Justin K. Broadrick, guitariste et chanteur de Godflesh

" J'adore abuser des machines ! "


Alors que le nouvel album de Godflesh vient de sortir après des années de torpeur discographique, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Justin K. Broadrick par Skype. Très sympathique et bavard au possible, il nous a parlé longuement de A World Lit Only By Fire, mais aussi de la carrière de Godflesh, d'accordage, mais aussi de sa passion pour Killing Joke, de sa malchance avec le Hellfest et même de sa foi. Un entretien fleuve, qui ravira les fans comme les nouveaux dans l'univers musical de l'anglais originaire de Birmingham.

Donc, A World Lit Only By Fire est votre premier album avec Godflesh depuis treize ans. Il me semble que tu avais déclaré que cet album serait probablement différent de tous ceux que vous avez sortis jusqu’à présent. Maintenant que c’est fait, est-ce que tu penses en effet qu’il est différent ?

Hum, je ne me souviens pas avoir dit qu’il serait vraiment si différent. Je voulais avant tout un album qui soit acceptable par rapport à l’œuvre de Godflesh dans son ensemble, et qu’il y tienne une place importante. Je voulais aussi qu’il ait la même approche musicale que les trois ou quatre premiers albums, et ainsi revenir vers le son d’origine, minimaliste de Godflesh, avec la batterie programmée. En fait, s’il y avait un point sur lequel je voulais que A World Lit Only By Fire soit différent, c’était par rapport aux trois derniers albums. Je ne les aime plus tellement aujourd’hui, justement parce que je pense qu’ils s’éloignent de l’essence musicale de Godflesh.

Comment as-tu ressenti le fait d’écrire à nouveau pour Godflesh après tant d’années ?

J’avais vraiment très envie de recommencer ! J’étais très excité à l’idée de composer de cette manière à nouveau. Je crois que ça m’a manqué… Tu sais,  Godflesh est un pan énorme de ma vie, quand on y réfléchit : j’ai commencé à la fin de la fin de mon adolescence, et jusqu’au début de ma trentaine, ce groupe a joué un rôle central dans mon existence et mon expression créative. Ca a aussi été très thérapeutique pour moi, parce que Godflesh est empreint de négativité, et c’était un moyen de la combattre. Mon autre projet, Jesu (NDRL : Justin prononce « yaïzou ») est très différent, même s’il a un certain nombre de points communs avec Godflesh. C’est beaucoup plus sombre, moins agressif, et je crois que j’avais vraiment envie de revenir vers ce type de musique, ultimement le faire avec Godflesh, et pas un énième nouveau projet.

Est-ce que revenir à Godflesh fait que tu te sens plus jeune ?

Pour être honnête, je crois que je suis content de ne pas me sentir jeune à nouveau ! [rires] Le premier EP de Godflesh a été fait quand j’avais aux alentours de 18 ans, et Streetcleaner quand j’avais à peu près 19, 20 ans. Ce ne sont pas des albums qui évoquent une crise d’adolescence, des anxiétés ou la rupture avec une copine, des thèmes un peu futiles en somme. Non, ces albums sont avant tout dotés d’un point de vue général plein de désillusions et de désenchantement sur le genre humain. Et aujourd’hui, mon point de vue n’a pas vraiment changé, même si je suis plus âgé : l’Homme aime dominer, agresser ses semblables et gouverner par la force, rien n’a changé. Donc non, ce retour à Godflesh ne me fait pas me sentir plus jeune, ce n’était pas le but d’ailleurs. En fait, je pense que faire de la musique aide à garder une forme de jeunesse, parce que quel que soit ton âge, rien ne t’empêche d’en faire. Après, c’est vrai que j’aimerais être plus jeune pour continuer plus longtemps ce que je fais ! [rires] J’aimerais aussi être en meilleure forme physique, car il est un peu plus difficile de continuer Godflesh en étant plus vieux. Mais à part ça, je suis content d’avoir plus d’expérience qu’en étant jeune, parce que j’ai une perception plus claire et mojns adolescente des choses, et je pense que c’est mieux ainsi.
 

