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« Ici, tout le monde connaît un mort ou un état grave » : Bergame, nouvel épicentre de l’épidémie de coronavirus en Italie

Dans cette ville, les structures hospitalières et les soignants sont plus que jamais sous tension.

Par  (Rome, correspondant)

Publié le 16 mars 2020 à 10h11, modifié le 17 mars 2020 à 07h51

Temps de Lecture 7 min.

A Bergame, à l’hôpital Papa Giovanni XXIII, des médecins transportent un malade, le 13 mars.

« Le plus étrange, c’est le silence. C’est bien simple, toute la journée, je n’entends que les chiens qui aboient et les sirènes des ambulances… » Claudio Regazzoni, un célibataire de 33 ans, vit dans la petite ville de Sorisole, à un peu plus de 5 kilomètres de Bergame, où il travaille pour une société d’informatique. Un gros bourg tranquille mais industrieux, typique de ces provinces lombardes sans cesse citées en exemples, partout dans le pays, comme le moteur de la richesse italienne.

Ici, depuis trois semaines, le cours ordinaire des choses s’est interrompu. Peu à peu, les déplacements ont été limités et les lieux publics fermés, tandis que les innombrables entreprises des environs se mettaient à l’arrêt. A Sorisole, pour éviter les attroupements, même le cimetière a été interdit. C’est que ces campagnes prospères et sans histoires sont le véritable épicentre du drame sanitaire sans précédent qui secoue depuis trois semaines le nord de l’Italie.

La province de Bergame ne fait pas partie des premiers foyers détectés, fin février, mais c’est celle qui compte le plus de cas de Covid-19 (3 416 sur les 24 000 que compterait le pays au soir du dimanche 15 mars, selon les chiffres publiés par la protection civile). Un indicateur donne l’ampleur du drame : d’ordinaire, sur le journal local, L’Eco di Bergamo, les annonces nécrologiques représentent un volume de deux ou trois pages ; l’édition du vendredi 13 mars du quotidien bergamasque en comptait dix, bien serrées.

La province de Bergame ne fait pas partie des premiers foyers détectés, fin février, mais c’est celle qui compte le plus de cas de Covid-19

Sorisole est une petite ville et on ne compte officiellement que dix-huit à vingt cas de coronavirus sur le territoire communal. Mais personne ici, même les autorités, n’accorde plus aucun crédit à ces chiffres. « C’est juste qu’on ne fait pas assez de tests, ça ne veut rien dire, assure M. Regazzoni. Par exemple, j’ai un voisin, à 50 mètres de chez moi, qui est enfermé chez lui avec la grippe depuis une semaine. Comment savoir si ce n’est qu’une simple grippe ? »

« Nous pensons effectivement que le nombre de cas, dans la province, est très sous-évalué, concède Giorgio Gori, le maire (Parti démocrate, centre gauche) de la grande ville voisine, Bergame (environ 120 000 habitants). On ne sait pas exactement, mais on pense qu’il y en a environ 80 % de plus. » Autrement dit, pour dix cas détectés, huit autres sont dans la nature.

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Face à l’épidémie, l’Italie tout entière est à l’arrêt

Là est sans doute l’explication du taux de mortalité très alarmant (8 à 10 % rapporté au nombre de cas) observé ces derniers jours en Lombardie, et qui est incohérent avec ce qui a pu être observé dans les autres foyers de contamination, notamment en Asie. « Il y a tant de malades… poursuit le maire, très éprouvé. Ici, tout le monde connaît au moins un mort ou un patient dans un état grave. Actuellement, il y a de très nombreux employés de la mairie en soins intensifs, certains chefs d’administration et même des adjoints. »

De nouvelles pratiques sociales

A Bergame, peut-être plus encore qu’ailleurs en Italie, le confinement est respecté. Mais face à l’urgence, de nouvelles pratiques sociales s’inventent, faites de travail à distance, de solidarité et de dévouement.

Le maire, toujours : « C’est curieux, d’habitude ma vie est faite de rendez-vous prévisibles, qui se succèdent toute la journée, mais là, depuis deux semaines, je n’ai plus rien de prévu et je travaille tous les jours au moins de 7 heures à 22 heures, sans voir grand monde, au téléphone. Cinq cents volontaires circulent en ville et aident les personnes isolées en leur apportant les courses, les médicaments ou un peu de compagnie. Nous avons de la chance, Bergame était déjà une capitale du volontariat en temps de paix. »

En temps de paix ? Giorgio Gori a lâché le mot sans y penser, mais, quand on le lui fait remarquer, il ne rectifie pas. « Oui, en temps de paix. Moi, je ne suis pas en première ligne, mais pour les médecins, ce qui se passe, c’est vraiment comme une guerre. »

Le « Papa Giovanni », comme tout le monde l’appelle, est le fleuron du système sanitaire de la province, ainsi qu’un lieu d’excellence au niveau national

La ligne de front la plus visible, celle que le pays tout entier surveille avec crainte, c’est l’hôpital Papa Giovanni XXIII de la ville, à propos duquel se répandent les bruits les plus alarmants. Ce centre hospitalier inauguré en 2012 est un des signes les plus tangibles de l’image d’exemplarité que Bergame entend renvoyer. Avec ses 900 lits, ses 36 salles d’opération et son héliport fonctionnant 24 heures sur 24, le « Papa Giovanni », comme tout le monde l’appelle, est le fleuron du système sanitaire de la province, ainsi qu’un lieu d’excellence au niveau national. Cela ne l’empêche pas de se trouver sous une pression extrême. Du reste, quelle structure résisterait à une telle secousse ?

