Les Tremblements de terre/II/04

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J.-B. Baillière et Fils (p. 286-307).
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CHAPITRE IV


TREMBLEMENT DE TERRE D’ANDALOUSIE
― 25 décembre 1884 ―


La partie de l’Andalousie la plus maltraitée par le tremblement de terre du 25 décembre 1884 est située de part et d’autre d’une chaîne de montagnes abruptes appelée sierra Tejeda, qui sert de limite entre les deux provinces de Grenade et de Malaga. À l’ouest, elle se continue avec la sierra de Chorro qui longe un massif arrondi, en partie composé de roches éruptives basiques, connu sous le nom de serrania de Ronda. À l’est, la sierra Tejeda s’incurve vers le N.-E., en se dirigeant vers la sierra Nevada, mais, en même temps, au niveau de cette courbure, elle s’unit à une autre chaîne qui semble en être la continuation et qui porte le nom de sierra Almijara. Les trois sierras de Chorro, Tejeda et Almijara forment en réalité orographiquement une chaîne unique qui court à peu près parallèlement à la côte sud de l’Andalousie, en présentant toutefois, aux environs de la ville de Malaga, un recul vers le nord, de manière à y constituer une sorte de conque bordée de crêtes élevées.

Les sommets de cette ceinture montagneuse sont hérissés de rochers calcaires d’un blanc bleuâtre, cristallins, d’aspect presque uniforme, et cependant, appartenant à diverses formations géologiques. Les terrains paléozoïques, le trias, le jurassique, peuvent revendiquer quelques parties de ces assises. Les calcaires paléozoïques dominent dans la partie centrale de la chaîne, les dolomies triasiques et les calcaires jurassiques dans la partie occidentale.

C’est seulement de ce côté que l’on y observe des fossiles.

Ces calcaires sont en contact vers le sud avec des schistes cristallins d’aspects divers, dont quelques-uns sont riches en minéraux cristallisés : mica, grenat, andalousite, disthène, staurotide, trémolite, rutile, etc. ; partout le métamorphisme est extrêmement accentué. Les cipolins sont comme les schistes, riches en minéraux divers : trémolite, mica blanc (à deux axes très rapprochés), grenat, disthène, wollastonite, etc. Du côté sud de la chaîne, la pente est très forte et se termine en haut par des escarpements à pic. Les assises du terrain paléozoïque sont redressées, disloquées et portent l’empreinte de violents mouvements mécaniques. C’est seulement en arrivant au bas des pentes que l’on rencontre des lambeaux de schiste triasique, puis quelques débris de calcaire et de grès nummulitique, et enfin, tout à fait au bord de la mer, quelques dépôts pliocènes. Le versant septentrional est plus adouci. On y retrouve encore les roches paléozoïques, mais elles sont en grande partie recouvertes par les plis de refoulement du jurassique et du néocomien. Des argiles triasiques y couvrent aussi une assez vaste étendue de terrain et l’on y observe un bassin tertiaire en partie lacustre et en partie marin. Enfin, des dépôts d’un travertin blanc rosé tapissent fréquemment le tout.

Au point le plus élevé de la chaîne existe un petit bassin d’environ 10 kilomètres de diamètre, bien intéressant au point de vue orographique : c’est le bassin de Zaffaraya, bordé de toutes parts de crêtes calcaires et n’offrant aucun écoulement apparent aux eaux pluviales. La petite rivière qui le parcourt y disparaît dans le sol au moyen de conduits souterrains qui ont reçu le nom de sumideros ; elle reparaît à l’ouest et au sud de la chaîne sous forme de sources abondantes.

Les roches stratifiées qui composent la sierra Tejeda ne sont traversées par aucune roche éruptive. Il faut aller vers l’ouest jusqu’à la serrania de Ronda pour trouver des amas de gabbros et de serpentine, et à l’est jusqu’au cap de Gates pour rencontrer des roches volcaniques basiques.

