Temps de lecture : 6 min
- Ajouter à mes favoris
L'article a été ajouté à vos favoris
- Google News
Pas toujours facile d'être un traqueur ! Il faut savoir tenir longtemps sa tête levée vers la cime des arbres, compter les heures en observant les facéties de singes hyperactifs et s'en remettre, sans doute, à une riche vie intérieure, pour passer ses journées sous la pluie, en compagnie des fourmis rouges, les yeux noyés dans le vert. Douze heures par jour, sept jours sur sept, avec quatre jours de repos par mois pour rendre visite à sa famille… Le job n'a rien d'une sinécure. Il faut également se lever tôt, plus tôt en tout cas que ces tire-au-flanc de colobes angolais, encore vautrés sur leurs branches alors que le soleil a déjà bien entamé sa course dans un ciel sans nuage. Voilà des animaux qui savent vivre…
Les traqueurs du parc
Le staccato d'un écureuil apeuré déchire l'air moite, faisant oublier la lancinante chorale des insectes. Odette soulève son chapeau, s'éponge le front et lève le bras en direction d'un grand macaranga : la petite troupe de colobes consent à se lever et entame son petit déjeuner de feuilles et de lichens. Odette Mukakanyna fait partie des 80 traqueurs du Parc national de Nyungwe, la plus grande forêt primaire d'altitude d'Afrique, 900 kilomètres carrés de jungle perchée dans les montagnes du sud-ouest rwandais. Ces pisteurs aux yeux exercés maternent aussi d'autres espèces de singes comme les cercopithèques de l'Hoest, les mangabeys aux joues grises, les singes dorés ou encore les singes bleus. La toison de ces derniers affichant un gris souris des plus ternes, on s'interroge sur l'origine de cette épithète chatoyante jusqu'à ce qu'un mâle impudent exhibe une certaine partie de son anatomie d'un exquis autant qu'inattendu bleu lagon ! Mais c'est le chimpanzé, espèce chérie des visiteurs, qui mobilise le plus de personnel, une quinzaine de traqueurs au total. Odette préfère les colobes, plus tranquilles, notamment ce clan qui fréquente des bosquets isolés dans les plantations de thé, bien plus faciles à repérer que ces diables de chimpanzés, toujours en mouvement.
En quête des chimpanzés
De fait, leur observation n'est pas toujours des plus aisées. Le lendemain matin, alors qu'une buée de lait baigne encore la canopée et que le jour ose à peine s'immiscer entre les troncs vernissés, une poignée de touristes trottinent, en sueur, derrière le guide Claver Ntoyinkima. Il faut se hâter, car les chimpanzés, repérés la veille au soir alors qu'ils préparaient leurs nids de branchages, sont des lève-tôt et se mettent en route dès qu'ils y voient clair. Sur le chemin, une boue épaisse. L'air sent la mousse humide. La jungle ouvre ses bras et on s'abandonne bientôt à son courant. Ntoyinkima signifie « je retrouve un singe » en kinyarwanda. Bel exemple de prédestination ! Claver Ntoyinkima retrouve d'autant mieux les singes que ses collègues traqueurs, déjà sur place, lui indiquent le chemin par radio. Une petite heure suffit pour rattraper une bande de trois jeunes mâles occupés à se goberger de fruits mystérieux dans les frondaisons. Ils sont si proches qu'on entend le craquement des coques entre leurs mâchoires. Au fil des jours, des liens se tissent entre les singes et leurs anges gardiens. « Le chimpanzé est l'une des rares espèces où le visage diffère d'un individu à l'autre, par la couleur de peau, les traits, explique Claver. À force, on parvient à les distinguer. Et eux aussi apprennent à reconnaître chacun d'entre nous ! » Les trois compères finissent par glisser le long du tronc avec aisance et empruntent sagement le sentier, l'un derrière l'autre, avant de s'évanouir derrière une résille de lianes.
