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Billet de blog 17 avril 2024

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La guerre fait fureur chez les capitalistes

Macron entend faire parler la poudre en promouvant une économie de guerre qui, selon lui, « produit de la richesse ». Si Jaurès jugeait que « le capitalisme porte en lui la guerre », c’est parce que les enjeux de pouvoirs et de profits qu’il génère ne peuvent se régler que par le conflit. Dès lors, les canons tonnent, les capitalistes sablent le champagne, les peuples trinquent.

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Munitions qui ont arrosé les tranchée de 1914-1918 © Etienne Mahler

Si les mandarins du complexe militaro-industriel sont des personnages plutôt discrets, ils ont un affidé qui sait traduire leur enthousiasme. En visite sur le futur site industriel du groupe public Eurenco de production de poudre détonante à Bergerac, Macron, chef de guerre et du capital français, a voulu exalter les foules avec le réarmement de notre industrie, en concluant que cela allait « produire de la richesse ».1 C’est exactement le raisonnement du capitalisme industriel qui voit toute guerre comme une opportunité de faire des affaires pétaradantes.

Les guerres redessinent les pouvoirs et donc le capitalisme, mais ne les anéantissent pas. « Le capital n’est pas lié au pouvoir. Il est, en lui-même, un mode de pouvoir », précisent Jonathan Nitzan et Shimshon Bichler dans leur livre Le capital comme pouvoir.2 Et dans un capitalisme de compétition, les enjeux de pouvoir sont inévitablement sources de conflits pour accaparer les ressources comme pour engendrer les profits. « La guerre est un moyen de prédation, elle est née lorsqu’on a voulu récupérer la fortune des autres. C’est l'exemple du film Les 7 samouraïs : la guerre a toujours pour volonté première de prendre ce que les autres ont », explique Jacques Fontanel, professeur émérite d’économie à l'Université Grenoble-Alpes.3 Quand l’économiste allemand et conservateur Werner Wombart (1863-1941), auteur de Le Capitalisme moderne (Der moderne Kapitalismus), estimait que les besoins militaires favorisaient l’essor de l’industrie et du système capitaliste, Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, jugeait que « la guerre […] n’est pas bonne pour l’économie, ni à court terme, ni à long terme ».4 Ce qui ne veut pas dire que les capitalistes n’en tirent pas bénéfice. Karl Marx, lui, considérait que les guerres étaient inhérentes au capitalisme. D’un côté une guerre d’ampleur détruit une partie du capital des rentiers, de l’autre elle favorise l’émergence de nouveaux riches qui prospèrent sur les conflits les plus sanglants. À commencer, bien entendu, par les fabricants et les marchands d’armes. La seule défense internationale contre l'offensive iranienne sur Israël, dans la nuit du 13 au 14 avril, a eu un coût estimé entre 1 et 1,5 milliard de dollars.

Nos champions tricolores, bien implantés dans les allées du pouvoir politique, quelle que soit sa couleur, se frottent les mains, car la France est un des tous premiers pourvoyeurs d’engins de mort dans le monde et que les marchés, intérieurs ou internationaux ouverts par nos présidents voyageurs de commerce, sont couverts par les finances publiques, ce qui sécurise ceux qui sont du bon côté du canon, moins ceux qui sont en face. D’ailleurs, face à l’offensive de Poutine, ces industriels ne se sont pas affolés en termes d’investissements, voulant s’assurer de commandes fermes des pouvoirs publics, ce malgré les injonctions martiales du général Macron à ce que les manufacturiers du pruneau investissent sur leurs propres deniers et malgré les menaces (à blanc) de réquisition du sous-général Lecornu. Le chef de l’État a bien entendu fait miroiter les emplois potentiels de cette industrie militaire en plein boum. Un ancien de chez Giat Industries (aujourd’hui Nexter SA), qui fabriquait les chars Leclerc à une époque où ils allaient dormir dans les casernes, à qui je posais la question de savoir ce qui le motivait à se lever le matin, me répondit : « Faut bien qu’on mange ». Sachant que, hormis l’ingénierie, la fabrication d’un char ou d’un canon Caesar réclame les mêmes métiers que pour produire un pont métallique, une machine à laver ou une bagnole, faut-il que de pauvres hères, des innocents, des familles entières soient massacrés pour que les enfants d’ouvriers de pays riches aient le droit d’avoir leur ration de patates dans leur assiette ? C’est ce que Macron et ses amis capitalistes tentent de faire croire en occultant tout débat démocratique sur les ventes d’armes, comme sur les engagements militaires du pays.

