L’incroyable épopée des méharistes français

Disparues avec la fin de l’aventure coloniale française en Algérie, les compagnies méharistes sont indissociables de la conquête du Sahara. Retour sur une épopée où dominent l’audace, l’aventure et l’exotisme.

-> Retrouvez cet article et ses compléments dans le dossier consacré aux Quatre coins du monde, le premier tome du nouveau diptyque de Hugues Labiano publié dans le numéro 17 de BDSphère.

1913. L’Europe somnole, encore ignorante du terrible conflit qui va l’ensanglanter. A l’exemple du sous-lieutenant Dupuy, héros des Quatre coins du monde – le nouveau diptyque du dessinateur Hugues Labiano- de jeunes officiers français intrépides rejoignent à cette époque les compagnies méharistes sahariennes, fraîchement installées aux confins du Hoggar. Bien décidés à aller au bout de leurs rêves d’aventure, ces hommes veulent partager la vie de ces guerriers sillonnant, montés sur des dromadaires, les immensités désertiques du Sahara à la poursuite des pillards et des tribus rebelles.

Plus de 80 ans après le débarquement des troupes françaises en Algérie, le désert et ses habitants conservent encore au tournant du siècle une grande part de leurs mystères. Le massacre en 1881 aux environs de Tombouctou de la mission commandée par le lieutenant-colonel Flatters a interrompu pour un temps les velléités de conquête de ceux qui souhaitaient jeter un pont entre les colonies françaises du Maghreb et celles de l’Afrique occidentale française, grâce à un chemin de fer qui aurait relié la côte méditerranéenne au Sénégal. Les populations sahariennes, Touaregs, Chaâmbas et Bérabers, qui voient d’un très mauvais œil les incursions sur leur territoire, n’hésitent pas à s’opposer par d’habiles coups de mains aux colonnes militaires françaises, certes puissantes, mais peu préparées à déjouer leurs traquenards. Il faudra attendre le succès de la mission qui, conduite par Fernand Fourreau et François-Joseph Lamy, parviendra à relier Alger au lac Tchad, pour que la métropole renoue avec l’idée d’une Afrique française unifiée. L’odyssée du capitaine Pein, qui réussit à occuper l’oasis d’In Salah dans la région du Tidikelt à la veille du 1er janvier 1900, ouvre la voie à l’occupation et à la soumission de l’ensemble des palmeraies du sud algérien. Entretemps, une loi de décembre 1894 a donné le feu vert à la création de troupes sahariennes composées de spahis et de tirailleurs. En saharien averti, chargé de pacifier ces territoires nouvellement conquis, François-Henry Laperrine, alors chef d’escadron, réussit à convaincre son état-major de remplacer ces unités, peu rompues aux difficultés du désert, par des escouades aguerries, composées de nomades, recrutés sur place, encadrés par des officiers aux affaires indigènes et tenus de pourvoir eux-mêmes à leur nourriture, vêtements et remonte.

LA REVANCHE DE TIT

L’existence de ces groupes est officialisée par un décret en date du 1er avril 1902. Naissent ainsi trois compagnies sahariennes, lesquelles établissent leurs bases dans les palmeraies du Tidikelt, du Touat et du Gourara, tombées récemment entre les mains des forces coloniales. Elles sont à peine sur pied qu’une colonne commandée par le lieutenant Cottenest inflige le 7mai 1902 à Tit, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Tamanrasset, au cœur du massif du Hoggar, une sanglante défaite aux Touaregs, jusqu’ici réputés invincibles.

Les méharistes français à la conquête du Sahara 1900-1930, Daniel Grévoz, L’Harmattan, 200 pages, 19 euros

Ce succès militaire, considéré comme une revanche de la déroute de l’expédition Flatters, ouvre aux Français la région du Hoggar, restée jusqu’ici inexpugnable. Le raid du lieutenant Cottenest inaugure le mode opératoire des troupes sahariennes, pensées comme des tribus nomades militairement encadrées, mais formant des corps réguliers de l’armée, à la différence des supplétifs que furent les goumiers. « Audace, détermination, bonne connaissance des populations et des mœurs indigènes en sont les traits principaux », écrit Daniel Grévoz dans Les méharistes français à la conquête du Sahara (1900-1930). Sans être reconnues comme des corps d’élite, les formations en charge de conquérir le Sahara vont désormais accueillir des officiers et sous-officiers, volontaires enthousiastes qui souhaitent conjuguer action et érudition, prêts à partager les conditions de vie austères des habitants du désert. Tout au long de la première moitié du XXe siècle vont ainsi se succéder sur ces vastes territoires de petites opérations militaires sans jamais que celles-ci ne donnent lieu à une manœuvre d’ensemble. Raids de reconnaissance, opérations de police seront le lot quotidien de ces unités militaires.

