on à Bercy, à qui le ministre des Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, a pourtant transmis une proposition de calendrier pour le projet de loi NOE, avec début d'examen à l'Assemblée le 22 mars.

En pratique néanmoins, l'affaire paraît pliée. «Ce n'est pas un recadrage de Macron. On a seulement un vrai problème de calendrier, on n'a pas le temps pour examiner sa loi», confie une ministre, pourtant pas très favorable à Macron. Avec la polémique sur la déchéance de nationalité, la réforme constitutionnelle, priorité des priorités pour l'exécutif, menace d'embouteiller durablement l'agenda parlementaire, la révision devant être adoptée dans les mêmes termes au mot près par l'Assemblée nationale et le Sénat. «Tant que les deux chambres ne sont pas d'accord, il y aura des navettes, soupire un conseiller ministériel. Cela peut durer un bon moment si Gérard Larcher, le président du Sénat, n'y met pas du sien.»

«Calendes grecques»

Pour autant, même surmonté, cet obstacle ne libère pas le terrain pour NOE. Plusieurs projets de loi en préparation sont désormais perçus comme plus en phase avec l'objectif de rassembler la gauche. C'est vrai du texte «égalité et citoyenneté» sur la lutte contre les discriminations et la réhabilitation des quartiers porté par le ministre de la ville, Patrick Kanner. C'est aussi vrai du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, préparée par la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Surtout en cas de disjonction des lois El Khomri et Macron, la priorité serait inévitablement donnée à la «grande réforme» de la ministre du Travail. Le texte NOE serait dès lors immanquablement renvoyé au second semestre. «Une façon de le renvoyer aux calendes grecques», estime un député socialiste.

Surtout, rien ne dit pour l'heure que l'accueil réservé par les parlementaires à la réforme du code du travail sera enthousiaste. En cas de rébellion de la majorité, le gouvernement pourrait être contraint d'user, comme sur la loi Macron 1, de l'article 49.3 pour que le texte soit adopté. Or, cette arme ne peut être dégainée qu'une fois par session parlementaire, hors lois de finance : en cas de bronca ultérieure sur le projet de loi NOE, le gouvernement pourrait alors être mis en échec. Politiquement inimaginable à quelques mois seulement de la présidentielle… A Manuel Valls, le président du groupe PS, Bruno Le Roux, l'a dit sans détours : «Tu mets les deux ministres autour d'une table, il faut une seule loi, un texte ramassé, très clair, très normatif, débarrassé des articles de com.»

De cet épilogue, Emmanuel Macron qui n'a jamais réduit NOE à son «débouché législatif» fait mine de ne pas s'en formaliser. Un député proche de Ségolène Royal, avec qui il déjeunait le 10 décembre près de l'Assemblée nationale, confirme : «Il a parlé de NOE, de sa volonté que la réforme se traduise au plus vite dans les faits, quitte à passer par des décrets et des ordonnances, précise l'élu PS. Il essayait aussi de nous convaincre de l'utilité de son projet de loi, ce à quoi je lui ai dit qu'il ne pouvait pas espérer que son texte passe sur le premier trimestre.»

Provocations

Pour Hollande, entre état d'urgence et flambée du FN aux régionales, l'heure n'est plus à la promotion du corpus idéologique social-libéral dont, avec son appui discret, le ministre de l'Economie s'est fait le porte-étendard. «Avec la loi El Khomri, et le compte personnel d'activité, Hollande veut installer l'idée que la réforme ne signifie pas un recul des acquis sociaux, insiste un membre du gouvernement. Macron est utilisé par Hollande. Il ne l'utilise pas forcément tout le temps. Il a servi.»

Que Macron prenne un peu l'ombre alors que la tactique va reprendre pleinement ses droits n'est d'ailleurs pas forcément un mal pour Hollande. Le chef de l'Etat n'avait guère goûté les embardées de son ministre sur le statut «inadéquat» de la fonction publique ou l'élection comme député «cursus honorum d'un autre temps». Des provocations malvenues alors qu'il lui faut désormais ressouder, si ce n'est la gauche, au moins la majorité dans la perspective de 2017. «Macron est à feu orange à l'Elysée», confiait début novembre un ancien ministre de Jospin resté très proche de l'actuel chef de l'Etat. Qu'il soit devenu politiquement gênant, Macron le comprend quand un député réformiste, partisan d'une ouverture du gouvernement à gauche, lui «conseille» de profiter du remaniement pour «prendre du champ» quitte à «revenir peu avant la présidentielle comme directeur de campagne du candidat». A cette idée, le ministre oppose un refus catégorique : son unique ambition étant de réformer la France, sa place est au gouvernement et nulle part ailleurs. Sa popularité est telle qu'il est intouchable. Impossible d'écarter contre sa volonté un ministre dont le style et la volonté réformatrice sont plébiscités. Personne d'ailleurs n'y songe dans les rangs socialistes, chacun étant convaincu de l'atout que représente Macron pour drainer les électeurs de centre droit entre les deux tours de la présidentielle. Un député socialiste, qui voyait en lui le possible leader d'un mouvement à créer sur le flanc droit du PS pour ratisser large en 2017, estime que «maintenant la question, c'est de sauver le soldat Hollande». En clair, assurer la qualification au premier tour.

Invité à se faire discret, Macron s'exécute. Au moins publiquement car dans le huis clos ministériel, il ne lâche rien. Lors du séminaire de travail à l'Elysée du 19 décembre, il prône tout de go une «flexibilisation totale du droit du travail», essuyant illico les tirs de barrage de ses collègues Marisol Touraine et de Stéphane Le Foll. De fait, Macron ne comprend pas bien le silence qui lui est imposé. «Les têtes de liste socialistes qui assument la ligne réformiste du gouvernement, Alain Rousset en Aquitaine, comme Jean-Yves Le Drian en Bretagne, ont fait des très bons scores», fait-il valoir en aparté d'un déjeuner en ville mi-décembre. Pour lui, ces victoires le confortent plutôt dans sa volonté de réformer tambour battant. «Macron est charmant, brillant, cultivé, excellent technicien. L'ennui c'est qu'il est nul en politique», rigole un ancien ministre de Mitterrand. Sa sortie au séminaire préfigure néanmoins la suite qu'il entend donner à l'histoire : quitte à ce que NOE soit fondue dans la loi El Khomri, Emmanuel Macron entend faire œuvre de coproduction. «Pour lui, tant qu'il y a réforme, le véhicule importe peu, précise un de ses proches. Mais il entend être présent à l'Assemblée sur les bancs du gouvernement à côté de la ministre du Travail pour défendre sa partie du projet de loi.» Et partager l'affiche.

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