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Introduction

L’usage croissant des réseaux socionumériques (Coutant & Stenger, 2009) comme source d’information politique par les citoyens et comme outil de communication politique par les leaders politiques constitue un phénomène récent. Ces plateformes et leurs usages associés ont reçu une attention croissante de la part de la communauté scientifique et s’accompagnent de nombreux questionnements, notamment la question de la méthode à appliquer à l’étude de ces pratiques sociales (Barats, 2016; Hine, 2013; Rogers, 2013; Sloan & Quanhaase, 2017). Les communications des leaders politiques sur Facebook et Twitter ont été analysées par de nombreux chercheurs se risquant à l’étude de ces nouveaux objets. Mais les recherches consacrées à l’étude d’Instagram en tant que canal de communication politique restent encore à un stade exploratoire (Hand, 2016; Lacaze, 2020; Laestadius, 2017; Lalancette & Raynauld, 2017; Lopez-Rabadan & Doménech-Fabregat, 2018; Munk et al., 2016).

Cet article vise à présenter les enjeux méthodologiques et scientifiques liés à l’analyse de la plateforme Instagram. Nous retraçons le processus méthodologique utilisé à l’occasion d’un travail de recherche visant à comprendre le potentiel de l’usage d’Instagram en communication politique à travers l’étude de cas de l’ethos de Justin Trudeau, 13e personnalité politique la plus populaire sur Instagram (Statistica, 2017). L’article méthodologique ci-contre constitue le complément d’une autre publication au sein de laquelle nous avons présenté les résultats du travail de recherche, article intitulé : Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram : un storytelling héroïque entre émotion et celebrity politics (Vossen, 2019). Ce dernier répond aux questions suivantes : comment l’ethos d’un personnage politique peut-il être projeté sur cette plateforme? Dans quelles mesures ses affordances peuvent-elles être mobilisées dans les communications d’une personnalité politique?

Le cas de Justin Trudeau a été choisi en raison de la prégnance du candidat sur les réseaux sociaux dès sa campagne de 2015, mais aussi en raison du message de sa campagne. En effet, celle-ci était alors marquée par l’espoir et l’optimisme pour le futur, particulièrement en harmonie avec les usages privilégiés d’Instagram, tout comme l’ethos de l’acteur politique, qui se démarque par sa jeunesse et sa spontanéité. Subséquemment, Trudeau se distingue par un discours sur Instagram spécifique à la plateforme, alors que d’autres dirigeants politiques (comme Emmanuel Macron ou Donald Trump) font usage d’Instagram en tant que « relais de diffusion institutionnelle de leurs tweets » (Lacaze, 2020, p. 9). Dès lors, nous explorons les formes de l’ethos socionumérique sur Instagram en communication politique à travers le cas de Justin Trudeau.

Cet article est organisé en deux parties : 1) le survol du cadre théorique de la recherche; 2) la description détaillée du dispositif méthodologique.

1. Survol du cadre théorique

Avant toute chose, il est important de rappeler le questionnement de départ qui a mené à la construction du dispositif méthodologique au coeur de cet article. Notre recherche porte sur les stratégies discursives (iconographiques et linguistiques) mobilisées sur le profil Instagram (2018) de Justin Trudeau. Nous avons tenté de répondre à la question suivante : comment l’ethos de Justin Trudeau est-il révélé à travers son discours sur Instagram durant la campagne électorale canadienne de 2015 et les 100 premiers jours de son gouvernement?

1.1 Constructivisme et spectacularisation

Notre recherche se situe dans une épistémologie globale, celle de « l’approche constructiviste » selon laquelle « les phénomènes descriptibles dans le monde, qu’ils soient réputés ordinairement sociaux ou naturels, n’existent pas antérieurement et extérieurement au travail accompli pour les catégoriser » (Lemieux, 2012, p. 172). Nous mettons l’accent sur l’intentionnalité de la routine de sélection et de présentation sur Instagram. Les conseillers en communication politique tentent d’influencer les représentations qu’ont les citoyens des acteurs, de leurs actions et des enjeux politiques en utilisant les médias, et ce, par le contrôle des mots, des images, des phrases, des gestes et de leur environnement (Coulomb-Gully, 2001; Marland, 2013, 2017). Nous mobilisons la notion de « cadrage » comme outil, mettant l’accent sur la subjectivité et l’importance du cadre interprétatif. Nous préférons le concept d’« encadrement » à celui de « création d’image ». En effet, si les conseillers en communication politique peuvent influencer les campagnes électorales en choisissant de modérer les faiblesses et de souligner les forces de leur candidat, ils ne peuvent transformer un candidat incompétent en un homme politique triomphant (Powell & Cowart, 2013). Dès lors, nous établissons un lien entre l’approche constructiviste et le concept de « cadrage médiatique », lequel désigne un processus par lequel les médias proposent une version simplifiée de la réalité en mettant en évidence certains aspects des événements derrière un récit et en en atténuant d’autres, proposant ainsi un schéma d’interprétation particulier (Baresh & al., 2012; Grabe & Bucy, 2009, cités dans Howe-Conlin, 2016). Dans le cas de notre étude, les choix discursifs du profil Instagram de Justin Trudeau révèlent un cadrage spécifique, et ils présentent en cela une interprétation particulière de son ethos.

