L’Empire et le Saint-Siège. Napoléon et la religion

Auteur(s) : GOSSE Colonel
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L’Empire et le Saint-Siège. Napoléon et la religion

<< In nomine Patris et filii et spiritus sancti>>. Pour la 3e fois au cours de la prière du soir, Laetitia Bonaparte tient dans sa main droite la menotte malhabile du jeune Napoléon qui n'est pas très doué pour le signe de croix. A genoux, près de l'âtre avec ses frères, sous la tutelle à éclipse d'un père voyageur et l'inlassable sollicitude d'une jeune maman très pratiquante, chaque jour amène sa ration de prières latines, que savent déjà les aînés, mais qui se résument pour lui par un mot magique, victorieusement prononcé, dont il s'est aperçu qu'il met un terme à la cérémonie: << Amen>>. Il faudra bien des répétitions pour qu'enfin la petite main aille vraiment du front au coeur, puis de l'épaule gauche à l'épaule droite et que ce mot Amen n'apparaisse pas intempestivement au cours de la prière.
Né catholique, pieusement élevé, Napoléon a reçu une éducation chrétienne. L'abbé Recco, d'Ajaccio, fut son premier maître et n'eut pas de mal à enflammer l'imagination d'un enfant imaginatif par nature, mais eut, semble-t-il, moins de succès pour ancrer d'irréversibles principes de Foi.
Déjà, à cinq ans, il avait fallu le changer de pensionnat. Placé dans une école de filles où il était choyé par les religieuses, le petit garçon <<à la maigre face burinée et aux yeux très clairs, au menton pointu, terriblement volontaire>> devint, à ce régime, si redoutable, que Madame Laetitia Bonaparte remit les destinées scolaires de son fils aux Jésuites d'Ajaccio (l'oncle Lucien, archidiacre d'Ajaccio, avait dû probablement dicter son choix à la toute jeune maman).

Au collège de Brienne ses professeurs étaient des religieux, les Pères Minimes, très préoccupés de pastorale. Le jeune élève était-il sensible à la forme ou perméable au fond de leur enseignement?>> Le jour de ma première communion a été le plus beau jour de ma vie>> dira un jour Napoléon, mais c'était sous l'Empire! Était-ce vrai?
Des correspondances avec le Père Dupuy, minime, sous-principal de l'école de Brienne, << homme de bon sens et de religion>> selon Chateaubriand, tendraient à prouver que ses études scientifiques au collège militaire n'ont pas enseveli le souci naturel d'une formation spirituelle. A coup sûr, l'adolescent a ouvert son esprit comme il a relié son coeur; mais son âme?
On ne sonde pas l'âme d'un humain, fut-il Empereur. Chacun son métier, laissons au Bon Dieu cette rude tâche de Justice et d'Amour, mais, sans porter jugement, nous pouvons essayer, selon les propres témoignages de Napoléon, de nous faire une idée de ses convictions et de ses opinions sur la religion et le clergé.
Homme de Foi, Napoléon le fut sans doute.
<< L'existence de Dieu nous est attestée par tout ce qui frappe notre imagination: et si notre vue n'arrive pas jusqu'à lui, c'est qu'il n'a pas permis que notre intelligence allât jusque-là.
L'honnête homme ne doute jamais de l'existence de Dieu car si la raison ne suffit pas pour le comprendre, l'instinct de l'âme l'adopte. Tout ce qui tient à l'âme a sympathie avec le sentiment religieux>>.
Rien ne permet de douter de la sincérité de ces affirmations qu'en d'autres circonstances il résumera dans une formule plus explicite encore: << Notre crédulité est dans le vice de notre nature>>.
Il semble même que l'Esprit ait habité Napoléon dans les périodes de mesure: cette interrogation prémonitoire qu'il s'adressait, sorte de méditation à haute voix, prend l'allure d'une prophétie inspirée:
<< qui sait si le bonheur d'aujourd'hui ne sera pas le malheur de demain? La religion offre des consolations dans toutes les phases de la vie – on est moins malheureux quand on croit; on trouve dès lors toujours en soi la force de supporter le malheur>>.

