Comité français de la Libération nationale

Arrêté intercommissarial du 31 janvier 1944 portant création d'une commission d'études relatives à la réforme de la Constitution
Ordonnance du 21 avril 1944 relative à l'organisation des pouvoirs publics en France après la Libération

[Le Comité français de la Libération nationale devait préparer le rétablissement de la souveraineté nationale et de la légalité républicaine. Une commission fut chargée d'étudier la réforme de la Constitution, mais il s'agissait d'abord de faire pièce aux intrigues qui visaient à établir un compromis entre les hommes de Vichy et les parlementaires du dernier Parlement de la Troisième, puis d'éviter que la Métropole fût placée sous l'autorité d'une administration alliée, l'AMGOT, préparée par Roosevelt. Peu de temps avant le débarquement en Normandie, plusieurs mesures furent donc prises :
- la transformation du CFLN en Gouvernement provisoire de la République française devait lui donner l'autorité nécessaire pour exercer le pouvoir en territoire libéré ;
- auparavant, l'ordonnance du 14 mars 1944 concernant l'exercice des pouvoirs civils et militaires sur le territoire métropolitain au cours de sa libération devait permettre, au fur et à mesure de la libération du territoire, d'évincer les autorités mises en place par le régime de Pétain et de les remplacer par des délégués du CFLN ;
- l'ordonnance relative à l'organisation des pouvoirs publics en France après la Libération (publiée à Alger, au JO n° 34, du 22 avril 1944, p. 325-327) devait permettre la mise en place d'autorités élues par les citoyens français, et pour la première fois, par les Françaises ;

- l'ordonnance du 19 mai 1944 portant création de secrétaires généraux provisoires, chargés de prendre en main les ministères en attendant l'arrivée à Paris des ministres du Gouvernement provisoire.]


Arrêté intercommissarial du 31 janvier 1944
portant création d'une commission d'études relatives à la réforme de la Constitution

Article premier.

Il est créé à compter du 1er février 1944 une commission chargée de procéder à des études préparatoires sur la réforme de la Constitution.

Article 2.

Sont nommés membres de cette commission : MM. Bordaz, Coste-Floret, Cot, Gazier, Giaccobi, Hauriou, Lavergne, Moch et Viard.

Ordonnance du 21 avril 1944
relative à l'organisation des pouvoirs publics en France
après la Libération

Le Comité français de la Libération nationale,
Vu l'ordonnance du 3 juin 1943, portant institution du Comité français de la Libération nationale ;
Vu l'ordonnance du 17 septembre 1943 portant constitution d'une Assemblée consultative provisoire, modifiée par les ordonnances des 15 octobre et 6 décembre 1943 ;
Vu l'avis émis par l'Assemblée consultative provisoire, conformément aux dispositions de l'article 20 de l'ordonnance du 17 septembre 1943 ;
Le Comité juridique entendu,
Ordonne :

Article premier.

Le peuple français décidera souverainement de ses futures institutions. À cet effet, une Assemblée nationale constituante sera convoquée dès que les circonstances permettront de procéder à des élections régulières, au plus tard dans le délai d'un an après la libération complète du territoire. Elle sera élue au scrutin secret à un seul degré par tous les Français et Françaises majeurs, sous la réserve des incapacités prévues par les lois en vigueur.

Article 2.

Pendant la période transitoire précédant la convocation de l'Assemblée nationale constituante, le rétablissement progressif des institutions républicaines sera réalisé comme il est prévu aux articles ci-dessous.

Titre premier
Conseils municipaux

Article 3.

Jusqu'au jour où il sera possible de procéder dans chaque commune à des élections régulières, les conseils municipaux élus avant le 1er septembre 1939 sont maintenus ou remis en fonction.

En conséquence, les conseils municipaux dissous, les maires, adjoints et conseillers révoqués ou suspendus après cette date, sont immédiatement rétablis dans le droit, sauf le cas d'indignité pour délit de droit commun et sous réserve des dispositions qui suivent.

Article 4.