Godflesh, A World lit only by Fire, 2014, interview, français,


Cette année, c’est donc votre deuxième sortie avec Godflesh, puisque l’EP Decline and Fall est sorti il y a quelques mois !

En fait, quand on a enregistré, on s’est retrouvé avec énormément de musique, et on savait que tout n’irait pas sur l’album. On a donc décidé de faire un album et un EP, et de sortir l’EP d’abord. Nous aimons les EPs, c’est un format de création très pertinent et adapté, et ce n’est pas une déclaration aussi forte qu’un album. Un EP est à peu près la moitié de cela, donc nous savions que nous pouvions faire quelque chose de plus varié, un peu plus expérimental. On apprécie aussi le fait que le public ne considère pas un EP avec la même importance qu’un album. Les gens ont en fait tendance à accorder beaucoup d’attention aux albums, ce qui me va aussi. J’aime les deux formats.

Il me semble que tu aimes développer une idée précise pour chacune de tes sorties. Quelles sont les idées fortes derrière l’EP et l’album ?

Oui, c’est plutôt vrai que j’aime travailler de cette manière.  Pour l’album, nous voulions quelque chose de différent de l’EP, avec un côté plus monolithique, à la fois très brutal et direct.
Je crois d’ailleurs que Godflesh n’est pas un groupe qui passe son temps à faire la même chose en permanence. Même si cet album est très proche de nos débuts, nous pensons toujours faire quelque chose de contemporain. Avec le recul, nous pensons que Godflesh a un son unique, pour ainsi dire, et nous n’avons pas ressenti le besoin faire sonner ça comme autre chose. On a voulu faire ce que l’on sait faire, tout simplement. D’un côté, on sent que l’album a un côté frais et nouveau très appréciable, mais de l’autre, on ne fait que reprendre la route là où on s’était arrêté. Je dirais même qu’on la reprend la route prise au moment où on a fait Selfless, il y a vingt ans. C’est un album important pour nous, puisque c’est le dernier où il y a juste moi, G.C. et la batterie programmée. Nous voulions revenir vers ça, et c’est ce que l’on a fait.

Quelle est la signification du titre « A World Lit Only By Fire » ?

Déjà, je peux te dire que l’album a un deuxième titre, qui est «  A World Always Lit By Fire ». Cela fait référence au fait que, selon nous, l’homme, que ce soit dans le passé, le présent ou le futur, vit dans un monde dans lequel règnent la violence, l’agression et le carnage. Je pense que pas mal de personnes peuvent être d’accord avec ça. On se résigne sur le fait que tout ce que l’humanité a accompli est construit sur des années et des années de massacre au nom de Dieu, sur la domination d’autrui… Ce n’est pas une déclaration très joyeuse, je te le concède ! [rires] C’est tout simplement accepter ce que nous sommes, accepter ce qu’est l’Homme. Dès que l’Homme est sorti d’une caverne, il a frappé d’autres avec une pierre pour aller prendre ce qu’il désirait, ou ce que d’autres désiraient. L’humanité n’a pas changé depuis cette époque. Peu importe les progrès technologiques, rien n’a changé aujourd’hui : il y a toujours des gens qui perpètrent des atrocités sur autrui. Nous ne proposons pas de solution par rapport à cela, on propose de se résigner et d’accepter la triste condition de l’humanité. Et cet album n’est autre que la bande-son de cette triste constatation, de la surcharge de l’existence.

Comment est-ce que cet album a été écrit ? Est-ce que vous avez changé votre méthode de composition d’une manière ou d’une autre ?