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Le professeur Giuseppe Remuzzi, qui jusqu’en 2018 dirigeait le département de médecine générale de l’hôpital et pilote désormais l’Institut de recherche Mario Negri, se démène depuis des semaines pour éviter la catastrophe. Il n’est plus en première ligne, mais continue à collaborer au quotidien de cet hôpital qu’il connaît par cœur.

A Bergame, à l’hôpital Papa Giovanni XXIII, le 13 mars.

Le service de néphrologie, dont il fut longtemps la cheville ouvrière, concentre l’ensemble des malades « non-Covid-19 ». Le reste de l’hôpital est dédié à la lutte contre cette maladie. « En quelques jours, le Papa Giovanni a été presque intégralement transformé en hôpital Covid, explique-t-il, comme sidéré de ce constat. Nous étions préparés à l’hypothèse d’une épidémie, mais dans tous les modèles sur lesquels nous avons travaillé, on n’a jamais pensé à une chose pareille. J’imaginais un SARS. Pas quelque chose comme ça… »

Recherche de lits

La recherche de lits, en particulier pour les soins intensifs, est une préoccupation de chaque instant. « Ici, nous avions 80 lits de soins intensifs, plus 20 autres affectés d’ordinaire à des services spécifiques comme la cardiologie ou la chirurgie, détaille-t-il. Tous ces lits sont occupés par le Covid. Et ce problème vaut pour l’ensemble de la région. A l’échelle de la Lombardie, il y a 1 000 lits de soins intensifs ; 732 sont occupés par des malades Covid. »

Alors que, d’après toutes les simulations, le nombre de nouveaux cas continuera à croître dans l’immédiat (le fait qu’il n’y ait « que » 552 nouveaux cas, dimanche, dans la province étant unanimement considéré comme une bonne nouvelle par les observateurs de la pandémie), les prochains jours s’annoncent cruciaux.

Pour l’heure, des malades de Bergame commencent à être répartis dans d’autres structures hospitalières hors de Lombardie, principalement en Ligurie et en Piémont

Et même en cas de ralentissement de la progression, le système semble condamné à la saturation. D’ores et déjà, plusieurs professionnels ont confié que les soignants n’avaient d’autre choix, parfois, que de se focaliser sur les patients les plus jeunes et susceptibles de s’en sortir au détriment des plus faibles et des plus âgés… Dans un article publié vendredi 13 mars par la revue médicale britannique The Lancet, le professeur Remuzzi a démontré la nécessité de se doter urgemment, dans les prochaines semaines, d’au moins 4 000 lits supplémentaires de thérapie intensive, au niveau national. Un effort considérable.

Pour l’heure, des malades de Bergame commencent à être répartis dans d’autres structures hospitalières hors de Lombardie, principalement en Ligurie et en Piémont. Dans la nuit de vendredi à samedi, on a même vu deux patients, en condition critique, transportés par un vol militaire en direction de Palerme, en Sicile. Une chose inimaginable en temps normal, quand des cohortes de malades des régions méridionales viennent se faire soigner à Milan tant les structures, chez eux, sont insuffisantes.

L’hôpital de Bergame pourra-t-il longtemps tenir ce rythme ? « Nous tenons grâce aux plus jeunes, salue Giuseppe Remuzzi. Ils sont enthousiastes, ils ne s’arrêtent jamais. Ils savent que ce qu’ils font, c’est leur mission. » Malgré les risques inévitables : « Il ne faudra pas oublier que les médecins ont couru des risques très importants et que beaucoup ont été contaminés. »

Lire le reportage : Article réservé à nos abonnés Toute l’Italie est placée en « zone rouge »

Un peu à l’écart de l’hôpital Papa Giovanni XXIII, dans une autre structure dédiée aux cas de Covid-19 moins lourds, Alessandra, soignante expérimentée, ayant travaillé ces dernières années dans divers établissements de Bergame, s’efforce de décrire ces conditions extrêmes, malgré la fatigue.

« C’est une ambiance étrange. Nous avons embauché beaucoup de monde, venu de toute l’Italie, si bien que, comme nous sommes tous masqués, on ne sait même pas avec qui on travaille. Et les journées sont si intenses qu’on n’a pas le temps de poser la moindre question… Chaque soir, quand je rentre chez moi, il faut que je pleure, pour évacuer. »

Craint-elle que l’ensemble du système soit submergé ? Elle répond, d’une voix blanche : « Pour l’instant, cela tient parce que beaucoup de lits se libèrent. Et beaucoup de lits se libèrent parce qu’il y a beaucoup de morts. »

L’Autriche confinée

Etablissements scolaires, espaces de jeu et infrastructures sportives, cafés, restaurants et commerces non alimentaires fermés : le gouvernement autrichien a renforcé, dimanche 15 mars, les restrictions en interdisant les rassemblements de plus de cinq personnes, en limitant les déplacements au strict nécessaire et en prévoyant de faire contrôler ces interdictions par la police afin de freiner la propagation du coronavirus. « La liberté de mouvement dans notre pays va être massivement limitée », a déclaré le chancelier autrichien Sebastian Kurz en énumérant trois motifs justifiant de quitter son domicile : nécessité professionnelle, ravitaillement, ou assistance à autrui.

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