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Whisky à gogo

Liz Taylor et Keith Richards au Roxy Roller Disco, New York, en 1980.  Le guitariste des Rolling Stones boit du Jack Daniel’s à la bouteille en pleine discussion avec l’actrice. Pour l’impressionner ?
Liz Taylor et Keith Richards au Roxy Roller Disco, New York, en 1980. Le guitariste des Rolling Stones boit du Jack Daniel’s à la bouteille en pleine discussion avec l’actrice. Pour l’impressionner ? © Getty Images
Patrick Mahé

Des années 1950 à aujourd’hui, voici l’histoire du plus rock’n’roll des breuvages. Débarqué dans le pli des tartans des commandos écossais, à la Libération, le « scotch » supplante alors le whiskey irlandais. On le savoure dans les caves de Saint-Germain-des-Prés sous les éclats de trompette de Boris Vian. Mais les GI répliquent en brandissant leur bourbon du Kentucky ou du Tennessee. Le match est lancé. 

C’est d’abord l’histoire d’un film, « Whisky Galore ! » (1949), qui marqua les années 1950, celles du boom du scotch dans les caves de jazz et du be-bop de Saint--Germain-des-Prés. Le scénario était aussi simple qu’une bouteille vide : sur une île des Hébrides (Ecosse) en pénurie de whisky, la population repère un cargo échoué sur les récifs et y découvre une cargaison de flacons du divin nectar ! Basil Radford en capitaine, Joan Greenwood en mutine et sexy Peggy y assuraient un -casting labellisé pur tartan d’époque… Inspiré d’une histoire vraie, le film sortit en France sous le titre de « Whisky à gogo ». Dans son sillage, une flopée de boîtes de nuit, de style rock’n’roll, se répandirent partout où la guitare électrisait les danseurs, teenagers ébouriffés, adeptes du « Bluejean Bop » de Gene Vincent et de « That’s All Right (Mama) » version Elvis. 

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Le premier Whisky à Gogo est né à Paris, rue de Seine. Il était fréquenté par les marins américains de passage et les GI en permission échappés du QG de l’Otan en banlieue. Sa déclinaison provençale fit les grands soirs de la pinède de Juan-les-Pins. On en baptisa un autre à Cannes... mais c’est à Los Angeles, derrière une façade rouge aimantant le Tout-West Hollywood, que sa vogue marqua le rythme débridé des années 1960. Johnny Rivers s’y produisit sous la cage d’un DJ suspendue au-dessus de la scène. La chanson « Going to a Go-Go » y fut créée, pour le futur bonheur des Rolling Stones. C’est là aussi que se répandit le concept du whisky-Coca. 

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Le Whisky à Gogo sur Sunset Strip, à Los Angeles, dans les années 1970.
Le Whisky à Gogo sur Sunset Strip, à Los Angeles, dans les années 1970. © Getty Images

Comme la façade rouge de la boîte de Sunset Strip, l’étiquette rouge de Johnnie Walker flambait entre les mains des bartenders ! On n’en est plus là aujourd’hui, car si les apprentis consommateurs de whisky coupent encore ce dernier avec du cola, les marques parrainant les premières gorgées déploient bien d’autres atouts pour séduire l’amateur et le convertir au bon goût. Boire avec modération est une belle manière de respecter les nobles breuvages d’Ecosse ou d’Irlande, d’Asie (le whisky japonais mais aussi le puissant Kavalan de Taïwan), du Kentucky (Blanton’s, ou Woodford Reserve, un bourbon pionnier à forte teneur en seigle) ou celui du Tennessee, aux éternels rockeurs ; portée par Keith Richards, l’étiquette noire de Jack Daniel’s Old No.7 cible la mythologie des bikers… 

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En 2020, la marque la plus populaire soufflera les bougies de son 200e anniversaire !

Restons sur l’exemple Johnnie Walker, un blend (mélange) mondialement connu, dont les racines remontent avant le temps du be-bop et même du charleston, puisque la firme est née en 1820. S’il était resté ce whisky à soda des années rock et twist, il n’aurait guère franchi les temps modernes, ceux où le goût du single malt a soudain supplanté la consommation de whiskies d’assemblage. En 2020, la marque la plus populaire soufflera les bougies de son 200e anniversaire ! Et elle a travaillé à son renouvellement : derrière l’étiquette rouge et la légende des sixties a fleuri un tartan d’étiquettes : verte (Green label), or (Gold label), platine (Platinum label) et noire (Black label) très prisée par le gang d’Al Pacino dans « Donnie Brasco » (1997). C’est avec Blue label, d’une série baptisée Ghost and Rare, que la firme siège enfin dans la cour des grands. Cet assemblage d’exception repose sur des vieux malts de la distillerie Glenury Royal, fermée depuis quinze ans, et d’autres distilleries dites « fantômes », donc aux produits rares. Certains whiskies ont plus de cinquante ans. Chaque flacon est numéroté. 

Cet exemple est contagieux dans les Highlands. Si l’Irlande ressuscite la vogue du Powers (le whiskey historique des Dubliners) ou innove dans une île façon Hébrides (Lambay whiskey affiné en fûts de cognac de la maison Camus), la plupart des firmes pionnières travaillent la qualité profonde pour valoriser la marque. Ainsi en est-il de Cardhu, dans le Speyside, en Ecosse, la première distillerie au monde à avoir été dirigée par des femmes (1872). Le douze ans d’âge est une tentation à prix modique pour entrer dans l’univers fruité de la vallée de la rivière Spey. Dès lors, le nez converti aux notes boisées, il est facile de passer au Gold Reserve avant de se laisser séduire par les charmes de l’Amber Rock d’une élégance buissonnière avérée. 

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Lire aussi. 3 distilleries au cœur du triangle d’or du whisky écossais

L’apprentissage du whisky se fait par paliers. Oublié le soda des boîtes de nuit à teenagers d’autrefois. Place à la maîtrise des goûts et des saveurs. De là à tomber dans la « collectionnite » aux flacons rares, il y a de la marge. Le 25 octobre, on s’est arraché aux enchères chez Sotheby’s à Londres un Macallan Fine & Rare de 1926 pour 1,7 million d’euros. Et ce n’est pas de la fiction !

« Culture Whisky », de Patrick Mahé, éd. E/P/A, 35 euros. 

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