Un jour, elle est approchée par le médecin du coin qu’elle croise souvent chez ses patients, un homme à droite, très à droite même. Partant du fait qu’ils partagent la même analyse de leur situation générale, il lui propose d’être la tête de liste du Bloc, entendez du Front, aux prochaines municipales.
Pas portée sur la politique et fille d’un père communiste de surcroît, elle refuse. Mais le collègue retourne sans difficultés ses arguments, transformant ses réserves en qualités recherchées : sa connaissance du terrain et puis sa défiance à l’égard des pros de la politique qui ont démontré leur inefficacité et leur sens de l’éthique. On a besoin de gens nouveaux, ni de gauche, ni de droite, mais en prise avec les réalités, avec les besoins.
Séduite par le discours dynamique, flattée par la proposition, galvanisée par le discours de la présidente du parti, enthousiasmée à l’idée de changer de vie, motivée par la perspective d’être encore plus utile à sa communauté, elle s’engage dans la bataille politique.
Lucas Belvaux signe un film de combat, de débat, un film d’utilité publique aussi. On comprend la virulence du Front National à son égard, car non seulement, il est visé sans ambiguïté, mais Belvaux démonte lumineusement son mode opératoire dans sa pêche aux électeurs. Et puis aussi, il emmène les spectateurs backstage, lui montre l’envers du décor. Ce parti a des méthodes brutales et une idéologie dictatoriale, il se moque de la liberté du citoyen comme de sa première chemise brune.
On parle souvent de ces jeunes, pas vraiment des piliers de mosquée, qui, au contact d’un recruteur, épousent très rapidement la cause du djihad et se retrouvent en Syrie. C’est un processus identique de radicalisation qui précipite dans les bras de Marine Le Pen, Pauline, cette femme chaleureuse, généreuse, pas raciste - mais ça l’énerve ces pères musulmans qui interdisent à leur femme, à leur fille de consulter un gynécologue car c’est un homme - dévouée à ses semblables.
Avec précision et fluidité, le réalisateur expose les engrenages, montre la vitesse à laquelle ils s’enchaînent et comment le piège se referme sur celle qui s’est laissé séduire par idéal : sortir ses semblables de la mouise.
Engagé, pédagogique même, "Chez Nous" possède une grande force dramatique car Lucas Belvaux ne met pas en scène des archétypes, des clichés mais des personnages de chair avec leurs contradictions, leurs élans, leurs blessures. Le film ne fait pas la morale, ne peint pas le monde en noir et blanc, avec des bons et des méchants.
Ça devient lassant à dire, mais Emilie Dequenne est à nouveau idéale pour conduire ce récit avec une humanité, subtilité, caractère, une vérité qui fait vibrer la toile. André Dussollier est bluffant dans le rôle du médecin recruteur. Diabolique mais pas diabolisé, pas même caricatural; il a fait de sa voix suave, une arme qui séduit d’abord, menace ensuite. Et Guillaume Gouix donne de l’épaisseur à son rôle ingrat du militant facho violent. Lucas Belvaux ne craint pas de manipuler des symboles, faisant d’Anne Marivin, icône des Ch’tis, une militante frontiste.
Il est assez exceptionnel de voir de ce côté de l’Atlantique un film en prise avec l’actualité politique, un film qui entend peser sur la prochaine élection présidentielle française. Le spectateur belge aurait tort de croire qu’il ne s’adresse pas directement à lui. Le groupuscule de fachos violents qui casse de l’immigré s’appelle solidarité flamande. D’ailleurs, la Belgique a une longueur d’avance sur la France, l’extrême droite y est déjà au pouvoir.
Réalisation : Lucas Belvaux. Scénario : L. Belvaux, Jérome Leroy. Avec Emilie Dequenne, André Dussollier, Guillaume Gouix, Catherine Jacob, Anne Marivin, Patrick Descamps… 1h58.