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Revue de l'OTAN
Mise à jour: \ 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 41- No. 6
Déc. 1993
p. 19-24

L'évolution de la politique de sécurité de la Suisse

Manfred Rôsch,
correspondant à Bruxelles de l'Agence de presse suisse, Berne

Les affaires politiques suisses font rarement la une des médias étrangers. Cela a cependant été le cas à deux reprises en juin dernier. En effet, après l'approbation à une large majorité, par le parlement de cette Confédération neutre - qui n'est membre ni de l'OTAN, ni de la Communauté européenne, ni des Nations unies - de la formation d'une force de maintien de la paix, le gouvernement est également parvenu a remporter un référendum sur l'achat de trente-quatre chasseurs de type F/A-18 en justifiant cette transaction comme une contribution suisse à la sécurité européenne. Qu'est donc devenue la légendaire neutralité suisse? Quel est le genre de politique de sécurité que mène désormais la Confédération helvétique et comment est-elle susceptible d'évoluer à l'avenir?

Une chose est sûre: l'évolution de la configuration de l'Europe remet en question les politiques conventionnelles de la Suisse en matière d'affaires étrangères et de sécurité. A l'instar de l'OTAN, qui redéfinit sa fonction à la suite de la dissolution du Pacte de Varsovie, la Suisse cherche avec circonspection le nouveau rôle qu'elle est appelée à jouer. A qui particulièrement devrait-elle aujourd'hui s'adresser pour trouver un médiateur neutre et stabilisateur?

L'intégration de la Communauté européenne dépasse les affaires économiques en se fixant des objectifs en matière de politique étrangère et même de sécurité. L'Europe centrale et orientale s'est libérée et cherche à prendre pied en Occident, tandis que la menace que représentait le Pacte de Varsovie, et plus singulièrement l'Union soviétique, appartient désormais au passé. En raison de cette évolution, la Suisse est, elle aussi, contrainte de revoir son mode de pensée. Confronté à une opinion publique sceptique qui a fréquemment le dernier mot dans une démocratie gouvernée par référendum, le gouvernement helvétique doit, d'une manière ou d'une autre, présenter de façon aussi attrayante et "digeste" que possible, le resserrement de ses relations avec la Communauté européenne, ainsi que la fin d'une politique de sécurité basée sur l'autarcie.

Repenser la politique de sécurité

Dès 1990, le gouvernement a soumis au parlement un rapport intitulé Le nouveau visage de la politique de sécurité suisse. Il y expliquait que le pays devait viser "à collaborer à un niveau européen... à l'édification d'une politique de sécurité européenne viable". Par le biais de la coopération économique et politique et en poursuivant une politique pour la paix, la Suisse veut contribuer à la sécurité du continent. Cette solidarité européenne active résulte de la conviction que "nous serons davantage en sécurité si l'Europe l'est également", comme l'a déclaré le ministre de la Défense, M. Villiger au printemps dernier.

Pour ce qui a trait au référendum sur l'achat des F/A-18, qu'il a fallu organiser puisque les partisans du désarmement avaient récolté le nombre de signatures requis, M. Villinger décrit cette acquisition comme un geste de solidarité visant à permettre à la Suisse d'assurer sa propre défense aérienne, plutôt que de laisser le soin de cette tâche coûteuse - les 34 avions coûtent 3,5 milliards de francs suisse - à ses voisins. Avant le référendum, le chef de F état-major général, Arthur Liener, n'a pas hésité à déclarer que "l'Europe retiendra sa respiration jusqu'à notre décision du 6 juin".

Au début de la soirée du 6 juin, M. Villiger, commandant en chef civil de l'armée, et le général Liener, l'officier le plus haut gradé, purent enfin recommencer à respirer: le point de vue défendu par les partisans du désarmement venait d'être rejeté par un vote de 57 contre 43 pour-cent. On peut toutefois considérer que la majorité n'a pas suivi le gouvernement par attachement au concept européen, mais bien pour éviter que l'armée soit peu à peu affaiblie. Derrière la décision de l'opinion publique, se trouve en effet le souvenir récent du "Groupe pour la Suisse sans armée", qui, en novembre 1989, avait obtenu la tenue d'un référendum sur l'abolition de l'armée, ce qui constituait déjà une incroyable victoire, d'autant que 35,6 pour-cent des votants se prononcèrent pour le désarmement unilatéral de la Suisse. Avant le vote, certains humoristes affirmaient que la Suisse n'avait pas d'armée, puisqu'elle en était une. Cette boutade ne fait désormais plus rire personne.

