Le président de LR Éric Ciotti le 15 mars 2023 à l'Assemblée nationale à Paris

Le président de LR Éric Ciotti le 15 mars 2023 à l'Assemblée nationale à Paris.

afp.com/Ludovic MARIN

"Parti de gouvernement." Eric Ciotti aime définir ainsi Les Républicains (LR) depuis son élection à la présidence du parti. Difficile de définir ce concept, plus proche du lieu commun médiatique que du terme scientifique. Pour se prévaloir de cet attribut, quelles qualités un mouvement politique doit-il arborer ? Avoir exercé le pouvoir dans un passé récent, s’inscrire dans un cadre républicain ou appartenir au "cercle de la raison" cher à Alain Minc ? Qu’importe l’ambiguïté de la formule : LR s’accroche à cette qualité, survivance d’un passé glorieux, pour justifier son existence. Modeste bouée de sauvetage d’un parti tombé à moins de 5 % des voix lors de la dernière présidentielle. Le patron des députés LR Olivier Marleix se méfie de la notion, mais vante la "cohérence" et l’esprit de "responsabilité" de sa formation. La "cohérence" exige fidélité aux convictions et unité. La "responsabilité" a une teinte idéologique pour un parti attaché à une gestion rigoureuse des comptes publics.

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La stratégie Ciotti en échec

La réforme des retraites a fait voler en éclat ce bouclier. Seule une grosse moitié du groupe LR était prête à voter le texte, contraignant l’exécutif à dégainer l’article 49.3. 19 élus ont même voté la motion de censure du groupe Liot, au mépris des consignes officielles. "Plus rien ne me lie à ces gens", constate la députée de Savoie Emilie Bonnivard. Ces divisions rendent illisible la ligne de LR et portent un coup rude à la stratégie d’Eric Ciotti. Le soutien du député des Alpes-Maritimes au projet de loi poursuit une ambition : reconquérir les électeurs de droite partis chez Emmanuel Macron au moyen d’un discours réformateur. "Mon attitude sur les retraites, au-delà du fond, vise à ne pas nous priver de ces gens", confie-t-il en privé.

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C’est raté. Le Niçois a échoué à son premier grand test à la tête de LR. "On avait les moyens de se distinguer de Le Pen en montrant notre sérieux, mais je pense qu’on a donné beaucoup d’air au RN. Une partie de notre électorat libéral risque de désigner Macron comme le super réformateur", déplorait dès février le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau. Oublié le programme de Valérie Pécresse de retraite à 65 ans ! Aux orties, l’ode au libéralisme de François Fillon ! Le changement de pied d’une frange de LR est déroutant. Qui imagine La France insoumise se déchirer sur la hausse du smic ? "Nos collègues sénateurs ont voté le texte et une majorité des députés LR défendait cette réforme, tempère Olivier Marleix. Après, l’électeur de droite peut s’étonner que certains aient fait entendre des sons différents." Doux euphémisme d’un homme à la tâche impossible.

Glissement sociologique

Cette fracture prend racine le 19 juin 2022. 62 députés LR survivent aux élections législatives. La contraction numérique est géographique : la droite parlementaire s’efface des zones urbaines et des grandes agglomérations. Elle est balayée en Ile-de-France et dans la face ouest du pays. Les élus sont surtout issus de territoires populaires, hostiles à Emmanuel Macron. "Il y a un décalage entre les circonscriptions LR et l’électorat de droite", note un cadre du parti.

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Aucune campagne nationale n’est menée après la déroute de Valérie Pécresse. Ces députés doivent leur victoire à leur ancrage local et en tirent une liberté décuplée. "Ciotti n’a pas d’autorité car nous sommes des autoentrepreneurs", note le député du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont. Olivier Marleix ne s’y trompe pas et garantit aux députés LR une liberté de vote lors de sa campagne pour la présidence du groupe. Glissement sociologique d’un côté, indépendance de l’autre : les ingrédients de la crise sont là.

Le groupe LR ne se saisit pas du dossier des retraites à la rentrée. Une erreur, estiment a posteriori plusieurs élus. La patate chaude débarque au pire moment, lors de la campagne interne pour la présidence du parti. Apôtre d’une droite populaire, Aurélien Pradié rejette le report de l’âge légal au profit d’une hausse exclusive de la durée de cotisation. Bruno Retailleau campe sur la première option. Les retraites deviennent un objet politique, où convictions et posture s’entremêlent.