La sierra Nevada adossée au nord-est à la sierra Tejeda paraît entièrement composée de roches paléozoïques.

La région de l’Andalousie qui nous intéresse est sillonnée de nombreuses failles dont les membres de la mission française de 1884 ont relevé la direction et la position. Ces cassures ont bouleversé non seulement les terrains paléozoïques, mais encore les assises secondaires de la contrée. Les calcaires jurassiques, en raison de leur compacité, ont été particulièrement redressés et se sont maintenus ensuite dans la situation que leur ont donnée les mouvements du sol. C’est pourquoi on les voit former les parties les plus saillantes de la crête de la sierra Tejeda, et, en même temps, on les retrouve au fond des gorges de Gobantès où elles se montrent comme des murailles à pic constituant les parois du ravin.

Ainsi, dans toute l’étendue du district ravagé par le tremblement de terre du 25 décembre 1884, il n’y a jamais eu aucune éruption volcanique, on n’observe pas même de roche éruptive ancienne, mais en revanche, le sol a subi des dislocations considérables et le métamorphisme intense de la plupart des roches qu’on y constate atteste une mise en jeu puissante des forces souterraines. Or, on sait que les régions qui présentent ce caractère sont l’un des sièges de prédilection des phénomènes séismiques.

La péninsule ibérique a été de tous temps fortement éprouvée par les tremblements de terre ; cependant, les provinces qui la composent sont, à cet égard, très inégalement partagées. Tout le centre et le nord-ouest de l’Espagne paraissent être à l’abri de ces redoutables phénomènes. Dans les provinces de Galice et de Léon, dans la vieille et la nouvelle Castille, on n’a jamais éprouvé de tremblements de terre désastreux, et l’on n’y sent jamais que très légèrement l’action des séismes les plus violents parmi ceux qui désolent les provinces voisines. L’Andalousie et le Portugal sont particulièrement sujets aux commotions du sol ; cependant, la Catalogne n’en est pas indemne, quoique moins éprouvée.

On connaît environ 1100 tremblements de terre qui se sont produits, soit en Espagne, soit en Portugal. En ne tenant compte que de ceux qui ont été assez forts pour renverser les habitations, on peut les classer de la façon suivante : 18 ont eu pour siège l’Andalousie ; 15, et parmi eux le plus terrible de tous, celui du 1er novembre 1755 (tremblement de terre de Lisbonne), ont eu leurs effets maxima en Portugal, tandis que l’on n’en connaît que 5 en Catalogne.

L’Andalousie est elle-même inégalement partagée au point de vue de la distribution des séismes. Ils semblent surtout fréquents dans les provinces de Murcie et d’Alméria ; pourtant, les provinces de Grenade et de Malaga ont été aussi, depuis un siècle, fréquemment maltraitées par les séismes. Dans ce laps de temps, nous signalerons surtout les tremblements de terre du 13 novembre 1778, 8 octobre 1790, 19 juin 1801, 17 janvier 1802, 1er août 1824, 21 avril, 15 mai, 4 juillet et 14 décembre 1826, 11 octobre 1829, 21 novembre 1836, 26 janvier 1846, 20 mai 1849, 20 septembre 1862 qui ont été principalement ressentis à Grenade et dans ses environs ; le tremblement de terre du 13 janvier 1786, qui a produit beaucoup de dégâts à Albuñuelas, dans la province de Grenade ; celui du 13 janvier 1804 dont le centre a été à Motril, et ceux des 20 août 1804, 4 août 1841, 3 mars 1843, 25 mai 1851, 13 octobre 1852, 12 mars 1860 qui ont eu principalement leur siège dans la province de Malaga.

Parmi les séismes précédemment cités, les plus violents ont été ceux de 1790, 1802, 1804, 1824, 1826, 1829, 1836, 1841, 1849, 1860, 1884.