Il n'en demeure pas moins que l'acquisition des F/A-18 a été critiquée, même par de farouches partisans de l'armée, notamment en raison de son coût élevé. Il convient d'ajouter que la part du ministère de la Défense dans les dépenses fédérales décroît en termes réels: en 1960, elle représentait encore plus de 30 pour-cent, mais elle tombera à 12 pour-cent exactement pour 1995.


Une force de maintien de la paix fournie par un pays n'appartenant pas aux Nations unies

C'est à une écrasante majorité que le parlement de Berne a adopté en juin dernier une loi fédérale autorisant des troupes suisses à participer à des opérations de maintien de la paix sous mandat des Nations unies ou de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). Nulle forme de restrictions liées à la neutralité n'a été attachée à cette loi. Le ministre de la Défense a salué la formation d'un bataillon suisse de maintien de la paix comme un jalon important de la nouvelle politique de sécurité. Ce faisant, a-t-il expliqué, la Suisse envoit un signal visible de solidarité internationale et de partage du concept de sécurité collective. Une Suisse considérée comme un membre utile de la famille des nations, plutôt que comme un pays égoïstement replié sur lui-même, sera plus en sécurité, car un pays prêt à soutenir la solidarité pourra plus aisément compter sur celle-ci en cas de besoin.

M. Villiger a expliqué au parlement que le déploiement d'une unité de casques bleus classique n'entraînera pas de problème de neutralité, puisque ces troupes se cantonneront à des opérations de maintien de la paix. Il a ajouté que les six cents casques bleus suisses seraient légèrement armés, mais uniquement dans un souci d'autodéfense. La restriction à l'autodéfense a toujours constitué le principe fondamental de la politique de neutralité.

Le ministre de la Défense a rejeté l'argument avancé par les opposants à la loi, qui prétendaient que la formation d'un corps de maintien de la paix allait à rencontre d'un référendum de 1986. A cette époque, les trois quarts de la population suisse avaient refusé de se prononcer en faveur de l'appartenance de leur pays aux Nations unies. Il doit également y avoir un référendum sur le thème de la loi liée au maintien de la paix qui constituera un test de la volonté du peuple suisse de s'ouvrir sur le monde.

D'après la nouvelle position de Berne, la neutralité n'est plus d'application si la communauté internationale adopte une action collective contre ceux qui s'inscrivent en marge de ses lois. C'est pourquoi, en dépit des résultats du référendum de 1986, la Suisse s'est jointe aux sanctions économiques contre l'Iraq en 1990 et en 1991, mais, à la différence de l'Autriche, neutre et membre comme elle de l'Association européenne de libre-échange (AELE), la Suisse n'a pas accordé aux alliés l'utilisation à des fins militaires de son espace aérien. Ajoutons que, depuis 1989, la Suisse fournit des unités médicales non armées aux forces des Nations unies, d'abord en Namibie et actuellement au Sahara occidental.

L'intégration européenne

Le gouvernement suisse est habitué à la méfiance que la question de l'appartenance à des organisations internationales suscite généralement au sein de son électorat. L'attitude largement répandue de l'isolationnisme résulte, entre autres choses, de près d'un demi siècle d'abstention virtuelle de toute participation aux affaires politiques extérieures. En 1986, la population rurale n'avait pu accepter le volte-face lié à l'appartenance aux Nations unies que les hommes politiques lui avaient présenté; plus tard, le 6 décembre 1992, une très courte majorité de votants rejeta également la proposition d'adhésion de la Suisse à l'Espace économique européen (EEE). Lors de ce qui fut peut-être le plus important référendum du siècle, précédé par une campagne d'une hostilité inhabituelle, 78,3 pour-cent des votants - un pourcentage extrêmement élevé en fonction des critères suisses - se rendirent aux urnes et refusèrent d'adopter ce projet présenté par le gouvernement et soutenu par les deux tiers du parlement.