Une compétition interne mortifère

"Le débat a été pollué par ce calendrier interne", constate Olivier Marleix. Il gagne le groupe LR en décembre, lorsqu’une succession de réunions met en lumière les fractures internes. La droite se mue alors en une curieuse aile gauche du macronisme. Elle multiplie les revendications sociales envers le gouvernement et esquisse un compromis interne autour d’elles. A Matignon, Elisabeth Borne observe ce groupe aussi insaisissable que crucial. Maudite majorité relative ! En privé, elle résume son insoluble équation. "Nous devons travailler avec eux, ils réclament une réforme des retraites depuis longtemps. Mais LR considère que s’associer au gouvernement les fragilise en vue de 2027."

La Première ministre, pragmatique, sait compter. Elle lâche plusieurs concessions à LR avant la présentation de son texte. Un accord est conclu avec son état-major, obsédé par sa "crédibilité" de "parti de gouvernement". Mais rien n’est simple à droite. Aurélien Pradié et ses proches refusent d’adouber la copie gouvernementale et mettent une pression maximale sur l’exécutif pour de nouvelles avancées. L’ambition dévorante du Lotois ne fait aucun doute. Mais l’homme, élu dans une terre de gauche, revendique une divergence stratégique avec Eric Ciotti. Il juge que le salut de la droite passe par une reconquête des classes populaires au moyen d’une rupture franche avec le macronisme. En privé, il peste contre l’empressement de la direction à "dealer" avec l’exécutif et promet d’"achever idéologiquement" Bruno Retailleau. "Si on ne porte pas une droite populaire et sociale, on va envoyer des électeurs chez Le Pen", explique Pierre-Henri Dumont. A chacun sa vision d’un parti de gouvernement.

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Les élus sont le produit de leur sociologie électorale. La contestation monte dans le groupe à mesure qu’elle gagne le pays. La fracture entre la droite "d’en haut" et celle "d’en bas" se révèle le 14 février, lors d’un bureau politique de LR. Les chapeaux à plumes y approuvent massivement le report de l’âge légal à 64 ans. Tant pis pour les doutes des députés et d’une part notable des sympathisants LR. "Notre électorat est composite, note le vice-président de LR Julien Aubert. La moitié des gens votent pour nous car ils se disent qu’on est un parti de gouvernement responsable. L’autre moitié souhaite voter pour un parti d’opposition à Macron qui ne soit pas le RN. La hiérarchie de LR n’est pas représentative de la fracture dans l’électorat." Ces fractures ne seront jamais comblées.

"Cela ne peut pas continuer comme ça pendant quatre ans"

A droite, la tentation de refaire le film est grande. De l’avis général, les députés n’ont pas été assez associés à la négociation gouvernementale, qu’ils ont souvent suivie dans la presse. On reproche à Olivier Marleix ses carences managériales ou à Eric Ciotti d’avoir trop choyé Aurélien Pradié et sa surenchère permanente. Son éviction du poste de n° 2 de LR n’arrivera qu’au lendemain de la fin des débats à l’Assemblée. "Ils sont allés, comme les bourgeois de Calais, porter ses demandes à Borne", raillait en février un pilier LR.

L’issue aurait-elle pu être différente ? Rien n’est moins sûr. La composition du groupe LR portait les germes de la division, tout comme l’absence de leadership d’Eric Ciotti, guère aidé par la discrétion de Laurent Wauquiez. La droite parlementaire s’est engluée dans un dilemme mortifère, entre logique politique et esprit de cohérence. "De la schizophrénie, notait début mars Emilie Bonnivard. On est dans l’opposition et on doit voter une réforme très impopulaire pour être en cohérence avec nous-mêmes."

Cette scission interroge l’avenir de LR. Que relie un parti divisé sur un sujet aussi génétique ? Le groupe LR n’est-il pas devenu un collectif de maires siégeant à l’Assemblée nationale ? "Cela ne peut pas continuer comme ça pendant quatre ans", tranche le député de l’Indre Nicolas Forissier. "On ressemble de plus en plus au parti radical. Un parti d’élus locaux qui défendent leur circonscriptions et n’ont plus l’ambition d’avoir une aventure collective majoritaire", se désole un député. Cet état d’esprit risque de discréditer l’héritier de l’UMP. Lors d’une réunion de groupe, le député de Côte-d’Or Hubert Brigand lançait le 14 mars à Olivier Marleix : "Je ne veux pas briller à Paris, mais chez moi." La phrase est aussi juste que cruelle pour la droite.

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