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Les élevages de visons ont un rôle dans la pandémie de Covid-19

Alors que le Danemark a décidé de tuer tous ses visons d’élevage, l’inquiétude grandit autour du rôle de ces mustélidés dans l’émergence et la propagation de la pandémie. Plus encore, le lien entre l’élevage industriel en général et l’émergence des maladies ne peut plus être occulté, explique l’auteur de cette tribune.

Yann Faure est animateur à la maison de l’écologie de Lyon et enseignant en sociologie de la santé-SHS à l’École centrale de Lyon.


Au Danemark, la Première ministre, Mette Frederiksen, vient de mettre fin à une polémique de plusieurs mois et d’admettre publiquement, le 4 novembre, ce que plusieurs scientifiques d’au moins trois pays avaient commencé d’attester depuis près de six mois : les visons issus des élevages intensifs — aussi appelés « fermes à fourrure » — transmettent le coronavirus aux humains, qui se contaminent ensuite entre eux avec des « variantes », comme l’a indiqué l’Organisation mondiale de la santé le 6 novembre. Certaines de ces variantes mutantes sont potentiellement insensibles au futur vaccin en préparation dans le monde. Pour Käre Molback, du Statens Serum Institut, ce n’est rien moins qu’une nouvelle pandémie qui menace le monde. Hans Jorn Kolmos, de l’université du Danemark du Sud, craint lui aussi que le pays se transforme en nouveau Wuhan et considère que le danger est international.

Conséquence, les dix-sept millions de visons danois doivent être abattus dans les plus brefs délais. Un million ont déjà été gazés mais il faut accélérer.

Des techniciens en scaphandre s’apprêtent à procéder à l’abattage de visions au Danemark dans une ferme d’élevage.

Dix-sept communes sont déjà contaminées, plus de deux cents fermes infectées depuis juin et aucun cordon sanitaire ne se révèle assez efficace pour permettre de sauver tout ou partie des exploitations. Mogens Jensen, le ministre de l’Agriculture, est d’ores et déjà accusé d’avoir joué la montre tout l’été et retenu l’information, jusqu’à ce que la situation soit devenue hors de contrôle faute d’avoir pris des décisions radicales à temps.

Les visons devancent maintenant largement les humains dans le décompte macabre du Covid-19 

Pendant près de neuf mois, le pangolin a été perçu comme le seul animal réellement susceptible de propager le virus. Et la faune sauvage — exotique de préférence — comme l’unique danger pour la communauté humaine. Les premiers cas de coronavirus chez le vison d’élevage ont pourtant été identifiés le 26 avril aux Pays-Bas. Moins d’un mois plus tard, Marion Koopmans et ses équipes scientifiques de l’institut Erasmus de Rotterdam avaient établi que le coronavirus était passé au minimum à deux reprises des visons vers les ouvriers agricoles, qui le propageaient ensuite à leurs proches. C’était suffisant pour que, dès les semaines suivantes, les autorités sanitaires néerlandaises décrètent l’abattage d’un million de visons issus de soixante-dix fermes. Suffisant pour provoquer un vote du parlement actant l’arrêt immédiat de l’industrie de la fourrure dans le pays et pour que l’Organisation mondiale de la santé reconnaisse les faits : « Il s’agirait des premiers cas connus de contamination de l’animal à l’Homme. » Mais ce n’était pas suffisant pour libérer la parole, ni pour prendre des mesures drastiques ou pointer les dangers de la concentration en masse d’animaux dans les élevages en batterie.

Ainsi les visons devancent-ils maintenant largement les humains dans le décompte macabre de la maladie. La peur règne au Danemark, où les agents des pouvoirs publics interviennent chez les éleveurs vêtus de scaphandres autonomes, semblables à ceux utilisés pour la gestion des malades du virus Ebola. La Pologne, les Pays-Bas, le Danemark viennent en quelques mois de décider de cesser définitivement l’exploitation du vison d’Amérique [1]. Il n’empêche que dans le Sud Brabant (Pays-Bas), dans le Nord Jutland (Danemark), dans le Wisconsin (États-Unis), l’épidémie de coronavirus flambe dans la population humaine après que les fermes de visons ont été contaminées. En Espagne, on abat. Dans l’Utah et dans le Michigan, on laisse mourir les visons de la maladie. L’Italie, à contrecœur, et la Suède viennent d’admettre à leur tour qu’elles ont également des cas répertoriés d’élevages contaminés. Au Canada, on s’inquiète.

Un vison d’Amérique (« Neovison vison »).