Tous les partisans de l'EEE n'étaient d'ailleurs pas des Européens convaincus, puisque nombre d'entre eux souhaitaient simplement éviter une discrimination économique à rencontre de leur pays. On peut en outre considérer que de nombreux partisans de l'EEE ne sont pas en faveur de l'adhésion de la Suisse à la Communauté européenne (CE).

Il en résulte que, à l'heure actuelle, la politique de la Suisse liée à l'intégration européenne est au point-mort. Le gouvernement tente de limiter les dégâts et de préserver l'option d'entrée dans le marché unique pour l'économie suisse, par le biais d'accords bilatéraux avec la CE. Ajoutons que, à un moment ou à un autre, ce même gouvernement renouvelera probablement ses tentatives de rapprochement avec la Communauté européenne.

La demande d'adhésion à la CE, déposée à Bruxelles par le gouvernement suisse le 26 mai 1992, a peut-être contribué au résultat négatif du référendum sur l'EEE. Le gouvernement de Berne avait pris son courage à deux mains pour s-e'umettre sa demande d'adhésion à la CE dès la conclusion heureuse des négociations EEE, et dans la foulée d'un référendum favorable portant sur l'appartenance de la Suisse au Fond monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Cette demande d'adhésion ne contenait aucune restriction en matière de neutralité, à la différence de celle de l'Autriche en 1989.

La neutralité et la politique étrangère et de sécurité commune

La demande d'adhésion à la CE n'a pas été retirée à la suite du rejet, désormais historique, de l'EEE par l'électorat suisse, mais elle est mise au frigo pour le moment. Le gouvernement garde ses options ouvertes pour se joindre à l'EEE à une date ultérieure, ainsi que pour devenir membre de la CE. Pour cette raison, il ne peut perdre de vue l'évolution de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), vaguement définie par le Traité de Maastricht. A l'heure actuelle, la PESC, même si elle n'impose aucune condition légale liée à la neutralité, est discutable pour des motifs politiques. Berne considère que les candidats neutres postulant pour l'appartenance après la ratification du Traité de Maastricht ne peuvent être tenus à des engagements plus contraignants que ceux exigés des membres de la CE, parmi lesquels figure naturellement le pays neutre que constitue l'Irlande. Kasper Villiger a néanmoins averti en octobre 1992 qu'"il serait certainement illusoire de croire qu'un Traité de Maastricht et notre neutralité traditionnelle soient conciliables".

La question consiste à savoir combien de temps une forme de neutralité avec une non-participation militaire comme principe de base pourrait durer au sein de l'Union européenne. Une attente de solidarité se manifeste d'ores et déjà parmi les membres de l'Union. Comment, par exemple, un membre neutre réagirait-il si un ou plusieurs Etats membres de la CE étaient attaqués par un agresseur extérieur?

A la suite du rejet de l'adhésion à l'EEE, l'objectif original - consistant à définir le statut des pays neutres dans l'Union européenne de concert avec les autres candidats neutres à la CE, à savoir l'Autriche, la Suède et la Finlande - n'a, de l'avis général, pas été atteint. De toute façon, lorsque l'on considère les différents concepts de neutralité, on peut se demander jusqu'à quel point sa mise en oeuvre aurait été possible. Le vote de refus à l'EEE signifie que la Suisse a également perdu l'occasion de participer à la conférence prévue pour 1996 sur la PESC et sur les réformes institutionnelles, ainsi que d'exercer une influence sur le remodelage du Traité de l'Union de l'Europe occidentale, qui expire en 1998.

L'OTAN et l'UEO

Du point de vue de M. Villiger, le rejet de l'adhésion à l'EEE ne doit pas aller de pair avec une distanciation de la Suisse par rapport à la politique de sécurité européenne. "Nous devrons tenter de jouer notre rôle dans le modelage de la sécurité européenne, d'où que viennent les efforts en ce sens", a-t-il déclaré à Genève, en février dernier. La guerre dans l'ex-Yougoslavie a identifié les limites de la CSCE, a-t-il ajouté. Avec le Conseil de l'Europe, la CSCE constitue à l'heure actuelle la seule enceinte européenne au sein de laquelle la Suisse peut avoir son mot à dire sur les questions relatives à la politique de sécurité.