Corrélativement, sont dissoutes, en vertu de la loi du 5 avril 1884, et du décret du 26 septembre 1939, les assemblées communales nommées par l'usurpateur, ainsi que les délégations municipales créées depuis le 1er septembre 1939. Sont révoqués de leurs fonctions, les maires, adjoints et conseillers municipaux qui ont directement favorisé l'ennemi ou l'usurpateur.

Article 5.

Les municipalités maintenues ou rétablies, qui n'atteignent pas le quorum, sont recomplétées provisoirement, sur avis du Comité départemental de libération, par le préfet. Celui-ci désigne des Français et Françaises ayant participé activement à la Résistance contre l'ennemi et l'usurpateur, en tenant compte, d'une part, de la majorité exprimée aux dernières élections municipales, et, d'autre part, des tendances manifestées dans la commune lors de la libération.

Article 6.

Les maires et adjoints décédés, démissionnaires ou révoqués, conformément à l'article 4 ci-dessus, sont remplacés par élection au scrutin secret par le conseil municipal, dès que celui-ci remplit les conditions légales de quorum.

Article 7.

Sont dissoutes les assemblées élues qui, maintenues depuis le 16 juin 1940, ont directement favorisé ou servi les desseins de l'ennemi ou de l'usurpateur.

Ces assemblées sont remplacées par des délégations spéciales qui administreront la commune jusqu'aux élections.

Les délégations spéciales sont nommées par l'autorité compétente sur l'avis du comité départemental de Libération, et composées par priorité des membres de la dernière assemblée élue restés fidèles à leur devoir et, en outre, de Français et de Françaises ayant participé activement à la lutte contre l'ennemi ou l'usurpateur, en tenant compte d'une part de la majorité exprimée aux dernières élections municipales et, d'autre part, des tendances manifestées dans la commune lors de la libération.

Le nombre des membres des délégations est égal au quorum prévu, pour le conseil municipal dissous, par la loi du 5 avril 1884.

Article 8.

Lorsque, du fait de l'ennemi, des communes ont été par fusion ou agglomération, ou autrement, modifiées dans leur structure territoriale, le rétablissement du conseil municipal ou l'installation de la délégation spéciale, s'applique à la commune telle qu'elle existait au 16 juin 1940.

Article 9.

Dès l'installation de la municipalité ou de la délégation spéciale, l'administration communale entreprend la révision ou la reconstitution des listes électorales et procède à l'inscription sur ces listes des femmes devenus électrices.

Un décret fixera les délais de procédure applicables à cette révision.

Titre II
Conseil généraux

Article 10.

Les Conseil généraux sont rétablis.

Article 11.

Le mandat des conseillers généraux en fonction au 1er septembre 1939 est prorogé jusqu'aux élections prévues à l'article 15 ci-dessous.

Article 12.

Les conseillers généraux qui ont directement servi ou favorisé les desseins de l'ennemi ou de l'usurpateur seront révoqués par le ministre de l'intérieur, sur avis du préfet et du Comité départemental de libération.

Article 13.

Lorsque, par suite de décès, de démission ou de révocation prononcée en vertu de l'article ci-dessus, le Conseil général est réduit à un nombre de membres inférieur au quorum, il est dissous et remplacé par une délégation départementale, nommée par décret rendu sur proposition du préfet et après avis du Comité départemental de libération, conformément aux dispositions suivantes.

Article 14.

Le nombre des membres de la délégation départementale est égal au quorum prévu pour le Conseil général sur première convocation par la loi du 10 août 1871.

La délégation départementale est composée par priorité des membres du Conseil général dissous restés fidèles à leur devoir et, en outre, des Français et Françaises ayant participé activement à la lutte contre l'ennemi ou l'usurpateur, en tenant compte d'une part de la majorité existant dans l'assemblée dissoute, et d'autre part, des tendances qui se sont manifestées dans le département lors de la libération.

Titre III
Conseil municipal de Paris
Conseil général de la Seine

Article 15.