Toutefois, nous nous situons dans une approche négociée de la mise en scène de soi (Coutant & Stenger, 2010) contrainte par la norme sociale, c’est-à-dire les pratiques acceptées socialement, et le dispositif technique, dont l’architecture numérique permet, contraint et influence le comportement de l’utilisateur (Bossetta, 2018; van Dijck & Poell, 2013). En effet, « l’individu modifie[ ] son activité selon les retours des autres et ne parvien[t] jamais à imposer une image de lui que les autres ne partageraient pas » (Coutant & Stenger, 2010, p. 54).

Par ailleurs, nous pouvons souligner l’importance du visuel dans la mémoire des électeurs (Grabe & Bucy, 2009, Marland, 2013; Schill, 2012), et donc pour la construction d’un cadrage et le processus d’investissement symbolique (Reese et al., 2001, cités dans Howe-Colin, 2016), Instagram étant le symptôme même de la culture visuelle des réseaux socionumériques. Ainsi, le spin-doctor[2] raccourcit l’accès aux leaders politiques en planifiant, produisant, sélectionnant et distribuant leurs propres photos et vidéos avantageuses (Marland, 2012). Les journalistes ont d’autant plus de mal à résister à utiliser ces « image bytes » (Marland, 2012) qui influencent directement les discours de la presse.

En outre, au sein des démocraties industrielles contemporaines, la scène politique se caractérise par quatre tendances centrales en lien avec notre recherche : 1) la personnalisation; 2) l’« intimisation »; 3) le celebrity-politics; 4) la spectacularisation.

En premier lieu, la personnalisation désigne le phénomène par lequel les personnalités politiques deviennent le centre de l’interprétation et de l’évaluation sur la scène politique (Balmas & Sheafer, 2011, cité dans Lalancette & Raynauld, 2017; Stanyer, 2012), au détriment de leur affiliation aux partis politiques et des considérations idéologiques (Andre et al., 2015).

En second lieu, les vies privées de ces personnalités politiques sont suivies de très près par les médias, phénomène qui porte le nom de « privatisation » ou « intimisation » (Stanyer, 2012). Cela simplifie le message dans le contexte de la campagne permanente et contribue à créer un lien émotionnel avec les citoyens (Balmas & Sheafer, 2013, cités dans Lopez-Rabadan & Doménech-Fabregat, 2018). Dans l’espace médiatique qui nous concerne, nous pouvons remarquer la forte présence des candidats de tête (Filimonov et al., 2016). En 2020, plus de huit fois plus de Canadiens suivent le chef du Parti libéral, en comparaison avec la formation politique.

En troisième lieu, Corner (2003, cité dans Street, 2004) identifie trois sphères chevauchantes dans lesquelles les hommes et les femmes politiques agissent : 1) la sphère du domaine public et populaire; 2) la sphère des institutions politiques et des procédures; 3) la sphère privée. L’« intimisation » définie par Stanyer (2012, p. 12) désigne le croisement du flux médiatique entre la sphère publique et la sphère privée. Dès lors, les leaders politiques deviennent des « célébrités » qui via la médiatisation de masse profitent d’une plus grande présence que le reste de la population (Street, 2004), qualifiée de « peoplelisation » par Koutroubas et Lits (2011, cités dans Vossen, 2019). Ils ont recours aux artefacts, aux icônes et à l’expertise de la culture populaire pour construire leur ethos; ce phénomène est désigné sous le nom de « celebrity-politics ».

Enfin, ceci est à distinguer de la spectacularisation, caractérisée par une hybridation de plus en plus grande entre la politique et la culture populaire par les médias, aboutissant à une mutation de celle-ci en spectacle (Pellisser & Pineda, 2014; Street, 2000). Ce phénomène entraîne une modification du discours, le logos passant au second plan au profit du pathos et de l’ethos. On assiste à un glissement vers une sphère publique caractérisée par l’émotion, la spectacularisation et l’intimisation, symptomatiques de la « sphère publique culturelle »,

qui opère suivant la routine selon l’affectivité, émotionnellement et sensuellement, à côté de l’efficacité de la sphère politique publique officielle où les questions de flux d’informations, de cognition populaire et de débat rationnel sont des affaires prépondérantes [3] [traduction libre].

McGuigan, 2000, p. 2

1.2 L’ethos multimodal sur Instagram

La problématique de cette recherche s’articule autour du concept d’« ethos » qu’il est essentiel d’expliciter. L’ethos peut être défini comme l’activité consistant à faire bonne impression, à l’élaboration d’une image de soi favorable en vue de lui conférer crédibilité et autorité. Amossy distingue trois plans disciplinaires liés à la notion d’ethos : 1) L’ethos d’Aristote, étudié à travers la rhétorique en tant qu’effet d’une stratégie du locuteur; 2) La conception linguistique, portée par Ducrot (1984) et Maingueneau (2002) à travers l’analyse de discours; 3) L’approche sociologique de la « présentation de soi », descendant de Goffman (1959) et s’intéressant à l’ethos dans le contexte des interactions sociales (Amossy, 1999).

Dans la Rhétorique d’Aristote, l’ethos fait partie d’un triangle de persuasion : 1) Le logos renvoie à « la capacité de construire un discours rationnel et argumenté […]; 2) Le pathos correspond [à] la capacité d’utiliser le registre de l’émotion pour toucher son public » (Koutroubas & Lits, 2011, cités dans Vossen, 2019, p. 7); 3) L’ethos désigne « l’image de soi que le locuteur construit dans son discours pour exercer une influence sur son allocutaire » (Charaudeau & Maingueneau, 2002, p. 82). Selon la théorie aristotélienne, l’ethos a donc un statut discursif et se construit à travers le discours de l’orateur (Woerther, 2005).