M. Villiger a souligné que, en tant que pays neutre, la Suisse devrait envisager la nature des futures relations qu'elle souhaiterait développer avec l'OTAN et l'UEO. S'exprimant en octobre 1992 sur les futures relations Suisse-OTAN ou Suisse-UEO, le ministre de la Défense a déclaré qu'à son avis,
"il y a probablement plusieurs raisons pour la Suisse de se joindre à une organisation de défense européenne, mais, comme membre du Conseil des ministres (c.-à-d. du gouvernement) - et en tant que citoyen suisse - je considère qu'une telle démarche revêtirait une immense importance, et que, pour cette raison, elle doit être mûrement réfléchie. Le moment pour une telle décision n'est pas encore venu et les événements qui surviennent dans les pays qui nous entourent ne pourront nous pousser à la prendre. Entretetemps, et tout à fait indépendamment de nos relations institutionnelles avec l'Europe, nous ne pourrons éviter, dans les prochaines années, un large débat sur la question de la neutralité."

Il a néanmoins ajouté que la participation à la création d'une structure de sécurité européenne "servirait au mieux nos intérêts", puisqu'il est d'ores et déjà manifeste qu'un petit pays comme la Suisse ne peut plus faire face, de manière autonome, aux exigences spécifiques en matière de défense.

A l'heure actuelle, Berne examine avec attention le concept de Partenariat pour la paix proposé par Les Aspin, le secrétaire américain à la Défense, lors de la réunion d'octobre des ministres de la Défense de l'OTAN à Travemiinde, en Allemagne. Le ministre suisse de la Défense est intéressé par la conclusion éventuelle d'un accord de coopération bilatéral avec l'OTAN, comme il l'a déclaré lors d'une récente interview accordée à la radio suisse. La proposition de Les Aspin est attrayante, car elle permet aux pays neutres de déterminer eux-mêmes, comme l'a souligné Kaspar Villiger, jusqu'où il veulent aller dans leur coopération avec l'OTAN.

La neutralité en question

Tout dépendra donc de la décision de la Suisse de conserver ou non sa neutralité, et si oui, sous quelle forme. En mars 1992, un groupe d'experts a soumis un rapport sur la neutralité, à la demande du gouvernement. Aux termes de ce rapport, la Suisse devrait se limiter aux principes de base de la neutralité définis par le droit international. En d'autres mots, elle devrait demeurer à l'écart si d'autres pays entraient en guerre, tout en étant simultanément préparée à défendre la souveraineté de son propre territoire. D'après les experts cependant, en temps de paix, la Suisse devrait à l'avenir exploiter au maximum ses potentialités d'implication dans la politique extérieure.

D'après ledit rapport, la neutralité ne constitue pas "un obstacle à la coopération avec d'autres pays pour affronter de nouvelles menaces, ou pour ériger des structures de sécurité viables en Europe". Pas plus qu'elle n'exclut la possibilité d'adhésion à l'Union européenne, du moins aussi longtemps que cette dernière ne sera pas investie d'une autorité sur des structures, de quelque nature que ce soit, contrac-tuellement contraignantes en matière de sécurité et de politique de défense. Incidemment, le rapport ajoute que la neutralité ne constitue pas une raison pour justifier une non-participation aux sanctions économiques décidées par les Nations unies, pas plus qu'un empêchement pour la Suisse d'autoriser le survol de son territoire et le droit de passage sur celui-ci lorsque des sanctions militaires sont imposées par l'ONU.

