Philippe Richert, Président de la Région Alsace-Champagne Ardenne-Lorraine, opposé au projet de Ligne à Grande Vitesse (LGV) Poitiers-Limoges, le 7 avril 2016

L'image de Philippe Richert s'est effondrée auprès des Alsaciens depuis qu'il a accepté la présidence de la région Grand Est.

afp.com/JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

Les questions identitaires ne sont jamais à négliger. Lors de la création des grandes régions, c'est en Alsace que s'étaient exprimées les plus fortes protestations, mais Paris avait décidé de passer outre et avait cru trouver en Philippe Richert l'homme de la situation. Cet Alsacien pur jus n'était-il pas un agent d'influence idéal pour faire passer la pilule ? Las... Si le plan de vol paraissait impeccable, il vient de dévier de sa trajectoire. Samedi, le président du Grand Est a présenté sa démission.

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Lors d'un discours devant le conseil régional de Strasbourg il a expliqué son choix: "J'ai décidé que j'allais laisser la main pour que d'autres puissent prendre la suite dans la foulée [...] Je suis un homme de rassemblement. Mais je sais aussi que les cimetières sont nombreux de ceux qui pensent qu'ils sont irremplaçables. Il faut penser à la suite, 2021, et je ne serai plus candidat. Il faut penser à cette élection, à celui qui doit se faire connaître et se préparer [...] j'ai décidé de ne pas aller au bout du mandat."

Une image dégradée

S'il a mis en avant sa volonté de préparer sa succession, personne n'est dupe. En réalité, il était las des attaques dont il était l'objet car, depuis deux ans, son image auprès des Alsaciens s'est effondrée. L'acte d'accusation est simple : l'homme est accusé d'avoir accepté la disparition de l'Alsace, et d'en avoir tiré un profit personnel : la présidence d'une région Grand Est aux dimensions de la Croatie. La population se sent trahie et exprime son mécontentement.

"Richert a trahi l'Alsace. Tous les Alsaciens en sont convaincus.", écrit ainsi un internaute sur le site des Dernières Nouvelles d'Alsace, le grand quotidien régional. La société civile se mobilise, avec la publication d'un "appel des 100" (personnalités) en faveur du retour à l'ancienne région. Les noms d'oiseaux fusent sur les réseaux sociaux. Les huées l'accueillent lors de certaines manifestations.

Les politiques le lâchent: les présidents des deux départements veulent fusionner leurs institutions et prendre des compétences du Conseil régional. Et les électeurs se détournent de lui. Lors des élections régionales, départementales et législatives, le mouvement autonomiste Unser Land, qui porte ce combat, obtient des résultats spectaculaires. Jusqu'à qualifier l'un de ses représentants au second tour dans une circonscription du Bas-Rhin...

Il passait pour le meilleur défenseur de la région

Cette colère, Philippe Richert pouvait d'autant moins l'ignorer que la cause alsacienne ne lui est pas indifférente. Car avant d'être accusé d'en être le fossoyeur en chef, il avait longtemps incarné son identité. En 2013, il passait même au contraire pour le meilleur défenseur de sa région. Cette année-là, il se bat pour créer la création d'une collectivité unique, fusionnant le Conseil régional et les deux départements. Une très large majorité d'Alsaciens (58% de "oui") le suit, mais des règles électorales saugrenues transforment cette victoire politique en échec juridique. En revanche, son image dans la population est intacte. Aussi, lorsque, au printemps 2014, François Hollande et Manuel Valls annoncent une nouvelle carte des régions, les Alsaciens voient en lui le meilleur rempart de l'identité locale. C'est peu dire qu'il va les décevoir.

D'emblée, il opte pour le compromis, en plaidant pour une "simple" fusion de l'Alsace avec la Lorraine, sans la Champagne-Ardenne. Dans son esprit, il s'agit de limiter les dégâts. "Quand vous êtes dans l'opposition, vous ne pouvez pas l'emporter. La seule solution, c'est le dialogue", estime-t-il. Dans un premier temps, il croit avoir obtenu gain de cause puisqu'en juin, François Hollande propose très officiellement l'Alsace-Lorraine. Et en juillet, les socialistes y ajoutent la Champagne-Ardenne.

"Il a trahi l'Alsace"

Furieux, Richert organise le 11 octobre 2014 une grande manifestation à Strasbourg, qui rassemble environ 10 000 personnes. Une manière pour lui de prouver sa bonne foi et de tenter de reprendre la main. Mais le courant ne passe plus. Son ralliement à l'Alsace-Lorraine a été trop précoce pour être compris. "En acceptant l'Alsace-Lorraine, il a trahi l'Alsace", cingle par exemple l'autonomiste Andrée Munchenbach.

Le réquisitoire est simple: Richert ne s'est pas suffisamment battu. Pourquoi n'a-t-il pas organisé la démission collective des parlementaires et des conseillers régionaux de droite ? Pourquoi n'a-t-il pas lancé une consultation, qui se serait sans doute traduite par un triomphe? "J'ai saisi les meilleurs constitutionnalistes: un référendum était impossible à organiser", se défend l'intéressé, "marqué" par les attaques dont il était l'objet et qu'il estime encore aujourd'hui injustes. Sans doute. Mais ce qu'on lui reproche, c'est de n'avoir pas su créer un rapport de forces avec le gouvernement, quel qu'en soit le moyen. Il a d'ailleurs rappelé samedi que "le président de la République et le Premier ministre étaient opposés au retour de la région Alsace", semblant encore une fois prendre comme une donnée la volonté de Paris.

De fait, le parcours de Richert apparaît peu lisible: engagement sincère en faveur de la collectivité unique en 2013; acceptation immédiate de l'Alsace-Lorraine au printemps 2014; refus du Grand Est quelques mois plus tard pour finalement en prendre tranquillement la présidence en décembre 2015... Comment, en effet, les Alsaciens n'auraient-ils pas le sentiment d'avoir été trahis ?

L'homme, aujourd'hui, est sincèrement blessé. Mais il sait au fond de lui qu'il est le premier responsable de ce qu'il lui arrive.

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