L’Italie, pays-cible de la propagande chinoise à l’heure du Covid-19

Avec plus de 102 000 cas et le triste record de 12 000 morts au 31 mars 2020, l’Italie est le pays européen le plus touché par le Covid-19. Il est aussi l’un de ceux qui occupent le plus les autorités chinoises à travers une vaste opération comprenant l’envoi de masques, de respirateurs, de tests de diagnostic et des visites d’experts chinois sur le sol italien, parmi lesquels le vice-président de la Croix rouge, Sun Shuopeng, qui, il y a dix jours, conseillait aux Italiens de « faire davantage » pour stopper l’épidémie. Pour sa part, Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, le géant du e-commerce, a offert un million de masques et des tests via sa fondation. Toutes ces actions sont relayées par une campagne de communication via l’ambassade chinoise à Rome et la presse officielle.

Comme si l’Italie était pour Pékin le terrain possible d’une guerre lutte d’influence pouvant tourner en sa faveur, la diplomatie chinoise relaie sans relâche la coopération sino-italienne. Outre le site de l’ambassade, selon lequel « la véritable amitié se révèle dans les crises », on trouve Zhao Lijian, l’un des porte-paroles du gouvernement chinois, particulièrement actif sur les médias sociaux, toujours prompt à dénoncer l’Occident, et laissant entendre, le 15 mars, que des Romains auraient entonné de leur balcon l’hymne national chinois en guise de remerciement, ajoutant « Grazie Cine » suite à l’envoi de matérielFrancesca Marino, « Why We, Italians, Are Angry With China – And Want ‘War Damages’ », The Quint, 27 mars 2020.. Personne en Italie ne semble toutefois avoir été témoin de ce moment. Au contraire, certains commentateurs ont réagi avec vigueur contre les tentatives de récupération du drame sanitaire italien. 

L’intérêt de la Chine pour la péninsule n’est pas nouveau. Peu après la crise financière de 2008, la Chine avait opportunément saisi la perche qui lui était tendue en investissant dans des sociétés d’Etat italiennes dans le secteur de l’énergie, parmi lesquelles Eni, Enel et CDP Reti. Il s’agissait de répondre aux besoins de liquidités d’une économie en difficulté, touchée de plein fouet par la crise. D’autres investissements ont suivi, tel le rachat du géant du pneumatique Pirelli (privé), en 2016, par une société d’Etat chinoise, ChinaChem. Des marques telles que Cifa (machines-outils), Ferragamo (luxe) ou Ferretti (navigation de plaisance) sont également passées dans le giron chinois. Par ailleurs, le tourisme a, depuis quelques années, véritablement explosé en Italie (5 millions de visiteurs chinois, avec de plus en plus de touristes individuels) et devait atteindre des sommets en 2020 grâce au cinquantième anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, annoncé pour la fin de l’année. Le pays serait-il sur le point de revivre une vague d’investissements chinois et de visites de haut niveau en 2020, année du Covid-19 ? Rien n’est moins sûr et nul ne sait d’ailleurs ce qu’il adviendra de ces célébrations.

Certes, le ministre italien des Affaires étrangères Luigi Di Maio, affaibli depuis qu’il a perdu la présidence de son mouvement Cinq Etoiles, avait saisi la balle au bond pour s’auto-promouvoir et relayer, le 12 mars sur les médias sociaux, la livraison d’équipements chinois. La livraison de matériel faisait suite à un échange téléphonique avec son homologue chinois, Wang Yi. Mais de nombreux commentateurs se sont empressés de rappeler que le gouvernement italien avait, dès le début du mois de février, lui-même adressé des dons à la Chine (2 tonnes de matériel) et que celle-ci se devait de rendre la pareille. Même le Vatican, qui n’entretient pourtant pas de relations diplomatiques avec la République populaireLe Saint-Siège possède depuis 1949 une représentation auprès du gouvernement de Taïwan., avait envoyé 700 000 masques en Chine continentale. Il s’agit donc d’un juste retour des choses, d’autant que la plupart des livraisons d’équipements médicaux chinois vers l’Italie depuis un mois, si importantes soient-elles, sont le fruit de transactions commerciales, et non de dons.

La vérité est qu’une grande confusion règne, depuis un an, dans la politique chinoise de l’Italie. En avril 2019, le gouvernement de Giuseppe Conte avait en effet été le premier pays membre du G7 à signer un memorandum of understanding (MoU) sur les « nouvelles routes de la soie » à l’occasion de la visite du président chinois Xi Jinping. De cet accord, signé à l’arraché, on n’a guère de détails : beaucoup de promesses, notamment dans le domaine portuaire (Gênes, Trieste, Venise), dans l’énergie, dans le tourisme... mais aucun résultat concret. On voit bien quelle utilité peut avoir l’Italie pour la stratégie maritime chinoise en Méditerranée, mais à ce jour les concrétisations se font attendre. Sans doute la dimension politique italienne n’est-elle pas étrangère à ces hésitations. Il y a un an, l’ancien vice-Premier ministre et chef de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, avait exprimé son désaccord en refusant de participer au banquet en l’honneur du numéro un chinois – même si l’un de ses proches, l’ex- sous-Secrétaire d’Etat au développement économique, Michele Geraci, avait coordonné la signature du MoU lors de la visite d’Etat chinoise. Exit la Ligue en septembre 2019. Aujourd’hui, même Geraci reconnaît que les fruits de cet accord se font toujours attendreEntretien à Rome, le 12 février 2020., et selon plusieurs experts italiens interrogés lors d’un récent séjour en ItalieEntretiens conduits à Rome, Milan, Gênes et Bologne entre le 10 et le 21 février 2020., ce n’est pas le Covid-19 qui va redorer le blason de la Chine dans le pays. Selon l’institut de sondages Pew Research, le peuple italien est déjà l’un de ceux en Europe qui ont l’une des opinions les plus négatives de la ChineLaura Silver, Kat Devlin, Christine Huang, « People around the Globe are Divided in their Opinions of China », Pew Research Center, 5 décembre 2019.. Les remontrances de Pékin au gouvernement italien, qui avait décidé d’interrompre les vols directs en provenance de Chine au début de l’épidémie, ont été d’autant moins appréciées que c’est aujourd’hui l’inverse qui se produit. Les gestes des plus hautes autorités de la République, y compris le président Sergio Mattarella, qui crut nécessaire d’organiser un concert en l’honneur de l’ambassadeur de Chine à Rome le 12 février, n’ont guère eu d’impact sur l’opinion publique italienne, qui reste majoritairement atlantiste et europhileIbid..