Presque pas. Vraiment. Même avec toutes les nouvelles technologies disponibles en studio aujourd’hui. Je travaille toujours de la même manière, dans notre propre studio, comme je le faisais déjà à la fin des années 80. Je me pose dans le studio, avec une guitare branchée dans un ampli et une batterie programmée, et j’écris. La seule chose qui ait réellement changé est la facilité avec laquelle on peut enregistrer aujourd’hui. C’est bien moins galère que ça l’était dans le passé. Aujourd’hui, tout est plus facile et rapide. J’écris toujours des chansons en me basant sur un riff de guitare, ou sur un rythme de batterie. D’ailleurs,  Godflesh pourrait facilement se résumer à ça : 50 % de riffs et 50 % de rythmes. Comme n’importe qui écoutant le groupe peut s’en douter, tout est concentré sur le groove. Tu vois, la plupart du temps, j’écris un rythme qui nous plaît, et j’essaye de reproduire ce rythme en utilisant la guitare et la basse. On n’essaye pas du tout de faire quelque chose d’alambiqué ou de progressif, ça ne nous intéresse pas. Tout ce qu’on cherche, c’est essayer de trouver du groove du rythme, avec une approche mécanique, mais avec la guitare. Après, même si la méthode n’a pas changé, je pense aussi qu’on est devenus meilleurs dans ce qu’on fait, ayant plus d’expérience.
 

Justement, est-ce que tu procèdes de la même manière pour composer dans les autres projets musicaux que tu as pu entreprendre tout au long de ta carrière ?

Mes autres projets sont différents. Sur certains, j’utilise justement les technologies que je me refuse à employer avec Godflesh. Ces projets ne pourraient pas exister sans les avancées technologiques de studio de ces dernières années. Godflesh pourrait, puisque nous n’avons besoin que d’une guitare, une basse et une batterie programmée. Et les batteries programmées existant depuis les années 80, nous pouvions exister depuis cette époque. Pour ce qui est du processus de composition, je ne travaille pas du tout de la même manière. Par exemple, pour Jesu, il m’arrive de composer en acoustique parce que c’est très centré sur la mélodie, tout en étant joué avec une approche très lourde. Parfois, une chanson de Jesu va naître à partir d’un sample. Ca ne pourrait pas fonctionner avec Godflesh, il me faut une guitare amplifiée pour pouvoir écrire cette musique. Et avec Jesu, je ne pars jamais d’un rythme pour composer, ce qui est encore une grosse différence. Sinon, j’ai un autre projet, JK Flesh, qui ne peut exister que grâce aux technologies moderne pour produire de la musique électronique. C’est très extrême, et pour être bref, dans ce projet, j’utilise tout ce qui me tombe sous la main et que je peux utiliser ! Donc parfois, je peux avoir envie d’être très minimal pour mon travail de composition, mais j’adore aussi les myriades de possibilités qu’offre la technologie actuelle. J’adore abuser des machines ! [rires]

A l’écoute, on sent que la guitare est beaucoup plus mise en avant. Le nouvel album a aussi un côté très direct et rentre-dedans. Est-ce que c’est ce que tu es d’accord avec cela et était-ce voulu ?

Oui, absolument ! L’album dans son ensemble a été pensé pour être exactement comme tu viens de le décrire. Clairement, tout a été conçu de manière à être rentre-dedans. La guitare et la basse sont très, très directes et insistantes, et… [il réfléchit] En fait, ouais, je suis complètement d’accord avec ton observation ! C’était vraiment  intentionnel que cet album soit ainsi. On voulait aussi qu’il soit très minimal et dépouillé. L’idée derrière Godflesh n’est pas d’être progressif. En fait, on est presque un groupe anti-progressif dans notre démarche. Et là, on voulait que A World Lit Only By Fire soit aussi minimal et brutal que possible, parce que trop de notes et de technique feraient plus difficilement ressortir la brutalité et le côté direct. On a donc cherché à réduire la musique à une sorte d’écrasement mécanique. Et la batterie programmée renforce d’ailleurs ce côté mécanique et cru.

Parlons un peu plus de la guitare justement : maintenant, tu utilises une guitare 8 cordes depuis plusieurs années. Est-ce que tu penses que ça  a influencé ta manière d’écrire ou de créer des sonorités ?