Mais l’objet d’étude que constituent les réseaux socionumériques commande une nouvelle approche du concept d’ethos. Dans le contexte d’Instagram, nous situons l’ethos au croisement de l’ethos préalable (attaché à l’être social empirique), et de l’ethos discursif (Amossy, 1999; Drolet et al., 2015; Holt, 2015). En effet, « […] dans le domaine politique, la plupart des orateurs sont constamment présents sur la scène médiatique, l’ethos discursif devient donc difficilement dissociable des représentations de l’ethos préalables à l’acte d’énonciation » (Maingueneau, 2002, cité dans Vossen, 2019, p. 5). Les réseaux socionumériques sont caractérisés par l’accessibilité et la disponibilité des profils numériques, chaque nouvelle énonciation nuançant les représentations antérieures de l’ethos de l’orateur. Nous sommes donc face à un ethos en perpétuelle construction, symptomatique d’une plateforme marquée par une incomplétude ontologique (Amossy, 1999; Holt, 2015; Lacaze, 2020).

En outre, Coutant et Stenger (2010) mettent en lumière la pertinence des profils numériques des utilisateurs pour étudier la mise en scène de soi et les processus identitaires. Goffman décrivait la « présentation de soi » en référence aux gestes et à la façon dont l’individu compose une version de lui pour le monde.

Le design de l’identité dans les espaces numériques présente en effet un caractère beaucoup plus stratégique que la « gestion de la face » ou le « management des impressions » dont nous faisons montre dans les interactions en face à face. La présentation de soi sur le web articule étroitement les instructions des interfaces d’enregistrement et les calculs que font les utilisateurs pour produire la meilleure impression d’eux-mêmes. Aussi l’identité socionumérique est-elle une coproduction où se rencontrent les stratégies des plateformes et les tactiques des utilisateurs.

Cardon, 2008, p. 98

L’acteur politique construit une performance et une face de soi de façon consciente et négociée (Ebacher & Lalancette, 2012; Marshall, 2010). Ainsi, le contexte des réseaux socionumériques apporte un nouvel éclairage à la théorie de Goffman sous le prisme de la mise en scène de soi numérique, symptomatique de la culture de présentation (Marshall, 2010).

Ensuite, nous nous intéressons à l’ethos auctorial qui se situe au croisement de la rhétorique dont elle porte l’héritage, de la perspective sociologique goffmanienne à travers la notion de « présentation de soi » qui porte une dimension interactionnelle, et de l’analyse de discours intrinsèquement liée à la question de l’image de soi dans le discours (Bigey, 2018; Equoy Hutin, 2011). À travers chaque publication Instagram, Trudeau agit sur le monde et projette une image de soi.

L’ethos auctorial […] désigne la façon dont le garant du texte désigné par un nom propre construit son autorité et sa crédibilité aux yeux du lecteur potentiel […] Il s’agit dans tous les cas de contribuer à la force d’un discours qui entend agir sur l’autre pour infléchir, renforcer ou modifier ses représentations. Ainsi élargi à l’ensemble des discours, l’ethos est repérable à diverses traces qui doivent être repérées dans le discours même.

Amossy, 2009, pp. 7-8

Dans une perspective multimodale, nous nous penchons sur les indices verbaux et paraverbaux (Burbea, 2014; de Chanay & Turbide, 2011) et prenons en compte tant les légendes des publications que les éléments visuels de celles-ci, toutes deux révélatrices de l’ethos.

En guise de dernier élément du cadre théorique, il est essentiel de souligner l’importance des spécificités de la plateforme étudiée et de leurs implications en communication politique. En effet, si une plateforme numérique existe dans sa matérialité indépendamment de ses usages, ce n’est pas le cas des affordances. Ces dernières sont conditionnées par la perception que l’utilisateur se fait de la plateforme et des buts qu’il souhaite atteindre en s’y engageant (Treem & Leonardi, 2012). Néanmoins, il ne s’agit pas d’une relation déterministe, mais plutôt d’éléments techniques favorables à certaines pratiques (Barats, 2016). Dès lors, l’usage précurseur d’Instagram par Justin Trudeau dès sa campagne électorale de 2015 n’est pas sans compter les caractéristiques et les affordances de cette plateforme. Par exemple, le professionnalisme de celle-ci (filtres, planification et correction du contenu, partage des publications simultanées vers d’autres réseaux socionumériques et donnéification) donne la possibilité aux personnalités politiques de contrôler leur ethos idéal, du moins sur leur compte personnel (Bossetta, 2018; Jin & Ryu, 2018). Ainsi, l’omniprésence des couleurs vives au sein du profil Instagram de Justin Trudeau témoigne de sa sociabilité (Jang & Yunhwan, 2018). Dans son discours, Justin Trudeau construit un ethos populaire ou plébéien d’un candidat et premier ministre empathique, extraverti et proche du peuple.