Pour aplanir tout malentendu, les experts rappellent que la neutralité ne constitue qu'une forme de politique extérieure, et non une fin en soi. "S'il s'avérait que la neutralité ait perdu sa finalité, ou qu'elle empêche la Suisse de sauvegarder ses intérêts nationaux, alors elle devrait être remplacée par d'autres instruments adéquats", considèrent-ils. Toutefois, en l'absence de toute autre structure de sécurité garantissant aussi efficacement la sécurité, le rapport des experts recommande le maintien de la neutralité.
En 1847, les pères fondateurs choisirent délibérément de ne pas inclure la neutralité dans la constitution suisse. Ils voyaient plutôt en elle un instrument susceptible, en cas d'urgence, d'être abandonné. Depuis lors cependant, le peuple suisse s'est à ce point accoutumé à considérer la neutralité comme un préalable indispensable à l'identité et à la prospérité suisses qu'elle est devenue une sorte de mythe ou de dogme, et qu'elle est généralement considérée comme un sujet tabou. La Suisse a échappé aux horreurs de deux guerres parce que - du moins certaines personnes le croient - elle était neutre et apte à se défendre. L'image d'une "Suisse spéciale" s'est développée dans la conscience collective nationale: celle d'un pays pacifique, démocratique, indépendant, fédéraliste et prospère, régi par la loi et l'ordre, différent des autres et dès lors exemplaire.

Depuis peu cependant, un nombre croissant de voix s'élève, non seulement pour dénier tout avenir à la neutralité, mais également pour jeter rétrospectivement le doute sur la réussite de la Suisse dans la période de l'après-guerre. C'est ainsi, par exemple, que Mauro Mantovani, l'éminent expert en matière de politique de sécurité de l'Université technologique de Zurich, considère que "depuis quarante ans, la neutralité s'avère inadéquate en tant que stratégie de sécurité; la Suisse est redevable exclusivement à l'existence de l'OTAN d'être sortie territorialement indemne de la Guerre froide".

Le gouvernement présente actuellement un rapport détaillé sur la complexité de la politique étrangère et de la neutralité. On ne s'attend pas pour autant à une renonciation formelle à la neutralité, ni même à des demandes d'adhésion à l'OTAN et à l'UEO.

Une armée de stature européenne

Un autre rapport, intitulé Armée Modèle 95 qui établit le profil de l'armée des années 1990, a été soumis par le gouvernement au parlement au début de 1992. Sa lecture est des plus édifiantes. D'après ce rapport, l'armée - dont les effectifs doivent passer de 600.000 à 400.000 hommes - sert à la fois à défendre le pays et les intérêts en matière de sécurité de l'Europe dans son ensemble, en contribuant à l'équilibre européen. Elle doit être structurée de manière à ce que, si nécessaire, elle puisse fonctionner comme partie d'une alliance. Le rapport ajoute que "l'Armée 95 est non seulement utile pour l'Europe, mais qu'elle présente en outre potentiellement une stature européenne". Certaines parties des forces, "telles que, par exemple, la force aérienne et les brigades blindées, peuvent être complètement intégrées à un système de sécurité européen". L'armée ne devrait pas, poursuit le rapport, être autorisée à porter préjudice aux décisions politiques favorisant l'entrée de la Suisse dans un système de sécurité européen ou son renoncement à la neutralité, mais elle doit être capable de mettre en oeuvre une telle décision.

Il est dès lors possible d'affirmer que la souplesse remplace graduellement ce qui était jadis une politique rigide de "retrait armé" (ou de "névrose du hérisson", comme on la qualifie de manière moins charitable). La Suisse commence à se rendre compte qu'elle ne peut plus se permettre de se passer d'une politique étrangère, ni de considérer sa politique en matière de sécurité comme une affaire purement intérieure. Si l'on considère les étroits liens historiques, culturels, linguistiques, économiques et géostratégiques qui unissent la Suisse à ses voisins, de même que l'ampleur des défis auxquels sa politique en matière de sécurité est confrontée, la seule manière d'aller de l'avant qui, en fin de compte, lui est offerte consiste à dépendre des, ou de s'intégrer aux structures partiellement supranationales de F Occident. Ne serait-il pas absurde que, de tous les pays, la Suisse -située au croisement des grandes cultures continentales - considère sérieusement de demeurer définitivement renfermée dans sa coquille, alors que la Hongrie ou la Pologne cherchent avec insistance à se rapprocher de la CE et de l'OTAN?