L’épicentre du tremblement de terre du 25 décembre 1884 est allongé suivant l’axe montagneux de la sierra Tejeda ; il a la forme d’une ellipse dont le centre serait sensiblement à la jonction de la sierra Tejeda et de la sierra Almijara. Les axes de cette ellipse ont, l’un environ 40 kilomètres de long, l’autre 10 kilomètres seulement. L’épicentre en question comprend le petit bassin de Zaffaraya, dont il vient d’être question. Parmi les localités qu’il renferme, nous citerons Canillas de Acetuno et Periana, au sud de la chaîne ; Zaffaraya et Ventas de Zaffaraya, dans le bassin du sommet ; Alhama, Arenas del Rey et Albuñuelas, au nord de la chaîne. Sa position à la jonction des deux sierras Tejeda et Almijara atteste une relation certaine entre la position du centre d’ébranlement du tremblement de terre et celle des failles qui découpent le sol de l’Andalousie. Il y a sensiblement coïncidence entre le grand axe de l’épicentre et la principale de ces failles.

À partir de l’épicentre, les mouvements ondulatoires produits par les secousses se sont propagés dans toutes les directions, mais avec des intensités très inégales. Tandis qu’ils se sont éteints rapidement dans presque toutes les directions, ils se sont étendus en diminuant lentement d’énergie vers le sud-ouest, de telle sorte que, si l’on trace sur une carte d’Andalousie, la limite des points qui ont ressenti fortement le tremblement de terre sans éprouver des dommages, comme ceux qui ont été constatés dans les localités de l’épicentre, on trouve que cette limite est représentée par une courbe



Fig. 35. — Arenas del Rey.


enveloppant l’ellipse épicentrale, mais différant de celle-ci par l’orientation de son grand axe fortement incliné vers le sud-ouest. On voit, en outre, que les tracés de ces courbes sont influencés par l’existence des massifs de la serrania de Ronda et de la sierra Nevada, sur les deux côtés de la région ébranlée et qu’ils le sont d’autant plus que la courbe considérée est plus excentrique.

Les localités les plus maltraitées sont celles que nous venons de citer comme étant comprises dans l’épicentre. La plupart d’entre elles sont devenues inhabitables. Après la catastrophe, on n’y voyait pas une maison intacte ; presque toutes étaient fortement lézardées, un grand nombre n’étaient plus que des ruines. Le désastre a été surtout considérable à Arenas del Rey (fig. 35 et 36) ;



Fig. 36. — Arenas del Rey.


sur l’emplacement du village, à peine aperçoit-on quelques pans de mur encore debout ; l’aspect général de cette localité est celui d’un immense amas de pierres et de décombres de toute sorte, l’emplacement des rues est méconnaissable. À Alhama, ville importante, les dommages matériels ont été aggravés par le peu de stabilité d’une rangée de maisons édifiées sur le bord d’un ravin. L’étroitesse des rues, l’ancienneté des constructions, la mauvaise qualité des matériaux entrant dans la composition des murs, ont aussi singulièrement facilité les effets destructeurs du tremblement de terre. En mars 1885, l’une des rues principales était encore encombrée jusqu’au niveau du premier étage par les débris des maisons en bordure de chaque côté. L’accumulation était telle qu’on n’avait pu songer à retirer tous les cadavres ensevelis sous les ruines.

On compte 690 morts et 1426 blessés dans les villes et villages au nord de la sierra Tejeda, 55 morts et 57 blessés dans ceux qui sont situés au sud. À Arenas del Rey, dont la population était de 1500 habitants, il y a eu 135 morts et 253 blessés. Dans tout le district éprouvé par les secousses, un relevé officiel indique environ 1200 maisons ruinées et 6000 plus ou moins endommagées.

En dehors de l’Andalousie, le tremblement de terre s’est fait sentir à une grande distance dans l’intérieur de l’Espagne, mais sans produire autre chose qu’un léger frémissement du sol. Ainsi les secousses ont été perçues à Madrid et à Ségovie au nord, Caceres et Huelva à l’ouest, Valence et Murcie à l’est, et, sur la Méditerranée, au sud, sans qu’on puisse déterminer exactement ses limites de ce côté. La surface ainsi délimitée est d’au moins 400 000 kilomètres carrés.

