ur l'édition cannoise, une petite vignette est là pour le rappeler chaque jour au festivalier distrait : c'est le centième anniversaire de
Variety, le célèbre journal américain consacré à l'actualité du spectacle. Né en 1905 à New York,
Variety est d'abord un magazine spécialisé dans le vaudeville. Dans les années 1930, avec l'ouverture de bureaux à Los Angeles, le journal trouve son domaine d'élection : le cinéma.
Aujourd'hui,
Variety traite aussi de théâtre, de télévision et de jeux vidéo, dans ses différentes déclinaisons : les deux quotidiens,
Daily Variety (l'un pour New York, l'autre pour Los Angeles), l'hebdomadaire
Variety, le site Internet et le magazine
VLife. Le tout appartient au leader de la presse professionnelle aux Etats-Unis, Reed Business Information, et pèse plusieurs millions de dollars.
"Nous sommes une grande marque internationale", constate Peter Bart, le rédacteur en chef de
Variety depuis 1987, et aujourd'hui son vice-président. Les journaux
Variety ne parlent pas des films comme tout le monde, mais en
varietyese ou
slanguage. Un langage codé qui procède par raccourcis (
"la Côte" signifie Hollywood), néologismes (
"blurb" pour une publicité télévisée,
"whammo" pour un grand succès) et créations pleines d'humour : les westerns deviennent ainsi des
"horse operas" (opéras avec chevaux). C'est presque un examen de passage : le lecteur qui comprend le
varietyese sait qu'il fait désormais vraiment partie du milieu du cinéma.
L'importance du journal peut se mesurer, chaque année, dans les mois qui précèdent les Oscars. Les grands studios prennent alors possession de ses pages en les emplissant de placards publicitaires destinés aux membres de l'Académie. "Pour votre considération" , est-il toujours précisé sur ces grandes photos d'une star dont les majors espèrent une statuette. Pendant le Festival, les producteurs saisissent l'occasion de la parution d'un Cannes Daily pour informer toute la profession de leurs projets. Mais la mission du journal est également artistique, explique Peter Bart, qui insiste sur l'un de ses grands combats éditoriaux : "Depuis mon arrivée, le nombre de critiques dans le journal n'a cessé d'augmenter. Variety emploie cent quarante personnes, dont vingt critiques à travers le monde. Nous cherchons toujours à en avoir davantage. Ces temps-ci, nous songeons à nous étendre au Japon, en Chine, en Corée du Sud, où le cinéma est particulièrement créatif."
En 1989, un journaliste de Variety s'enthousiasme, au Festival de Sundance, pour Sexe, mensonges et vidéo, le premier film d'un inconnu. Cette critique éveille l'intérêt du distributeur, et mène Steven Soderbergh au Festival de Cannes, où il reçoit la Palme d'or. Le genre de conte de fées qui ravit Peter Bart, plutôt circonspect sur le milieu du cinéma.
"Je le fréquente depuis près de quarante ans, explique-t-il, lui qui fut, dans les années 1970, producteur, notamment à la Paramount. Je l'ai vu se transformer de façon spectaculaire. Les majors dévorent de plus en plus l'industrie. Des décisions qu'on me laissait prendre seul à l'époque où j'étais producteur dans un grand studio sont prises désormais par des groupes de dix personnes." Si la création artistique s'en trouve "souvent compromise" , le travail de Variety y gagne en intérêt, assure- t-il : "Observer la vie des médias aujourd'hui, et notamment la politique des studios qui produisent d'énormes films, avec des enjeux considérables sur le plan financier, c'est passionnant. En ce moment, mieux vaut être journaliste de cinéma. Cette position d'observateur est de loin la plus amusante."