Alors croire, sans doute, mais à quel Dieu ? Le Dieu de Napoléon n'a pas de réalité vivante; il est lointain, étranger à notre personne, souvent absent, en tout cas, soigneusement relégué dans les cieux.
<< L'inquiétude de l'homme est telle, qu'il lui faut absolument le vague et le mystérieux que la religion présente>>.
Et voici que, par ce biais du mystère, ressuscite une sorte d'Etre suprême qu'on croyait pourtant mort avec le Directoire.
<< L'homme aime le merveilleux, il a pour lui un charme irrésistible; il est toujours prêt à quitter celui dont il est entouré pour courir après celui qu'on forge. Il se prête lui-même à ce qu'on le trompe>>.
L'intransigeance qui a caractérisé le politique s'accommodait d'une tolérance religieuse souvent affirmée dans les paroles ou les écrits du souverain et, il faut bien le dire, corroborée dans les faits. En effet, on verra que les misères infligées au Pape, par cardinaux interposés, sont d'ordre politique et buttent sur la forme. Le fondement spirituel de l'église catholique n'a jamais été remis en question et aucune persécution n'a eu lieu sous l'Empire:
<< La chose la plus sacrée parmi les hommes, c'est la conscience: l'homme a une voix secrète qui lui crie que rien sur la terre, ne peut l'obliger à croire ce qu'il ne croit pas. La plus horrible de toutes les tyrannies est celle qui oblige les 18/20e d'une nation à embrasser une religion contraire à leurs croyances, sous peine de ne pouvoir ni exercer les droits de citoyens, ni posséder aucun bien, ce qui est la même chose que de n'avoir plus de patrie sur la terre>>.
Au ministre du Culte, dont le nom prédestiné porterait aujourd'hui à rire, Bigot, en vérité Bigot de Préameneu, il disait sous forme d'injonction:
<< Les sbires et les prisons ne doivent jamais être des moyens de ramener aux pratiques de religion.
On ne peut traduire la conscience d'un homme à aucun tribunal et aucune personne n'est comptable des opinions religieuses envers aucune puissance terrestre>>.
Lors de l'Expédition d'Égypte la tolérance devient un de ses principes d'action à l'endroit des Musulmans:
<< Le fanatisme est toujours produit par la persécution.
L'athée est un meilleur sujet que le fanatique: l'un obéit, l'autre tue>>.

Et justement, en Égypte, il chassera de son esprit l'idée manichéenne d'une humanité bonne et promise au paradis, éternelle antithèse de l'autre humanité, mauvaise celle là, et promise à l'enfer: << La supériorité de Mahomet c'est d'avoir fondé une religion en se passant de l'enfer>>. Suprême tolérance!
Napoléon croit en Dieu, il prône la liberté de conscience, mais il admet la nécessité d'une Église:
<< La Société ne peut exister sans la religion. Quand un homme meurt de faim à côté d'un autre qui regorge, il est impossible de lui faire admettre cette différence s'il n'y a pas là une autorité qui lui dise: << Dieu le veut ainsi, il faut qu'il y ait des pauvres et des riches dans le monde mais ensuite, et pendant l'éternité, le partage se fera autrement>>.
Les prêtres sont nécessaires à faire passer le merveilleux grâce à une liturgie de mystères.
La populace juge de la puissance de Dieu par la puissance des prêtres>>.
Comment être plus explicite dans la définition d'une religion d'utilité publique?
<< La religion est encore une sorte d'inoculation ou de vaccine qui, en satisfaisant notre amour du merveilleux nous garantit des charlatans et des sorciers; les prêtres valent mieux que les Cagliostro, les Kant et tous les rêveurs de l'Allemagne>>.
Et le meilleur moyen d'entretenir ce besoin de merveilleux, c'est le rituel des offices.
<< Est-ce que la religion catholique ne parle pas bien plus à l'imagination des peuples par la pompe de ses cérémonies que par la sublimité de sa morale? Quand on veut électriser les masses il faut avant tout parler à leurs yeux>>.
Sous cet aspect des choses et seulement en ce qui concerne la nécessité des fastes d'un rituel liturgique, sorte de conte audio-visuel qui fait passer le précepte avec lui, rien n'est encore tellement clair de nos jours. Napoléon était d'une famille d'esprit volontiers traditionaliste qui convenait aux nostalgiques du moment. Le concile Vatican II semble avoir tiré les enseignements de cette constatation, négative au plan de la foi. Par contre, si on lit Monseigneur Lefebvre, l'évêque d'Épone représente encore une tournure de pensée proche de la réflexion de l'Empereur.
La politique de l'Église éternelle est faite d'une diplomatie de petits pas.