Depuis fin février, la presse italienne révèle de nombreux actes d’animosité à l’égard de la population chinoise d’Italie – principalement regroupée en Lombardie et en Toscane, où se trouvent quelque 350 000 ressortissants chinois venus en grande partie de la province de Zhejiang, notamment la région de Wenzhou. A ce nombre s’ajoutent tous ceux qui, au cours des vingt dernières années, ont, souvent grâce au laxisme des autorités, acquis la nationalité italienne. A l’origine peu courtisée par Pékin, la diaspora fait aujourd’hui – comme dans d’autres pays d’Europe – l’objet de nombreuses attentions de la part du personnel diplomatique chinois, qui souligne le caractère « patriotique » de cette communauté. Une façon d’apporter son soutien aux Chinois d’Italie qui sont au contraire mis à l’index dans leur pays d’accueil.

Des envois de matériels médicaux et masques ont ainsi été effectués de Chine le 11 mars à l’intention des « travailleurs de la province du Zhejiang en Italie »« China Offers Italy Medical Aid as Province Donates Masks to Help Overseas Chinese », The Straits Times, 11 mars 2020.. La Lombardie et la Toscane, qui sont les deux régions italiennes les plus touchées par le Covid-19, sont aussi celles ayant reçu la dernière vague de touristes chinois sur le territoire italien en février dernier.  

Malgré la proposition chinoise de promouvoir une hypothétique « route de la soie pour la santé » dans les pays ayant signé le MoUGeorge N. Tzogopoulos, « China and Italy: Friends for Ever », China.org.cn, 18 mars 2020., il est peu probable que la signature d’un accord sur la Belt & Road Initiative mène à des résultats concrets avant un certain temps. Les responsables italiens, à part une poignée de politiciens, tel le ministre Di Maio, ont pris conscience du caractère controversé de la relation, surtout depuis la crise du coronavirus. Si elle a accueilli volontiers (comme les pays voisins) les devises chinoises depuis quelques années, notamment via le tourisme, la population italienne reste méfiante – ce qui expliquerait la décision de suspendre les vols de Chine en février, au moment des retours du Nouvel an chinois. L’image de la Chine sera d’autant plus difficile à améliorer à l’issue de la crise actuelle que le sujet est en train de devenir un thème politique national.

Toujours à l’affût d’une opportunité électoraliste, le leader populiste Salvini a ainsi accusé la Chine d’avoir commis un « crime contre l’humanité » en laissant le coronavirus se propager pendant de longues semainesBrandon Morse, « China Committed a Crime against Humanity and They Need to Pay », RedState, 26 mars 2020.. Ce type de discours a quelques chances d’être entendu par les électeurs italiens une fois la pandémie vaincue. Le public italien n’est pas dupe : la récupération politique par Pékin pourra peut-être aider le Parti communiste à réécrire l’histoire du coronavirus auprès de la population chinoise, mais en Italie l’heure des comptes viendra. Et pour ne pas reproduire l’épisode douloureux de 2008-2010, durant lequel l’Etat chinois avait acquis des entités stratégiques européennes dans une Europe du sud criblée de dettes, Italie, Grèce et Portugal compris, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a d’ores et déjà incité les Européens à faire preuve de vigilance à l’égard des prédateurs venus de loin : « nous devons protéger notre sécurité et notre souveraineté économique »« Coronavirus: Commission Issues Guidelines to Protect Critical European Assets and Technology in Current Crisis », European Commission, Press Release, 25 mars 2020.. Pour Bruxelles, Berlin et Paris il s’agit de limiter les risques de prises de contrôle d’entités européennes par des puissances étrangères, à commencer par la Chine. Et le Haut représentant pour la politique extérieure Josep Borrell fait encore allusion à cette dernière lorsqu’il évoque « le composant géopolitique de la crise actuelle, y compris la lutte d’influence à travers la communication et la politique de la générosité ». Surtout, ajoute-t-il, il faudra « défendre l’Europe contre ses détracteurs »« EU HRVP Josep Borrell: The Coronavirus Pandemic and the New World it is Creating », Delegation of the European Union to China, 24 mars 2020.. Qu’en dira la classe politique italienne une fois la crise passée ? Elle devra nécessairement prendre en compte l’état – sans doute dramatique – de l’économie nationale. Mais il lui faudra aussi écouter une opinion publique qui a peu goûté les tentatives de manipulation et de récupération de la terrible pandémie qui accable l’Italie. Et dans ce pays, les prochaines élections ne sont jamais loin.

Télécharger au format PDF