Finalement, l’harmonie entre l’ethos de Justin Trudeau et l’architecture numérique de la plateforme est particulièrement saillante : 1) Les challengers ont davantage tendance à avoir un usage avant-gardiste des réseaux socionumériques que les titulaires (Enli & Skogerbo, 2013); 2) Le message d’espoir concorde avec la narration optimiste privilégiée sur la plateforme. En effet, alors que Justin Trudeau se présente comme un challenger jeune et dynamique, caractérisé par son aisance et sa spontanéité sur la plateforme, son prédécesseur Stephen Harper publie davantage des photographies « posées » ou institutionnelles. La campagne optimiste de Trudeau promouvant les « voies ensoleillées » résonne avec l’électorat canadien, par contraste avec la campagne négative de ses opposants en 2015 (Harold et al., 2017; Lalancette & Tourigny-Koné, 2017); 3) La spectacularisation facilitée par le professionnalisme de la plateforme renforce le mythe et la symbolique de la fable héroïque révélée sur son compte Instagram (Vossen, 2019). Le mythe détient un pouvoir symbolique clé en tant qu’instrument d’influence et de cadrage (Campbell, 1991).

2. Dispositif méthodologique

La deuxième partie de cet article est consacrée au récit de notre méthodologie qu’il est possible d’appréhender grâce à l’éclaircissement des concepts. La structure de la description du dispositif méthodologique se base sur l’article de Mariette Bengtsson (2016) : How to plan and perform a qualitative study using content analysis.

2.1 Déterminer un objectif de recherche

« La discussion de la planification débute par l’établissement de l’objectif, qui détermine la structure du dispositif d’étude et pose ses limites »[4] [traduction libre] (Downe-Wambolt, 1992, cité dans Bengtsson, 2016, p. 10). Dans cette optique, il est important d’identifier une problématique pertinente et encore non étudiée. Notre problématique s’articule autour de l’usage de la plateforme Instagram en communication politique, caractérisé par le peu de recherche scientifique. Le dispositif méthodologique combine l’analyse de contenu et l’analyse de discours afin d’étudier la manière par laquelle la plateforme Instagram est mobilisée par les leaders politiques pour projeter leur ethos. Nous avons procédé à une étude de cas, celui de Justin Trudeau, un candidat challenger aux élections législatives canadiennes en 2015 qui est populaire sur le réseau, à l’aise les médias, et qui exprime un message d’espoir.

La méthodologie explicitée ci-dessous n’a aucune prétention à l’instauration d’une nouvelle approche pour l’étude d’Instagram. Il s’agit plutôt d’une exploration d’un nouvel objet de recherche dans un contexte de communication politique top-down. Cette méthodologie a été sujette à l’interprétation des chercheurs tout au long du processus de recherche et nous ne prétendons aucunement à une objectivité globale. Nous proposons plutôt une piste d’exploration dans le cadre de procédures d’objectivation (Duchastel & Laberge, 2014).

2.2 Le matériau et les unités d’analyse

Tout d’abord, « Les études à orientation qualitative travaillent souvent avec de petits échantillons, avec des études de cas uniques, elles doivent décrire et donner des arguments pour justifier la taille de l’échantillon et la stratégie d’échantillonnage. »[5] [traduction libre] (Mayring, 2014, p. 12). Notre analyse a pour objet de recherche les publications du compte Instagram officiel de Justin Trudeau depuis le lancement de la campagne fédérale canadienne, le 3 août 2015, jusqu’après les 100 premiers jours du gouvernement fédéral de Trudeau, le 12 février 2016. La période de campagne constitue la communication politique dans sa forme la plus observable, alors que l’extension du corpus aux 100 premiers jours du gouvernement a permis d’accroître le nombre de publications étudiées et de comparer deux périodes attachées à des objectifs stratégiques différents. Cette seconde période détient une importance symbolique dans la sphère médiatique (Radio-Canada, s.d., cité dans Vossen, 2019). Un corpus de 45 publications (44 photos et 1 vidéo) a été archivé pour la période considérée dans cette recherche. Ce corpus numérique est caractérisé par sa relativité, en raison de sa nature provisoire au sein d’une archive vivante, instable et en perpétuelle évolution (Lacaze, 2020). Les commentaires sous les publications de Trudeau n’ont pas été pris en compte dans l’analyse, tout comme les stories Instagram, celles-ci ayant été lancées le 2 août 2016 (Lalancette & Raynauld, 2017). En outre, le matériau est divisé en unités d’analyse, incarnées par chaque publication. Nous considérons le discours à la fois dans sa dimension visuelle et linguistique de sorte à saisir pleinement le sens de la publication en évitant la perte significative du contexte (Laestadius, 2017) et en contournant les écueils liés à la recherche dédiée aux réseaux socionumériques (Hand, 2016).

2.3 Développer un dispositif de recherche

Nous avons opté pour un design exploratoire pouvant être défini comme la « formulation de nouvelles catégories à partir du matériel (développement catégoriel inductif) »[6] [traduction libre] (Mayring, 2014, p. 11). De la sorte, nous avons opté pour une démarche empirico-inductive permettant de faire émerger des explications à partir du matériau de recherche.