Oui, totalement. En fait, la 8 cordes est clairement pour moi un moyen d’arriver à ce que je veux obtenir en musique. A l’époque, quand on a commencé, on s’accordait très bas, et c’était quelque chose de rare. Evidemment, Black Sabbath avait déjà commencé à expérimenter ce genre de choses, mais ça restait peu répandu. On s’est rendu compte qu’on pouvait sonner beaucoup plus lourd avec un accordage grave, et c’est pour ça qu’on le faisait. Il n’y avait pas de guitare 7 ou 8 cordes à l’époque, ça n’existait pas, donc on se contentait d’accorder très bas ce qu’on avait sous la main. Tout ce qu’on voulait, c’était s’accorder aussi bas que possible, et on peut obtenir ce genre de son avec une 8 cordes aujourd’hui. Il y a deux choses essentielles dans la guitare de Godflesh : l’accordage bas et la dissonance. Avec une 8 cordes, je peux jouer des notes très graves, et expérimenter de nouvelles possibilités en matière de dissonance, que je ne pourrais pas avoir avec une simple 6 cordes. J’ai trouvé ça vraiment excitant, parce que la 8 cordes a permis à Godflesh d’aller plus loin dans les expérimentations et de développer notre son. Il n’y a rien que j’aime plus que les sons étouffés et les dissonances, tu sais ! [rires] Donc oui, cet instrument est terrible, et je vais continuer d’exploiter tout son potentiel.

 

Godflesh, A world lit only by fire, interview, français, justin k broadrick,

Est-ce que tu penses que Godflesh a définitivement divorcé avec les batteurs ?

[il hésite, puis répond fermement] Oui. Totalement. On a joué avec d’excellents batteurs par le passé mais… Le son de Godflesh a changé à partir du moment où on a eu un batteur. Et on pense maintenant que ce groupe aurait du toujours rester avec la batterie programmée, et qu’utiliser un vrai batteur était une erreur, très franchement. C’est d’ailleurs pour ça que je n’aime plus trop les derniers albums de Godflesh. Mais ironiquement, nous allons faire une version dub de A World Lit Only By Fire, et Ted Parsons, le dernier batteur qui a joué avec Godflesh sur Hymns, va jouer dessus ! C’est ce qu’on peut appeler une contradiction totale ! [rires] Mais comme c’est une version dub de l’album, le but est vraiment d’explorer le côté post-punk de Godflesh, et on veut utiliser un batteur pour expérimenter sur les chansons. Mais les « vrais » albums de Godflesh n’auront plus jamais de batteur, car en avoir un ne correspond pas à notre son authentique.

J’ai l’impression qu’au cours de ta carrière, tu as souvent changé d’avis sur tes albums précédents, avec le recul. Parfois c’était Selfless que tu critiquais, parfois Us & Them. Aujourd’hui, ce sont donc les trois derniers albums de Godflesh que tu n’apprécies plus ?

Oui, c’est ce que nous ressentons maintenant. Comme tu as pu le lire, avec les années qui passaient, nous avons beaucoup changé d’avis sur ce que nous faisons. [rires] Et c’est toujours vrai aujourd’hui, je change souvent d’opinion sur notre travail. Mais, depuis la reformation en 2010, nous n’avons pas vraiment changé d’avis sur le fait que nous considérons les premiers albums de Godflesh comme les meilleurs, ou en tout cas, ceux qui correspondent le mieux à ce que nous voulions accomplir. C’est d’ailleurs probablement la plus longue période pendant laquelle je n’ai  pas changé d’avis sur notre travail ! [rires] Et je pense que la séparation nous a aidée à avoir une vision claire de ce qu’est Godflesh, alors qu’avant, je changeais constamment d’avis sur notre musique. Je suis le type d’artiste qui va créer quelque chose, et l’adorer sur le moment. Puis, si je le réécoute un an plus tard, je ne vais pas trop aimer, et y trouver des défauts. Et donc c’est pour ça que je suis attiré par le changement. Parfois, c’est une chose positive, et parfois, ça ne l’est pas. Je suppose que c’est ce que vit toute personne qui s’exprime créativement.

Donc je suppose qu’en concert, vous n’allez pas insister sur les trois derniers albums ?