Cependant, le vieux rêve de la jonction des possessions françaises entre le Maghreb et l’Afrique noire va être réalisé, ce qui ne va pas sans heurts avec les troupe de l’infanterie coloniale qui contrôlent l’Afrique noire et voient d’un mauvais œil ces militaires venus du Nord s’immiscer dans leurs affaires. Avec la conquête, la région n’est pas pour autant pacifiée. La vie des compagnies méharistes dans le grand sud algérien est en permanence émaillée d’incidents avec les groupes de pillards qui rançonnent systématiquement caravanes et sédentaires. Dans ce territoire immense qu’elles reconnaissent par des méharées incessantes, les troupes sahariennes font preuve d’un courage immense, vivant de peu à la manière de leurs adversaires, ce qui les rend particulièrement efficaces. Leur organisation est modifiée au fur et à mesure des ralliements indigènes à la cause française et de la sécurisation des différentes zones. Grâce à la diplomatie de Laperrine, devenu général, et à l’action pacifique de son ami, le père Charles de Foucauld, l’axe central du Sahara est à peu près sécurisé au lendemain de la Première guerre mondiale.

GLORIEUSE CITATION

Durant l’entre-deux guerres, les méharistes soutiennent à terre les raids de l’aviation balbutiante, alors que des véhicules automobiles commencent à remplacer le dromadaire sur les longues distances. La première compagnie saharienne motorisée est ainsi crée à l’été 1935 dans les Ajjers.  Au cours de la seconde guerre mondiale, les compagnies méharistes sahariennes participeront de manière décisive aux opérations du général Leclerc. Elles se distingueront notamment à Ghat en janvier 1943 contre les troupes italiennes. La citation à l’ordre de l’armée qui leur a été attribuée lors de leur cinquantenaire en 1952 est explicite : « Glorieuses unités, n’ont cessé de maintenir, après les avoir établies, la paix et la présence française de l’Atlas au Niger et des confins marocains aux frontières de Tripolitaine. Entre deux guerres mondiales, ont veillé sans défaillance à la sécurité et à l’intégrité des immensités sahariennes. En 1942-1943, en particulier, réussirent à s’opposer aux attaques d’un adversaire supérieur en nombre et doté d’un matériel puissant, qui cherchait à pénétrer dans le Sahara orient. Puis, en prenant l’offensive, participèrent brillamment à la prise de Ghat. On fait preuve ne toutes circonstances des plus belles qualités militaires et constituent un exemple de ce que peut l’esprit d’entreprise et de sacrifice d’un petit nombre d’hommes au service d’une grande cause ».

LA FIN DE L’AVENTURE COLONIALE

Après une ultime réorganisation, les compagnies méharistes sahariennes vont disparaître avec la fin de l’aventure coloniale française en Algérie. Depuis plusieurs années déjà, le Sahara avait commencé à leur échapper. Là comme ailleurs, la marche inexorable du progrès a balayé les méharées épiques et les chasses palpitantes aux rezzous. D’immenses, les étendues désertiques du sud algérien se sont progressivement rétrécies au rythme du traçage des routes, du découpage des frontières et de l’ouverture des terrains d’aviation. La découverte du pétrole dans les années 1950 n’a fait que précipiter un mouvement inéluctable, révélant la richesse d’un territoire que les méharistes n’imaginaient certainement pas. Il reste aujourd’hui la nostalgie de cette glorieuse épopée que sait si bien faire revivre Hugues Labiano dans Les Quatre coins du monde.

Philippe Guillaume

Les Quatre coins du monde, T1 d’Hugues Labiano disponible dans notre librairie