Des appareils séismographiques sensibles ont accusé la propagation des mouvements du sol à des distances beaucoup plus considérables encore. C’est ainsi qu’elle a été signalée par les observatoires de physique terrestre de Rome, de Velletri et de Moncalieri. Un trouble dans les observations astronomiques, constaté à l’Observatoire de Bruxelles dans la nuit du 25 décembre 1888, a été également considéré comme un effet de ces phénomènes. Enfin, il est à noter que les appareils magnétiques des observatoires de Lisbonne, de Greenwich et de Wilhemshafen ont éprouvé dans la même nuit des perturbations qui doivent être attribuées à l’influence du tremblement de terre de l’Andalousie.

À Lisbonne particulièrement, les perturbations enregistrées ont été extrêmement nettes. Les courbes de la composante horizontale, de la composante verticale et de la déclinaison, qui nous ont été communiquées par M. Joâo Capello, sont toutes les trois brusquement interrompues à 9h 19min. La plus forte perturbation est celle de la courbe de la déclinaison, la plus faible, celle de la courbe de la composante verticale. Ces perturbations ont duré environ 12 minutes ; elles sont parfaitement distinctes de celles qui se produisent sous l’influence des courants terrestres et ressemblent à l’interruption qu’engendre un faible courant déterminé subitement à une petite distance des appareils magnétiques.

À Greenwich et à Wilhemshafen, les perturbations ont été moins marquées, mais cependant encore très nettement indiquées. À Greenwich, elles ont commencé à 9h 24min 21s ; à Wilhemshafen elles se sont manifestées à 9h 28min 47s. Dans les deux observatoires météorologiques de Paris, à Saint-Maur et à Montsouris, elles avaient d’abord passé inaperçues ; cependant, dernièrement, M. Moureaux, à Saint-Maur, en a constaté une légère indication, qui donnerait 9h 24min pour l’heure du commencement de la perturbation.

Le 22 décembre 1884, trois jours avant le tremblement de terre de l’Andalousie, une forte secousse, sentie à Lisbonne et à Funchal, avait également agi sur les trois appareils magnétiques de l’Observatoire de Lisbonne. Les courbes portent l’indication d’une perturbation ayant débuté à 4h 15min du matin. La perturbation la plus forte est accusée par la courbe de la composante horizontale. Elle s’est prolongée pendant une demi-heure environ, en présentant une série très évidente de quatre recrudescences de moins en moins fortes.

La secousse principale, celle qui a déterminé la presque totalité des désastres, a été ressentie le soir du 25 décembre, à 9h 18min (heure de Paris), à l’Observatoire de San Fernando, près de Cadix. C’est la seule indication rigoureusement exacte que l’on possède sur l’heure du phénomène. On ne peut attacher qu’une médiocre confiance aux heures données, soit par les horloges des particuliers, soit par celles des établissements publics, soit par celles des stations de chemin de fer. Les indications de ces horloges varient de 9h 9min à 9h 34min. En moyenne, dans les localités de la première zone que nous avons distinguée, elles donnent 9h 23min, ce qui est évidemment un chiffre trop fort, eu égard à celui de l’Observatoire de San Fernando.

La secousse principale a été précédée de quelques autres de très faible intensité. Mais ces secousses, qui semblent en quelques endroits avoir été senties par les animaux domestiques, ont passé inaperçues pour l’homme. À Zaffarraya seulement, on assure que deux secousses légères ont été signalées dans la journée du 24 décembre. En somme, le tremblement de terre peut être considéré comme ayant débuté brusquement à environ 9h 15min dans la soirée. Après la première secousse, on en a ressenti plusieurs autres à intervalles inégaux, d’abord assez rapprochés, mais aucune de ces secousses consécutives n’a présenté la violence de celle qui a marqué le commencement de la catastrophe.