Une religion de gauche

Héritier de la Révolution, républicain à sa manière dans ses débuts de vie publique, convaincu des idées encyclopédistes de Voltaire et Rousseau qu'il avait lues avidement dans sa jeunesse, Bonaparte, mais sans doute aussi Napoléon, trouvait dans la religion un adjuvant naturel contre la monarchie.
<< Le plus grand républicain est Jésus-Christ. L'aristocratie est dans l'ancien testament, la démocratie dans le nouveau.
La morale de l'Évangile est celle de l'égalité et dès lors la plus favorable au gouvernement républicain.
La souveraineté du peuple, la liberté, l'égalité, c'est le code de l'Évangile>>.
Pour d'autres raisons, l'église romaine proscrite sous la Révolution, puis tolérée de droit depuis la séparation de l'Église et de l'État, proclamée par la convention du 21 février 1795, reste très fidèle au Pape et continue à avoir les faveurs des Catholiques français.
Largement majoritaire, elle condamne l'église << constitutionnelle>>, pourtant animée avec dynamisme et saintement par l'évêque Grégoire, qu'elle accuse d'être inféodée au pouvoir issu de la Révolution.
Ainsi, plus par réaction que par conviction profonde, les Romains s'identifient aux contre-révolutionnaires d'esprit. Napoléon va essayer de contrarier cette attitude.
Pour lui les corps de l'État sont des moyens. De la même manière que le système administratif, le système judiciaire, l'armée concourent à l'établissement de l'ordre social, par analogie, la religion doit jouer un rôle actif. Napoléon est pour une religion pragmatique:
<< Je ne vois pas dans la religion le mystère de l'incarnation, mais le mystère de l'ordre social>>.
Les philosophes se tourmentent: ils bâtissent des systèmes, mais ils cherchent en vain une meilleure doctrine que celle du christianisme qui a réconcilié l'homme avec lui-même et garanti le repos et l'ordre public des peuples, tout aussi bien que le bonheur et l'espérance des individus>>.

Les prêtres ont une fonction administrative: ils sont à la limite du fonctionnariat.
<< Un curé doit être un juge de paix naturel, le chef moral de la population.
Les prêtres dans le véritable esprit de l'Évangile doivent concourir à la tranquillité publique en prêchant les vraies missions de la charité>>.
Et voilà une boutade qui ne trompe pas:
<< Pour rendre les curés vraiment utiles et les empêcher d'abuser de leur ministère j'aurais voulu qu'on joignit au cours de théologie un cours d'agriculture et des éléments de droit et de médecine>>.
C'est avant la lettre une manière de prêtre ouvrier que Napoléon essaye d'inventer.
Bref, il est clair qu'il a vu surtout l'utilité sociale de la religion qu'il considérait comme un moyen de gouvernement:
<< La religion chrétienne sera toujours l'appui le plus solide de tout gouvernement assez habile pour s'en servir>>.
L'habilité semblait résulter de la séparation des genres.
<< L'Église doit être dans l'État et non l'État dans l'Église.
L'autorité administrative doit bien se garder de trop se mêler des affaires du clergé et des prêtres; il faut faire agir les tribunaux, opposer robe à robe, esprit de corps à esprit de corps. Les juges sont dans leur genre une espèce de théologiens comme les prêtres, ils ont aussi leurs missions, leurs règles, leur droit commun>>.
La religion que Napoléon espérait plus ouverte, plus actuelle, plus gallicane, seulement préoccupée de spiritualité et parfaitement détachée des biens, presque fonctionnarisée, passerait de nos jours comme une église d'utilité publique largement engagée dans le service de l'État, c'est-à-dire le service du peuple. Cette conception est révolutionnaire pour la hiérarchie romaine traditionaliste, souveraine et parfois, dans des passés assez récents, suzerains. Pour tous ceux très nombreux qui sont attachés à cette église-là, la religion officielle a un relent de carmagnole.
Ainsi, paradoxalement, alors que Napoléon entend bien assujettir le clergé à son pouvoir, la religion du moment, largement populaire, destinés surtout aux besoins des masses laborieuses, paraissait finalement comme une institution que nous qualifierons aujourd'hui de gauche, par rapport à l'église du Pape résolument de droite.