2.3.1 L’analyse de contenu comme méthode

Nous avons d’abord choisi de faire une analyse de contenu catégorielle. La méthode consiste en une lecture systématique et quantitative du contenu manifeste d’un corpus de textes, d’images, et de symboles (Berelson, 1952, cité dans de Bonville, 2006; Krippendorff & Bock, 2009). « Le choix des termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur mode d’agencement, la construction du discours et son développement constituent des sources d’information à partir desquelles le chercheur tente de constituer une connaissance » (Van Campenhoudt & Quivy, 2011, p. 206). Nous avons donc adopté une méthode quantitative ayant pour objectif de comptabiliser et de comparer l’occurrence d’éléments discursifs, regroupés en catégories significatives au sein de notre grille d’analyse. Plus fréquemment une catégorie a été identifiée, plus significative elle est considérée. Nous avons ainsi procédé à la construction de statistiques à propos des marqueurs discursifs (traduits en variables) du profil Instagram de Justin Trudeau durant la période analysée.

Le choix de l’analyse de contenu comme outil central d’analyse a été renforcé par plusieurs raisons (de Bonville, 2006) : 1) Elle se prête à l’étude de phénomènes diachroniques grâce à son indépendance vis-à-vis de la situation observée; 2) L’analyse de contenu est une méthode transparente qui ne modifie pas la situation observée puisqu’elle intervient en aval de l’émission des messages (par contraste avec les situations d’entretien par exemple); 3) Elle s’avère particulièrement adaptée à l’étude d’un nouvel objet (Instagram) en raison de sa versatilité et de son intérêt pour tous les types de messages, qu’ils soient écrits, visuels, audiovisuels ou audioscriptovisuels (de Bonville, 2006); 4) L’analyse de contenu est abordable pour les chercheurs qui commencent leurs parcours tant « les compétences requises pour en exécuter les opérations sont courantes parmi les chercheurs en sciences humaines et sociales; elle ne requiert pas de formation particulière. Elle n’exige pas de lourds budgets […] » (de Bonville, 2006, p. 16).

2.3.2 L’analyse de discours comme paradigme

Le processus d’assignation des catégories place la démarche interprétative, intrinsèquement liée aux approches qualitatives, au coeur du dispositif. L’analyste de contenu, similairement à l’analyste qualitatif, se sert de catégories pour détailler les composantes d’un message. Néanmoins, contrairement à l’analyste qualitatif, le premier rend ces catégories explicites et systématiques. L’analyse de contenu reconnaît implicitement la signification sociale des messages médiatiques, en ce qu’ils révèlent de leurs destinateurs et destinataires. Si l’analyse de contenu est généralement caractérisée par l’expression explicite d’hypothèses explicatives, nous avons ici opté pour une méthode inductive en raison du caractère exploratoire de notre recherche, attribuant au contexte et à la particularité une place centrale au sein de notre processus de recherche.

En outre, parallèlement à notre cadre théorique, nous situons notre étude au coeur du paradigme qualitatif, caractérisé par un constructivisme ontologique et un accent sur la subjectivité. « Selon Adam, Bourdieu, Ducrot, Ghiglione, Kerbrat-Orecchioni, etc., un discours ne se contente pas de décrire un réel qui lui préexiste mais construit la représentation du réel que le locuteur souhaite faire partager par son allocutaire » (Seignour, 2011, cité dans Vossen, 2019, p. 8). Le discours de Justin Trudeau sur Instagram a une visée performative : l’acteur politique pose un acte d’influence en vue de construire un ethos convaincant pour le rôle de premier ministre canadien. Dès lors, afin d’étudier le discours de l’acteur politique sur Instagram sous le prisme de l’ethos, il nous a semblé primordial de dépasser le cadre de l’analyse de contenu s’intéressant exclusivement à la fonction référentielle des énoncés (Seignour, 2011). À l’instar de de Bonville (2006), nous nous sommes tournée vers l’analyse de discours afin d’approfondir certains aspects de notre analyse.

L’analyse de discours s’appuie sur les propriétés lexicales et syntaxiques des textes pour […] remonter au contexte, tandis que l’analyse de contenu se limite souvent au texte dans son ensemble sans s’insinuer jusqu’au niveau de la phrase et du mot.

de Bonville, 2006, p. 31

Toutefois, une analyse du discours numérique commande une approche méthodologique spécifique intégrant les dimensions technologiques des plateformes étudiées. En effet, les discours natifs d’Instagram et du web en général ont une dimension composite intrinsèque qui lie une composante verbale et une composante technologique (Develotte & Paveau, 2017, cités dans Lacaze, 2020). Les variables et les résultats ont ainsi été développés à la lumière des affordances d’Instagram, notamment la centralité du visuel, de laquelle découle une attention particulière envers les manifestations mimo-posturo-gestuelles de l’interlocuteur. Ainsi, notre approche multimodale de l’ethos se distingue de la majorité des analyses des discours politiques qui, en étudiant exclusivement les dimensions verbales, postulent leur caractère dominant, comme si les éléments paraverbaux étaient accessoires à la compréhension du discours. Selon de Chanay et Turbide, « l’élargissement aux autres modes sémiotiques permet de mieux comprendre ce qui fonde le pouvoir d’identification, de persuasion et de mobilisation de certains représentants politiques » (2011, p. 11).

En outre, les variables développées de façon inductive nous ont conduite à adopter une perspective majoritairement interactionniste des discours politiques. En effet, l’interaction tient une place centrale dans la définition de l’ethos de Trudeau sur Instagram, l’acteur politique apparaît continuellement en interaction physique et/ou verbale.