Dispersion des armes aux quatre vents des conflits

En principe réglementé et surveillé par les états – dans une grande opacité puisque, en France, parlementaires, et encore plus les contribuables, sont privés de droit de regard ‒ le capitalisme de l’armement sait aussi passer par la bande. L’effervescence actuelle sur les marchés des armes en tout genre, active toute une nébuleuse d’intermédiaires, de trafiquants, de porteurs de valises, de criminels, de chefs de guerre. Si des ateliers clandestins existent dans les zones grises de la planète (Pakistan, Somalie…), la grande majorité des armes en circulation dans le monde est fabriquée de manière très officielle et rentre dans le PIB et sa croissance, si chers aux pouvoirs économiques et politiques. Comme les cigarettiers ou les multinationales des OGM favorisent, pour ne pas dire encouragent, les trafics et les filières parallèles afin d’occuper des marchés difficiles à pénétrer (barrières légales, culturelles, religieuses), les marchands d’armes occupent les terrains d’opération par tous les moyens : officiels comme le lobby des armes aux États-Unis, ou clandestins avec les guérillas, les guerres civiles, la grande criminalité mondialisée dans le sillage du capitalisme. « Le trafic d’armes légères est un facteur déterminant dans l'atteinte à la paix et à la sécurité », déclarait le Directeur de l'Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) lors d’une réunion ministérielle du Conseil de sécurité en 2021.5 « Tout au long du cycle de vie des armes et des munitions, de leur production à leur utilisation finale, il existe des moments où elles peuvent être détournées ou faire l'objet d’un trafic à destination de groupes armés non étatiques, de criminels et d’acteurs terroristes […] en commettant de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, ainsi que des violences à l’encontre des femmes et des enfants dans divers contextes ». Lorsque Sarkozy a ordonné une intervention militaire en Libye en 2011, il a voulu ignorer les conséquences d’un effondrement du pouvoir et de la dissémination des arsenaux de Khadafi (en partie alimentés par de la fabrication française, cocorico!), ce qui a fait le bonheur des fous d’Allah et des trafiquants de tout poil. L’embargo mis en place sur la Libye par la suite a été reconnu « totalement inefficace » par un groupe d’experts de l’ONU. « Les embargos obligatoires sur les armes, imposés par le Conseil de sécurité sont mis à mal par les violations commises par des acteurs non étatiques et même par des membres des Nations Unies », a constaté Mme Devoto, membre la Coalición Armas Bajo Control (Coalition pour le contrôle des armes) d'Argentine, une coalition de 150 organisations de la société civile, lors de la même réunion ministérielle du Conseil.

Peu importe les conséquences, l’éthique des oligarchies militaro-capitalistes est de contribuer à la croissance du PIB mondial et d’engranger les profits. Dans les nombreuses boucheries en cours (Soudan, Yémen, Ukraine, Gaza, Éthiopie, Birmanie, etc.), ils ne doutent pas qu’il restera suffisamment de survivants pour devenir des clients… Lorsque, par bonheur, les armes se taisent enfin (il faut bien refaire les stocks), une autre vague de capitalistes prend le relais. Avant même que les canons cessent de massacrer, les géants du BTP sont déjà sur les rangs pour la reconstruction de l’Ukraine et sans doute dans les starting-blocks pour rebâtir Gaza, toujours sur argent public dispensé par la communauté internationale. Les contribuables des pays fournisseurs d’armes de destruction contribueront aussi aux bénéfices des bétonneurs qui n’ont pas l’intention d’y mettre de leur poche en solidarité avec les civils gazaouis ou ukrainiens. Le réarmement fait le bonheur d’un capitalisme mondial empêtré dans les crises (Covid, énergie, perturbations des routes marchandes…), mais dont nombre de ses membres trouvent des filons à exploiter sur le dos des populations les plus fragiles. Certains gagnent cher en bourse en jouant sur les faillites, les conflits, les crises.

Certains pouvoirs politiques, autoritaires mais fragiles, ont intérêt à provoquer une guerre pour consolider leur autorité et rassembler, parfois par la force, leur peuple, construisant un roman national, brandissant un risque vital pour la nation. C’est le cas de Poutine. Nul ne sait si son pouvoir survivra au conflit, mais ce qui est certain, c’est que des oligarques tireront les marrons du feu, quelle qu’en soit l’issue. Ce qui est certain également, c’est que la jeunesse hachée sur la ligne de front n’est pas la jeunesse dorée de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Le capitalisme et les riches élites savent faire la part des choses.

Rajout 17/04 à 13h45 : estimation de la riposte à l'offensive iranienne (LCI 17/04).

Illustration 2
acrylique sur toile 2016 © antoine wentzler

1. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/04/12/a-bergerac-emmanuel-macron-defend-une-economie-de-guerre-qui-produit-de-la-richesse_6227303_823448.html (payant).

2. Jonathan Nitzan & Shimshon Bichler, Le capital comme pouvoir, 2012, éd. : Max Milo. Les deux auteurs sont professeurs d’économie politique, le premier à l’université d’York (Canada), le second dans diverses universités israéliennes.

3. Une bonne guerre, et ça repart ! Sur France Culture (04/02/2019). Jacques Fontanel est auteur de L’économie des armes, 1983, éd. La Découverte.

4. Joseph E. Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, 2003, éd. Le livre de poche. Joseph E. Stiglitz a été Nobel de l’économie conjointement avec Georges Akerlof et Michael Spence pour leurs travaux sur « les marchés avec asymétrie d'information ».

5. https://news.un.org/fr/story/2021/11/1109162.

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