Le conflit avec le Pape

Hélas, dans ce domaine, Napoléon ne fut pas habile et c'est sans doute un des prétextes, sinon une des raisons de son infortune fatale.
Entre l'Empereur, réformateur moderne d'une société rétrograde, et l'église de Rome figée, conservatrice, jalouse de ses droits temporels et fidèle à l'ancien régime, le fossé se creuse.
A lui qui prétendait << qu'il n'y a pas d'hommes qui s'entendent mieux que les soldats et les prêtres>>, nous pourrions rétorquer aujourd'hui avec le recul de l'histoire: sans doute, Sire, mais pas les Empereurs et les Papes!
C'est ce conflit, non résolu entre deux hommes, et, plus exactement, entre l'Empereur et la Curie Romaine qui constitue le seul échec de Napoléon. Les revers militaires et les défaites qui conduisent à l'abdication sont des infortunes de guerre; les insuccès diplomatiques et les renversements d'alliance consécutifs aux rapports de puissance, sont liés à la conjoncture. Mais l'obstination dans le refus, la constance dans le défi que le Pape Pie VII a délibérément opposées à Napoléon sous la forme d'une résistance physique, morale et spirituelle tout à fait prodigieuse, n'ont jamais pu être vaincues. Elles demandaient, en effet, une force qui dépasse le pouvoir humain et, dans ce combat inégal, Napoléon n'était sûrement pas de taille à transgresser la volonté divine.
Mon propos est de retracer les péripéties essentielles de cette bataille pour tenter une meilleure approche de la victoire du goupillon papal sur le sabre du plus grand souverain de son temps. Mais j'aimerais surtout promouvoir le rôle que les militaires de la gendarmerie impériale ont dû jouer, par devoir d'État, souvent contre leur conscience, pour consacrer l'histoire de l'Empire. Une brève évocation de l'évolution de la situation religieuse en France paraît indispensable pour situer le contexte.

On sait l'état de christianisation du royaume en 1789, avant la crue révolutionnaire. Avec une passion hargneuse cet athée appliqué, viscéralement anticlérical, que fut Michelet, a caricaturé l'imprégnation religieuse de la France:
<< Toutes les institutions d'ordre civil que trouva la Révolution étaient ou émanées du Christianisme, ou calquées sur ses formes, autorisées par lui>>. Et, de fait, par monarque de droit divin interposé, << du Saint Roi Louis IX au Roi Dieu Louis XIV>>, la France était bien fille aînée de l'Église. Morale, vie sociale, politique étrangère et politique tout court se structuraient assez volontiers, quelquefois de manière occulte, sous l'influence du haut clergé; le Pape lui-même était très attentif à conseiller activement les démarches européennes, à faire ou à défaire les alliances.
Pour ne pas avoir voulu assumer cet héritage, la Grande Révolution devait inexorablement tourner court; on ne nie pas l'évidence! En filigrane, en effet, dans chacune des novations, au coeur de toutes les initiatives, l'Église Romaine, patiente par éternité, imprime une marque indélébile de résistance que tous les réfractaires, tous les insurgés, toutes les consciences de la France profonde savent lire et interpréter.
Pour avoir tenté, au contraire, à la suite de quelques philanthropes utopiques, de substituer la religion de l'Homme Dieu à celle du Dieu Homme, on n'a pas pu faire l'économie des terreurs les plus sanglantes et les plus ignobles. Vient forcément l'heure de la lassitude, du doute, du dégoût, de la révolte, c'est-à-dire de la contre-révolution.
La liberté religieuse est proclamée dans la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Ce nouvel édit de Nantes, enrichi, rajeuni, adapté, aurait pu épanouir les consciences; il les contraint, à l'inverse, en déclarant la guerre à l'Église Romaine par le serment des prêtres exigé le 27 novembre 1790 au lendemain des Fêtes de la Fédération.
<< L'assemblée veut, tout de bon, que les évêques, curés, vicaires, jurent la constitution sous huitaine, sinon ils seront censés avoir renoncé à leur office. Le maire est tenu, huit jours après, de dénoncer le défaut de prestations de serment. Et ceux qui, le serment prêté, y manqueraient, seraient cités au tribunal du district et ceux qui, ayant refusé, s'immisceraient dans leurs anciennes fonctions, poursuivis comme perturbateurs>>.
C'est la création de l'Église constitutionnelle, celle des prêtres philosophes qui confondent loi et morale, celle des prêtres assermentés qui s'éloignent du Pape, pour finalement se dresser contre lui. Le fanatisme des prêtres réfractaires transformera ce schisme en hérésie, notamment dans l'Ouest, en Bretagne et Vendée, après les mascarades des Fêtes de la Raison à Notre-Dame de Paris le 10 novembre 1793 instaurant le culte de l'Être Suprême. << Le discordant fédéralisme des sectes s'évanouit dans l'unité, l'indivisibilité de la Raison>>.
Le 16 novembre 1793 la Convention déclare le catholicisme << déchu du culte public>>. Les conséquences les plus concrètes résident dans la confiscation des biens de l'Église. << En principe tous les bâtiments qui servaient au culte et au logement de ses ministres devaient servir d'asile aux pauvres et d'établissement pour l'instruction publique>>. C'est le début d'un processus de spoliation dont les derniers développements contemporains conduiront aux inventaires de 1905.
C'est aller trop vite et trop loin: Robespierre laisse aliéner les biens de l'Église mais, lucide, il arrache à la Convention la liberté des cultes le 21 novembre 1793, espérant calmer les esprits.

