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Comment expliquer la timide mobilisation de la jeunesse africaine pour le climat ?

Le 14 juin dernier, des élèves sud-africains se sont mobilisés devant le Parlement du pays, au Cap, dans le cadre des manifestations organisées par Extinction Rébellion. Rodger Bosch/AFP

Initié par l’adolescente suédoise Greta Thunberg en août 2018, le Mouvement des jeunes pour le climat continue de gagner du terrain dans le monde entier. Chaque vendredi, des milliers d’enfants, adolescents, écoliers, étudiants et activistes se mobilisent dans différentes villes de leurs pays : ils exigent des réponses immédiates aux crises climatique et écologique pour permettre aux futures générations d’humains, de plantes et d’animaux, de pouvoir vivre sur Terre dans des conditions décentes.

Les efforts de ces jeunes – comme ceux d’autres groupes comme Green Peace et Extinction Rebellion – ont déjà d’une manière ou d’une autre poussé certains parlements à déclarer l’état d’urgence climatique : en Écosse et au Pays de Galles, au Royaume-Uni, en Irlande et dans la cité allemande de Konstanz.

Néanmoins, la réception dudit mouvement des jeunes pour le climat varie de pays en pays et de région en région. Et il ne cesse d’alimenter de vifs débats et commentaires au sein des communautés intellectuelles.

Dans un article du Monde Afrique paru le 24 mars 2019, l’économiste camerounais Thierry Amougou tente ainsi d’expliquer pourquoi la jeunesse africaine ne se mobilise pas pour le climat. Il affirme dans son article que « les écoliers, les lycéens, les étudiants, les chercheurs et les politiques ne marchent pas pour le climat en Afrique, en Asie centrale et en Amérique latine ». Ceci laisse croire que les jeunes Africains sont totalement absents du mouvement.

Des éléments tangibles montrent cependant que cette jeunesse commence à embrasser, certes timidement, la cause climatique.

Quelques figures médiatiques

Le 15 mars dernier, la Grève mondiale pour le climat a mobilisé plus d’1,4 million de jeunes à travers le monde, y compris en Amérique latine et en Afrique. Ce jour-là, des jeunes ont manifesté dans plusieurs pays africains, en Afrique du Sud, au Kenya, à Madagascar, au Ghana, en Tanzanie, en Namibie et en Ouganda. La marche des jeunes Africains à Kampala a été filmée et diffusée par le quotidien britannique The Guardian.

Notons également que l’Afrique compte plusieurs jeunes figures qui œuvrent pour le climat, la plupart d’entre eux s’étant lancées dans ce combat avant même l’apparition de Greta sur la scène internationale. Inspirée par le Prix Nobel Wangari Maathai, la jeune Ellyanne Wanjiku Chlystun, qui dès l’âge de 4 ans militait pour la protection des arbres, a ainsi lancé au Kenya l’ONG Children with Nature.

En Ouganda et au Nigeria, respectivement, la jeune Nakabuye Hilda F. fait de la sensibilisation sur le climat et lutte contre la pollution plastique alors que la jeune Oldaosu Adenike sensibilise et organise les marches des vendredis pour le climat.

Des mobilisations de faible ampleur

Depuis novembre 2018, 18 pays africains ont connu des marches de jeunes pour le climat, selon les statistiques sur le site de Fridays for Future. Mais ces mobilisations sont généralement marquées par une faible participation, et ne comptent souvent… qu’un seul individu.

Comment expliquer que la participation des jeunes Africains au mouvement demeure si faible et timide ?

Prenant le cas des régions en voie de développement, Afrique en tête, l’article de Thierry Amougou analyse comment des facteurs tels que la pauvreté, la misère, la faim, la guerre, et la crise migratoire empêchent les jeunes de se lancer dans la lutte contre le dérèglement climatique. Le « ventre affamé n’a point de climat ! », déclare-t-il. À cette liste, on peut ajouter deux autres facteurs qui empêchent, probablement, les jeunes en Afrique et ailleurs de se joindre à la cause climatique.

Dans certains pays en voie de développement, Afrique subsaharienne notamment, les régimes au pouvoir répriment violemment toute forme de manifestation politique. Même s’il s’agit habituellement de manifestations adultes, cette menace peut effrayer et décourager les jeunes de s’engager dans ce type d’action.

Au Cameroun, par exemple, une vingtaine de militants du parti d’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto ont été interpellés et libérés quelques minutes plus tard le mardi 5 mars 2019 alors qu’ils s’investissaient dans le nettoyage des rigoles au marché Mokolo dans le 2e arrondissement de Yaoundé.

Dans la même lancée, certains pays dits démocratiques essaient de réprimer les manifestations écologiques ; ce fut le cas lorsque certains policiers britanniques ont interpellés quelques activistes du mouvement Extinction Rebellion qui manifestaient en bloquant le pont Waterloo au centre de Londres le 16 avril 2019, date du lancement de leur semaine internationale des manifestations.

Le rôle des enfants en Afrique

Il faut également souligner que certaines cultures africaines semblent encourager les adultes à négliger ou à sous-estimer l’avis des plus jeunes au sujet de certaines questions fondamentales.

La littérature témoigne de cette réalité, comme je le souligne dans ma thèse de doctorat (en cours) en m’appuyant sur des textes tels que Le Cri de la forêt (2015) de Henri Djombo et Osée Collins Koagne, Les Bénévoles (2015) de Henri Djombo, Beware (1993) et The Hill Barbers (2010) de Ekpe Inyang.

Dans Le Cri de la forêt (2015), Kamona, chef traditionnel du village Mballa, chasse son petit neveu Toubouli d’une réunion au motif que ce dernier se mêle des « conversations des adultes » et qu’il aurait osé soutenir le Fonctionnaire (un agent forestier) quand ce dernier expliquait aux villageois qu’il ne fallait pas pratiquer l’abattage anarchique des arbres.

Et, quelques minutes avant ces remontrances, les adultes villageois avaient accueilli le geste du petit Toubouli par « un brouhaha de mécontentement », signe de l’indignation collective vis-à-vis du petit garçon à l’avis raisonné. Le petit Toubouli aura toutefois gain de cause : parti à la ville et devenu docteur en écologie, il retournera dans son village en proie à une sécheresse inédite.

Il parviendra à expliquer aux villageois comment la déforestation anarchique a causé la sécheresse ; et parviendra également à convaincre son oncle Kamona d’obéir aux instructions de l’administration étatique en déplaçant tous les habitants dans un nouveau village, plus au nord.

Dans The Hill Barbers (2010), l’auteur Ekpe Inyang – en s’appuyant sur les personnages du vieux Sangu Ngoe et du jeune Young Man – met en exergue l’importance pour les décideurs d’écouter les jeunes pour pouvoir faire face aux crises environnementales.

Dans son rapport de 2008, l’Unicef insiste aussi sur ce point :

« Dans les pays en voie de développement, les enfants ont souvent un contact plus étroit avec leur environnement physique, par rapport aux adultes et à leurs pairs des pays industrialisés. Dans la plupart des communautés, les jeunes ont un accès privilégié à la nature : ils jouent le long des rivières, sur les terrains inoccupés et dans des aires isolées. Cette bonne connaissance de ce qui les entoure est importante et bien plus difficile à trouver une fois intégrés au monde adulte. »

Malgré des comportements encore négligents, voire décourageants, de certains adultes africains vis-à-vis des enfants et de leur rôle dans la lutte contre le changement climatique, la prise de conscience de l’urgence est aujourd’hui bien réelle au sein de la jeunesse africaine.

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