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Les révolutions technologiques ne sont pas qu’une question de technologie

L’intelligence artificielle sera-t-elle le déclencheur de la prochaine transformation du système économique ? Les chercheurs n’ont pas encore tranché cette question. STR / AFP

« Dans de nombreuses industries, il arrive un moment où les conditions techniques de base sont révolutionnées. Lorsqu’un changement aussi fondamental se produit, une nouvelle ère commence ». Depuis les travaux cités ci-dessus de l’économiste américain Simon Kuznets dans les années 1930, des chercheurs d’approches différentes ont montré que les technologies dites « radicales », telles que la machine à vapeur, l’électricité ou l’ordinateur, constituent la principale source de développement économique à long terme. Autrement dit, ce sont les premiers vecteurs de transformation du système économique à la fois sur un plan quantitatif (croissance économique) et qualitatif (changements structurels et changements institutionnels).

Évolution stylisée du processus de développement économique. Fourni par l'auteur

En effet, selon ces études, les technologies radicales sont à l’origine des révolutions technologiques, c’est-à-dire, un « processus de destruction créatrice » qui créé de nouveaux secteurs et impacte profondément les industries existantes, en détruisant certaines et en rajeunissant d’autres. La succession au cours du temps des révolutions technologiques, à son tour, est à l’origine de la croissance à long terme de l’économie (la ligne pointillée dans le graphique), et de ses fluctuations, aussi appelées vagues longues de développement économique (la ligne droite dans le graphique).

Chaque vague représente l’impact sur la production d’une révolution technologique. Dans le graphique, les vagues ont la même longueur et la même amplitude, mais en réalité, ce n’est généralement pas le cas.

Et maintenant l’IA ?

La littérature identifie souvent trois révolutions technologiques principales : la première (vers 1770) basée sur la machine à vapeur et l’industrie textile ; la deuxième (vers 1870) avec l’électricité, le moteur à combustion interne et la chimie ; la troisième (vers 1970) fondée sur les TIC (Technologies de l’information et de la communication), comme les semi-conducteurs, ordinateurs, logiciels, Internet, etc. Enfin, selon certains auteurs, l’intelligence artificielle (IA) et d’autres technologies interdépendantes (big data, Internet des objets, réalité virtuelle, etc.) pourraient constituer la prochaine révolution.

Quels sont alors les facteurs qui déterminent l’émergence des révolutions technologiques et leurs directions de changement ? Nos recherches sur le sujet permettent de distinguer des facteurs endogènes au système économique (c’est-à-dire qui dépendent des variables économiques, telles que la croissance économique) et des facteurs exogènes.

Le principal facteur endogène découle de la tendance de certains acteurs économiques à investir dans des technologies radicalement nouvelles lorsque les technologies dominantes ne produisent plus les gains de profits espérés. Par exemple, des études ont souligné comment les gains de productivité des TIC ont été très faibles et décroissants à partir du début des années 2000.

La machine à vapeur, l’une des révolutions technologiques identifiées par la littérature. Wikimedia

De surcroît, un certain nombre de facteurs exogènes peuvent avoir un impact majeur sur le processus endogène susmentionné en influençant à la fois la durée et l’amplitude des fluctuations à long terme (les vagues). Autrement dit, ils peuvent accélérer ou retarder l’émergence d’une nouvelle révolution et donc d’une nouvelle phase de développement économique.

Ces facteurs exogènes peuvent inclure des événements historiques aléatoires (guerres, épidémies, désastres naturels, etc.), des purs facteurs techniques et différents acteurs socio-institutionnels, tels que les gouvernements, les universités, les institutions financières, les associations ou les mouvements sociaux.

Par exemple, les institutions scientifiques (universités et laboratoires de recherche) élargissent le stock de connaissances scientifiques qui sert de base au développement des nouvelles technologies. Quant aux institutions financières, elles restent importantes pour financer de nouveaux projets à haut risque.

Le poids des gouvernements

Plus généralement, l’ensemble des institutions – le système d’enseignement et de formation, les institutions du marché du travail, le système de propriété intellectuelle et, les institutions politiques et culturelles – peuvent accélérer ou ralentir une nouvelle révolution soit en favorisant sa diffusion et son assimilation dans la société, soit en agissant comme dissuasif au changement.

De plus, les acteurs socio-institutionnels peuvent influencer le choix du paradigme technologique et des trajectoires technologiques qui caractérisent chaque révolution. Ils peuvent en effet jouer un rôle au travers de leurs préférences de consommation, ainsi que dans la formulation de besoins technologiques et sociaux à satisfaire. Par exemple, l’émergence de la révolution associée aux TIC et son paradigme technologique ont été profondément influencés par le besoin du gouvernement américain de miniaturiser les composantes électroniques pour des objectifs militaires de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide.

Notre analyse suggère que le ralentissement de la productivité observé à partir des années 2000 peut être un signal que le système économique doit changer ses technologies dominantes et que nous vivons une phase de ferment technologique, qui pourrait conduire à une nouvelle révolution technologique.

Cependant, notre étude souligne également que les facteurs exogènes peuvent avoir un impact très important à la fois sur le timing d’une éventuelle révolution et sur ses trajectoires de changement technologiques et sociales. Ainsi, des facteurs liés à la manière dont les gouvernements feront face aux défis de la crise sanitaire liée au Covid-19 ou encore à la crise écologique globale et aux inégalités croissantes pourraient peser. Par conséquent, la phase actuelle peut représenter une opportunité importante et rare, pour les politiques publiques et les acteurs socio-institutionnels, d’orienter le développement futur vers des directions socialement souhaitables.

Un débat politique sérieux et inclusif il nous semble alors nécessaire afin de discuter quelles sont les trajectoires de changement technologique et sociale à prioriser et quelles sont les directions à négliger ou à reporter, de manière à concentrer les investissements dans des directions de changement partagées et capables de tracer une phase de développement économique plus équitable.

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