Premier échec : Bonaparte et Pie VI

Le premier contact du général Bonaparte, commandant en Chef des Armées d'Italie, avec le Pape Pie VI se situe le 22 juin 1796 à Bologne. L'avance des troupes françaises dans les États du Pape contraint, en effet, le Souverain Pontife à négocier l'armistice pour éviter une marche sur Rome qu'il croit probable et qu'il redoute. Profitant de ces dispositions, Bonaparte tente de mettre un terme aux troubles religieux en France en proposant à Pie VI une clause d'amnistie qui officialise l'Église constitutionnelle imaginée par la Révolution: il exige tout simplement l'annulation des bulles de condamnation. Refus du Pape! C'est un échec.
Les armées du Directoire conservent donc le contrôle de Bologne et Ferrare. Au plan culturel, la République Française reçoit des oeuvres d'art dont le détail est arrêté par les négociateurs. Enfin, pour renflouer les caisses vides de l'État, le Pape est imposé de 20 millions de livres.
Après Arcole et Rivoli, l'Autriche vaincue doit traiter à son tour à Leoben. Bonaparte tient à clarifier la situation avec le Pape pour être plus libre dans les tractations qui préparent Campo Formio. Dans ce dessein les populations des légations occupées sont incitées à refuser l'autorité papale.
Le 22 janvier 1797, le général en Chef rappelle le ministre de la République en poste à Rome. Au mois de février, il déclare la guerre au Pape. Il conquiert sans combat la Romagne et prend le port d'Ancone.
Le 16 février à Tolentino, Bonaparte reçoit les cardinaux délégataires conduit par le cardinal Mattei et impose des conditions draconiennes. Contre l'arrêt de la progression des armées françaises en direction de Rome il exige la somme de 30 millions d'or qu'il envoie au Directoire, financièrement aux abois, et réitère l'interdit d'ouverture des ports aux Anglais.
Une note remise au ministre du Pape reprend le leit motiv de la pensée de Bonaparte:
<< Le Pape pensera peut-être qu'il est digne de sa sagesse, de la plus sainte des religions, de faire une bulle ou mandement qui ordonne aux prêtres obéissance au gouvernement>>.
Nouveau refus de Pie VI qui ne pouvait pas se dédire à quelques mois près! Échec confirmé.

Il faudra attendre 1798 pour que le général Berthier occupe la ville éternelle sous le prétexte de l'assassinat du général français Duphot. Le Pape est alors fait prisonnier de la République et doit quitter Rome. Il séjourne à Sienne et, au cours de son passage en France, il meurt à Valence le 21 août 1799 à l'âge de 81 ans.
Au retour de la Campagne d'Égypte, Bonaparte constate, en octobre 1799, que la Paix religieuse n'est toujours pas établie et il se rend dans l'Ouest pour pacifier la Vendée. Il mâte l'insurrection de la Chouannerie en 1800 en ayant bien le sentiment que tout reste à faire, tant que le fond du problème des rapports de l'Église française avec Rome n'aura pas été réglé.
Dès Brumaire, mettre un terme au chaos religieux de l'État devient une priorité pour le Premier Consul. Homme d'ordre, là comme ailleurs, il veut rétablir au plus vite l'unité des chrétiens, persuadé que la religion catholique lui serait politiquement utile.
Juridiquement donc, il réforme la constitution civile du clergé par un décret autorisant la liberté des cultes. C'est l'ouverture nécessaire, mais trop largement suffisante, voire périlleuse, du fait de l'anarchie du moment. Les prêtres ayant des statuts particuliers organisent un culte approprié à leur état: réfractaires, constitutionnels, assermentés non soumis, adaptent la liturgie, c'est-à-dire qu'ils dénaturent.
Manifestement la paix et l'unité religieuse ne peuvent résulter que de la compréhension et, si possible, de l'appui du Pape. C'est pourquoi Bonaparte estime que le temps est venu de s'adresser directement et officiellement à l'autorité suprême de l'église catholique.
<< Si le Pape n'avait pas existé, il eût fallu le créer pour cette occasion comme les consuls romains faisaient un dictateur dans les circonstances difficiles. Jamais le Pape ne pourra me rendre un si grand service; sans effusion de sang, sans secours, lui seul peut organiser les catholiques de France sous l'obéissance républicaine. Je le lui ai demandé>>.