En France jusqu’à ce 4 novembre, c’était silence radio. Tout comme en Chine, premier producteur et place forte du commerce mondial de visons. Ce silence est d’autant plus troublant que le vison a tous les attributs du parfait « hôte intermédiaire » susceptible de s’intercaler entre la chauve-souris et l’être humain pour transformer un coronavirus en pathogène contagieux pour notre espèce.

Le pangolin n’a probablement pas joué de rôle dans l’émergence du covid-19

Or, en Chine, championne hors catégorie du cochon, du poulet et du canard… on dénombre aussi plus d’un millier d’élevages industriels de visons comptant chacun de 10.000 à 50.000 têtes. La Chine en abat annuellement 26 millions pour sa production de fourrure [2]. Autant que le Danemark, les Pays-Bas, la Pologne et les États-Unis réunis qui sont, dans cet ordre, les autres principaux pays producteurs. Ces pays échangent avec elle des technologies, des reproducteurs génétiquement sélectionnés et des spots de commercialisation. La Chine, qui a décidé de limiter sa production, accorde à ses partenaires des facilités douanières dans ce secteur et soutient les productions étasunienne et danoise grâce à ses importations tirées par sa demande intérieure de vêtements de luxe due à l’émergence d’une nouvelle classe privilégiée. On notera enfin que les fermes chinoises, souvent privées, peuvent appartenir à des propriétaires étrangers. Inversement, des fonds de capital-investissement chinois détiennent des milliers d’hectares de terre danoise, ainsi que des exploitations d’élevage intensif dans ce pays. L’élevage de faune dite « sauvage » conditionne en Chine près de quatorze millions d’emplois et plus de 75 % de ces animaux sont destinés au marché de la fourrure. Lorsqu’elle a annoncé la suspension du commerce de la faune sauvage, la Chine a pris soin de requalifier les visons, les renards et les chiens viverrins [3] en « espèces domestiques » pour qu’aucune interdiction ne puisse les frapper.

Un élevage de visons abandonné en Grande-Bretagne.

La mondialisation du commerce des matières animales — fourrure ou viande principalement — et les modalités de leur production par l’élevage industriel font courir un risque inédit et majeur à la population de notre planète. En février dernier, on a jeté en pâture à l’opinion publique un animal exotique en voie d’extinction : un mammifère solitaire braconné pour le commerce de ses écailles, le pangolin. Or, l’étude chinoise qui faisait du pangolin l’animal intermédiaire entre la chauve-souris et l’humain était trompeuse. Sa rectification ultérieure a été très peu médiatisée. D’après le Journal du CNRS du 28 octobre, la majorité des scientifiques s’accordent pourtant aujourd’hui, au vu des études génomiques et de son éthologie, à écarter cette piste : « Le pangolin n’a probablement pas joué de rôle dans l’émergence. »

Le rôle primordial de l’élevage industriel dans la survenue des épidémies 

Dans ces conditions, on peut sérieusement se demander comment se fait-il que les innombrables et gigantesques élevages de visons chinois suscitent jusque-là aussi peu d’intérêt. Ce sont pourtant des mustélidés, au même titre que les furets qu’on élève, eux, pour servir d’animaux de laboratoire sur la transmission des grippes et des coronavirus. Il est également bien documenté, depuis plus de vingt ans, que les visons sont sujets aux épidémies et qu’ils transmettent de nombreux et dangereux pathogènes aux éleveurs qui s’en occupent.

Jamais ou presque, depuis janvier, il n’a été question d’évoquer le rôle primordial de l’élevage industriel dans la survenue des épidémies. La question mérite pourtant d’être rigoureusement étudiée, alors qu’il existe une chaîne de contamination bien connue : des chauves-souris ou des oiseaux porteurs de (corona)virus jouent le rôle de réservoir microbien. Ils ou elles infectent des animaux d’élevage (hôte intermédiaire). Le virus mute en se répandant dans le cheptel et devient apte à contaminer des humains, qui le propagent ensuite parmi eux. La plupart des maladies infectieuses qui nous affectent émergent ainsi. Depuis les grippes jusqu’à Hendra, Nipah, Ebola, Sars, ou le SDAS par exemple.

L’histoire se répète. Il n’est peut-être toutefois pas trop tard pour se débarrasser de l’élevage industriel avant qu’il ne se débarrasse de nous. Par exemple, en organisant la relocalisation d’une production raisonnée capable d’assurer l’autonomie alimentaire de chaque territoire.

Comme pour le climat, l’avenir de la communauté humaine est en jeu.

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