Le désaccord le plus complet règne entre les appréciations de la durée du premier ébranlement. En l’absence d’instruments enregistreurs, on n’a d’autres renseignements que ceux qui ont été fournis par des observateurs inexpérimentés, en proie à la surprise et à l’effroi, forcés de songer avant tout à leur sûreté personnelle. De plus, quand les secousses se succèdent à très court intervalle, elles peuvent chevaucher l’une sur l’autre, et il est bien difficile de signaler la part du phénomène qui revient à chacune d’elles. Enfin, nous savons par des expériences dont il a été question précédemment, qu’un choc unique peut, suivant les conditions du terrain dans lequel il se produit, donner naissance à un effet simple ou, au contraire, donner lieu à des phénomènes semblables à ceux qu’engendrerait une série de chocs. Tous ces faits expliquent la variation des données recueillies, mais la cause la plus importante de cette diversité des résultats provient sans contredit de l’inégalité des impressions ressenties par les observateurs.

Après la désastreuse secousse dont il vient d’être question, le sol de l’Andalousie a continué pendant plusieurs mois à être fréquemment ébranlé. Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1884, jusqu’à 2h 30min du matin, les secousses ont été particulièrement nombreuses. Cependant, bien que l’attention fût appelée sur ces phénomènes, on comprend que le nombre des secousses ressenties ait été très différent suivant l’éloignement des localités à partir du milieu de la zone centrale, le mouvement s’affaiblissant et s’éteignant à des distances variables de son point de départ suivant son degré initial d’intensité. Les conditions géologiques et topographiques exercent d’ailleurs une grande influence sur la manière dont cette diminution d’intensité et cette disparition du mouvement s’effectuent avec la distance. Elles amènent dans les effets produits des diversités qu’elles seules peuvent servir à expliquer. Toute tentative de démêler l’influence complexe de telles causes est évidemment impraticable dans l’état actuel de la science. Comme exemple de ces inégalités dans le nombre des secousses ressenties en différentes localités dans le même laps de temps, il nous suffira de dire que dans des localités assez peu éloignées les unes des autres le nombre des secousses perçues dans la nuit du 25 au 26 décembre a varié de 5 à 21.

De même qu’on l’observe habituellement lorsqu’un tremblement de terre se prolonge, les secousses qui ont succédé en Andalousie à celle du 25 décembre 1884, ont présenté à diverses reprises des recrudescences d’intensité et de fréquence. Parmi ces paroxysmes, citons ceux du 30 décembre 1884, du 5 janvier, du 13 et du 27 février, du 25 et du 26 mars, du 11 avril 1885. Ce dernier s’est fait sentir dans toute l’étendue de l’Andalousie. Il a été précédé de bruits intenses et a duré plusieurs secondes. Des maisons se sont écroulées dans diverses localités.

Dans presque tous les points de la zone centrale on a senti des secousses verticales suivies de mouvements ondulatoires. En dehors de cette zone on n’a guère observé que des mouvements d’ondulation. Il y a cependant quelques exceptions à la règle ainsi formulée. En effet, en quelques points très éprouvés par le tremblement de terre, tels qu’Alhama et Arenas del Rey, et appartenant certainement à la zone centrale, la verticalité des secousses paraît n’avoir pas été constatée, mais cette anomalie peut être expliquée par les conditions orographiques compliquées du terrain sur lequel sont établis ces deux centres de population. En revanche, à Malaga et à Colmenar, des mouvements de trépidation ont été signalés, quoique ces villes soient en dehors de l’épicentre ; mais ici le fait peut être attribué à la situation de ces deux villes sur le prolongement d’une ligne suivant laquelle les phénomènes séismiques se sont pour ainsi dire étalés et dont les relations géologiques ont été l’objet d’une étude spéciale de la part de tous ceux qui se sont occupés du tremblement de terre de l’Andalousie.

Outre les trépidations et les mouvements ondulatoires, on a signalé en beaucoup de points des mouvements gyratoires.

