C’était il y a deux ans, le cancer était déjà là, Jean-Yves Moyart avait peur mais Maître Mô voulait faire sourire encore. « Si un jour je meurs, ce qui m’étonnerait sincèrement, ne dites pas mes supposées qualités ou ne rappelez pas ce que j’ai fait ou dit ; dites que je vous manque, que vous aimeriez m’aimer encore ou rire avec moi, ou bien ne dites rien du tout. Enfin, sans vous commander », écrivait-il le 5 mars 2019 sur son compte Twitter. Jean-Yves Moyart, avocat au barreau de Lille depuis 1992, est mort samedi 20 février. Il avait 53 ans.
« Il y a les élégants, les talentueux, les généreux, les fêtards, les courageux, les fêlés laissant passer la lumière, mais je n’ai connu aucun autre avocat qui soit tout cela à la fois », a écrit l’un de ses confrères et plus proches amis, Eric Morain, en annonçant sa disparition sur le réseau social. Twitter pleure son Maître Mô, qu’il a tant aimé. Son compte affichait 70 000 abonnés. Ce n’est pas un chiffre, c’est une communauté. Il lui a tant donné.
Pour comprendre le chagrin, il faut remonter un peu plus de dix ans plus tôt. L’époque est aux blogs. Parmi eux, celui d’un jeune avocat du barreau de Paris connu sous le pseudonyme de Maître Eolas, constitue la référence absolue de tous les passionnés de droit. Dans un de ses billets, Eolas intime l’ordre à ses lecteurs d’aller toutes affaires cessantes découvrir le texte qu’un de ses confrères de Lille vient de publier sur son propre blog né au printemps 2008 et qui propose une « petite chronique judiciaire, ordinaire et subjective, alimentée quand elle le peut. » On clique. On est des milliers à cliquer. Le texte s’appelle Misérable.
« Elle est assise avec les autres sur son banc, prostrée, le regard vide et la bouche ouverte, son vêtement de pluie jaune vif et trop grand pour elle boutonné jusqu’au cou, tache de couleur dans l’océan de bleu des gendarmes des escortes, qui attire immédiatement le regard ; elle est beaucoup trop frêle, beaucoup trop jeune, beaucoup trop absente, beaucoup trop menottée ; on se dit d’emblée qu’elle ne devrait pas être ici. »
Une infinie tendresse
« Elle », c’est Odile, croisée par Me Jean-Yves Moyart lors d’une audience de comparution immédiate où elle était renvoyée pour une tentative de vol de chaussettes. On lit jusqu’au bout, on ne sait pas encore que ce n’est qu’un début.
Après Odile viendront Ahmed, Jade, Omar, Noël et tant d’autres. Toutes les histoires sont vraies, Maître Mô les puise dans son quotidien d’avocat. Il change un prénom, modifie quelques détails, maquille le lieu, mais garde l’essentiel : du brut de vie, du noir très noir, et une infinie tendresse pour les raconter.
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