Depuis la reformation, nous ne faisons que  jouer de la musique des premiers albums. Quand on va commencer à tourner à la fin de cette année et l’année prochaine, on va beaucoup se concentrer sur le nouvel album. Il y aura ça, et des chansons du vieux répertoire. Mais, ironiquement,  alors que nous n’avons rien joué des albums récents depuis longtemps, nous avons discuté d’en rejouer, dernièrement ! [rires] Cependant, ce seront des versions un peu différentes que celles que tu peux entendre sur album. Elles vont sonner comme si le Godflesh actuel jouait ces chansons. Ce sera une nouvelle interprétation. Le fait est que j’aime beaucoup certaines chansons sur ces albums. C’est en tant que tout que j’ai du mal à les apprécier. Pour moi, un album comme Streetcleaner ou Pure, ou le premier EP eponyme arrivent à fonctionner parfaitement comme un tout, un ensemble cohésif. Ce n’est pas le cas pour les derniers, où il y a d’excellentes chansons, et d’autres dont je ne suis pas très fier. Mais rejouer ces chansons récentes devrait très bien fonctionner.

Oui, je le pense aussi !

C’est bon à savoir ! En fait, pour te dire, on entend parfois des gens comme toi qui nous parlent des albums récents et qui disent les apprécier. Ca n’arrive pas souvent d’ailleurs. Je veux dire, je fais beaucoup d’interviews, mais souvent, les questions portent sur le nouvel album, ou sur les vieux, mais pas tant que ça sur nos travaux plus récents. Personnellement ça m’inspire, et je me mets à repenser à certaines chansons. D’ailleurs, à l’instant où je te parle, à cause de ta remarque, je viens de repenser à une chanson récente qu’on pourrait réintégrer dans le set ! L’autre jour, un gars m’a supplié de jouer « I, Me, Mine » en live, et je ne pensais pas qu’on le ferait. Mais avec le recul, je crois que ça va se faire ! Là, je viens de penser à « Us and Them », je devine que ça pourrait défoncer à la 8 cordes. Pour ce qui est de Hymns, G.C. m’a dit qu’on devrait jouer « Defeated ». J’ai aussi pensé qu’on pourrait faire « Jesu ». Et pour Songs of Love and Hate, je viens maintenant de penser à  « Gift From Heaven ». Ca fait un beau programme !
 

Justin K Broadrick, interview, français, 2014, Godflesh, A World lit only by fire,

Ton dernier album avec Jesu s’appelle « Everyday I Get Closer to The Light From Which I Came ». Est-ce que c’est une référence divine ?

Hum, je crois que c’est plutôt une référence à l’inconnu. Et je suppose que pour certaines personnes, l’inconnu, la lumière dont nous venons et vers laquelle nous retournons, c’est Dieu. Tout dépend de tes choix et de tes croyances. En tout cas, ce titre reconnaît l’existence spirituelle. Mais évidemment, en ce qui me concerne, tu peux deviner de mon œuvre  que je ne crois en aucun dieu. Par contre, je crois effectivement que nous n’existons pas seulement sur le plan physique. Ce titre parle en fait du cycle de la vie et de la mort. Quand j’ai composé cet album, mon fils venait de naître, et j’ai trouvé que l’expérience d’avoir un premier enfant était dévorante, d’un point de vue émotionnel. D’un point de vue philosophique, je me suis senti presque vidé de ma substance, et en fait, je me suis rendu compte que le cycle de la naissance se rapprochait beaucoup du cycle de la mort. Ca m’a aussi mis face à notre propre mortalité. C’est le voyage de la naissance vers la mort, de l’inconnu, vers l’inconnu.

Est-ce que tu gardes espoir malgré tout, alors que la musique de Godflesh reste sombre et torturée ?

Oui, complètement ! Ce qui est malheureux avec Godflesh et Jesu, c’est que ce sont clairement des projets musicaux pilotés par la mélancolie et un sentiment de désespoir. Mais, au milieu de ce désespoir, de ce nihilisme et de ce pessimisme, il y a presque un appel à l’aide. Je suppose que nous voulons tous avoir une existence paisible, et qui ne soit pas troublée par la mort et l’horreur. Nous souhaitons tous une vie meilleure pour nous et nos enfants, et les enfants des autres, tu vois ce que je veux dire ?