Deuxième échec : Bonaparte et Pie VII

Une deuxième fois, après Marengo, le 14 juin 1800, Bonaparte entame des négociations avec le nouveau Pape Pie VII. En effet, le siège pontifical étant vacant, le conclave vient d'élire à Venise, alors autrichienne, Barnabé Chiaramonti, évêque d'Imola, qu'elle proclame successeur de Pierre le 14 mars 1800 sous le nom de Pie VII.
Persuadé que le nouveau prélat sera moins retors que Pie VI, le Premier Consul convoque à Milan, trois mois après, un petit synode de 200 prêtres locaux et de deux évêques le 5 juin 1800.
<< Actuellement, dit-il, je suis muni d'un plein pouvoir et je suis décidé à mettre en oeuvre tous les moyens que je croirai les plus convenables pour assurer et garantir cette religion>>.
Le nouveau Pape évalue le risque d'un refus. Les armées françaises sont victorieuses et en marche. Il craint l'établissement d'une République à Rome et peut-être une expulsion. On dit que Bonaparte parle, dans ses conversations, d'un possible département du Tibre. Le Pape préfère gagner du temps en envoyant des négociateurs à Paris.
Bonaparte << manoeuvre>> avec obstination pour que l'église ne lui échappe pas. Sans aller jusqu'au gallicanisme, il ne souhaite pas que l'Église soit Romaine. Conception subtile que les cardinaux délégués Consalvi et Caprara, envoyés du Pape comme chefs de délégation chrétienne, n'ont pas l'intention de comprendre.
L'abbé Bernier, chouan rallié, leur mène la vie dure pendant dix mois, avec Cretet et Joseph Bonaparte. Ces rudes affrontements ont finalement raison du Pape qui signe un Concordat le 16 juillet 1801.
– Le catholicisme est la religion proposée par la majorité des Français. (Il n'y avait vraiment aucune compromission dans cette évidence).
– Le Consulat nomme les nouveaux évêques, mais leur investiture relève du Pape.
– La vente des Biens du Clergé est entérinée par Rome, mais les ministres du Culte sont à la charge de la France.
– La liberté du culte, comme la laïcité de l'état civil, sont tacitement admises par le Concordat.
– Les ordres réguliers ne sont pas évoqués dans le document qui, par contre, prescrit la restructuration des évêchés calquée sur les départements.
Traité de dupe pour Bonaparte en dépit des apparences qui avaient courroucé gravement les traditionalistes comme les anti-cléricaux.
En effet, à l'analyse, le Concordat fait apparaître des vices qui ne servent pas du tout l'intérêt de la France. Ainsi, le Pape profite des concessions qu'il vient de consentir pour reprendre en mains l'ensemble du clergé français qui, depuis la déclaration gallicane de 1682, était pratiquement indépendant. Par le biais des nouvelles nominations de tous les évêques, dont il avait exigé la démission, le Pape replace les évêchés (et les curés nommés par les évêques) dans sa dépendance. Le Gallicanisme et le schisme nés de la Révolution sont ainsi conjurés. Le vrai Chef de l'église est désormais le Pape.
Bonaparte essuie finalement un deuxième échec.

