Les nouveaux membres du gouvernement d'union ont été accueillis sur le tarmac de l'aéorport d'Aden, peu de temps avant l'attaque.

Les nouveaux membres du gouvernement d'union ont été accueillis sur le tarmac de l'aéorport d'Aden, peu de temps avant l'attaque.

AFP

"Le gouvernement est déterminé à remplir ses devoirs et à oeuvrer pour restaurer la stabilité au Yémen". C'est dans la confusion, au lendemain de l'attaque qui a touché mercredi l'aéroport d'Aden au Yémen, peu de temps après l'arrivée de membres du nouveau gouvernement d'union, que le nouveau ministre des Affaires étrangères Ahmed ben Moubarak a tenu cette promesse dans un message publié sur Twitter. Cet attentat a provoqué la mort de 26 personnes, dont des journalistes, ainsi que des humanitaires, et une cinquantaine de blessés. Les membres du gouvernement, dont le Premier ministre, Maïn Abdelmalek Saïd, n'ont pas été touchés et ont pu être mis à l'abri.

Publicité

Ce gouvernement d'union, formé le 18 décembre sous l'égide de l'Arabie saoudite, rassemble des proches du président Abdrabbo Mansour Hadi et des membres du Conseil de transition du Sud. "Cette attaque est un très mauvais signal envoyé par rapport aux promesses de sécurisation annoncées par ce nouveau gouvernement qui s'installe à Aden, alors que les forces sudistes n'ont toujours pas livré leur position à l'armée régulière et ne se sont pas retirées. Le gouvernement arrive dans un climat déjà très délétère", avance auprès de L'Express Franck Mermier, anthropologue et chargé de recherches au CNRS.

LIRE AUSSI : Au Yémen, des mercenaires contraints de combattre à la place des Saoudiens et des Emiratis

Les auteurs de l'attaque n'ont pour l'instant pas été identifiés, mais Ahmed ben Moubarak a d'ores et déjà accusé les Houthis, qui contrôlent au nord la capitale historique Sanaa, sans fournir de preuves officielles. "Les auteurs de cette attaque sont des gens hostiles à l'Arabie saoudite et à ce que ce gouvernement peut représenter. On peut trouver des quantités de milices qui ne veulent pas que cela change car il y a toute une économie de guerre, mafieuse qui est déjà bien en place", explique auprès de L'Express le politologue François Frison-Roche, chercheur au CNRS et directeur du projet français d'aide à la transition du Yémen entre 2012 et 2014.

Un gouvernement qui suscite néanmoins l'espoir chez les Yéménites

Le nouveau cabinet est composé de 24 ministres, dont les portefeuilles ont été répartis de façon équitable, si ce n'est pour les postes régaliens de la Défense, de l'Intérieur et des Affaires étrangères qui sont allés à des proches du président. "Ce gouvernement est une fiction. Le président de la République n'est même pas sur le territoire et siège à Riyad en Arabie saoudite. Il a pour seule qualité d'être reconnu par la communauté internationale", juge François Frison-Roche. "Que le président soit à Riyad ou à Aden, cela ne changera pas grand-chose. On a l'habitude de ne pas voir beaucoup d'actions de sa part. C'est très dangereux pour lui de retourner au Yémen", tempère toutefois auprès de L'Express Linda al-Obahi. Pour cette consultante yéménite, ce gouvernement "suscite néanmoins beaucoup d'espoir et commence à obtenir le soutien des Yéménites".

LIRE AUSSI : Coronavirus : au Yémen, les humanitaires redoutent une future "catastrophe"

D'après Franck Mermier, ce gouvernement reste cependant "très faible" et repose "sur un compromis extrêmement fragile". "Il y a déjà un membre du gouvernement qui représente le courant nassérien qui a refusé de prêter serment à Riyad. Il souhaitait que le gouvernement prête serment à Aden. Il y a un courant politique qui ne se sent pas représenté", rappelle l'ancien directeur du Centre français d'études yéménites, situé à Sanaa, de 1991 à 1997.

Défi humanitaire, sécuritaire et économique

Le gouvernement doit aussi faire face à un immense défi à la fois humanitaire, sécuritaire et économique. En près de six années de guerre, plus de 230 000 personnes ont perdu la vie, selon un rapport publié le 1er décembre par le Bureau de la Coordination des affaires humanitaires (OCHA). Ce département rattaché à l'ONU estime que cette guerre a provoqué la pire crise humanitaire actuelle. En juin 2020, l'Unicef estimait dans un autre rapport que le nombre d'enfants souffrant de malnutrition pouvait atteindre 2,4 millions d'ici la fin de l'année. "Ce gouvernement a été nommé pour appliquer l'accord de Riyad. Il y a une feuille de route bien précise. Avec la désignation des 24 ministres, on est en train d'appliquer le côté politique de cet accord. Il y aura ensuite l'aspect économique. Le gouvernement doit notamment régler la question du salaire des fonctionnaires. Enfin, il y aura le côté militaire, puis sécuritaire", détaille Linda al-Obahi.

LIRE AUSSI : La guerre sans témoins du Yémen

Pour autant, sur un territoire marqué par plusieurs années de guerre, le gouvernement d'union va devoir imposer sa politique. "Il va y avoir une difficulté à mettre en place des plans de développement économique sur un territoire coupé en plusieurs tronçons. Il est quasiment impossible de faire régner la loi et l'ordre dans les régions qui sont sous le contrôle du gouvernement légal, à cause de nombreuses milices qui, localement, font appliquer leurs propres règles. Il est très difficile pour le gouvernement d'avoir une emprise sur le territoire sous sa gouverne", explique Franck Mermier. Selon Linda al-Obahi, la première étape cruciale sera le retour de l'Etat à Aden. "Il faut d'abord que le gouvernement affirme sa position dans cette ville et petit à petit en donnant l'exemple à Aden, estime-t-elle. Cela va par la suite convaincre les Yéménites dans les autres villes de s'aligner."

Publicité