Un présentateur au visage de jeune premier. Des chroniqueurs forts en gueule. Un nom d’émission qui annonce la couleur, « L’Antenne libre ». Sur TV Zvezda, on n’est pas là pour faire dans la demi-mesure. Nous sommes sur la chaîne de télévision officielle de l’armée russe. En ce 1er décembre 2022, un débat est consacré au traitement médiatique de la guerre en Ukraine. Sur le banc des accusés : la « propagande » occidentale, qui diaboliserait la Russie et tairait les exactions ukrainiennes. Un témoin à charge est invité à s’asseoir au milieu du plateau. Un Français, grand, massif, crâne rasé et barbe fournie : Charles d’Anjou. « C’est le président d’Omerta et le producteur du documentaire Front russe : l’Ukraine de Poutine, annonce l’animateur. Il a passé quatre semaines dans la zone de l’opération militaire spéciale. Il n’a pas eu peur des pressions et a pris le risque d’aller filmer côté russe. »
L’invité, âgé de 40 ans, parle la langue de Tchekhov de manière fluide, malgré quelques erreurs de déclinaison. Il explique vouloir investir une « niche » : le versant poutinien du conflit, à rebours des journalistes français « propagandistes », qui travaillent « tous du côté de Kiev ». « Les Ukrainiens ont une propagande très forte, très efficace », juge Charles d’Anjou. Lui entend montrer que les soldats russes sont des « personnes tout à fait normales ». « Les téléspectateurs français veulent-ils connaître notre point de vue ? », l’interroge un chroniqueur, dubitatif. « Ils y sont prêts », répond l’invité. « Un énorme merci, le félicite le présentateur. Votre film sera vu par des historiens et des analystes militaires dans cinquante ou cent ans. Ils en tireront des conclusions sur ce conflit. »
Présenter le point de vue russe
Les programmateurs de TV Zvezda connaissent bien Omerta. L’internaute français lambda, un peu moins. Le média en ligne, lancé le 16 novembre 2022, navigue encore dans une relative confidentialité. Qu’importe. Depuis le début de l’offensive en Ukraine, le 24 février 2022, la Russie cherche des relais dans sa guerre de l’information. En France notamment, où l’opinion, comme dans une grande partie des pays européens, s’est rangée derrière la bannière ukrainienne. La chaîne RT (ex-Russia Today) et le site Sputnik, tous deux financés par Moscou, ont été interdits de diffusion dans l’Union européenne une semaine après le début de l’invasion russe. Un coup dur, tant ces médias s’étaient taillé une place dans le paysage hexagonal, en particulier à la faveur de la crise des « gilets jaunes » : le 23 février, le site Internet de Sputnik pesait encore 8 millions de visites mensuelles ; celui de RT France, 4 millions.
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