Le sens d’une prestation n’est pas entièrement pris en charge par les acteurs et auteurs des discours et diffusé à des récepteurs qui seraient passifs, mais se construit dans ce rapport entre représentants politiques et récepteurs (voir Goffman, 1981, p. 137-138). Même lorsque ces derniers n’interviennent pas directement dans le développement des échanges […] ils agissent comme des « tiers symbolisants » (Quéré, 1982).

de Chanay & Turbide, 2011, p. 5

La coconstruction interactionnelle advient à travers l’image que Trudeau se fait de ses électeurs, de leurs attentes, de leurs valeurs et croyances, des réactions qu’il anticipe, etc. Ce mode interactionnel se révèle à travers les stratégies discursives.

Afin d’étudier les matérialités discursives de l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram, nous nous penchons sur quatre axes : 1) les marqueurs de subjectivité (par exemple, l’expression faciale et la deixis); 2) les marqueurs interactionnels non abordés dans l’analyse de la subjectivité (par exemple, le nombre de personnes représentées et le nombre de langues utilisées); 3) les indices renvoyant aux affordances numériques d’Instagram (par exemple, l’utilisation des filtres et des hashtags); 4) les éléments contextuels additionnels (par exemple, le type d’activité représenté et les champs sémantiques). Dès lors, nous positionnons notre étude dans la filiation des travaux de la linguistique de l’énonciation, en resituant le discours dans son contexte énonciatif (Ducrot, 1980; Kerbrat-Orrechioni, 1980, Seignour, 2011).

Enfin, à l’instar de Seignour, nous nous penchons sur « la visée persuasive des énoncés et non [sur les] effets obtenus, la signification d’un énoncé existant indépendamment des effets qu’il a – ou n’a pas – produits. La question de la réception ne fait pas partie de notre questionnement » (2011, p. 32).

2.3.3 L’approche mixte comme dispositif

En définitive, l’analyse du corpus discursif du profil Instagram de Justin Trudeau nous a poussée à nous tourner davantage vers une méthodologie mixte, en procédant à une triangulation entre analyse de contenu (quantitatif) et analyse de discours (qualitatif). Le premier a permis d’étudier une multiplicité de supports et d’en relever les grandes tendances, tandis que le second a levé le voile sur les fonctionnements du discours et la description de ses formes.

En premier lieu, la particularité de l’analyse de contenu est qu’elle peut être quantitative ou qualitative. Nous avons ici opté pour une analyse de contenu mixte. Ainsi, nous tentons d’éviter le biais de l’orthodoxie épistémique des écoles de pensée en développant un dispositif méthodologique adapté à la question de recherche. En effet, l’analyse de discours française s’est construite en opposition à l’analyse de contenu américaine, essentiellement sur la base de la critique de l’absence de considération de la dimension linguistique (Duchastel & Laberge, 2014; Haroche et al., 1971). Dans cette étude, nous avons tenté d’explorer leur réconciliation, à l’instar de la théorie pragmatique selon laquelle la méthodologie adéquate est celle qui mène à la solution de la problématique (Datta, 1997, Westheimer & Kahne, 2004).

Néanmoins, l’utilisation pragmatique de l’aspect quantitatif pour l’analyse de contenu au sein d’une approche paradigmatique qualitative peut être considérée comme une lecture réductrice. Mais parallèlement à Duchastel et Laberge (2014) et à Cojocaru (2007, cité dans Cojocaru, 2010), au-delà de son emploi pragmatique, nous arguons ici en faveur d’une compatibilité de la mesure au sein d’une approche qualitative, cela pouvant être considéré comme une « complexification de la représentation du texte par la multiplication des observations et le cumul des éléments mesurés » (Duchastel & Laberge, 2014, p. 14) afin d’intégrer des perspectives distinctes d’une même réalité.

2.3.4 L’étude de cas

L’étude de cas de l’Instagram d’un homme politique particulier (ici Justin Trudeau) découle du paradigme qualitatif qui accorde une place centrale au contexte et à la singularité (Duchastel & Laberge, 2014). L’étude de cas peut être définie comme « quelques cas, voire un seul, sur lesquels on recueille une grande quantité d’informations suivant toutes sortes de dimensions. Le cas peut être un individu, un événement, une institution, etc. » (Latzko-Toth, 2009, p. 4). Il s’agit d’une étude de cas de type ethnographique caractérisée par la description dense des phénomènes sociaux observés, ayant pour objectif l’élaboration de propositions théoriques (Hammersley et al., 2000, Latzko-Toth, 2009).

Il est important de préciser que cette recherche ne peut être généralisée à l’ensemble des leaders politiques. Toutefois, celle-ci peut servir d’inspiration pour d’autres travaux scientifiques grâce à la description dense du processus méthodologique, permettant d’évaluer le degré de transférabilité entre deux contextes avant tout transfert (Cronbach, 1975). La transférabilité désigne la concordance entre le contexte d’émission et celui de destination. La description dense et détaillée de la recherche dans cet article permet de transformer un problème de représentativité en un enjeu de transférabilité (Latzko-Toth, 2009, cité dans Vossen, 2019). Ainsi, si le contexte d’une étude A est suffisamment conforme au contexte d’une étude B, il sera possible de transférer certains résultats d’une recherche à l’autre (Gomm et al., 2000, Vossen, 2019).

