Le doigt de Karim Raddad suit le tracé des lettres ensanglantées. « Ça ne peut pas être de l’ADN de contamination ça, c’est du contact, non ? », demande-t-il, installé à la terrasse d’un hôtel toulonnais. Cet homme de 33 ans au visage émacié connaît bien le vocabulaire de la police scientifique ; ces mots-là font partie de sa vie, il a grandi avec, en fils aîné d’Omar Raddad, le jardinier marocain accusé du meurtre de sa patronne, Ghislaine Marchal, le 23 juin 1991, dans le sous-sol de sa villa de Mougins (Alpes-Maritimes).
Trente ans ont passé. Ce dimanche de juin, le jeune homme, toujours persuadé de l’innocence de son père, consulte un rapport établi par un expert privé sur les deux inscriptions les plus célèbres de l’histoire criminelle française : « Omar m’a tuer », écrite distinctement sur la porte de la cave à vin, et « Omar m’a t », dessinée de façon plus floue sur celle de la chaufferie, à proximité du corps de Mme Marchal. L’ADN dit de « contamination » correspondrait à une « pollution » de ces deux pièces maîtresses du dossier par un huissier, un enquêteur ou un expert qui les aurait manipulées. En revanche, l’ADN de contact pourrait avoir été déposé par l’auteur du message.
Dimension sociétale et politique
Trois décennies après les faits, l’affaire divise encore alors que de nouvelles analyses génétiques surgissent. Du côté de la défense et autour de Karim, un groupe d’irréductibles s’active pour obtenir la révision du procès et la réhabilitation de l’ex-jardinier. A l’inverse, les proches de la victime demeurent convaincus de sa culpabilité et déplorent la dimension sociétale et politique prise dès 1991 par l’affaire. Selon la nièce de Ghislaine Marchal, l’avocate parisienne Sabine du Granrut, elle n’aurait jamais eu autant d’ampleur « si le meurtrier avait été français avec un nom français ».
Comment grandir et se construire à l’ombre d’une telle histoire ? A Toulon, Karim Raddad, qui accorde la première interview de sa vie, se souvient de tout : de l’arrestation de son père quand il avait 4 ans ; de la prison de Grasse ; de la gentillesse de la maîtresse d’école… Et aussi de ce jour de 1998, où il disputa une partie de baby-foot avec son père, fraîchement libéré car gracié (mais pas innocenté) par Jacques Chirac. « Le fils d’Omar Raddad », comme il est souvent qualifié, a presque appris à lire sur les documents judiciaires : « Mon père est illettré, c’est moi qui lui lis et traduis tout depuis toujours. »
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