Institut de Stratégie Comparée, Commission Française d'Histoire Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains |
|
||||||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||||||
|
Si Votre Majesté jugeait mes idées dignes de fixer son attention, je supplierais de m’accorder sa protection pour rappeler à la mémoire du Roi et à celle du ministre qu’un jeune officier offre
Avant d’être présentée à la reine, cette lettre avait été annotée par son secrétariat... "M. Lefebvre, officier de marine distingué, au retour d’un voyage dans l’Abyssinie, demande à mettre sous la protection de Sa Majesté un projet d’une grande utilité pour cette contrée." Et la Reine avait écrit en italien sur cette lettre l’intérêt qu’elle portait au moins sur le plan religieux à l’action proposée. Sous le n° 116, le Secrétariat des commandements de la Reine transmettait le 9 juillet 1838 le papier au vice-amiral de Rosannet, ministre de la Marine et des Colonies. Le problème était posé : une partie de l’Erythrée, autour de Massaouah, allait-elle devenir une colonie française ? Qui est donc cet enseigne de vaisseau Lefebvre à l’origine de ce qui deviendra "l’affaire de Massaouah" ? Jeune officier (il est né à Nantes en 1811), et affecté sur un bateau stationnaire du Levant basé à Alexandrie, il avait été noté ainsi le 22 août 1834 par le commandant de la corvette La Bayardère, "Tout est bien chez ce jeune officier. Il est intéressant par sa tenue et son instruction... Je lui ai reconnu toutes les connaissances pour réussir". Passionné par le monde de la mer Rouge, Lefebvre obtient pour visiter cette région un congé de deux ans à la fin duquel il ramène à Paris des notables d’Abyssinie, espérant les faire recevoir officiellement. Aucune suite n’ayant été donnée à sa demande qu’il avait peut-être mal orientée, il adresse alors à la reine la lettre que nous venons de citer. Ce document arrive juste au moment où le gouvernement s’intéresse à cette zone de l’océan Indien, et où, sur la demande du gouverneur de l’île Bourbon, il pense y faire recruter des travailleurs. Lefebvre y est donc envoyé pour une première mission qui se termine en 1843. Il rentre alors en France en traversant la mer Rouge jusqu’à Djeddah, puis Suez avant de continuer par une route terrestre vers le Caire et Alexandrie où il obtient une "couverture diplomatique" pour ses bagages. Ceux-ci contiennent entre autres, des momies qui vont aboutir à Paris dans les caves du Muséum. Il rapporte surtout deux rapports, l’un sera fort apprécié du ministre de l’Agriculture, l’autre, destiné au ministre du Commerce va provoquer en 1847 une nouvelle mission. Cette fois, en plus des consignes à propos du transit des travailleurs immigrés, Lefebvre reçoit des instructions pour surveiller l’action de l’Angleterre dans cette région et pour appuyer un certain nombre de sociétés commerciales françaises qui sont intervenues auprès du ministre pour obtenir cette aide. Cette seconde mission devait s’achever en mars 1849. Or, à cette date, Lefebvre ne songe pas à rentrer parce qu’il est engagé avec le chef local Obié qui lui a donné un territoire à l’ouest de Massaouah et dont il déclare être à la fois le régisseur et l’administrateur, cette zone étant, selon ses dires, exterritorialisée. Il n’envoie à Paris aucune carte, aucune description permettant d’en connaître sa réelle importance. On ne trouve pas trace au En 1852, Drouin de Lhuys, ministre des Colonies récuse les termes d’un rapport du consul général de France à Alexandrie qui fait état d’accusations portées contre lui par deux agents consulaires à Massaouah. Pourtant il semble bien que le chargé de mission Lefebvre se soit laissé entraîner dans quelques affaires peu nettes de détournements de fonds. Ce qui ne l’empêche pas, le 19 août 1853, de rappeler encore au ministre de la Marine que sa mission consiste à faire reconnaître à la France une partie du territoire d’Abyssinie et qu’il reste sur place en attendant toujours les instructions et les subventions du gouvernement. Il adresse le même jour à Napoléon III copie de ce rapport. La réponse de Paris est nette. Lefebvre est rapatrié, par ordre, le 31 décembre 1854. L’Angleterre d’ailleurs agacée par cette activité française sur les bords de la mer Rouge intervient officiellement. Le 31 mai 1856, lord Clarendon du Foreign Office transmet à l’amiral Hamelin, ministre de la Marine, le rapport d’un agent en Abyssinie qui prétend que Lefebvre souffrait d’aliénation mentale, ce que confirme peu après le ministre français des Affaires étrangères par une note précisant les motifs sanitaires du rapatriement. Voilà une affaire réglée discrètement sur le plan diplomatique. Quant à Lefebvre, il a été mis à la retraite avec le grade de lieutenant de vaisseau le 2 juin 1855. Et c’est ainsi qu’il n’y a pas eu de colonie française en Erythrée. * * * En matière de conclusion, on pourrait évoquer Obock. Henri Lambert, agent consulaire à Aden jusqu’en 1859, entra en contact avec Dini Ahmed Aboubeker, parent du sultan de Tadjoura, et le fit recevoir à Paris par Napoléon III. A la suite de cette visite, un traité signé le 11 mars 1862 reconnaissait la cession à la France du territoire d’Obock dont la prise de possession officielle eut lieu le 19 juin 1862. Or les cahiers d’Etudes africaines (n° 29-1968) sous la signature de Henri Brunschwig, ont publié un article intitulé "Obock ? Une colonie inutile : 1862-1888". La Grande histoire rejoint ici la petite histoire car Obock a bien été avant Djibouti la capitale de cette Somalie française devenue République de Djibouti et qui reste toujours en 1991 une base pour nos marins et nos légionnaires.
|
||||||||||||||||||||
Copyright www.stratisc.org - 2005 - Conception - Bertrand Degoy, Alain De Neve, Joseph Henrotin |
|||||||||||||||||||||