[A ce moment, on entend une voix de petit garçon]

- « Papa ? »
- « Ah tiens, mon fils est devant la porte, haha ! Tout va bien mon chéri, Papa travaille ! » [rires]

Je disais donc… Oui, il faut avoir de l’espoir ! Sinon, ce serait impossible pour moi de revenir avec Godflesh, par exemple ! J’espère aussi que mon fils va avoir une vie heureuse. D’une manière générale, je dis souvent aux gens que je suis positivement négatif , ou l’inverse. A toi de voir ! [rires] Je vis pas mal dans ce conflit entre ces deux sentiments. Du point de vue de Godflesh, on se concentre sur la résignation sur la nature de l’homme. Et malheureusement, l’existence n’est pas quelque chose de très positif, même si on aimerait que ça le soit ! 

Justement, puisque tu parles d’évènements fâcheux : vos deux performances au Hellfest, dont le concert de reformation  en 2010, et celui de 2014 ont été marqués par de graves problèmes logistiques et techniques.  Est-ce que tu crois à la malchance ?

Tu sais, je pense que si, au fond de toi, tu sens que tu es maudit, c’est probablement que tu l’es vraiment ! C’est vrai ces histoires avec le Hellfest sont vraiment étranges ! Certaines choses tournent toujours mal, quoiqu’on fasse. On espère vraiment qu’un jour, on arrivera à jouer au Hellfest sans qu’il y ait un seul problème ! A ce niveau, c’est presque absurde. Donc oui, parfois, ça arrive, et je ne n’arrive pas à me l’expliquer ! Tu vois, on a joué dans d’autres festivals dans le monde, et tout s’est passé parfaitement à chaque fois. Par exemple, on a joué deux fois au Roadburn pour interpréter un album complet à chaque fois, et il n’y a pas eu le moindre problème !  C’est vraiment bizarre. Heureusement, même si beaucoup de gens nous ont loupés cette année, on est quand même content de notre performance. Il y avait pas mal de personnes présentes, et on en a bien profité malgré tout !
 

Godflesh, A World Lit Only by fire, Interview, 2014, français, Justin K Broadrick,

Tu es connu comme étant quelqu’un de très actif musicalement, avec beaucoup de différents projets. Disons, quel est ton emploi du temps pour l’année à venir ?

L’année prochaine est vraiment complètement concentrée sur Godflesh. L’album est sorti, et nous allons passer notre temps le jouer en concert. On jouera probablement très peu avec d’autres projets. L’idée est vraiment de promouvoir cet album autant que possible et jouer autant que possible. Je vais peut être commencer à bosser sur un album de Jesu en décembre, mais ça ne sortira pas avant octobre 2015 au plus tôt. Je suis aussi en train de travailler sur un nouvel album de JK Flesh. L’année prochaine sera concentrée sur les concerts, mais d’un autre côté, j’écris en permanence.

La question égoïste : est-ce que des concerts en France sont prévus ?

Absolument ! En fait, au moment où  nous parlons maintenant, nous sommes en train de négocier pour une tournée de 4 ou 5 dates en France, qui devrait se passer aux alentours d’avril 2015. D’abord, nous aimons beaucoup la France, et il y a pas mal de gens qui aiment notre musique là-bas. Je suis impatient d’y être !

Tu as été membre de Sunn o))) en 2006. Est-ce que tu te verrais composer avec ce groupe dans un futur proche ?

Ca pourrait arriver, on ne sait jamais ! En fait, j’aurais du participer à l’album Monoliths and Dimensions, mais un conflit d’emploi du temps a empêché que ça se fasse, malheureusement. J’ai tourné avec ce groupe pendant à peu près un an, et j’étais assez impatient d’apporter ma guitare au tout. Je ne veux pas m’engager pour le futur, mais ça reste une possibilité. Les gars de Sunn o))) sont de très bons amis, on est souvent en contact et on parle régulièrement de ce genre de choses. J’espère que ça pourra se faire. Dans tous les cas, les concerts que j’ai fait avec eux étaient excellents, et j’ai des souvenirs vraiment fantastiques de certains d’entre eux.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

