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20 juin 2000 : Louisette Ighilahriz raconte comment elle a été sauvée de la torture par un inconnu pendant la guerre d'Algérie

Le 20 juin 2000 paraît à la « une » du « Monde » un court article : une ancienne combattante algérienne raconte comment elle a été sauvée de la torture par un inconnu

Par Propos recueillis par Florence Beaugé

Publié le 28 juillet 2014 à 15h01, modifié le 28 juillet 2014 à 15h35

Temps de Lecture 3 min.

Des personnalités racontent une histoire singulière qu'ils ont eue avec « Le Monde »

Le 20 juin 2000 paraît à la « une » du « Monde » un court article qui va déclencher en France un retour de mémoire inattendu sur la guerre d’Algérie : une ancienne combattante algérienne, Louisette Ighilahriz, raconte comment, quarante ans plus tôt, elle a été torturée dans les locaux de la 10e division parachutiste (DP) du général Massu, à Alger. C’est un inconnu, un certain commandant Richaud, qui l’a sauvée

Cet article a fait basculer ma vie. Il n’était pas dit en toutes lettres que j’avais été violée mais on pouvait le comprendre. En Algérie, je n’avais jamais pu dire ma honte, mon déshonneur. Et voilà que, brusquement, on me libérait de cette chape de plomb. Avec mon mari, il n’y a pas eu de problème. Il voulait depuis longtemps que j’évacue ce lourd fardeau. Mais mes enfants, eux, ont très mal réagi. Ma fille a fait une grave dépression. Quant à mon fils, il s’est brouillé avec moi. Une femme qui dévoile l’innommable, ce n’est pas envisageable dans le milieu qu’il fréquente. Il ne me l’a jamais pardonné. En France, le regard n’est pas le même. Une femme violée est une victime. Mais, dans les rangs de l’armée française, les réactions ont été très violentes. Le général Bigeard et le général Schmitt m’ont traitée de menteuse et d’affabulatrice. Bigeard, je m’en souviens, disait qu’il n’aurait même pas été capable de tuer une poule !

Paradoxalement, c’est Massu qui m’a aidée. C’est lui qui a authentifié l’existence du commandant Richaud (Le Monde du 22 juin 2000), que je recherchais depuis des années. J’ai ainsi découvert qui était mon sauveur : le médecin militaire de la 10e DP. J’ai appris qu’il était mort en 1998. Plus tard, je suis allée sur sa tombe, à Cassis-Mussuguet.

En Algérie, j’ai vécu recluse au lendemain de l’article. Je ne supportais pas les regards des gens. Ils semblaient me dire : « Comment as-tu osé ? » Comme si j’étais une dévergondée, comme si j’avais provoqué ces viols… J’ai compris, longtemps plus tard, pourquoi mes amies de l’époque, anciennes moudjahidates comme moi, avaient refusé de me soutenir et de témoigner à leur tour. Dire le déshonneur qu’on a subi, on le paye cher en Algérie. Le fait que j’étais psychologue de profession ne m’a pas aidée. On n’est jamais psychologue pour soi-même…

Pourtant, je n’ai jamais regretté d’avoir parlé. Ça a libéré tant de consciences en France et a fait avancer tellement de choses ! L’historien Pierre Vidal-Naquet m’a dit, quelques années avant sa mort, au moment du procès contre le général Aussaresses [poursuivi en France pour « apologie de la torture » en 2002] : « Merci, Louisette, pour ton témoignage et tout ce que tu as fait ! »

Je suis en paix

En Algérie, les regards sur moi ont changé. Ils ne sont plus accusateurs mais peinés. Les gens me sourient, m’embrassent, m’offrent des fleurs et me remercient. Les moudjahidates se taisent mais ne sont plus ouvertement critiques. Dans l’ensemble, les hommes sont avec moi !

Ma fille a pu reprendre son travail. Mon fils est resté sur ses positions. Mes sœurs sont fières de moi… Moi, je vais mieux. J’ai moins de cauchemars la nuit. Je dors toujours avec des somnifères, sinon je ne fermerais pas l’œil.

Mais, à 78 ans, qu’espérer d’autre ? Au moins, quand je dors, il n’y a plus de violence. Je suis en paix, même s’il restera toujours des déchirures en moi.

Je souhaite toujours que la France reconnaisse ce qui s’est passé. Le général de Bollardière [célèbre militant contre la torture, mis aux arrêts en avril 1957 pour avoir dénoncé les procédés d’une partie de l’armée française] n’a toujours pas été réhabilité. S’il l’était, ce serait comme si la France admettait enfin qu’elle a torturé à grande échelle pendant la guerre d’Algérie et utilisé le viol comme moyen de torture. Le viol, c’est ce qu’il y a de pire pour une femme : c’est la négation d’elle-même.

Lire aussi : l'article du 20 juin 2000, intitulé « Torturée par l’armée française en Algérie, “Lila” recherche l’homme qui l’a sauvée »

Demain : Marion Larat, victime de la pilule de troisième génération.

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