De Nyungwe jusqu'au Parc des volcans, le plus fameux des parcs nationaux rwandais situé dans le nord du pays, il faut compter cinq heures de voiture le long d'une route monopolisée par les piétons et les vélos. Sur les côtés circulent des foules d'écoliers en uniforme, des cueilleurs de thé en ciré jaune, des paysans promenant en laisse leur chèvre rebelle, ainsi que des femmes avec sur la tête les charges les plus improbables, du parapluie posé à plat jusqu'au ballot de fourrage de plusieurs mètres cubes. Il y a aussi des petits vieux très élégants, avec veste à revers, canne et chapeau de feutre, qui semblent se rendre à un thé dansant. Mais le plus surprenant demeure ce flot continu de bicyclettes aux porte-bagages croulant sous les bidons, planches liées, monceaux de briques, sacs d'avocats, frigos ou cochons vivants, ficelés sur le dos, tétines au vent.
Miracle rwandais
Au pays des Mille Collines, il faut bien souvent mettre pied à terre et pousser son vélo à la main. Les cyclistes rattrapent le temps perdu dans les descentes : tête baissée, les fesses posées sur le cadre pour mettre le maximum de leur poids à l'avant, les jambes tendues pour garder l'équilibre dans les virages. Les kamikazes de la petite reine, entraînés par leur cargaison, atteignent des vitesses à rendre jaloux un coureur du Tour de France. Chaque jour, au Rwanda, une demi-douzaine de cyclistes partent dans le décor. Comme le signale un message inscrit sur le pare-choc d'un minibus : « May God bless you all » (« Que Dieu vous bénisse tous »)…
La route serpente comme une coulée de plomb fondu dans un dédale de montagnettes verdoyantes, un moutonnement de collines embrumées, toutes couvertes de lopins de terre entretenus, bichonnés. Depuis les champs où, bêche à la main, hommes et femmes s'activent de concert, jusqu'au Parlement, qui compte 64 % de femmes députées, le Rwanda s'affiche comme le grand champion de l'égalité des sexes. C'est l'une des composantes du miracle rwandais, cette étonnante résilience d'un peuple à nouveau uni et bien déterminé à se reconstruire, vingt-quatre ans après les massacres.
Évoquer le Rwanda, c'est, bien sûr, faire resurgir l'ombre oppressante du génocide, mais aussi celle, beaucoup plus sympathique, des gorilles. Cependant, les touristes devant posséder un permis à 1 500 dollars (environ 1 255 euros) pour une heure d'observation, nos cousins anthropoïdes reçoivent un peu moins de visites. Les impécunieux pourront toujours se rabattre sur d'autres activités, comme l'ascension des volcans Karisimbi (4 507 mètres de hauteur) ou Bisoke (3 711 mètres), ou encore partir à la rencontre des singes dorés, des cercopithèques moins impressionnants que les gorilles, mais tout aussi conviviaux. Dans l'enchevêtrement d'une forêt de bambous, on se retrouve à quatre pattes au beau milieu des petits singes à fourrure fauve, d'une désinvolture princière. Leurs doigts agiles viennent fouiller la vase jusque sous les genoux des visiteurs, qui les regardent enfourner des pincées de petits vers roses. C'est l'un de ces instants magiques que le Rwanda, pays insolite, distille.
Nuits perchées
A savoir
Y aller
Paris-Kigali. Avec Air France, à partir de 418 euros l'A/R. 36.54, www.airfrance.fr.
Kuoni Emotions. Spécialiste des voyages d'exception, l'enseigne propose un itinéraire privatif avec un chauffeur-guide anglophone. Couleur Rwanda : 8 jours/6 nuits, dont 2 au One & Only Nyungwe House et 2 autres au Wilderness Safaris Bisate Lodge. A partir de 11 355 euros/pers. (base 2), vols, transferts, petits déjeuners, certains repas, visite aux chimpanzés et permis 2 jours pour l'observation des gorilles inclus. 01.55.87.85.65, www.kuoni.fr.
Dormir
One & Only Nyungwe House. Ses 24 chambres et suites disséminées dans la verdure d'une plantation de thé font de cet hôtel une base arrière pour aller observer les chimpanzés et les colobes de la grande forêt de Nyungwe. A partir de 498 euros/pers. la nuit en pension complète. https://www.oneandonlyresorts.com/one-and-only-nyungwe-house-rwanda.