Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/387

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destitue et le remplace par un ancien sous-officier de chasseurs, Pélissier ; il ne prit pas d’autre mesure militaire.

Du 29 mars au 3 avril, la confusion est à son comble. Crémieux est de plus en plus impuissant à mettre quelque ordre dans ce chaos. C’est en vain qu’il s’emploie à rapprocher la Commission départementale du Conseil municipal, allant jusqu’à proposer à ce dernier de lui passer complètement la main. Celui-ci, pris de peur, ne répond pas, se dérobe. Les bourgeois radicaux sont passés corps et biens, comme à toutes les minutes décisives, dans le camp de la réaction. Il ne restait donc plus à la Commission départementale et aux délégués parisiens qu’un parti à prendre : se battre, disputer le terrain, organiser la défense, s’ils se sentaient impuissants à attaquer ; mais ce fut bien la dernière chose à laquelle ils songèrent. Ils auraient pu armer Notre-Dame de la Garde dont la forte position commande la ville et les environs ; ils n’en eurent pas plus souci que le Comité Central n’en avait eu de s’assurer la possession du Mont-Valérien. Eux aussi pensaient, tenace illusion, que les soldats ne marcheraient pas, qu’ils fraterniseraient avec le peuple. À tous, Landeck répétait cette antienne et s’en tenait là. L’événement seul détrompera ces illuminés.

Le 3, au soir, en son camp d’Aubagne, Espivent reçoit la nouvelle de l’échec des fédérés de Paris, repoussés et pourchassés jusque sous les murs de la capitale. Fouetté par ce télégramme, il donne aussitôt à ses troupes l’ordre de marche. À ce moment il avait sous son commandement 6 à 7.000 hommes, mal encadrés et peu solides, mais il savait par des espions que le parti de la révolution à Marseille était loin de pouvoir rassembler un pareil effectif, que miné par les divisions intestines, circonvenu par les intrigues radicales, il serait impuissant à l’heure suprême à mettre debout tout ou même une fraction appréciable de la garde nationale. De fait, il pénétra dans la place en se jouant. À la gare seulement, défendue par des francs-tireurs et des garibaldiens, il rencontra quelque résistance. La Commission départementale attérée, passant de l’optimisme le plus aveugle au sentiment opposé, délègue auprès du reître, pour traiter, Landeck, Crémieux et Pélissier. Traiter, il s’agissait bien de cela à ce moment. Espivent, au mépris de tout droit, voulut arrêter et fusiller les trois parlementaires. Finalement, il les renvoie avec cet ultimatum : « Que la préfecture me soit livrée dans dix minutes, où je la prends de force dans une heure ». Mais, au cours de ces pourparlers manques, Marseille s’était réveillée ; la foule emplissait les rues : gardes nationaux en armes, femmes ardentes qui apostrophaient les soldats redevenus hésitants et pacifiques. Espivent perçoit le danger et, pour couper court, lance, baïonnette en avant, à l’assaut de la préfecture où la Révolution conservait son quartier général, le 6e bataillon de chasseurs à pied, seul corps sur lequel il put vraiment compter. Les gardes nationaux de l’ordre, abrités dans les maisons du cours Bonaparte, dans l’établissement des Frères de la Doctrine chrétienne spécialement et au local du