Dans chacune des localités où les secousses ont été ressenties, la direction de la composante horizontale du mouvement paraît avoir été à peu près constante ; les lampes suspendues, par exemple, ont oscillé en chaque lieu dans un plan sensiblement invariable. Dans la plupart des cas, le léger déplacement du plan d’oscillation qui a été constaté peut être attribué aux irrégularités du mode d’attache. Cependant à la Lonja près de Grenade, M. Guillemin Tarayre, ingénieur habitant cette localité, a vu le plan d’oscillation des lampes de son appartement se déplacer d’un angle notable et toujours dans le même sens, de l’est à l’ouest en passant vers le sud, comme si le centre d’ébranlement à chaque cataclysme nouveau se déplaçait de l’est vers l’ouest.

On ne possède que des données imparfaites et contestables sur la vitesse de propagation superficielle des secousses. Le défaut de réglage des horloges ôte toute précision aux renseignements recueillis. En Andalousie, non seulement les horloges des villes ne sont soumises à aucun contrôle sérieux, mais il en est de même pour celles des gares et des bureaux télégraphiques. Parmi les données que l’on possède, la seule qui offre une apparence d’exactitude est la suivante : au moment de la première et principale secousse, deux employés de l’administration des télégraphes, l’un à Malaga, l’autre à Velez Malaga, étaient en train de correspondre. Ce dernier, surpris par la secousse, cesse brusquement la correspondance. Son collègue s’étonne de cet arrêt subit lorsque, 6 secondes environ après l’interruption de la dépêche, il sent à son tour la secousse. Or la distance de Velez Malaga à Malaga est d’environ 30 kilomètres, et si l’on tient compte de la position de ces deux localités par rapport au point médian de la zone centrale, d’où l’on peut supposer que partait le mouvement, il en résulte que l’ébranlement se serait propagé avec une vitesse d’au moins 1500 mètres par seconde. La vitesse ainsi déterminée est un minimum, car le chiffre de 6 secondes constaté entre l’arrivée du mouvement ondulatoire à Velez Malaga et à Malaga est un maximum. En réalité, la durée de la transmission du mouvement séismique a été de 4 à 6 secondes, et par suite, la vitesse observée a été comprise entre 1500 et 2200 mètres ; mais si l’on tient compte de ce que la position de la partie médiane de la zone centrale n’est pas exactement connue, il faut en conclure que la vitesse de la propagation en question a pu dépasser ces nombres.

Restent les données fournies par les appareils magnétiques de Lisbonne, de Greenwich et de Wilhelmshafen, et l’heure constatée à l’Observatoire de San Fernando (Cadix). L’observation de Lisbonne donne une vitesse de 3600 mètres par seconde, celle de Greenwich une vitesse de 4500 mètres, celle de Wilhelmshafen, 3100 mètres.

Il est difficile de donner une interprétation logique à ces chiffres très élevés.

La secousse initiale du 25 décembre 1884 a été précédée d’un bruit intense comparé par beaucoup de personnes au grondement du tonnerre ; dans les localités comprises sur l’épicentre il a duré assez longtemps pour que beaucoup de personnes aient eu le temps de sortir de leurs maisons et même de descendre un escalier de deux étages. En plusieurs endroits le bruit a été séparé de la



Fig. 37 — Albunuelas.


secousse par un très court intervalle estimé à 1 ou 2 secondes. En d’autres points le bruit persistait encore au commencement de la secousse. En aucun lieu, quel que fût son éloignement de l’épicentre, on n’a constaté l’arrivée des secousses avant celle du bruit.

