« Je ne suis pas mort. La preuve, j’écris. Et pourtant je ne devrais plus être de ce monde. » Cette phrase, l’artiste Walter Spitzer, rescapé de la Shoah, l’avait inscrite en avant-propos de son livre Sauvé par le dessin (édition Favre), publié en 2004 et préfacé par l’écrivain Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix. Il y raconte comment il a survécu aux camps de la mort, a été recueilli par des unités américaines dont il a accompagné la route à travers l’Allemagne vaincue jusqu’à Paris, où il pose ses valises après la guerre. La mort l’a rattrapé mardi 13 avril : le peintre s’est éteint à Paris, à l’âge de 93 ans, des suites du Covid-19.
Né le 14 juin 1927 à Cieszyn, ville polonaise à la frontière avec la Tchécoslovaquie, Walter Spitzer connaît une enfance heureuse dans une famille juive traditionaliste. L’annexion du pays par l’Allemagne, en 1939, précipite l’expulsion de sa famille vers le ghetto de Strzemieszyce, où elle subit brimades et privations. Lors d’une rafle en juin 1943, son demi-frère, sa sœur et son neveu sont exécutés. Il apprendra plus tard que sa mère a aussi été tuée. Lui-même est envoyé au camp de travail de Blechhammer, rattaché à Auschwitz.
Quoique conscient du tabou qu’il y a à représenter l’irreprésentable, il redessinera de mémoire ses souvenirs des camps
A mesure que les troupes libératrices se rapprochent, Walter Spitzer est déplacé vers l’enfer de Gross-Rosen – « le rendez-vous de la lie de toute l’Europe déguisée en kapos », écrit-il. Il entre à Buchenwald en février 1945. Viendra ensuite la « marche de la mort », cet ultime supplice : les prisonniers les plus faibles meurent d’épuisement ou sont exécutés.
Walter Spitzer survit à la barbarie en dessinant les portraits de ses camarades d’infortune, mais aussi des soldats nazis, qu’il échange contre de la nourriture ou une paire de bottes. « Je n’avais aucune prétention historique, ni là, ni plus tard, ni jamais, dira-t-il modestement en 2005 au micro de France Info. Je n’ai jamais pensé que les dessins que je faisais dans les camps étaient un acte de résistance. Je dessinais, tout simplement. » Pour conjurer le désespoir ou la folie et, d’une certaine façon, tenir tête au destin.
Tous ses dessins sont alors détruits – « un déporté ne se promène pas avec un rouleau de papier sous les bras », écrit-il. Mais Walter Spitzer, devant ses camarades de Buchenwald, avait fait la promesse de témoigner de la barbarie. Quoique conscient du tabou qu’il y a à représenter l’irreprésentable, il redessinera de mémoire ses souvenirs des camps.
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