J’écoute vraiment énormément de musique. Laisse-moi regarder sur mon ordinateur. J’écoute énormément Marsen Jules et David Sylvian, particulièrement ses travaux ambiants. J’écoute aussi beaucoup Aphex Twin. D’ailleurs, j’ai acheté le nouvel album, mais je ne l’ai toujours pas écouté. J’ai décidé d’écouter mes albums préférés à la place pendant à peu près un mois, et là j’essayerai le nouvel album ! J’adore aussi Stars of the Lid. Comme tu peux le voir, pas beaucoup de métal. Mais pour le métal, un de mes groupes préférés en ce moment est Conan. Leur dernier album est excellent, et ces gars ont toujours été très bons. J’écoute aussi un français qui fait des trucs électroniques et qui s’appelle Vomir. Je dois aussi penser à Werewolf, Control, Con-Dom… C’est soit de l’électronique ambiant, soit de l’extrême ! J’écoute aussi un peu de hip hop mainstream, notamment le dernier ASAP Ferg, qui est excellent.  J’apprécie pas mal de choses de Venetian Snares, et d’autres beaucoup moins. Je n’aime pas trop le drill & bass, je suis plus drum & bass, dans sa forme la plus épurée. Après, je ne veux pas cataloguer Venetian Snares comme juste de la drill and bass, parce qu’il est tellement plus que ça !

Sinon, dans ma liste « à écouter », il y a Igorrr, ce français qui fait du breakcore avec une chanteuse qui a une voix d’opéra. Le peu que j’ai survolé a l’air vraiment intéressant ! J’ai moi-même signé quelques artistes sur mon label. D’ailleurs, j’adore cet autre français, dont tout le monde se moque, qui s’appelle Mr Oizo.

Et Killing Joke ?

J'ai toujours adoré ce groupe, et je les écoute toujours beaucoup aujourd’hui. Ces derniers temps, j’écoute pas mal Fire Dances. Parfois je n’écoute pas un album pendant des années, et j’y reviens par hasard. Mon préféré restera toujours le premier album. Je pense d’ailleurs que c’est un des meilleurs albums jamais fait, tous genres confondus ! [rires] J’adore aussi What’s this for, Revelations… J’aime beaucoup les autres albums, mais rien ne rivalise avec ceux que je viens de mentionner. En fait, j’écoute Killing Joke très régulièrement, et c’est probablement l’un des groupes les plus importants de ces trente dernières, selon moi. Pour les albums plus récents, j’aime certaines chansons, et d’autres nettement moins, mais je suis tellement content qu’ils soient encore là ! Même si je ne suis pas fou d’un de leurs albums quand il sort, je sais que ça restera de la très bonne came. Et ça me fait la même chose avec Swans, et particulièrement les vieux albums. Je n’aime pas trop les nouveaux albums, mais je respecte et admire ce groupe. J

’ai fait un remix pour eux il y a quelques années. Et je suis très fier de te dire que Jaz Coleman considère que je fait partie du rassemblement ( NDLR : "The Gathering"  est aussi une chanson de Killing Joke), de la famille même ! D’ailleurs, lors d’un des derniers concerts de Godflesh avant la séparation, Jaz Coleman est monté sur scène avec nous. A l’époque, G.C. Green n’était plus dans le groupe, et était remplacé par Paul Raven [RIP], qui était lui aussi membre de Killing Joke. Nous avons joué "Requiem", et c’était juste incroyable ! C’est un honneur, parce que Killing Joke a vraiment changé ma vie quand j’étais gamin.

On arrive à la fin de l’interview. Je te laisse conclure ?

Euh… Venez nous voir en concert !!! [rires] Sérieusement, je suis très mauvais pour conclure. Merci à tous ceux qui aiment notre musique. Chaque cd ou t-shirt que vous achetez auprès de nous nous aide directement donc n’hésitez si vous pouvez vous le permettre !

Interview par Tfaaon

Remerciements à Karam et Guigui
 

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tfaaon
14 octobre 2014 in INTERVIEW METAL, WEBZINE METAL


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14 octobre 2014

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