D’après les renseignements officiels, on compte 690 morts et 1426 blessés dans la province de Grenade, 55 morts et 57 blessés dans celle de Malaga. À Arenas del Rey, village d’environ 1500 habitants, il y a eu 135 morts et 253 blessés. Les dommages matériels ont été énormes ; des villages entiers ont été détruits ; il y a eu environ 12 000 maisons ruinées, et 6000 plus ou moins endommagées. La mauvaise construction des habitations, l’étroitesse des rues dans les bourgades ont contribué beaucoup au désastre. Les maisons bâties régulièrement et en bons matériaux ont en général été seulement lézardées. La pente trop considérable du terrain, la mauvaise qualité du sol des fondations, ont été aussi une cause de ruine. Enfin, la nature géologique du sol a eu une influence manifeste. Les bâtiments élevés sur terrain d’alluvion ont particulièrement souffert ; ceux qui étaient édifiés sur des roches sédimentaires peu résistantes, calcaires friables, argiles etc., ont été aussi très maltraités. Au contraire, ceux qui se trouvaient sur des roches solides, tels que des calcaires compacts, ou même sur des schistes anciens, ont été beaucoup plus épargnés, surtout en dehors de la région centrale. Les constructions élevées dans le voisinage immédiat de deux sols de nature très différente, tels qu’un schiste feuilleté et un calcaire cristallin, ou bien encore une argile et un calcaire compact ont beaucoup souffert.

Lorsque la Commission française est passée à Alhama, trois mois après la catastrophe, la rue principale de la ville était encore remplie de décombres.

À Albuñuelas (fig. 37), la circulation était difficile au milieu des décombres et des ruines. À Arenas del Rey, le clocher, lézardé de toutes parts et prêt à s’effondrer, restait seul debout ; toutes les maisons avaient été jetées par terre ; l’emplacement des rues se distinguait à peine ; la bourgade entière n’était plus qu’un vaste



Fig. 38. — Portion de la fissure de Guevejar.


amoncellement de pierres et de charpentes brisées.

Dans plusieurs parties du district ébranlé, les secousses ont amené la production de crevasses profondes.

À Guaro, non loin de Periana, le sol argileux appliqué sur les flancs du calcaire voisin et détrempé profondément par les eaux pluviales s’est détaché du sous-sol et a glissé en masse, laissant sur ses bords une sorte de fossé large de 2 à 3 mètres. De plus, la partie crevassée s’est déplacée de manière à présenter l’aspect d’un champ labouré par une charrue gigantesque.

À Guevejar une cause analogue a produit une fente semi-circulaire longue de plus de 1 kilomètre (fig. 38). Au milieu du terrain circonscrit par cette déchirure le village de Guevejar est demeuré debout tout en subissant un transport commun. À la partie inférieure de l’un des bords de la fente on pouvait voir ce phénomène curieux d’un olivier déchiré en deux par la fissure, l’une des moitiés de l’arbre demeurée en place tandis que l’autre moitié avait pris part au mouvement du terrain déplacé.

À Ventas de Zafarraya, encore même phénomène de glissement, fente plus étroite mais plus allongée.

En plusieurs points de la sierra Tejeda des blocs volumineux se sont détachés et ont roulé en bas de la montagne.

Un grand nombre de sources ont émis des eaux troubles ou leur débit a subitement varié. Quelques sources nouvelles ont apparu, d’autres au contraire ont cessé de couler. À Guaro, notamment, la source qui débouchait au-dessous de la métairie est devenue trouble, plus abondante et elle s’est montrée à un niveau plus bas. À Alcaucin, à Periana, à Sedella, les eaux des fontaines sont



Fig. 39. — Mairie provisoire de Jatar.



Fig. 40. — Église provisoire de Jatar.
devenues tellement abondantes que les conduites se sont rompues. À Alhama, le volume de la source minérale a augmenté, sa température s’est élevée ; elle était seulement alcaline, elle est devenue sulfureuse. En même temps, une nouvelle source aussi abondante, aussi chaude et aussi minéralisée que celle-ci, traversée par un important dégagement de gaz, s’est montrée à 1 kilomètre en amont du ruisseau passant près de l’établissement des bains.

Dans beaucoup de localités, comme à Jatar, par exemple, les habitants ont dû se construire des abris provisoires (fig. 39 et 40). Les matériaux les plus divers ont été employés. Les feuilles d’aloès seules ou associées à du chaume ont été particulièrement utilisées.