Une ordonnance spéciale rendue après avis de l'Assemblée consultative provisoire réglera l'administration municipale de Paris et l'administration départementale de la Seine pendant la période transitoire et fixera le régime électoral applicable provisoirement au conseil municipal de Paris et au Conseil général de la Seine.

Titre IV
Élections

Article 16.

Lorsque, dans un département, l'établissement des listes électorales est terminé, le préfet convoque le collège électoral pour procéder aux élections des municipalités et d'un Conseil général provisoire.

Article 17.

Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes.

Article 18.

Ne peuvent faire partie d'aucune assemblée communale ou départementale, ni d'aucune délégation spéciale ou délégation départementale :
a) les membres ou anciens membres des prétendus gouvernements ayant leur siège dans la Métropole depuis le 17 juin 1940 ;
b) les citoyens qui, depuis le 16 juin 1940, ont directement par leurs actes, leurs écrits ou leur attitude personnelle, soit favorisé les entreprises de l'ennemi, soit nui à l'action des Nations unies et des Français résistants, soit porté atteinte aux institutions constitutionnelles et aux libertés publiques fondamentales, soit tiré sciemment ou tenté de tirer un bénéfice matériel direct de l'application des règlements de l'autorité de fait contraires aux lois en vigueur le 16 juin 1940 ;
c) les membres du Parlement ayant abdiqué leur mandat en votant la délégation de pouvoir constituant à Philippe Pétain le 10 juillet 1940 ;
d) les individus ayant accepté de l'organisation de fait se disant « gouvernement de l'État français » soit une fonction d'autorité, soit un siège de conseiller national, de conseiller départemental nommé ou de conseiller municipal de Paris.
Pourront cependant être relevés, par le préfet, après enquête, de la déchéance prévue aux alinéas c) et d) du présent article les Français qui se sont réhabilités par leur participation directe et active à la Résistance, participation constatée par décision du Comité départemental de libération.

Titre V
Comités départementaux de Libération

Article 19.

Dans chaque département, il est institué, dès sa libération, un Comité départemental de Libération chargé d'assister le préfet.

Il est composé d'un représentant de chaque organisation de résistance, organisation syndicale et parti politique affiliés directement au Conseil national de la Résistance existant dans le département.

Le Comité départemental de Libération assiste le préfet en représentant auprès de lui l'opinion de tous les éléments de la Résistance.

Il est obligatoirement consulté sur les remplacements des membres des municipalités et du Conseil général.

Il cesse ses fonctions après la mise en place des conseils municipaux et des conseils généraux, selon la procédure prévue aux articles ci-dessus.

Titre VI
Assemblée représentative provisoire 
et Gouvernement provisoire

Article 20.

L'Assemblée consultative provisoire se transportera en France en même temps que le Comité français de la Libération nationale et sera convoquée dans la ville où siégeront les pouvoirs publics.

Elle s'y complétera immédiatement de délégués des diverses organisations adhérentes au Conseil national de la Résistance, désignés par le comités directeurs de ces organisations dans la proportion actuellement en vigueur et en nombre égal.

L'Assemblée se transformera ensuite dans les conditions précisées aux articles suivants.

Article 21.

Chaque département élit au scrutin de liste secret majoritaire à deux tours de scrutin autant de délégués que sa population, suivant le dernier recensement légal, contient de fois 150 000 habitants, plus un par fraction de plus de 75 000 habitants.

Nul département n'élit moins de deux délégués. Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. Les élections ont lieu en principe dans chaque département dans le même temps que les élections aux assemblées municipales et cantonales.

Ne peut être élu aucun des citoyens visés à l'article 18 de la présente ordonnance.

Article 22.

Dans le mois qui suit l'installation en France de l'Assemblée consultative provisoire, chacun de ses membres devra faire connaître au bureau de l'Assemblée le département ou le territoire auquel il déclare se rattacher.

Lorsque dans un département ou un territoire il aura été procédé à des élections, les délégués appartenant à ce département ou à ce territoire et qui n'auront pas été élus cesseront leurs fonctions.

Article 23.