La lutte d’influence

Rencontre du Pape VII et de Napoléon dans la forêt de Fontainebleau (26 novembre 1804).Conscient d'ailleurs, il fait rédiger un modificatif, auquel il donne le nom d'Articles Organiques, qui tente de lui redonner la primauté en subordonnant l'Église à l'État par le truchement d'autorisations gouvernementales pour toutes décisions religieuses d'importance. Certes, le Pape proteste à la parution de ces articles qui dénaturent le Concordat, mais, persuadé qu'ils n'auront aucune conséquence spirituelle, morale et temporelle, il décide de s'en accommoder. Faiblesse a-t-on dit! Victoire au contraire, la suite va le démontrer.
Napoléon a succédé à Bonaparte le 18 mai 1804. Les mêmes problèmes se posent à l'Empereur, du fait des demi-solutions proposées par le Premier Consul.
Il semble qu'une démonstration théâtrale, aux dimensions de l'ambition du nouvel empire, soit de nature à fonder le régime aux yeux de l'Europe et, du même coup, à gommer le problème religieux intérieur. Napoléon pense au sacre solennel à Notre-Dame de Paris par le Souverain Pontife en personne. Même les rois de France n'y avaient prétendu!
Pendant l'hiver 1804, Pie VII, en grand équipage, quitte Rome pour Paris. Le 27 novembre une véritable caravane de carrosses traverse la forêt de Fontainebleau. Dans le plus somptueux, le Pape, déjà âgé, visage distingué, toujours secret mais plus pensif au fur et à mesure qu'il comprend mieux le jeu qu'on lui fait jouer, attend la prochaine étape au château maintenant tout proche.
On sait avec quelle habileté Napoléon a organisé une rencontre << fortuite>> avec le Pape en pleine forêt. Le Souverain chasseur se présente aux glaces du carrosse pontifical, salue le Pape, se nomme, invite le Prélat dans sa propre voiture, se montre affable et charmeur. Il conduit au château de Fontainebleau un Pape détendu et agréablement surpris.
Les fastes déployés ne manqueront pas de revenir à la mémoire du Saint-Père au moment de l'accueil désinvolte de 1812.
La cérémonie du Sacre intervient comme on sait!

La venue du Pape à Paris n'a pas réduit le contentieux entre les deux hommes et probablement même elle l'a aggravé. Le Pape a bien mesuré le poids et le prix de la caution qu'il vient de donner le 2 décembre; il a aussi jaugé le potentiel d'audace de Napoléon. Ce jour-là il décide de ne jamais concéder quoi que ce soit de plus et s'il le faut, d'opposer à l'impérialisme napoléonien la solide stabilité de la chrétienté dont l'inertie peut être un frein mortel aux débordements inspirés par le Diable.
De son côté Napoléon a compris jusqu'où il ne lui faudrait pas aller sans risque grave. Il sait que l'analyse du voyage de Pie VII en France comporte des réserves péjoratives.
Dans cette évaluation de la force de volonté des deux hommes, la comédie est même allée aux limites de la courtoisie; après le couronnement Napoléon a poussé le pari jusqu'à faire entendre au Pape qu'on pourrait le retenir à Paris.
<< Tout est prévu, répondit le Pontife, avant de quitter l'Italie, j'ai signé une abdication régulière; elle est entre les mains du cardinal Pignatelli à Palerme, hors de la portée du pouvoir des Français. Au lieu d'un Pape, il ne restera entre vos mains qu'un moins appelé Barnabé Chiaramonti>>.
A partir de cet instant, tous les prétextes seront bons pour chercher querelle au Pape. Les détails sont connus de cette tragédie aux trop célèbres tableaux.
– Le 15 février 1806 Napoléon écrit de Paris au Saint-Père pour lui dire sa volonté de soumettre toute l'Italie aux lois de l'Empire. Il reconnaît pour le Pape une souveraineté spirituelle mais ne lui cache pas son intention de lui ôter son pouvoir temporel. << Vous êtes le Roi de Rome mais j'en suis l'Empereur>>.
– Le 2 février 1808 l'ordre est donné au général Miollis d'occuper Rome. Le Pape est enfermé sur le Mont Cavallo, dans le Palais du Quirinal.
– Le 10 juin 1809 (en exécution d'un décret signé à Vienne le 17 mai) Napoléon réunit Rome et les États Pontificaux à l'Empire français. Le même jour le Pape rend publique la bulle d'excommunication de Napoléon. L'orage éclata.
– Le 6 juillet 1809, c'est l'enlèvement du Pape et son exil à Savone.


Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
305
Numéro de page :
2-8
Mois de publication :
05
Année de publication :
1979
Année début :
1796
Année fin :
1809
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