2.4 Analyse des données

Avant toute chose, le chercheur doit se familiariser avec les données. Dans le cas de l’analyse qui nous occupe, nous avons précédé l’analyse par une lecture approfondie des données. Les données ont été extraites manuellement à travers l’interface utilisateur d’Instagram grâce à des captures d’écran (Laestadius, 2017). Il s’agit d’une méthode chronophage, mais qui s’adapte à notre recherche étant donné le caractère limité de notre corpus (45 publications).

2.4.1 Décontextualisation, recontextualisation et catégorisation

Dans le dessin de la décontextualisation, l’ensemble des captures d’écran des publications Instagram de Justin Trudeau ont été copiées-collées dans un document Word de la suite Microsoft Office de sorte à avoir une idée globale du contenu du fil Instagram à analyser. Ensuite, les publications Instagram ont été isolées et labellisées par l’intermédiaire d’un code du type « publication no°1  ».

Après l’élaboration de notre grille d’analyse, la recontextualisation permet de vérifier si l’ensemble des aspects du contenu ont été codés en relation avec le but de la recherche (Bengtsson, 2016; Burnard, 1991). Concrètement, le document Word contenant l’ensemble du corpus est alors à nouveau observé en le comparant avec la liste de codes établie et la question de recherche.

La catégorisation consiste à identifier des variables et à les placer dans des catégories. Notre grille d’analyse s’est développée grâce à un codage inductif, à l’instar de celui préconisé par la théorie ancrée (Mayring, 2014; Strauss, 1987; Strauss & Corbin, 1990). Les catégories ont d’abord été développées pour l’entièreté des variables et testées sur un échantillon de cinq publications du fil Instagram de Trudeau. Les catégories de codes ont ensuite été adaptées, complétées ou éliminées afin de décrire et d’analyser de façon adéquate l’ethos de Trudeau sur Instagram.

Un total de 38 variables ont été relevées à partir d’un processus inductif ponctué de nombreux allers-retours entre le corpus et la grille d’analyse, jusqu’à parvenir à un point de saturation. Ces variables correspondant aux marqueurs discursifs de l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram peuvent être regroupées en 4 groupes :

Marqueurs de la subjectivité (9 variables) :

  1. La représentation visuelle de Justin Trudeau (3 variables) : sa tenue vestimentaire, son expression/attitude (sourire, rire, écoute, etc.), l’accent sur sa condition physique.

  2. Les déictiques[7] (3 variables) : les pronoms personnels et possessifs (français et anglais), les indicateurs spatio-temporels et le temps des verbes.

  3. Les modalisateurs[8] (2 variables) : les adjectifs et la ponctuation (exclamative).

  4. Les verbes employés[9] (1 variable) : le type de verbes employés (factifs, déclaratifs, performatifs et statifs).

Marqueurs interactionnels additionnels (13 variables) :

  1. La relation à la politique canadienne (3 variables) : la thématique politique concernée, la présence du parti et la symbolique patriotique (ex. : drapeau ou coquelicot rouge).

  2. La description de la situation sociale (7 variables) : le nombre de personnes apparaissant, les personnes au premier plan, les interactions, les contacts physiques, les personnes avec lesquelles l’interaction principale se déroule, le type d’interaction représentée et la présence de Sophie Grégoire (l’épouse de Justin Trudeau).

  1. L’interaction linguistique (3 variables) : le nombre de langues utilisées, l’ordre des langues et le caractère formel ou informel du discours.

Marqueurs des affordances numériques (10 variables) :

  1. Les caractéristiques générales de la photographie (5 variables) : les couleurs de la photographie (noir et blanc, atténuées ou saturées), le cadre (bords ou non), le format (paysage, portrait ou carré), le plan (d’ensemble, en pied, américain, rapproché ou gros plan), et la spontanéité (photo officielle, posée, croquée sur le vif/snapshot,).

  2. Caractéristiques générales de la légende (1 variable) : la présence d’une légende.

  3. Les réseaux de relations (2 variables) : identifications d’autres comptes (sur le visuel) et les mentions (arobases au sein de la légende)[10].

  4. Les hashtags[11] (2 variables) : le nombre de hashtags, le type de hashtag (politique générale, lieu, événement ou autre).

Marqueurs contextuels additionnels (6 variables) :

  1. Les caractéristiques générales de la scène représentée (5 variables) : le mouvement, le lieu, la sphère (intime, publique ou professionnelle), la présence de la nature, l’activité (travail, bain de foule, familiale, hobby/sport).

  2. Les indices référentiels (1 variable) : les champs sémantiques.

Nous nous sommes appuyée sur le logiciel de sémantique Tropes, sélectionné en raison de son adéquation avec notre approche théorique et méthodologique (Seignour, 2011). Celui-ci a facilité et objectivé le processus analytique en faisant apparaître de façon systématique, sans qu’aucun choix ne soit opéré, les « nuances invisibles à l’oeil nu ». Pratiquement, les fragments discursifs du corpus ont été extraits des publications Instagram et transférés dans un document Word. Puis, le collage extrait de son contexte a été soumis au logiciel sémantique Tropes afin de souligner de nouveaux éléments discursifs significatifs (voir les variables linguistiques ci-dessus). L’utilisation de Tropes nous a par exemple permis de relever la récurrence du champ sémantique lié aux « enfants », tendance également remarquée à travers l’analyse visuelle. Par ailleurs, l’ensemble des éléments discursifs ont été analysés dans les deux langues.