Lorsqu'il a été procédé à des élections dans les 2/3 des départements métropolitains dont celui de la Seine, l'Assemblée consultative provisoire se transforme en Assemblée représentative provisoire.

Article 24.

Dans les quinze jours qui suivent le deuxième tour de scrutin de la dernière élection, l'Assemblée procède à la constitution de son bureau.

Article 25.

Une fois le bureau constitué, le Comité français de la Libération nationale remet ses pouvoirs à l'Assemblée qui, à la majorité absolue de ses membres, élit le président du Gouvernement provisoire.

Celui-ci forme le Gouvernement provisoire et se présente avec lui devant l'Assemblée, qui sera appelée à voter sur la déclaration ministérielle.

Le vote de confiance confère au Gouvernement provisoire et jusqu'à l'entrée en fonction de l'Assemblée constituante les pouvoirs définis par le paragraphe 3 de l'article unique de la loi du 8 décembre 1939.

Article 26.

Les membres de l'Assemblée sont couverts par l'immunité prévue par les lois constitutionnelles de la République.

Article 27.

L'Assemblée représentative provisoire reste en fonction pendant toute cette période et est dissoute de plein droit dès l'entrée en fonction de l'Assemblée constituante.

Elle est obligatoirement consultée sur toutes les conventions internationales qui, aux termes es lois républicaines, étaient soumises à l'approbation du Parlement ainsi que sur tous les projets d'ordonnance. Les décrets-lois pris en cas de nécessité immédiate en vertu du dernier alinéa de l'article 25 sont soumis à la ratification de l'Assemblée dans le délai d'un mois.

Article 28.

L'Assemblée vote le budget sans avoir l'initiative des dépenses.

Article 29.

À la majorité de ses membres, elle peut appeler le Gouvernement devant elle pour s'expliquer sur sa politique générale et, à la même majorité, porter à son ordre du jour toute question présentant un intérêt d'ordre national.

Article 30.

Dès son arrivée en France, l'Assemblée est consultée sur l'institution d'une Haute Cour de justice.

Article 31.

L'Assemblée est chargée d'établir, en plein accord avec le Gouvernement, le mode de représentation à l'Assemblée constituante des territoires de l'Empire.

Elle est consultée sur la fixation de la date et des modalités des élections à l'Assemblée constituante.

Article 32.

Des décrets pris en forme de règlement d'administration publique déterminent les conditions d'application et la mise en vigueur de la présente ordonnance en Algérie, ainsi que dans les territoires relevant du département des colonies. Toutefois le nombre des délégués, à l'Assemblée représentative provisoire, de l'Algérie et de ceux de ces territoires qui élisaient des représentants à la Chambre des députés reste égal à celui des députés qui étaient qui étaient élus par l'Algérie et par ces territoires.

Article 33.

La présente ordonnance sera publiée au Journal officiel de la République française et exécutée comme loi.
Alger, le 21 avril 1944

De Gaulle

Par le Comité français de la Libération nationale :

Le commissaire d'État
Catroux

Le commissaire d'État
Queuille

Le commissaire d'État
A. Philip

Le commissaire d'État
François Billoux

Le commissaire à la justice,
Commissaire à l'intérieur p. i.
François de Menthon

Le commissaire aux affaires étrangères
Massigli

Le commissaire aux finances
Pierre Mendes-France

Le commissaire au ravitaillement et à la production
F. Giaccobi

Le commissaire à l'éducation nationale et à la jeunesse,
Commissaire aux affaires sociales p. i.
René Capitant

Le commissaire aux communications et à la marine marchande
René Mayer

Le commissaire à la guerre
André Diethelm

Le commissaire à l'air
Fernand Grenier

Le commissaire à la marine
Louis Jacquinot

Le commissaire aux colonies
R. Pleven

Le commissaire à l'information
H. Bonnet

Le commissaire aux prisonniers, déportés et réfugiés
Frénay

Le commissaire délégué à l'administration des territoires métropolitains libérés
André Le Troquer

Ordonnance publiée au JO n° 34 du 22 avril 1944, p. 325-327.