Les fréquences des 38 variables ont ensuite été calculées en distinguant deux périodes d’analyse : la campagne électorale (3 août 2015 au 19 octobre 2015) et les 100 premiers jours du gouvernement Justin Trudeau (20 octobre 2015 au 12 février 2016).

2.4.2 Fiabilité et objectivité de l’analyse

Une question importante lors de l’analyse des données est celle de sa fiabilité. « Celle-ci peut être définie comme le degré de consistance dont fait preuve le codeur en classifiant le contenu selon des valeurs définies sur des variables spécifiques »[12] [traduction libre] (Bell, 2001, p. 21). Afin de minimiser les erreurs au sein du procédé analytique, le chercheur peut avoir recours à la fiabilité intercodeur (la corrélation des jugements du même échantillon par plusieurs codeurs) ou intracodeur (la corrélation des jugements du même échantillon par un seul codeur, à plusieurs moments). L’analyse de contenu étant susceptible d’être répliquée, prouvant ainsi la minimisation du nombre d’erreurs (Bell, 2001).

Le Tableau 1 dévoile une partie de notre grille de codification en lien avec la variable visuelle « type d’interaction représentée ». Cette table a pour but de rendre le procédé analytique le plus transparent possible et de permettre au lecteur de le saisir pleinement.

Concernant le procédé d’encodage, la catégorisation de certaines publications s’est révélée compliquée tant elle est sujette à l’interprétation. Il a parfois été difficile d’attribuer un code de façon univoque. Le développement d’une brève explication pour chaque code (Tableau 1) a permis de minimiser le changement cognitif durant le processus d’analyse et de maximiser la fiabilité (Bengtsson, 2016). En outre, lorsque les catégories ne sont pas mutuellement exclusives, comme c’est le cas pour la catégorie « type d’interaction représentée », il a été nécessaire de développer une logique de codage plus précise. Dans le cas de la variable « type d’interaction représentée », nous avons classé les catégories selon l’interaction la plus importante, la plus « chaleureuse ». Dès lors, nous avons par exemple considéré que l’enlacement corresponde au type d’interaction le plus important, plus que la poignée de main, associée à une interaction plus officielle et moins chaleureuse (Cultural Atlas, 2019). La définition de notre système catégoriel a donc été accompagnée de la précision des règles de catégorisation pour s’assurer du caractère systémique de notre analyse. Notamment la précision des indicateurs et la façon de compter les fréquences (de Bonville, 2006). Néanmoins, la classification est l’objet d’interprétation et de discussion. Afin de maximiser la fiabilité et l’objectivité de l’interprétation, la fiabilité intracodeur a été utilisée en appliquant la grille d’analyse au matériau à trois reprises différentes. De surcroît, la fiabilité intercodeur a permis d’accroître à nouveau la fiabilité et l’objectivité de l’analyse grâce à l’intervention de deux codeurs, et donc de deux interprétations. Les interprétations divergentes (moins de 3 % de l’ensemble des indicateurs) ont été discutées en vue de s’harmoniser.

Tableau 1

Catégorisation du type d’interaction

Catégorisation du type d’interaction

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Conclusion

L’objectif de cet article était de décrire la méthodologie d’une recherche exploratoire dédiée à l’étude d’Instagram en tant que plateforme de projection de l’ethos d’un leader politique, ici Justin Trudeau. Afin de parvenir à répondre à notre question de recherche – comment l’ethos de Justin Trudeau est-il révélé à travers son contenu visuel et linguistique sur Instagram durant la campagne électorale de 2015 et les 100 premiers jours de son gouvernement? –, nous avons adopté une méthode mixte et multimodale. Nous avons ainsi utilisé l’outil catégoriel proposé par l’analyse de contenu quantitative que nous avons intégré au sein d’un paradigme largement qualitatif marqué par l’analyse de discours, mettant l’accent sur le constructivisme et la subjectivité. Méthodologiquement, nous avons recouru aux outils de l’analyse de discours en nous dirigeant vers une étude des marqueurs énonciatifs et interactionnels dans le cadre d’une étude de cas. Ce dispositif mixte et multimodal nous a permis d’examiner le matériau en contexte et d’obtenir des résultats multidimensionnels.

Toutefois, cette étude possède certaines limites. Premièrement, le corpus analysé (45 publications) se concentre sur une période réduite de la communication de Trudeau. Deuxièmement, cette recherche a été menée par une chercheure non canadienne, donc certains éléments des schèmes de significations collectives de la culture canadienne ont pu lui échapper. Troisièmement, cette étude demanderait à être complétée par l’étude de l’usage d’Instagram dans d’autres contextes politiques. Finalement, l’inclusion de l’étude des modalités d’Instagram plus récentes (les stories, les réels et les IGTV) permettrait de révéler d’autres modalités de cadrage de l’ethos sur Instagram.

Cet article participe à la construction des prémisses d’un matériau scientifique sur l’usage d’Instagram à des fins de communication politique. La description extensive du dispositif méthodologique utilisé dans cette recherche exploratoire et la mise en lumière de certaines affordances clés de la plateforme visent à inspirer d’autres recherches sur le nouvel objet que constitue Instagram, mais aussi à explorer les voies de réconciliation proposées par les méthodes mixtes en contournant le biais de l’orthodoxie épistémique, dans une perspective multimodale tant le paraverbal est essentiel à la compréhension du sens.